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ScienceDirect Droit Déontologie & Soin xxx (2014) xxx–xxx
Jurisprudence
Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Anaïs Adergal 184, rue Ganbaldi, 69003 Lyon, France
Résumé Alors même que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de son indépendance, un employeur prononce le licenciement d’un médecin salarié, et le qualifie de faute grave, privative des indemnités. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.
Alors que la liberté de prescription est un pilier de la profession médicale, et le gage de son indépendance, un employeur peut-il prononcer le licenciement d’un médecin salarié pour une faute grave de prescription ? La question n’est pas évidente alors que l’employeur doit respecter cette liberté, et que de plus, il ne dispose pas de compétence médicale1 . Pour autant, cette prérogative de l’employeur doit pouvoir s’exercer sur l’ensemble du personnel, y compris les médecins2 et y compris s’agissant de la part purement médicale de leur exercice. Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 21 mai 2014 (no 13-14635, non publié), confirmant la Cour de Nîmes (22 janvier 2013), valide le licenciement pour faute grave, sans qu’il ne soit besoin de recourir à une expertise.
Adresse e-mail :
[email protected] Sur le régime de responsabilité civile des médecins salariés : Civ.1◦ , 9 nov. 2004, D. 2005, 253, note Chabas ; Resp. civ. et ass. 2004, comm. 364. Adde, Maud Asselin, Responsabilité des professionnels de santé salariés : changement de solution, ibid. 2005, Chr. 6. 2 Licenciement pour une faute d’ordre général, à savoir la remise de nourriture par l’établissement : Cass. Soc., 25 juin 2002, no 00-40910, publié au bulletin. 1
http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007 1629-6583/© 2014 Publié par Elsevier Masson SAS.
Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007
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1. La faute grave La faute du salarié est considérée comme grave lorsqu’elle provient d’un fait ou d’un ensemble de faits qui rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Ce ou ces faits doivent être directement imputables au salarié (Cass. Soc. 27 septembre 2007, no 06-43867). La faute grave entraîne le départ immédiat du salarié. La gravité de la faute est appréciée en fonction des circonstances propres à chaque fait. La faute grave peut être reconnue au regard d’un fait unique mais inacceptable. Un salarié peut être licencié pour faute grave sans avoir jamais rec¸u d’avertissement au préalable. Le salarié licencié pour faute grave perd le bénéfice de l’indemnité de licenciement et n’a pas droit à l’indemnité compensatrice de préavis. 2. Faits Un médecin, engagé le 1er août 2006 en qualité de médecin généraliste par l’association hospitalière Sainte-Marie, a été licencié pour faute grave par lettre du 20 mai 2010. Il était reproché au praticien deux fautes touchant à sa pratique clinique : • une augmentation inappropriée de dose médicamenteuse (Préviscan et Digoxine) à l’égard d’une patiente ; • la non prise en charge d’un cas d’hypernatrémie d’une patiente qui a dû être hospitalisée. Ces faits avaient été dénoncés le 26 mars 2010 à l’employeur par deux médecins coordonnateurs : « Je vous écris pour vous informer d’incidents concernant l’activité professionnelle du Docteur X. . . Ces incidents, erreurs de prescription ou négligences d’anomalie sur un bilan, auraient pu avoir des conséquences graves sur l’état de santé des patientes intéressées sans la vigilance d’autres personnels soignants qui ont pu mettre en œuvre des actions de correction ». 3. Procédure de licenciement L’article R. 4127-95 CSP, qui traite de l’exercice salarié de la médecine, rappelle dans les termes suivants les devoirs de médecin exerc¸ant sous contrat de travail en ces termes : « Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions ». « En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce ». Aussi, aucune disposition n’impose la saisine préalable par l’Ordre des Médecins dans le cadre d’une procédure disciplinaire exercée par l’employeur à l’encontre d’un médecin salarié. D’une manière générale, les droits et devoirs du médecin salarié restent constants : Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007
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• il est tenu au secret professionnel notamment vis-à-vis de l’employeur ou de l’administration. Il doit veiller à ce qu’aucune atteinte ne soit portée par son entourage au secret qui s’attache à sa correspondance professionnelle (CSP, Art. R. 4127-72) ; • l’indépendance du médecin étant avant tout un droit du patient (CSP, art. R. 4127-5), le médecin salarié ne peut accepter que ses avis, ses actes, ses prescriptions y compris la rédaction de ses certificats soient limités par des directives. Il en est le seul responsable. Il ne peut y avoir de subordination ou de dépendance, vis-à-vis de l’établissement, de l’organisme ou du confrère qui emploie le médecin, qu’au point de vue administratif (horaires, organisation du service. . .). 4. Appréciation des fautes 4.1. Liberté de prescription 4.1.1. Argument du médecin Le médecin soutenait d’abord que ne constitue pas un motif de licenciement et a fortiori une faute grave l’acte d’un médecin qui se rattache directement à sa liberté de prescription médicale à l’égard d’un patient dans le respect des données acquises de la science. D’après lui, son licenciement du médecin salarié était fondé sur une faute grave en raison des prescriptions prétendument erronées administrées par celui-ci à deux patientes, alors qu’il n’était pas prouvé que ces prescriptions fussent contraires aux données acquises de la science. 4.1.2. Réponse de la Cour 4.1.2.1. Recours non justifié à l’expertise. Le médecin soutient que l’employeur aurait dû recourir à une expertise médicale pour établir la réalité des manquements ainsi reprochés. Or, les éléments de preuve fournis par l’employeur suffisent à établir la réalité des fautes reprochées à l’intimé et ce dernier ne produit aucun élément de nature à contrarier l’avis des trois praticiens qui ont pointé ces erreurs. D’ailleurs, le médecin n’a pas produit ne serait-ce qu’une consultation de la part d’un autre praticien pour infirmer les propos qu’il dénonc¸ait en vain. 4.1.2.2. Appréciation de la gravité. Ces fautes de nature professionnelle étaient susceptibles d’engager la responsabilité de l’employeur vis-à-vis des patientes ainsi traitées et justifiaient la sanction ainsi prononcée. Le fait que ces erreurs n’aient engendré aucune conséquence dommageable n’est pas de nature à exonérer le Docteur Xavier de ses fautes. En outre, interpellé par une infirmière sur l’aberration des traitements ordonnés, le médecin n’avait pas réagi, amenant celles-ci à faire appel au cadre-médecin afin de rectifier cette erreur de posologie. 4.2. Insuffisance professionnelle et faute 4.2.1. Argument du médecin L’insuffisance professionnelle ne constitue pas une faute grave. En qualifiant en l’espèce les faits reprochés au salarié de fautes professionnelles, constituées par des erreurs de prescriptions médicales à l’égard de deux patientes, la cour caractérisait nécessairement une insuffisance professionnelle, tout en décidant que le licenciement est fondé sur une faute grave. Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007
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4.2.2. Réponse de la Cour Le licenciement n’est pas prononcé pour une insuffisance professionnelle, mais pour des erreurs reprochées qui traduisent une grave négligence mettant en péril la santé de patients. 4.3. Faute mais absence de départ immédiat 4.3.1. Argument du médecin La faute grave est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Or, l’employeur s’était pas privé de la possibilité d’invoquer une faute grave en maintenant le salarié dans ses fonctions et en le laissant continuer à assurer seul, pendant plus de quinze jours, des gardes au sein de la clinique, au cours desquelles il était susceptible d’engager la responsabilité de cette dernière par ses actes. 4.3.2. Réponse de la Cour L’employeur n’est pas tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager la procédure de licenciement pour faute grave d’autant que l’employeur devait s’assurer au préalable de la réalité et de la gravité des faits dénoncés et que le Docteur Xavier avait posé des congés du 11 au 17 avril 2010. Dans la mesure où les erreurs reprochées au praticien procédaient d’une grave négligence mettant en péril la santé de patientes, ce manquement aux obligations professionnelles constituait une faute grave rendant impossible le maintien du salarié dans l’entreprise, peu important que celui-ci n’ait pas fait l’objet d’une mesure de mise à pied. De plus, la procédure de licenciement a été engagée dès que l’employeur a été en mesure de connaître la réalité et la gravité des faits.
Pour citer cet article : Adergal, A. Une faute de prescription peut-elle être une cause de licenciement pour faute grave ? Droit Déontologie & Soin (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2014.07.007