Presse Med 2004; 33; 18 (Suppl.): 3-4
Mario Sanchez
© 2004, Masson, Paris
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Une nouvelle voie
N Rédacteur en chef des suppléments “Médecine des addictions”, directeur adjoint de la clinique Montevideo, directeur de l’Institut Baron Maurice de Rothschild pour la recherche et le traitement des addicitons, Boulogne-Billancourt (92)
ous avons le plaisir et l’honneur de contribuer, à partir de ce numéro de La Presse Médicale, avec le supplément “Médecine des addictions”, à la diffusion de connaissances scientifiques sur l’évolution médicale du traitement des addictions. Que le comité éditorial et la rédaction de La Presse Médicale, ainsi que son nouveau rédacteur en chef, Loïc Guillevin – qui nous ouvrait les portes, il y a 4 ans, des Annales de Médecine Interne –, voient ici exprimée notre reconnaissance. Notre publication accompagne spécifiquement, depuis mars 2000, le développement français d’un nouveau suivi thérapeutique des usagers de drogues: celui qui advient à partir de l’instauration des traitements de substitution par méthadone (1994) et par buprénorphine (1996) dans les dépendances aux opiacés. Dès 1999, la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et la toxicomanie (MILDT) et son ancienne présidente, Mme Nicole Maestracci, nous confiaient la responsabilité de la création d’une publication scientifique qui recueille les travaux dédiés à la réalité novatrice de cette nouvelle perspective thérapeutique, avec l’ouverture d’une indexation internationale. Sa décision,nous le pensons,aura été appuyée de ce que,depuis 1996,notre pays est le théâtre d’une avancée unique:la disponibilité du traitement par buprénorphine haut dosage (BHD) en médecine de ville. La médecine générale et,pour mieux les citer,les médecins généralistes ont eu dans ce changement le plus grand rôle. Un rôle sanitaire de première ligne déjà visible en 1997 (comme le montre notre tra1 vail publié en 2001 sur leur rôle spectaculaire dans la réduction du nombre d’overdoses létales) qui 2,3 4 s’affirme de jour en jour par des résultats en termes non seulement sanitaires , mais aussi sociaux .
L’ouverture d’un horizon d’échanges et de savoir
Correspondance : Mario Sanchez, Clinique Montevideo, Institut Baron Maurice de Rothschild 44, rue de la Tourelle, 92100 Boulogne Billancourt Tél.: 01 41 22 98 88 Fax: 01 412298 80
Des deux traitements qui ont obtenu leur autorisation de mise sur le marché pour le traitement des dépendances aux opiacés, la molécule de ce changement a été indubitablement la buprénorphine haut dosage. Grâce à sa large accessibilité et à la légèreté de son emploi (absorption sublinguale, absence de contrôle urinaire,prescription jusqu’à 28 jours,maniabilité et discrétion de sa présentation 3 galénique), elle aura pris une avance considérable sur la méthadone, qui l’avait pourtant précédée . Mais surtout, la BHD inspirait un sentiment d’une plus grande sécurité, du fait de la limitation que cette molécule oppose aux overdoses par dépression respiratoire,par son action agoniste/antagoniste et son effet agoniste plafond, observable à partir d’un dosage seuil de 23 mg. La méthadone, elle, inspirait d’avantage l’insécurité – contingente sûrement –, liée à la molécule elle-même et à ses caracté3 ristiques propres, mais pas uniquement : les contraintes qui l’entouraient soulignaient aussi qu’il est d’usage, traditionnellement, de se méfier des usagers de drogues. Cette époque, nous la croyons révolue. Les avancées de tous bords, en termes de prévention comme d’observance au long cours de traitements souvent lourds – de substitution,mais aussi contre le VIH et le VHC –, soulignent qu’il suffit de trouver l’approche la plus efficace pour qu’un usager de drogues devienne un patient comme un autre.Ce sont des patients qui exigent initialement un investissement important et manient leur propre savoir sur la pharmacopée – loin d’être toujours le plus efficace,mais dont il faut trouver la logique pour mieux la dépasser.Ce travail exige de se confronter à des situations sociales, mais aussi psychiques, souvent précaires. Leur réactivité devant une souffrance dont ils connaissent un remède – illégal, certes passager, mais hélas initialement efficace! – nous confronte encore plus violemment aux limites,quand il est boiteux,d’un traitement qui aura rarement été manié
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avec autant de liberté qu’il a été fait dans notre pays. C’est parce que les médecins généralistes ont fait confiance aux usagers de drogues que ceux-là,en retour, ont pu agir – simplement - en toute responsabilité.Cela a ouvert un horizon d’échanges et de savoir, et clos, croyions nous, la crainte propre à l'absence d’un savoir efficace, d’un objectif partagé. Depuis 1999, quand nous avons commencé à travailler à la rédaction de ce supplément, nous avons été saisis par l’inédit que cette situation nous proposait : nous avions la possibilité, mais surtout la responsabilité, d’interpréter au plus juste cette nouvelle voie,dans ses bénéfices comme dans ses limites. Cet effort est assumé par de nombreuses équipes françaises. Peut-on encore plus leur demander? Il reste urgent aujourd’hui de saisir l’occasion qui est la nôtre de comprendre vers quoi s’oriente le traitement pragmatique des addictions.Un champ d’étude nous est ouvert non seulement par les exploits réalistes que cette thérapeutique de substitution ouverte et responsable a donnés dans notre pays, mais nous avons à comprendre aussi différentes réalités comme le “mésusage” – abordé abondamment tout au long de la conférence de consen5 sus des 24 et 25 juin 2004 à Lyon –, de la primoconsommation ou du détournement de la BHD.
Aborder les difficultés restantes Certains voudraient que l’on referme finalement le débat, au prétexte de l’éventuelle persistance d’une conduite addictive,ou encore dans la justification rapide d’un appétit éternel et insatiable pour la défonce. Nous devons assumer, au contraire, qu’un changement radical est advenu dans le traitement des usagers de drogues de notre pays,avec l’arrivée de la première mesure sanitaire médicale les concernant. Il ne s’agit pas d’une solution miracle,mais de la première qui a efficacement réduit les méfaits dus à la consommation d’opiacés,jusqu’à la diminution de la consommation d’héroïne dans Paris depuis 1 25 ans . Nous voulons aborder les difficultés restantes comme des problématiques que nous n’avons pas encore réussi à élucider,comme autant de complications
d’une maladie et d’aléas de ses traitements.Cela dépasse de loin les frontières de la dépendance aux opiacés: ne devons-nous pas soumettre à la même logique les autres manifestations des addictions, de l’alcool aux conséquences du dopage? L’exigence qui éreinte l’assimilation de ce dont nous n’avons pas la solution, dessine l’éthique qui aura animé l’effort de tant de collègues,comme le nôtre,pendant ces dernières années.C’est cela que nous voulons maintenir et partager avec nos lecteurs. L’orientation de notre journal cherchera à promouvoir les détails les plus réalistes d’un travail en progression sur la médecine des addictions. Pour ce premier supplément de “Médecine des addictions” de La Presse Médicale, les articles originaux rendent compte de deux faits majeurs : la capacité de rétention des patients dans un traitement par BHD, et l’observation de données qualitatives sur une population traitée pendant 5 ans par BHD ou par méthadone. Un premier apport qui sera complété avant la fin de l’année par des études sur les complications possibles de ces traitements, nous indiquant leurs faiblesses et leurs forces, leurs possibilités et leurs limites. Ce numéro contient aussi une excellente revue de la toxicité de l’ecstasy (3,4-méthylènedioxyméthamphétamine, ou MDMA), ainsi qu’un fait clinique concernant un bilan hépatique chez un consommateur de cette substance, observation qui renforce la prudence que nous indiquait un premier texte paru dans 6 La Presse Médicale en 1998 . Même prudence à laquelle nous porte la mise en évidence d’une artériopathie chez un jeune homme de 18 ans durant un sevrage de cannabis,comme le montre notre deuxième cas clinique.Notre prochain numéro abordera,par deux études originales,la spécificité des injecteurs de buprénorphine et de méthadone,leurs risques immunologiques et leurs particularités psychiatriques. Notre équipe rédactionnelle, renforcée par l’apport de nouveaux collègues,est au travail.Notre souhait partagé, diffuser et rendre lisible une pathologie souvent méconnue ou dédaignée, trouve dans cette nouvelle collaboration avec La Presse Médicale un outil rédactionnel et un lectorat qui nous honore autant qu’il nous oblige;puisse cette rencontre être fructueuse. ■
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4 - La Presse Médicale
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