Thérapie 2006 Novembre-Décembre; 63 (6): 468–471 DOI: 10.2515/therapie/2008062
P HARMACOVIGILANCE
c 2009 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
Un exemple de complémentarité entre l’évaluation des Centres Régionaux de Pharmacovigilance (CRPV) et celle des Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance (CEIP) Example of Complementarities between Evaluation of the Regional Pharmacovigilance Department and Center of Evaluation and Information on Pharmacodependence Caroline Victorri-Vigneau1, Marie Gérardin-Marais1, Michel Mallaret2 et Pascale Jolliet1 1 Service de Pharmacologie Clinique, CEIP CRPV CHU Nantes, Nantes, France 2 Service de Pharmacologie Clinique, CEIP CRPV CHU Grenoble, Nantes, France Texte reçu le 22 septembre 2008 ; accepté le 30 octobre 2008. Mots clés : pharmacodépendance ; pharmacovigilance ; évaluation Keywords: pharmacodependence; pharmacovigilance; assessment
d’effets indésirables. Les Centres d’Évaluation et d’Information sur les Pharmacodépendances (CEIP) collectent les cas d’abus et de pharmacodépendance liés à la prise de substances ou plantes exerçant un effet psychoactif. Mais il est des cas où co-existent un effet indésirable et une situation de pharmacodépendance. Cet article a pour objectif de souligner l’intérêt et la complémentarité de l’analyse simultanée par les CEIP et les CRPV.
2. Matériel et méthode Nous avons réalisé une étude rétrospective de 18 cas de diminution d’efficacité ressentie par les patients lors du passage du Subutex à la Buprénorphine arrow notifiés au CEIP et au CRPV de Nantes au premier trimestre 2007. L’analyse de l’évaluation en pharmacovigilance est basée sur le score d’imputabilité de pharmacovigilance. [4,5] En pharmacodépendance, nous avons étudié l’évolution du score de gravité de la pharmacodépendance lors du passage du Subutex à la Buprénorphine arrow : en effet, le CEIP de Nantes a conçu et utilise un outil sous forme de questionnaire [6] permettant d’évaluer la pharmacodépendance à partir des notifications. Cet outil est basé sur les critères diagnostiques du DSMIV (Diagnostic and Statistical Manual, révision 4) [7] de la dépendance auquel a été ajouté un item évaluant le comportement de transgression du patient. Ce questionnaire est en cours de validation nationale par le réseau des CEIP dans le cadre d’un PHRC (Programme Hospitalier de Recherche Clinique) national. Il permet d’attribuer un score de gravité de la dépendance à chaque notification (figure 1). Le questionnaire évalue d’une part les signes physiques et compulsifs de la dépendance (questions 1 à 4) et d’autre part les conséquences dommageables, repérables dans les notifications transmises par les professionnels de santé, de la dépendance (questions 5 à 8). Le calcul du score de gravité de la pharmacodépendance se fait de la manière suivante. On attribue 1 point pour chaque réponse positive aux questions 1, 2, 3 et 4 et 5 points pour chaque réponse positive aux questions 5, 6, 7 et 8. Le score maximum est de 24 points.
1. Introduction 3. Résultats La France dispose d’un réseau d’évaluation de la pharmacovigilance [1] et d’un réseau d’évaluation de la pharmacodépendance, [2] tous les deux mandatés par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps). [3] Ces réseaux ont des missions spécifiques et bien définies, dont le recueil de l’information nécessaire à l’évaluation : les CRPV (Centre Régional de PharmacoVigilance) sont chargés de recueillir les déclarations
Imputabilité en pharmacovigilance : l’effet indésirable imputé est « manque d’efficacité pour le médicament Buprénorphine arrow ». L’effet était dans tous les cas « non grave » selon les critères de gravité utilisés en pharmacovigilance. L’imputabilité était identique dans les 18 cas : C3S2B0 (chronologie vraisemblable [C], sémiologie plausible [S], effet non décrit dans la littérature
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1/ Tolérance (diminution effet ou augmentation des doses pour obtenir le même effet qu’au début) Oui □ Non □ NR □ 2/ Symptômes de sevrage à l’arrêt ou substitution pour les éviter Oui □ Non □ N’a jamais arrêté □ NR □ 3/ Doses supérieures ou durée supérieure à ce qui était prévu Oui □ Non □
NR □
4/ Désir, essai infructueux d’arrêter la consommation Oui □ Non □
NR □
1 point si « OUI »
5/ Temps passé pour obtenir, consommer ou récupérer de l’utilisation du(es) médicaments ou substance(s) □ 0 - Non □ 1 - Préoccupation plurimensuelle □ 2 - Préoccupation pluri-hebdomadaire □ 3 - Préoccupation quotidienne voire pluriquotidienne □ NR 5 points si différent de 6/ Problèmes relationnels ou professionnels liés à la consommation 0 ou □ 0 - Non « OUI » □ 1 - Tensions professionnelles, familiales, sociales ou avec le milieu médical. □ 2 - Arrêts de travail, avertissements, isolement familial, signalement du problème. □ 3 - Perte d’emploi, de logement, rupture familiale totale. □ NR 7/ Problèmes de santé causés par la consommation. Par exemple, troubles de la mémoire, chutes dues à la prise de benzodiazépines… Oui □ Non □ NR □ 8/ Comportement de transgression Ø Fraude/détournement : exagération des symptômes, modification des doses, falsification d’ordonnances, consommation de substances illicites…. Oui □ Non □ NR □ Ø Mésusage Oui □ Non □ NR □ Fig. 1. Grille du Score de gravité de la pharmacodépendance.
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NR : non renseigné.
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[B]) ce qui signifie que le lien de causalité entre la prise de Buprénorphine arrow et l’effet de diminution d’efficacité ressentie est vraisemblable et que cet effet est non décrit lors du passage du princeps au générique. Évolution du score de gravité de la pharmacodépendance : le score de gravité de la pharmacodépendance n’a pas évolué de la même manière chez tous les patients ; on observe une évolution allant de + 1 à + 12 points. Les conséquences cliniques de l’inefficacité ressentie par les patients ne sont pas les mêmes pour tous les patients. Tous les patients présentent l’item 2 (symptômes de sevrage) lors du « switch ». Les signes les plus fréquemment décrits sont des douleurs (lombalgies : 6 cas), une agitation, nervosité, agressivité (6 cas), de l’anxiété (5 cas), des troubles du sommeil (3 cas) et des sueurs (2 cas). Pour 13 patients, la dose de buprénorphine administrée a dû être augmentée : la dose quotidienne a été en moyenne multipliée par 1,56 (étendue 1,2 à 2). Neuf patients ont une augmentation du score de 1 à 2 points, 2 patients ont une augmentation de 6 points, 7 patients ont une augmentation supérieure à 7 points.
4. Discussion L’analyse de pharmacovigilance nous permet d’affirmer que pour tous les patients, le lien de causalité entre la prise du médicament et l’effet ressenti est vraisemblable. Pour les 18 patients, cet effet indésirable a été qualifié de « non grave » dans la mesure où il n’était pas létal ni susceptible de mettre la vie du patient en danger, qu’il n’entraînait pas d’invalidité ni d’incapacité importante ou durable, ni ne provoquait ou prolongeait une hospitalisation. L’analyse réalisée par les CEIP permet de mettre en évidence une aggravation importante et une régression dans le parcours de soin de certains patients objectivée par l’évolution défavorable du score de gravité de la pharmacodépendance; les notificateurs ont mentionné des problèmes relationnels importants avec leurs patients (3 cas), dans certains cas une perte de confiance dans le médecin lors du « switch ». Dans 8 cas, les patients ont présenté un comportement de transgression en se procurant de manière illégale du Subutex ou des substances illicites (cannabis, héroïne) afin de gérer l’état de manque ressenti. Ce comportement de transgression et d’illégalité est susceptible d’avoir des conséquences pénales lourdes. Dans tous les cas, il s’agissait de patients initialement stabilisés dans leur traitement. Les doses de buprénorphine ont dû être augmentées de manière importante dans la majorité des cas. Le DSMIV permet le diagnostic de la dépendance quand le patient présente au moins 3 items parmi les 7 à un moment quelconque d’une période continue de 12 mois. Sept patients ont évolué vers une augmentation supérieure ou égale à sept points du c 2009 Société Française de Pharmacologie et de Thérapeutique
score de gravité, ce qui signifie qu’ils présentent l’apparition de 3 items du DSMIV auxquels est ajouté le comportement de transgression. Pour ces patients la régression, qui les conduit dans une situation de pharmacodépendance, peut être qualifiée de grave, quel que soit leur état initial. Nous n’avons pas lors de cette analyse évalué la dépendance du patient recevant du Subutex mais le différentiel de score lors du « switch ». On sait que les génériques sont des médicaments qui ont la même composition qualitative et quantitative en principe actif, une même forme pharmaceutique, et qu’ils ont prouvé leur bioéquivalence. Néanmoins, un écart de paramètres est toléré. Cet écart est jugé cliniquement non significatif, mais la dépendance est un contexte très particulier. Les patients sont des anciens usagers de substances illicites qui ont, pendant des dizaines d’années parfois, testé dans la rue des substances pour en juger la « qualité » ; ce sont des « goûteurs ». Il est possible qu’ils ressentent des écarts minimes de concentration. De plus la dépendance est une pathologie du lien, et il est possible que, pour ces patients particuliers, il soit difficile voire impossible dans certains cas, de changer de forme de comprimé, de boîte. . . La galénique joue aussi un rôle primordial : certains patients rapportent une dissolution en bouche plus rapide avec la Buprénorphine arrow qu’avec le Subutex ce qui leur fait craindre une moindre activité. Compte tenu de ce contexte, il serait judicieux de proposer pour la buprénorphine des pratiques de délivrance encadrées des génériques : recommander une adaptation posologique en utilisant d’emblée le générique, ne pas changer de générique en cours de traitement semblent être des règles raisonnables en ambulatoire. Reste le problème de l’hôpital (ou du milieu carcéral) approvisionnés par des pharmacies hospitalières qui ne disposent que d’un seul générique. Les patients seront systématiquement à leur arrivée « switchés ».
5. Conclusion Nous avons montré au travers de cette étude la complémentarité évidente des deux systèmes d’évaluation dans les cas où co-existent un effet indésirable et une situation de pharmacodépendance : le lien de causalité en pharmacovigilance, et la caractérisation clinique de la dépendance pour l’analyse réalisée par le CEIP.
Références 1. Alban Dhanani CK-J. Pharmacovigilance : n’hésitez pas. La revue du praticien - médecine générale 2004; 18: 1189-93 2. Baumevieille M, Miremont G, Haramburu F, et al: The French system of evaluation of dependence: establishment in a legal system. Therapie 2001; 56: 15-22
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3. http://www.afssaps.sante.fr 4. Dangoumau J, Begaud B. Imputability of drug side effects. Nouv Presse Med 1982; 11: 2995-7 5. Begaud B, Evreux JC, Jouglard J, et al. Imputation of the unexpected or toxic effects of drugs. Actualization of the method used in France. Therapie 1985; 40: 111-8 6. Victorri-Vigneau C, Jolliet P. Scoring pharmacodependence seriousness: a novel CEIP’s evaluation tool. Therapie 2006; 61: 517-22
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7. APA. Diagnostic and statistical manual of mental disorders 4th ed, Washington DC, APA., 1994
Correspondance et offprints : Caroline Victorri-Vigneau, Service de Pharmacologie Clinique, Institut de Biologie, 9 Quai Moncousu, 44093 Nantes Cedex, France. E-mail :
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