Une opacité pulmonaire excavée chez un diabétique

Une opacité pulmonaire excavée chez un diabétique

Annales d’Endocrinologie 70 (2009) 137–140 Cas clinique Une opacité pulmonaire excavée chez un diabétique Excavated pulmonary opacity in diabetes S...

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Annales d’Endocrinologie 70 (2009) 137–140

Cas clinique

Une opacité pulmonaire excavée chez un diabétique Excavated pulmonary opacity in diabetes S. Fouzi a , H. Ayadi a,∗ , A. Sellami b , W.K. Rekik a , N. Guermazi , A. Ayadi b , A. Ayoub a a

Service de pneumo-allergologie, CHU Hédi-Chaker, 1, avenue Majida Boulila, 3029 Sfax, Tunisie b Service de parasitologie et mycologie, Sfax, Tunisie Disponible sur Internet le 7 f´evrier 2009

Abstract Mucormycosis or zygomycosis is a group of infections caused by filamentous fungi of the mucorales order belonging to the zygomycetes family. They generally appear in patients with uncontrolled diabetes or immunodepression, especially neutropenic immunodepression. Incidence has increased with progress in immunosuppressive therapy and chemotherapy and the absence of the use of antifungal prophylactic agents effective against mucors. We report the case of a diabetic patient presenting with an excavated opacity in the right lung which failed to improve after receiving non-specific antibiotic treatment. Direct examination of the bronchial washing specimen led to the diagnosis of pulmonary mucormycosis. Prognosis depends mainly on early diagnosis, enabling appropriate treatment with amphotericin B. Mortality remains high, around 80%; diagnosis is commonly established post-mortem. © 2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Résumé Les mucormycoses ou zygormycoses représentent un groupe d’infections causées par des champignons filamenteux de l’ordre des mucorales appartenant à la famille des zygomycètes. Elles se développent généralement chez les patients diabétiques mal équilibrés et les immunodéprimés, essentiellement les neutropéniques. Leur incidence est en augmentation compte-tenu d’une part des progrès des thérapeutiques immunosuppressives et de la chimiothérapie et d’autre part de l’absence d’utilisation de prophylaxie antifungique couvrant les mucors. Nous rapportons dans l’observation suivante le cas d’un patient diabétique qui a été suivi pour une opacité pulmonaire droite excavée et traité par une antibiothérapie non spécifique sans amélioration. Le diagnostic de mucormycose pulmonaire a été retenu par l’examen direct du liquide de lavage bronchique. L’élément déterminant du pronostic est la précocité du diagnostic afin de démarrer un traitement immédiat basé sur l’amphotéricine B. La mortalité reste élevée aux alentours de 80 % et le diagnostic est fréquemment tardif, en post-mortem. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Keywords: Mucormycosis; Lung; Diabetes; Amphotericin B Mots clés : Mucormycose ; Poumon ; Diabète ; Amphotéricine B

1. Observation Mr R.F., âgé de 42 ans, agriculteur, aux antécédents de diabète insulinodépendant depuis quatre ans, a été admis le 5 janvier 2007 pour exploration d’une opacité pulmonaire droite.



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Ayadi).

0003-4266/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ando.2008.11.001

En fait, Mr R.F. a présenté 15 jours avant son admission une toux sèche, une asthénie et une anorexie. Cette symptomatologie évoluait dans un contexte apyrétique et sans autres manifestations thoraciques ni extrathoraciques associées. L’examen clinique à l’admission était normal, en particulier, la température était à 37,6 ◦ C et l’auscultation pleuropulmonaire normale. La radiographie thoracique de face a mis en évidence la présence d’une opacité alvéolaire de trois centimètres de

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Fig. 1. Opacité alvéolaire de 3 cm de grand axe, grossièrement arrondie, excavée au centre, siégeant au niveau du tiers inférieur du champ pulmonaire droit. 3-cm alveolar opacity grossly rounded, excavated in its center, located in the lower part of the right lung.

grand axe, grossièrement arrondie, excavée au centre, siégeant au niveau du lobe inférieur droit (Fig. 1). Le bilan biologique a révélé un taux de globules blancs à 8000 éléments par millimètre cube, un taux d’hémoglobine à 15,7 g/dl, une vitesse de sédimentation à 20 mm à la première heure, un taux de protéine C réactive (CRP) élevé à 96 mg/l, une glycémie à 18 mmol/l avec un taux d’hémoglobine A1C (Hb A1C), chiffré à 11 %. Au terme de ces données cliniques et paracliniques, une pneumopathie infectieuse abcédée a été évoquée chez ce patient diabétique malgré l’absence de contexte fébrile. Une antibiothérapie associant amoxicilline et acide clavulanique a été alors débutée. L’évolution a été marquée, une semaine plus tard, par une extension des lésions radiologiques avec nécrose importante et au bilan biologique de contrôle une augmentation du taux de CRP à 117 mg/l. 2. Quel est votre diagnostic ?

Fig. 2. a : multiples opacités alvéolaires des deux champs pulmonaires avec présence de deux foyers l’un périhilaire et l’autre plus volumineux de la pyramide basale droite avec clarté au centre ; b : apparition d’un foyer de la pyramide basale gauche avec bronchogramme et alvéologramme aérien et discret épaississement pleural en regard. a: multiple alveolar opacities of the two lungs with two foci, one perihilar and the other one more important of the right basal pyramide with clarity in its center;b: occurence of a focus located in the left basal pyramide with visible clarities of bronches and alveoles and mild pleural thickness in front of it.

Devant cette évolution défavorable, d’autres étiologies ont été suspectées notamment : • une origine tuberculeuse malgré la négativité des recherches des bacilles de Koch dans les crachats trois jours de suite ; • une origine néoplasique devant l’altération de l’état général et l’extension des lésions radiologiques bien qu’aucun facteur de risque n’ait été retrouvé à l’interrogatoire ; • une maladie de Wegener, mais nous n’avons pas pu mettre en évidence des manifestations cliniques qu’elles soient thoraciques ou extrathoraciques en faveur de ce diagnostic. Une tomodensitométrie thoracique (TDM) a été alors réalisée, révélant de multiples opacités alvéolaires des deux champs pulmonaires avec présence de deux foyers, l’un périhilaire et l’autre plus volumineux au niveau de la pyramide basale

avec clarté au centre (Fig. 2a), associés à un autre foyer de la pyramide basale gauche avec bronchogramme et alvéologramme aérien et discret épaississement pleural en regard (Fig. 2b). Le bilan a été complété ensuite d’une fibroscopie bronchique qui a permis de mettre en évidence un enduit blanchâtre au niveau du lobe inférieur droit avec des taches en flamme de bougie. L’examen direct du liquide de lavage bronchoalvéolaire (LBA) a montré la présence de filaments mycosiques larges non septés, ramifiés à angle droit (Fig. 3). La culture n’a pas été réalisée. La biopsie bronchique a conclu à une nécrose exsudative, riche en débris nucléaires, incluant une mycose filamenteuse d’aspect en alphabet chinois; cette mycose filamenteuse a été bien identifiée par les colorations spéciales de PAS et de Grocott.

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Fig. 3. Filaments mycosiques larges non septés, ramifiés à angle droit à l’examen direct. Large mycotic filaments without septa branched out at right angle on direct examination.

Le diagnostic de mucormycose pulmonaire a été alors retenu. Une sérologie VIH à la recherche d’un autre facteur d’immunodépression, a été pratiquée et s’est révélée négative. Un traitement à base d’amphotéricine B à la dose de 0,1 mg/kg par jour avec augmentation progressive selon la tolérance jusqu’à 1 mg/kg par jour a été démarré. L’évolution a été favorable après 15 jours de traitement avec régression nette des signes cliniques et nettoyage progressif des images radiologiques au bout de six semaines. 3. Discussion La mucormycose pulmonaire est une infection fongique opportuniste et rare, causée par des champignons appartenant à la classe des zygomycètes. L’infection survient généralement en présence d’affections sous-jacentes immunodéprimantes telles que les hémopathies malignes, l’insuffisance rénale chronique, les cancers solides, la transplantation d’organe, la corticothérapie au long cours. La surcharge en fer ou au contraire un traitement par chélateur de fer ont été également incriminés [1,2]. Le diabète sucré, et plus particulièrement non contrôlé, est également une affection favorisant ce type de mycoses; ce risque est encore plus élevé si une acidocétose diabétique est associée. L’hyperglycémie altère la fonction phagocytaire et l’acidose augmente le taux de fer libre non lié à la transferrine en inhibant la capacité de la transferrine à transporter le fer, favorisant ainsi la croissance fongique [3]. Dans notre observation, il s’agissait d’un patient diabétique sous insulinothérapie mal équilibré. La voie de contamination la plus fréquente est la voie aérienne par l’inhalation de spores répandus dans l’air, expliquant ainsi la prédominance de l’atteinte pulmonaire et rhinocérébrale [4]. Chez l’immunocompétent, les macrophages pulmonaires vont réussir à éliminer ces spores ; en revanche, en cas de déficit immunitaire, les spores vont pénétrer dans la paroi des bronches et envahir les vaisseaux sanguins [4] aboutissant ainsi à la création de lésions internes à type d’anévrismes qui peuvent se

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rompre [5]. Cet envahissement vasculaire peut entraîner également des mycothromboses, source d’emboles donnant lieu à d’autres localisations mycotiques, avec ischémie et nécrose tissulaire [4,5]. Le tableau clinique de la mucormycose pulmonaire manque de spécificité et peut être facilement confondu avec une pneumonie virale ou bactérienne expliquant le retard diagnostique. Les localisations endobronchiques avec symptomatologie en rapport avec l’obstruction bronchique et l’hémoptysie sont plus fréquemment rencontrées chez le diabétique et volontiers associées à une co-infection bactérienne ou virale pouvant s’améliorer sous antibiothérapie empirique, retardant ainsi le diagnostic d’infection mycosique [6]. Dans notre cas, la symptomatologie rapportée était la toux et l’asthénie. L’amélioration partielle de la toux pourrait être en rapport avec une co-infection bactérienne associée. Le tableau radiologique est également peu spécifique. On peut observer des nodules, volontiers excavés, des infiltrats ou encore plus rarement des épanchements pleuraux [4,7,1]. Dans notre observation, l’aspect radiologique initial était à type d’opacité excavée traduisant la nécrose parenchymateuse. Des infiltrats alvéolaires multiples ont été objectivés à la TDM thoracique. Les aspects les plus fréquents sont des infiltrats uniou multilobaires, évolutifs, sans prédilection lobaire significative. Plus rarement, l’aspect est celui de nodules ou masses pulmonaires uniques ou multiples. Les lésions sont excavées dans plus de 40 % des cas. Un niveau hydroaérique au sein d’une cavité ou une masse solide intracavitaire est également observé. Les épanchements pleuraux, uni- ou bilatéraux, sont peu fréquents [4]. La TDM thoracique permet également de révéler des lésions non visibles à la radiographie pulmonaire dans plus de 50 % des cas. Ces lésions peuvent être à type d’adénopathies périhilaires ou médiastinales, d’envahissement endobronchique ou aortique, d’atteinte de la paroi thoracique, de thrombose mycotique d’une ou plusieurs artères pulmonaires ou encore de pseudo-anévrisme aortique [4]. Les aspects endoscopiques sont également non spécifiques de la maladie, mais traduisent le pouvoir destructeur du germe et son affinité vasculaire. Ces lésions sont à type d’ulcération, de nécrose, de sténose ou parfois un simple aspect inflammatoire [1]. L’endoscopie a permis de constater chez notre malade la présence d’un enduit blanchâtre dans la branche lobaire inférieure avec des tâches en flamme de bougie qui pourraient traduire la nécrose de la paroi bronchique. Vu la non spécificité des signes cliniques et paracliniques, le diagnostic de mucormycose pulmonaire est souvent difficile à établir et fréquemment tardif. Il est basé sur l’association de preuves anatomopathologiques et mycologiques [1]. Le germe est habituellement isolé au niveau du liquide du lavage bronchique et/ou sur les fragments tissulaires. L’examen du liquide de lavage bronchique peut faire le diagnostic en mettant en évidence des filaments larges, non septés, ramifiés à angle droit, différents des filaments aspergillaires [1]. L’examen histologique des biopsies bronchiques ou des biopsies sous-scanner reste le plus fiable et le plus rentable [4].

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Il permet de montrer l’invasion tissulaire par le filament non septé à angle droit, associé à une ulcération ou une nécrose [1,6]. Dans notre observation, le diagnostic était porté à la fois sur les données de l’examen direct du liquide de lavage bronchique et l’examen anatomopathologique de la biopsie bronchique. Le traitement doit être le plus précoce possible, le retard thérapeutique est en fait un élément de pronostic péjoratif [1]. Pour être efficace, il doit reposer sur trois points essentiels : le contrôle du facteur favorisant et la correction de l’immunodépression, un traitement antifongique systémique approprié basé sur l’amphotéricine B et la résection chirurgicale complète du foyer autant que possible [1,4,6]. Le seul antifongique qui a prouvé son efficacité dans le traitement de la mucormycose est l’amphotéricine B. La dose efficace est de 0,7 mg/kg par jour à 1 mg/kg par jour, pouvant même atteindre 1,5 mg/kg par jour. La durée du traitement n’est pas consensuelle. Elle est en moyenne de deux à trois mois pour obtenir une dose totale de deux à cinq grammes [1,8]. Les formulations lipidiques de l’amphotéricine B représentent actuellement un progrès thérapeutique dans la prise en charge de la mucormycose pulmonaire, eu égard à la toxicité rénale de l’amphotéricine B. Ils sont actuellement recommandés à des doses élevées de 10 mg/kg par jour [9,10]. Cette forme présente une moindre néphrotoxicité et peut même parfois entraîner une amélioration de la fonction rénale altérée par l’amphotéricine B [11]. Le traitement chirurgical occupe une place importante dans la prise en charge de cette pathologie. Il doit être proposé de fac¸on précoce, vu la rapidité de l’extension locale de l’infection et la possibilité de dissémination hématogène, permettant ainsi de réduire nettement la mortalité [4,6,12,13]. D’autres moyens thérapeutiques peuvent être utilisés telles que l’oxygénothérapie hyperbare et les aérosols à base d’amphotéricine B [1,8]. Malgré ces progrès thérapeutiques, le pronostic des mucormycoses pulmonaires reste encore effroyable avec une mortalité élevée allant de 50 à 80 % [1].

4. Conclusion La mucormycose pulmonaire est une affection fongique rare de pronostic encore sombre. Elle doit être évoquée chez les patients à risque devant une pneumopathie ne répondant pas à un traitement antibiotique bien conduit. Une prise en charge médicochirurgicale précoce améliore le pronostic. Références [1] Pipet A, Mallet JP, Marty C, Sandron D, Benard L, Leberre JY, et al. Mucormycoses pulmonaires: difficultés diagnostiques et thérapeutiques. Rev Mal Respir 2007;24:617–21. [2] Lee FY, Mossad SB, Adal KA. Pulmonary mucormycosis: the last 30 years. Arch Intern Med 1999;159:1301–9. [3] Spellberg B, Edwards J, Ibrahim A. Novel perspectives on mucormycosis: pathophysiology, presentation, and management. Clin Microbiol Rev 2005;18:556–69. [4] Vichova Z, Beuret P, Boyer M, Chanoz J. Mucormycose pulmonaire fatale chez une patiente diabétique. Ann Fr Anesth Reanim 2006;25:40–2. [5] Mnif N, Hmaied E, Oueslati S, Rajhi H, Hamza R, Marrakchi M, et al. L’imagerie dans la mucormycose rhinocérébrale. J Radiol 2005;86:1017–20. [6] Abid H, Ammar J, Yengui F, Ayadi A, Mezni F, Mestiri T, et al. Successful treatment of pulmonary mucormycosis with combined medical and surgical approach. Respir Med Extra 2007;3:120–3. [7] Adam MC, Rosado HP, De Christenson M, Strollo DC, Patz EF. Pulmonary mucormycosis: radiologic findings in 32 cases. AJR 1997;168:1541–8. [8] Furco A, Mouchet B, Carbonnelle M, Vallerand H. Mucormycose pulmonaire : intérêt des aérosols d’amphotéricine B ? Rev Mal Respir 2001;18:309–13. [9] Herbrecht R, Letscher-Bru V, Bowden RA, Kusne S, Anaissie EJ, Graybill JR. Treatment of 21 cases of invasive mucormycosis with amphotericin B colloidal dispersion. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2001;20:460–6. [10] Lanternier F, Lortholary O. AMBIZIGO : etude de phase II de l’efficacité d’une posologie initiale élevée d’amphotéricine B liposomale(AmBisome) (10 mg/kg par jour) dans le traitement des zygormycoses. Med Mal Infect 2008;38:S90–1. [11] Mills W, Chopra R, Linch DC, Goldstone AH. Liposomal amphotericin B in the treatment of fungal infections in neutropenics patients: a single centre experience of 133 episodes in 116 patients. Br J Haematol 1994;86: 754–60. [12] Chadli-Chaieb M, Bchir A, Fatallah-Mili A, Ach K, Maaroufi A, Garrouche A, et al. La mucormycose chez le diabétique. Presse Med 2005;34: 218–22. [13] Tedder M, Spratt JA, Anstadt MP, Hegde SS, Tedder SD, Lowe JE. Pulmonary mucormycosis: results of medical and surgical therapy. Ann Thorac Surg 1994;57:1044–50.