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Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362-8 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001804/FLA Article origin...

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Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362-8 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003448702001804/FLA

Article original

Validité cross-culturelle de la théorie cognitive de la dépression : une comparaison franco/nordaméricaine R. Ameli1, J. Swendsen2*, P. Compagnone2, C. Grillon1 1 National Institutes of Mental Health (NIMH), USA ; 2 université Victor-Segalen, Bordeaux 2, 3ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux, France

(Reçu le 10 décembre 2000 ; accepté le 22 mai 2001)

Résumé – Le but de cette étude longitudinale était d’étudier la validité transculturelle de la théorie cognitive de la dépression entre les États-Unis et la France. En utilisant la méthode d’échantillonnage des expériences et des mesures psychologiques sur l’anxiété et la dépression, un groupe d’étudiants français et un groupe d’étudiants nord-américains ont été caractérisés à partir de variables essentielles dans la théorie cognitive de la dépression. Des signaux électroniques signalaient aux participants, cinq fois par jour pendant une semaine, qu’ils devaient répondre à des questions concernant leur humeur dépressive ainsi que les événements négatifs quotidiens et leurs attributions. En contrôlant statistiquement, dans les analyses, les effets liés au sexe et aux niveaux cliniques de l’anxiété et la dépression, les résultats montrent des différences notables entre le groupe français et le groupe nord-américain pour ce qui est de la sévérité moyenne des événements négatifs quotidiens, des humeurs dépressives et des attributions causales. Cependant, les relations entre ces variables (à la base de l’hypothèse fondamentale de la théorie cognitive) ne dépendent pas de l’origine des groupes. C’est ainsi que si ces résultats indiquent que l’expérience, évaluée par des variables spécifiques, est affectée par des facteurs culturels, ils suggèrent aussi que les principes des théories cognitives sur la dépression sont généralisables d’une culture à l’autre. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS attribution / cognitif / cross-culturel / dépression / validité

Summary – Cross-cultural validity of the cognitive theory of depression: a french american comparison. This prospective study provided a direct comparison of French and American samples on variables central to cognitive theory of depression. Using the Experience Sampling Method and identical measures across sites, subjects were signaled five times daily for one week to provide reports of negative events, attributions, and depressed moods. Controlling for effects associated with gender and trait anxiety and depression, significant differences emerged between French and American samples concerning the average severity of daily negative events, depressed moods, and causal attributions. However, the relationships between these variables (the fundamental hypothesis of cognitive theory) was largely unaffected by sample source. The results underscore the importance of cultural factors for the experience of specific variables, but provide support for the generalizability of the theory’s tenets across French and American populations. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS attribution / cognitive / cross-cultural / depression / validity

*Correspondance et tirés à part : département de psychologie, université Victor-Segalen, Bordeaux 2, 3ter, place de la Victoire, 33076 Bordeaux, France. Adresse e-mail : [email protected] (J. Swendsen).

Théorie cognitive de la dépression

De nombreux travaux au cours des vingt dernières années ont démontré l’importance des processus cognitifs dans l’étiologie de la dépression. Parmi les modèles cognitifs les plus influents, on compte la perspective rationnelle-émotive [18], la théorie cognitive de Beck [6, 7] et une série de modèles attributionnels dérivés des expériences de Seligman relatives à « l’impuissance apprise » [1, 2, 4]. Bien qu’il existe des différences importantes entre ces théories, leur point commun est de proposer que l’influence des événements négatifs sur la dépression dépende largement de la façon dont l’événement est perçu par l’individu. L’idée principale est qu’après chaque incident négatif, l’individu commence par évaluer son degré de contrôle de l’événement. Lorsque les événements passés ou en cours sont considérés comme incontrôlables, il y a de fortes chances qu’il en soit de même des événements semblables à venir, d’où le développement du sentiment d’impuissance chez l’individu. Ainsi, les cognitions spécifiques (les attributions, les perceptions et les évaluations) déterminent-elles la négativité subjective de l’événement et la façon dont l’individu réagira émotionnellement. Bien que des études portant sur des patients dépressifs aient étayé les principes de base de la perspective cognitive [22, 29, 33], la majorité de la recherche soutenant cette perspective repose sur des données collectées parmi des groupes d’étudiants normaux [3, 21, 25-27, 34]. Un objectif commun à ces investigations était l’examen des fluctuations d’humeur relativement normales suite à des incidents négatifs mineurs. Cette approche a permis de tester les théories cliniques à l’aide d’une population « analogue ». La validité d’une telle démarche est désormais bien établie [38] et suggère que cette forme de dépression varie sur un continuum (en fonction de la sévérité des événements négatifs et des cognitions spécifiques). Néanmoins, s’il semble valide de généraliser les résultats obtenus chez des groupes d’étudiants sains à des patients psychiatriques, l’on peut se poser la question de la générabilité des résultats d’une culture à l’autre. Ce problème concerne plus particulièrement les théories cognitives de la dépression puisque la majorité de la recherche a été conduite sur des sujets anglo-saxons. Il a été suggéré que l’expression de la psychopathologie est fortement influencée par les facteurs liés à l’appartenance à une ethnie ou une société particulières [5, 20, 24, 30, 31]. De plus, il est établi que les cognitions spécifiques relatives à la perception de la contrôlabilité, les attributions causales et les explications sociales dépendent en partie de la culture des individus [23, 28, 32, 37]. Bien qu’il y ait de nombreuses raisons de valoriser l’influence de la culture sur les variables Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362–8

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essentielles définies par la théorie cognitive, peu de travaux ont étudié cette question. En particulier, il n’existe pas de données concernant les différences entre les populations française et nord-américaine. S’il ne faut pas mésestimer les liens communs de la culture occidentale entre les sociétés française et nordaméricaine, il est important aussi de ne pas négliger les différences qui caractérisent ces deux sociétés, comme l’illustre une étude récente sur une théorie cognitive [36]. La détermination de la nature et de l’intensité des différences culturelles sur les variables centrales de nombreuses théories cognitives, élaborée dans la littérature américaine, est fondamentale afin de permettre une utilisation clinique cohérente de l’approche cognitiviste en France. L’objectif de cette étude est de comparer, entre un groupe d’étudiants français et un groupe d’étudiants nord-américains, les caractéristiques (stabilité, globalité, internalité) concernant l’évaluation de la négativité d’un événement et de l’humeur dépressive consécutive ainsi que la nature des attributions causales décrites par la théorie du désespoir relative à la dépression [1]. S’il est vrai que cette théorie ne représente qu’un seul modèle cognitif, elle est suffisamment proche des autres théories relatives à ce domaine pour pouvoir nous aider à mettre en évidence des différences inter-culturelles potentielles. L’examen des théories cognitives avec des sujets sains doit tenir compte du fait que l’humeur et les événements négatifs quotidiens varient considérablement au cours de très courtes périodes. Il faut donc utiliser une méthodologie permettant de décrire les changements rapides des relations entre les incidents mineurs, les cognitions spécifiques et les fluctuations de l’humeur. Une telle analyse peut être conduite à l’aide de la Méthode d’Échantillonnage des Expériences (Experience Sampling Method ou ESM). Dans l’ESM, des appareils électroniques (beepers ou montres à multiples sonneries) sont utilisés pour donner à différents moments, pris au hasard dans la journée, un signal aux sujets afin qu’ils remplissent une fiche rendant compte de leurs humeurs, leurs cognitions et des événements se produisant. Cette méthode permet l’examen d’un échantillon représentatif d’états mentaux dans des situations de la vie quotidienne, tout en n’imposant aucune limite temporelle ou contextuelle [15-17]. Afin de déterminer la validité de la théorie cognitive sur le dépression d’un groupe culturel à un autre, nous avons dans un premier temps procédé à une comparaison des deux groupes par rapport aux variables évaluant l’expérience individuelle des événements négatifs, le niveau de l’humeur dépressive et les attribution causales (collectées par ESM). Dans un deuxième temps, nous avons examiné les relations entre ces différentes variables à

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MÉTHODE

l’échantillonnage des expériences, les fiches ont été collectées avec les instruments émetteurs de signaux et les participants ont alors été clairement informés quant à l’objectif précis de l’étude.

Sujets

Mesures

l’intérieur de chaque groupe afin de déterminer leur mécanisme respectif des changements de l’humeur.

Quarante-trois étudiants américains (21 de sexe masculin, 22 de sexe féminin) de l’université de Californie, à Los Angeles, et quatre-vingt-dix étudiants français (26 de sexe masculin, 64 de sexe féminin) de l’université de Grenoble ont participé à cette étude. L’échantillon américain était composé de 45 % d’Asiatiques, 30 % d’Indo-Européens, 14 % de Latinos-Américains et 10 % d’origines ethniques diverses, avec un âge moyen de 19 ans (écart-type = 1,1). L’échantillon français était composé de 90 % de sujets d’origine française et de 10 % d’origines ethniques diverses, avec un âge moyen de 20,7 ans (écart-type = 3,7). Procédure Les investigations aux États-Unis et en France partagent les mêmes caractéristiques et ont suivi une procédure identique décrite précédemment [34, 35]. La majorité des participants ont été recrutés dans le cadre des cours universitaires pour une étude dont l’objectif annoncé était l’observation des expériences quotidiennes. Les étudiants intéressés ont été convoqués à un entretien au cours duquel ils ont répondu aux questionnaires décrits ci-après, relatif aux problèmes de l’anxiété et de la dépression, avant de suivre une session destinée à les familiariser avec l’ESM. Au cours de cette dernière, les sujets volontaires ont été équipés d’un beeper ou d’une montre à sonneries multiples, ainsi que d’un nombre de fiches d’échantillonnage des expériences suffisant pour une semaine. Il leur a été demandé, à chaque signal sonore, de noter le niveau de leur état dépressif, les événements de la journée, ainsi que les attributions consécutives à ces derniers. Pour s’assurer de la bonne compréhension des procédures de l’examen et des explications relatives à l’humeur et aux échelles d’attribution, tous les participants ont rempli une fichetest d’échantillonnage des expériences, laquelle fut ultérieurement vérifiée par le responsable de l’étude. Pendant sept jours, le signal sonore était activé cinq fois par jour, soit une fois par créneau horaire : entre huit et 11 heures ; 11 et 14 heures ; 14 et 17 heures ; 17 et 20 heures ; et enfin, entre 20 et 23 heures. Il était donc demandé à chaque sujet de remplir 35 questionnaires sur l’ensemble du protocole. En milieu de semaine, les participants ont reçu un coup de téléphone afin de les encourager et de s’assurer du bon fonctionnement de l’expérience. À la fin de la partie consacrée à

Inventaire de la dépression de Beck Les niveaux de dépression clinique du groupe de participants américains ont été mesurés par le Beck Depression Inventory ou BDI [9]. Le BDI est un inventaire auto-évaluatif de 21 items, d’une forte cohérence interne (le coefficient alpha moyen des patients autres que psychiatriques est de 0,81), d’une bonne fiabilité test-retest, et ayant d’importantes corrélations (supérieures à 0,60) avec d’autres instruments de mesure de la dépression [10]. Pour le groupe de participants français, une version française abrégée de l’inventaire de la dépression de Beck a été utilisée. Il s’agit d’un inventaire auto-évaluatif de 13 items à forte cohérence interne et manifestant de fortes corrélations avec d’autres instruments de mesure de la dépression en langue française [13]. D’autre part, le BDI abrégé en français possède une structure factorielle similaire à la version d’origine. Inventaire de l’anxiété de Beck Les niveaux d’anxiété clinique ont été déterminés à l’aide du Beck Anxiety Inventory ou BAI [8]. Le BAI, en anglais, est un inventaire auto-évaluatif de 21 items, à forte cohérence interne (alpha = 0,92), d’une grande fiabilité test-retest, et d’une corrélation moyenne (r = 0,51) avec les autres instruments de mesure de l’anxiété. Quant au BAI en français, il possède une cohérence interne de 0,86 et les mêmes caractéristiques que la version anglaise pour ce qui est des corrélations avec les autres instruments de mesure de l’anxiété [19]. États dépressifs Alors que le questionnaire BDI a été utilisé initialement pour déterminer des problèmes cliniques de dépression, les humeurs dépressives quotidiennes ont été déterminées, sur la fiche d’échantillonnage des expériences, à l’aide de la sous-échelle de la dépression (12 items) de la Multiple Affect Adjective Check List-Revised ou MAACL-R. L’échelle MAACL-R relative à la dépression possède une forte cohérence interne (alpha = 0,82) dans les groupes d’étudiants. La MAACL-R française a gardé les qualités psychométriques de la version anglaise pour ce qui est de la forte cohérence interne et des corrélations importantes avec d’autres instruments de mesure de la dépression [11, 14]. Événements négatifs quotidiens L’occurrence des événements négatifs quotidiens a été comptabilisée grâce aux réponses à des questions semiouvertes permettant aux sujets de rendre compte d’évéAnn Méd Psychol 2002 ; 160 : 362–8

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nements quotidiens classés en différents domaines (« Depuis le signal précédent, veuillez indiquer, par rapport aux domaines suivants, l’événement qui vous a affecté le plus »). Les domaines figurant sur la fiche d’échantillonnage des expériences sont ceux utilisés dans l’Inventory of Small Life events ou ISL [39] (famille, travail, loisirs, ménage/foyer, situation financière, santé, relations sociales, problèmes juridiques, études, religion et soucis de transports). Une fois l’événement ayant eu le plus grand impact déterminé, l’instruction dans la fiche d’échantillonnage des expériences demandait au sujet de donner un score relatif à sa négativité sur une échelle Likert de sept points. Cette méthode d’examen des événements a été conçue pour fournir un compte rendu relativement exhaustif des événements négatifs quotidiens grâce au classement dans les différents domaines. Attributions spécifiques Après avoir mentionné l’événement ayant eu le plus grand impact depuis le dernier signal ESM ainsi que son degré négatif, les participants devaient évaluer cet incident à la manière décrite par Metalsky et al. [25]. On demande ainsi à l’individu, après avoir indiqué la cause principale de l’événement négatif, d’évaluer le degré de stabilité de l’événement ; en d’autres termes, s’il pense que le problème persistera ou non, le degré de globalité de l’événement, c’est-à-dire s’il pense que le problème affecte de nombreux domaines de sa vie, et enfin le degré d’internalité, c’est-à-dire s’il pense que le problème est causé par lui-même ou bien par d’autres personnes ou circonstances. Stabilité, globalité et internalité sont évaluées sur des échelles Likert de sept points (les scores les plus élevés correspondant à une plus forte stabilité, globalité et internalité). Équipement de l’ESM Les sujets recevaient les signaux soit par beeper électronique (échantillon américain) soit par montre Casio™ TGW10 programmée (échantillon français). Analyse de données L’objectif de nos analyses était tout d’abord de décrire l’expérience individuelle (intra-sujet) concernant des variables décrivant des concepts fondamentaux pour les théories cognitives de la dépression. Dans un deuxième temps, les effets différentiels de ces variables selon la culture (américaine ou française) des sujets ont été examinés (variations inter-individuelles). Étant donné l’impossibilité de traiter à la fois les variations intra- et inter-individuelles, dans cette structure hiérarchique, par analyses de régression standard, les données ont été analysées à l’aide du modèle linéaire hiérarchique, hierarchical linear modeling (HLM), développé par Bryk et Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362–8

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Raudenbush [12]. Selon la théorie cognitive, on peut décrire la relation entre le niveau d’humeur dépressive et la perception des événements pour une personne à un moment donné par l’équation suivante : De´pressionij = b0j + b1共 Attributionij 兲 + rij (1) où Dépressionij est le score de l’état d’humeur au moment de l’observation i de la personne j, l’intersection b0j est le score de l’humeur anticipé pour la personne j lorsque le score de l’événement est 0 ; la pente b1j est le changement anticipé pour le score de l’humeur de la personne j lors d’un accroissement de la négativité des attributions de l’événement ; Attributionij est la négativité de l’attribution pour un événement précis de l’observation i de la personne j ; rij est l’erreur associée à l’observation i de la personne j. Afin d’examiner la variation due aux facteurs culturels, les intersections et pentes des individus j peuvent être expliquées au niveau 2 par les équations ci-dessous : b0j = c00 + c0共 Sexej 兲 + c0共 BAIJ 兲 + c0共 BDIj 兲 + c0共 Nationalite´j 兲 + u0j (2) b1j = c10 + c1共 Sexej 兲 + c1共 BAIJ 兲 + c1共 BDIj 兲 + c1共 Nationalite´j 兲 + u1j (3) où c00 est l’intersection générale ; c01 à c03 représentent les effets du sexe de l’individu et de ses niveaux cliniques initiaux (niveaux de base) de l’anxiété (BAI) et de dépression (BDI) sur b0j; c04 est le principal effet de l’origine du groupe (américaine ou française) sur b0j ; u0j est l’unique incrément de l’intersection associé à l’individu j, c10 est l’effet principal de l’occurrence de l’événement négatif ; de c11 à c13 se trouvent les termes d’interaction entre sexe et scores cliniques initiaux avec la négativité de l’événement ; c14 est le terme d’interaction du groupe d’origine ; u1j est l’incrément de la pente associé à l’individu j. RÉSULTATS Les statistiques descriptives de toutes les mesures ESM et cliniques sont présentées dans le tableau I. Les niveaux de base trouvés suite à l’évaluation clinique initiale concernant l’anxiété (par le BAI) et la dépression (par le BDI) sont indiqués dans ce tableau à titre indicatif. Ces données sont utilisées par la suite pour contrôler statistiquement l’effet possible du niveau de base de dépression et d’anxiété, tout comme l’effet sexe sur les phénomènes qui nous intéressent ici (voir équation 2

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Tableau I. Moyenne et écarts-types des niveaux de base d’anxiété et de dépression suite à l’évaluation clinique initiale et des mesures ESM. Variables M Anxiété et dépression traits évaluation clinique initiale Dépression (BDI)a Anxiété (BAI) Moyennes ESM (évaluation quotidienne) Humeur dépressive (MAACL-R) Négativité de l’événement Attribution de stabilité Attribution de globalité Attribution d’internalité a

Français (N = 90) Écart type

M

Américains (N = 43) Écart type

7,04 9,59

5,44 7,38

5,51 7,28

3,74 3,82

0,53 3,08 4,44 3,38 3,76

0,36 0,80 1,18 1,04 0,61

0,30 2,12 5,44 3,91 4,53

0,28 0,66 0,88 0,93 0,55

Les scores du BDI abrégés ont été convertis à l’échelle originale

de la méthode d’analyse HLM décrite précédemment). Les deux échantillons ont permis de réunir 4 187 observations valides provenant de divers contextes de la vie quotidienne. Une vérification du respect de la méthodologie ESM a mis en évidence que les sujets français n’ont négligé de répondre en moyenne qu’à 2,61 questionnaires sur les 35 (écart type = 3,10), tandis que les Américains en ont manqué 5,4 sur les 35 (écart type = 4,95). De plus, la plupart des formulaires valides furent remplis dans les dix premières minutes suivant le signal dans les deux échantillons. Les différences basiques entre les deux échantillons sont représentées dans l’équation 2 par le terme c04, indiquant dans quelles proportions l’expérience de certaines variables (mesurées à maintes reprises et dans de nombreux contextes par l’ESM) est influencée par la nationalité de l’individu. Comme le montre le tableau II, les sujets français et américains s’avèrent significativement différents dans leur perception de la sévérité des événements négatifs, leurs attributions spécifiques et réactions d’humeur dépressive (évaluée par le MAAL-R). Après avoir contrôlé statistiquement à la fois les effets liés au sexe et aux niveaux cliniques initiaux de dépression et d’anxiété, l’origine nationale explique 24 % de la variance inter-individuelle relative aux perceptions de la négativité de l’événement 共 c04 = 0,880, t = 6,555, p < 0,001 兲 et 5,2 % de la variance inter-individuelle relative à l’humeur dépressive 共 c04 = 0,169, t = 2,847, p < 0,01 兲. Ainsi, bien que l’échantillon français attribue une plus grande négativité aux événements que l’échantillon américain, ce fait n’explique pas une grande partie de la variance de l’humeur dépressive. Cela provient probablement du fait que les Français, tout en percevant les événements de façon plus négative que les Américains, ont des cognitions relatives à ces mêmes événements beaucoup moins sévères. L’origine nationale explique 18,3 % de la variance inter-individuelle concernant le facteur stabilité de l’attribution 共 c04 = − 1,135, t = − 5,435, p < 0,001 兲, 29,5 % de

la variance concernant le facteur de causalité interne de 共 c04 = − 0,741, t = − 6,492, p < 0,001 兲 et 7,9 % de la variance liée au fait que les événements affecteraient globalement de nombreux domaines dans la vie de l’individu 共 c04 = − 0,625, t = − 3,346, p < 0,001 兲. S’il est vrai que les différences de score indiquent que l’expérience typique de ces variables n’est pas identique pour les groupes français et américains, ces analyses ne permettent pas de comprendre la possibilité de généraliser des concepts théoriques relatifs à la dépression d’un groupe à l’autre. Dans l’objectif d’examiner plus précisément ce point, les analyses décrites dans les équations 2 et 3 ont été exécutées. Ces analyses sont centrées sur le terme d’interaction, c14 qui indique si la relation entre variables spécifiques (c’est-à-dire la pente de chaque individu) varie de façon significative en fonction de l’origine du sujet. Comme on le constate dans le tableau III, l’origine de l’échantillon n’a aucun impact sur les relations entre variables, à l’exception de la pente relative à la globalité et à l’humeur dépressive 共 c14 = 0,050, t = 2,556, p < 0,05 兲. De plus, en accord avec la théorie, les deux échantillons se caractérisent par une ligne de régression positive. Ainsi, malgré les nombreuses variations importantes entre échantillons, en ce qui concerne certaines variables, il est clair que fondamentalement la validité de la théorie (quels que soient les échantillons) ne s’en trouve pas affectée.

Tableau II. Sévérité moyenne des variables selon l’origine (américaine ou française), après avoir contrôlé la représentation des deux sexes et les niveaux cliniques initiaux d’anxiété et de dépression. Variable Humeur dépressive Négativité de l’événement Attributions de stabilité Attributions de globalité Attributions d’internalité

Coefficient

c04

t

0,169 0,880 – 1,135 – 0,625 – 0,741

0,059 0,143 0,209 0,187 0,114

2,847** 6,155*** – 5,435*** – 3,346*** – 6,492

**p < 0,01 ; ***p < 0,001 Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362–8

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Tableau III. Relation entre variables selon l’origine (américaine ou française), après avoir contrôlé la représentation des deux sexes et les niveaux cliniques initiaux d’anxiété et de dépression. Pente Négativité de l’événement /dépression Attribution de stabilité/dépression Attribution de globalité/dépression Attribution d’internalité/dépression

Coefficient c04

Erreur

t

– 0,006 0,006 0,051 0,007

0,023 0,022 0,019 0,017

– 0,265 0,268 2,556* 0,431

*p < 0,05

DISCUSSION Nous avons examiné dans cette étude la possibilité de généraliser d’une culture à l’autre les mécanismes spécifiques des changements d’humeur (c’est-à-dire les relations entre variables). En ce qui concerne l’expérience typique des événements négatifs, les attributions correspondantes et les états d’humeurs dépressives associés, des différences significatives entre les deux échantillons ont été mises en évidence de façon consistante avec des résultats précédents [36]. Les sujets français ont évalué leurs événements négatifs quotidiens de façon plus négative que les Américains, mais leurs attributions causales se sont avérées moins sévères. Ces différences semblent toutefois s’être compensées puisque les différences d’humeur entre les échantillons, bien que significatives, se sont avérées de faible magnitude. Ces conclusions rejoignent celles des études, de plus en plus nombreuses, examinant le rôle des différences culturelles ou de l’origine nationale dans l’expression des psychopathologies et l’expérience des attributions spécifiques et des perceptions [5, 20, 23, 24, 28, 30-32, 37]. Étant donné que les effets liés au sexe ou aux niveaux cliniques initiaux anxieux ou dépressifs étaient contrôlés dans toutes les analyses, il est improbable que ces résultats s’expliquent par des différences dans la représentation des deux sexes dans les échantillons ou une expérience peut-être plus stressante de la vie étudiante pour les sujets français ou américains. En dépit des différences importantes entre sujets français et américains pour ce qui est de l’expérience des variables spécifiques, les analyses idiographiques ont démontré que les concepts de la théorie cognitive demeurent identiques quelle que soit l’origine culturelle. À l’exception, toutefois, d’une faible différence en ce qui concerne les relations entre les attributions de globalité et la dépression, caractérisées par une pente plus grande pour les sujets français. Cela signifie que les attributions de globalité ont abouti à une dépression légèrement plus élevée chez les sujets français que chez les sujets américains. Néanmoins, les deux échantillons ont tous deux été caractérisés par des pentes positives entre la globalité et la dépression, ce qui rejoint la théorie [34, 35]. Ces conclusions mettent en évidence qu’il est possible de généraliser les résultats de la Ann Méd Psychol 2002 ; 160 : 362–8

recherche dans ce domaine d’une population à l’autre, et démontrent que des différences dans l’expérience de base des attributions, événements, ou états d’humeur, n’affectent pas forcément la validité d’une théorie psychologique donnée. Les points forts de cette comparaison internationale incluent l’usage de mesures et de procédures de recueil de données identiques pour tous les sujets, ainsi que le fondement des résultats sur des milliers d’observations relevées dans des contextes sociaux et environnementaux très divers. Cependant, il est important de considérer certaines limites avant de tirer les conclusions de ces constats nouveaux. Ainsi, cette étude n’effectue une comparaison que dans le contexte d’une seule théorie cognitive : la théorie de la dépression du désespoir [1]. Bien que les tenants de cette théorie partagent de nombreuses similitudes avec d’autres formulations cognitives [4, 7, 18] on ne peut pas considérer que les résultats confirment toutes les perspectives cognitives. De plus, l’ESM a recours à un contrôle ambulant au détriment de certains aspects importants. En effet, les examens ESM sont forcément brefs et ne permettent pas de prendre en compte toutes les dimensions des attributions ou perceptions. Un examen de ces points nous semble nécessaire avant d’interpréter les conclusions de cette étude ou de concevoir de nouvelles investigations destinées à l’examen de la validité des théories psychologiques d’une société ou une culture à l’autre. [40] RE´FE´RENCES 1 Abramson L, Metalsky G, Alloy L. Hopelessness depression: a theory-based subtype of depression. Psychol Rev 1989 ; 96 : 358-72. 2 Abramson L, Seligman M, Teasdale J. Learned helpelssness in humans: critique and reformulation. J Abnorm Psychol 1978 ; 87 : 49-74. 3 Alloy LB, Clements CM. Illusion of control: invulnerability to negative affect and depressive symptoms after laboratory and natural stressors. J Abnorm Psychol 1992 ; 101 : 234-45. 4 Alloy LB, Kelly K, Mineka S, Clements C. Comorbidity of anxiety and depressive disorders: a helpessness-hopelessness perspective. In : Maser JD, Cloninger CR, Eds. Comorbidity of anxiety and depressive disorders. Washington DC : American Psychiatric Press ; 1990. p. 499-543. 5 Baskin D. Cross-cultural consequences of mental illness. Psychiatr Q (NY) 1984 ; 56 : 45-53.

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