HISTOIRE DE LA MÉDECINE par Jean-Jacques Monsuez
William Osler (2) L’enseignement médical
W
illiam Osler est né le 12 juillet 1849 à Bond Head, dans la Province d’Ontario (Canada). D’abord étudiant à la Toronto Medical School, il intègre l’Université McGill (McGill University School of Medicine) à Montréal qui lui permet, à la fin de son cursus de quatre ans, d’y prendre ses premières fonctions hospitalières. Sa thèse de doctorat, débutée à cette époque (1871) et que l’on croyait perdue, vient d’être retrouvée (dans les archives de la Bibliothèque Osler à McGill) [1]. Son doctorat obtenu, Osler part, comme nombre d’autres de ses jeunes collègues canadiens se destinant à la médecine hospitalière, pour un périple médical de deux ans en Europe, dont il rapportera les premières idées de l’organisation de la médecine « académique » qu’il souhaite développer. A son retour, il prend un poste d’assistant à McGill, où il associe clinique, enseignement et autopsies. Il y crée un laboratoire de physiologie et inaugure le premier cours de microscopie au Canada, achetant le matériel de ses fonds personnels. Nommé professeur en 1878, il institue l’enseignement au lit du malade, pendant la visite, tel que nous le pratiquons aujourd’hui. Ses élèves mentionnent tous, dans leurs
souvenirs, la présentation souriante et la bonne humeur constante alliées à la clarté didactique de ses visites en salle. En 1884, Osler accepte la direction d’un service au Johns Hopkins Hospital and Medical School, qui vient d’ouvrir à Philadelphie. Cette opportunité, qui l’amène à quitter le Canada, lui offre des perspectives bien plus larges pour son projet « hospitalo-universitaire ». Il y fonde, à partir des expériences qu’il a acquises lors de son séjour européen, la nouvelle école de médecine américaine. Toutes ses caractéristiques y naissent là : choix minutieux des enseignants, infrastructures performantes (laboratoires, hospitalisation, salles de conférences) sélection rigoureuse, quasi-élitiste, des étudiants. Au cours d’une conversation avec ses trois collègues chefs de service (S. Halsted, H. A. Kelly et W. Welch), il note avec humour « leur chance commune d’être entrés dans cette école comme professeurs, car aucun n’y serait parvenu comme étudiant… ». C’est aussi au John Hopkins qu’Osler rédige son célèbre « Principles and Practice of Medicine », qui parait en 1891, réédité ensuite seize fois dans le demisiècle qui a suivi. Ce traité, qui propose une approche résolument moderne des développements de la médecine, donne cependant une place limitée aux thérapeutiques, dont l’auteur s’explique, en soulignant l’insuffisance des moyens disponibles à l’époque et la modestie avec laquelle il faut, en conséquence, regarder cette part de l’exercice. En revanche, physiopathologie, clinique et réflexions humanistes sur la
médecine y brillent de la plus belle intelligence. Les nombreux écrits à note philosophique qui ont accompagné cette publication médicale tout au long de sa carrière d’enseignant (y compris ensuite, à Oxford), ont largement aussi contribué à sa notoriété et à l’empreinte forte dont ses préceptes ont marqué des générations de médecins [2-3]. « A way of life », « Aequanimitas with other addresses to medical students » et « Nurses and practitioners of medicine » ont d’une certaine façon établi les bases de la métaphysique, ou du moins du soupçon de spiritualité souhaitables dans ce métier. Quelques belles phrases à ses étudiants ont gardé toute leur vérité. « You are in this profession as a calling, not as a business ; as a calling which exacts from you at every turn self-sacrifice, devotion, love and tenderness to your fellow-men »*. Ou, pour nos internes (et nous-mêmes…) : « Live in the ward. Do not waste the hours of daylight in listening to that which you may read at night. But when you have seen, read »** [3]. On pourrait presque dire (en paraphrasant Mozart : « Dieu doit beaucoup à Bach »), que la médecine est redevable à William Osler d’un grand nombre de ses valeurs humanistes. Sans doute ne les a-t-il pas mises à jour pour la plupart, mais il a su les transmettre à des générations de médecins en quête de modèles de conduite et de règles d’exercice. ■
Référence
1. Golden RL. Osler’s lost thesis. J Med Biogr 2007, 15 Suppl 1 71-8. 2. Hinohara S. Sir William osler’s philosophy on death.
Ann Intern Med 1993, 118: 638-42. 3. Golden RL. William Osler at 150. An overview of a life. JAMA 1999, 282: 2252-8.
* Vous entrez dans cette profession par vocation et non comme dans les affaires ; une vocation qui exige de vous un sacrifice de soi de chaque instant, de la dévotion, de l’amour et de la tendresse pour vos semblables. ** Soyez tout entier à l’observation. Ne gaspillez pas les heures diurnes à écouter ce dont peuvent vous informer des lectures nocturnes. Mais quand vous aurez vu, lisez.
AMC pratique n° 165 février 2008
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