Variations musculaires chez l’homme
Kinesither Rev 2007;(65):27-9
Variations musculaires responsables de pathologies compressives P H I L I P P E PA U M A R D
Les pathologies compressives, vasculaires et/ou nerveuses, sont le plus souvent interprétées comme des conséquences de modifications structurelles importantes (présence d’une côte surnuméraire dans le syndrome thoraco-brachial par exemple). Néanmoins, il ne faudrait pas négliger l’impact des variations musculaires sur ces éléments vasculo-nerveux comprimés.
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e nombreux muscles surnuméraires peuvent entraîner des syndromes compressifs sur tel ou tel paquet vasculo-nerveux. En voici quelques exemples parmi les plus souvent décrits.
MOTS CLÉS
Gastrocnemius tertius Long fléchisseur du pouce Syndrome du nerf interosseux antérieur Syndrome sus-épitrochléen Syndrome de la traversée thoracobrachiale Muscle
la masse commune à laquelle appartenaient primitivement ces deux muscles (Humphry, cité par Poirier [5]). Passant en pont au-dessus du paquet vasculo-nerveux de l’aisselle, cet arc peut selon certains auteurs comprimer ce dernier [6, 7].
Le petit scalène Expansion du rond pronateur Le petit scalène (scalène accessoire de Macalister, muscle pleuro-transversaire de Sébileau), présent dans 50 à 75 % des cas [1], s’étend des transverses de C6-C7 à la 1re côte et au dôme pleural (figure 1). Il peut constituer une des nombreuses étiologies du syndrome de la traversée thoraco-brachiale [2]. D’autre part, une variation du muscle sous-clavier (qui le remplace le plus souvent lorsque ce dernier est absent), appelée muscle sternochondro-scapulaire de Wood, également décrit par Gruber et Testut, s’étend du bord supérieur de la scapula à la 1re côte voire au sternum. Forcada et al., à cause de ses rapports contigus avec le plexus brachial et l’artère sousclavière, en font une cause possible de compression [3].
Une variation intéressante du rond pronateur consiste en l’extension de son insertion proximale sur le processus supracondylaire de l’humérus ou sur le ligament de Struthers qui relie le processus à l’épicondyle médial (Bergman et al. sur http://www.anatomyatlases.org).
Petit scalène
L’arc axillaire de Langer L’arc axillaire de Langer est une mince bande charnue reliant habituellement le grand dorsal au tendon du grand pectoral (figure 2). Elle est présente dans 3-4 % des cas chez l’homme alors qu’elle est constante chez le chat [4]. Elle représente probablement un vestige de
Article soumis le 10/07/05. modifié le 15/08/06. Accepté le 10/02/07.
© Michel Dufour
Kinésithérapeute libéral 161, Boulevard Lefebvre, 75015 Paris.
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Figure 1. Vue antérieure du petit scalène.
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Enquête
Figure 2. Vue antérieure de l’arc axillaire de Langer.
Comme le nerf médian passe au-dessous du tunnel ostéo-fibreux ainsi formé, une compression à ce niveau peut occasionner le syndrome sus-épitrochléen [2] qui associe des causalgies de l’avant-bras et des 2e, 3e doigts, une parésie des fléchisseurs du carpe, une diminution de la force de préhension et une atteinte du rond pronateur (cette dernière étant absente en cas de syndrome du rond pronateur).
« Le petit scalène peut constituer une des nombreuses étiologies du syndrome de la traversée thoracobrachiale. »
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Arc axillaire de Langer
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Biceps
Semi-tendineux
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Figure 3. Vue postérieure du muscle gastrocnemius tertius. Insertion sur le gastrocnemius médial (a) ou latéral (b). Vue postérieure de la saillie probable du gastrocnemius tertius lors de sa mise en tension genou fléchi (c).
tuée sur un des deux gastrocnémiens, l’insertion sur le médial posant davantage de problèmes cliniques (piégeage de l’artère et/ou de la veine poplitée). L’insertion proximale se fait généralement sur la surface poplitée du fémur, mais parfois sur la ligne âpre, le long biceps fémoral, la capsule articulaire du genou ou le fascia crural (Bergman RA, Afifi AK, Miyauchi R. Gastrocnemius and Soleus. In www.anatomyatlases.org). Il est facilement mis en évidence par la palpation au niveau du creux poplité ou quelquefois un peu en dessous (figure 3). Son étirement s’effectue tel qu’indiqué sur la figure 4.
Chef surnuméraire du long fléchisseur du pouce Le long fléchisseur du pouce possède dans 62 à 66 % des cas selon les auteurs un chef surnuméraire (muscle de Gantzer ou chef accessoire du long fléchisseur du pouce). Ce chef peut occasionnellement comprimer : – le nerf interosseux antérieur (une des branches collatérales du nerf médian) qui passe en arrière de lui (et occasionner alors le syndrome du nerf interosseux antérieur); – le nerf médian lui-même qui passe en avant, notamment suite à un syndrome de Volkmann, une chirurgie ou un traumatisme du coude ou de l’avant-bras [8].
Gastrocnemius tertius Le gastrocnemius tertius est un muscle surnuméraire fréquent. Il a été bien mis en évidence par Bergman avec de l’imagerie scanner (http://www.anatomyatlases.org/AnatomicVariants/Ima ges/0135.shtml). Il est situé au niveau du creux poplité qu’il traverse de bas en haut. Son insertion distale est si28
D’autres exemples de muscles impliqués dans des pathologies compressives Pour terminer cet article, nous pouvons citer différents muscles souvent négligés lors du bilan ou inconnus par le praticien. La liste n’est pas exhaustive mais est présentée pour attirer l’attention des kinésithérapeutes lors de signes cliniques évoquant une compression et résistant au traitement classique. Ainsi citons par exemple : – le muscle transverse du carpe, en partie responsable d’un syndrome carpien parfois [9] ; – une variante du long coraco-brachial de Wood avec un tunnel traversé par le nerf médian et l’artère brachiale, lieu de compression possible [10] ; – des anomalies de l’insertion proximale du court fléchisseur du 5e doigt, pouvant entraîner une compression du nerf ulnaire dans la loge de Guyon [11, 12] ; – un muscle soléaire accessoire ou un dédoublement distal du semi-membraneux, donnant une symptomatologie douloureuse d’effort [13, 14] ;
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RÉFÉRENCES
[1]
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De Bisschop G, De Bisschop É, Commandré F. Les syndromes canalaires. Paris, Masson;1999.
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Forcada P, Rodriguez-Niedenführ M, Llusa M, Carrera A. Subclavius posticus muscle : supernumerary muscle as a potential cause for thoracic outlet syndrome. Clin Anat 2000 ; 14:55-7.
[4]
Testut L. Traité d’anatomie humaine. Paris, Doin et Fils ; 1911 6e éd.
Figure 4. Contracté lâché du gastrocnemius tertius.
– une insertion trop proximale du gastrocnémien médial ou un dédoublement du tendon de celui-ci piégeant l’artère poplitée et responsable de claudication à l’effort du mollet, surtout chez les sportifs aux gastrocnémiens déjà hypertrophiés [15, 16] ; – la présence d’un péronéus quartus (4e fibulaire) chez 10 à 26 % des sujets, se terminant sur la partie saillante de la trochlée fibulaire [17], et parfois responsable d’une douleur latérale de la cheville avec instabilité de celle-ci liées à un conflit dans la gaine des fibulaires au contenu rendu par ce fait anormalement important [18] ; – Les variations de passage du nerf sciatique dans le piriforme [19]… Bien sûr, la plupart de ces syndromes compressifs trouveront une solution plutôt chirurgicale, mais rien n’empêche le kinésithérapeute d’essayer d’atténuer ces troubles canalaires. En effet, la variation musculaire a toujours existé chez le sujet. Dans ce cas, pourquoi devient-elle symptomatique à un moment particulier de sa vie ? Si dans certains cas l’explication était fonctionnelle, il serait dommage de ne pas tenter notre traitement, moins invasif donc moins risqué. En cas d’échec, le patient serait alors adressé à un chirurgien.
[5]
Poirier P, Charpy A. Traité d’anatomie humaine. Paris : Masson ; 1901, 2e éd.
[6]
Turgut HB, Peker T, Gülekon N, Anil A, Karaköse M. Axillopectoral muscle (Langer’s muscle). Clin Anat 2005 ;18:220-3.
[7]
Del Sol M, Olave E. Elevator muscle of the tendon of
[8]
Hemmadi MV, Subramanya AV, Mehta IM. Occasional head of
latissimus dorsi muscle. Clin Anat 2005 ;18:112-4. flexor pollicis longus muscle : a study of its morphology and clinical significance. J Postgrad Med 1993 ;39:14-6. [9]
Tuncali D, Barutcu AY, Terzioglu A, Aslan G. Transverse carpal muscle in association with carpal tunnel syndrome : report of three cases. Clin Anat 2005 ;18:308-12.
[10] El-Naggar MM, Al-Saggaf S. Variant of the coracobrachialis muscle with a tunnel for the median nerve and brachial artery. Clin Anat 2004 ;17:139-43. [11] Madhavi C, Holla SJ. Anomalous flexor digiti minimi brevis in Guyon’s canal. Clin Anat 2003 ;16:340-3. [12] Cem Bozkurt M, Tagil SM, Özçakar L, Ersoy M, Tekdemir I. Anatomical variations as potential risks factors for ulnar tunnel syndrome : a cadaveric study. Clin Anat 2005;18:274-80. [13] Leclet J, Mestdagh H, Legghe R. Le muscle soléaire accessoire. Quand une variante anatomique devient symptomatique. Cas clinique. Rev Im Med 1990;2:235-6. [14] Husson JL, Rochcongar P, Coffin O, Procyk S, Barumbi O. Le demi-membraneux accessoire. A propos d’un cas. J Traumatol Sport 1988 ;5:160-3. [15] Lapointe R, Rabba A, Trudel J. Hypertrophie des muscles
Conclusion
jumeaux : étiologie possible d’un syndrome de l’artère poplitée piégée. J Chir 1984;121:343-5.
Nous espérons avoir montré avec cette série d’articles que l’anatomie que nous apprenons habituellement est la version la plus fréquemment rencontrée au cours des dissections, mais qu’il existe à côté d’elle de nombreuses autres versions aux conséquences cliniques non négligeables. Bien sûr, certaines de ces variations musculaires peuvent paraître anecdotiques. Cependant, notre but était simplement d’ajouter une petite pierre, dans un domaine peu exploré par les kinésithérapeutes à ce jour. Il est hors de doute que l’avenir affinera les connaissances concernant l’impact de ces variations anatomiques sur la clinique et leur importance pour les différents acteurs de la médecine, de la chirurgie et de la kinésithérapie.
[16] Fermand M, Houlle D, Vayssairat M, Cormier JM. Tomodensitométrie et IRM dans le diagnostic d’artère poplitée piégée. Press Med 1989;19:983. [17] Dufour M. Anatomie de l’appareil locomoteur. Paris, Masson; 2001-2002. [18] Bessis L, Roger B. Imagerie des variantes anatomiques des muscles et tendons des membres inférieurs et supérieurs. In Muscles et tendons, épaule, rachis. Sous la direction de B. Roger. Monographie d’Imagerie Ostéo-articulaire de la Pitié Salpétrière. Montpellier, Sauramps Medical;1997. [19] Travell JG, Simons DG. Douleurs et troubles fonctionnels myofasciaux. Traité des points-détente musculaire. Bruxelles : Haug;1993, Tome 2 P. 209.
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