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Droit Déontologie & Soin 10 (2010) 273–278
Droits des patients
Accident du travail et maladie professionnelle, l’indemnisation complémentaire des agents de la fonction publique Régis Durand (Avocat au Barreau de Lyon) Cité Internationale, 45, quai Charles-de-Gaulle, 69006 Lyon, France Disponible sur Internet le 13 novembre 2010
Résumé Les agents de la fonction publique peuvent avoir droit, en cas d’accident du travail et de maladie professionnelle, à une indemnisation complémentaire. Ce régime est uniquement jurisprudentiel. © 2010 Publi´e par Elsevier Masson SAS.
En droit privé, pour le salariat, comme en droit public, pour la fonction publique, les victimes d’accident du travail ou de maladie professionnelle ont droit au régime de base de la Sécurité sociale, de plein droit. L’indemnisation complémentaire est possible, mais fait remarquable, ce régime, s’agissant de la fonction publique, est purement jurisprudentiel. L’examen du principe de l’indemnisation complémentaire (1) guide la définition des modalités (2). 1. Principe de l’indemnisation complémentaire Le régime de base du forfait à pension (1.1) est complété par une indemnisation complémentaire (1.2). 1.1. Le régime de base du forfait à pension La reconnaissance d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle garantit à l’agent l’ouverture de droits :
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• arrêt de travail aussi longtemps que l’état de santé le requiert ; • maintien du traitement par l’administration ; • obligation de réintégration ou de reclassement. Les séquelles invalidantes sont prises en charge par un régime de base : • en cas de reprise d’activité, la réparation est forfaitaire et calculée en tenant compte uniquement du taux d’incapacité ; • en cas de radiation des cadres, une rente d’invalidité1 s’ajoute à la pension d’invalidité, calculée en fonction du dernier traitement. Dans le secteur public, le principe ancien était la règle du forfait de pension, posé par un avis du Conseil d’État de 1905 : en cas d’accident du travail, l’agent public titulaire perc¸oit une indemnisation forfaitaire, sans avoir à prouver une faute de l’employeur ; en contrepartie, il ne peut prétendre à aucune autre réparation. La pension est calculée en fonction du taux d’invalidité et cette rente est versée par la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) pour les fonctionnaires hospitaliers. 1.2. L’indemnisation complémentaire La règle a été posée par la novatrice jurisprudence Moya-Caville de 2003 (1.2.1) et cette jurisprudence est aujourd’hui bien établie (1.2.2). 1.2.1. La jurisprudence Moya-Caville de 2003 Ce régime, qui au début du siècle constituait une avancée sociale, s’est avéré dépassé par les autres régimes de responsabilité et la jurisprudence s’est engagée dans une évolution visant à conforter la réparation des victimes d’accident. La base reste la pension d’invalidité, selon le schéma posé en 1905, réparation forfaitaire de l’atteinte à l’intégrité physique de l’agent, c’est-à-dire les seuls préjudices corporels. En outre, l’agent peut obtenir : • en dehors de toute faute de l’administration, réparation des préjudices non couverts par la pension, c’est-à-dire des préjudices non corporels : souffrances physiques et morales, troubles dans les conditions de l’existence et perte de chance ; • en cas de faute de l’administration, l’indemnisation complète, sur la base du droit commun. Ces règles ont été posées par le Conseil d’État, dans son arrêt Moya-Caville (CE, Ass. 4 juillet 2003, no 211106). « Les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du Code des pensions civiles et militaires de retraite et, pour les fonctionnaires affiliés à la CNRACL, le II de l’article 119 de la loi du 26 janvier 1984 et les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle 1 Rente d’invalidité (RI) pour les agents territoriaux et hospitaliers ou rente viagère d’invalidité (RVI) pour ceux de l’État.
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peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions. « Ces dispositions ne font cependant pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique ». « Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci ». 1.2.2. Une jurisprudence bien établie Cette jurisprudence est désormais bien établie. En l’absence de faute, l’agent a droit à une indemnisation complémentaire réparant les préjudices non patrimoniaux (CE. 25 juin 2008 no 286910) : « Les dispositions qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d’accidents de service ou de maladies professionnelles, une allocation temporaire d’invalidité en cas de maintien en activité déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les intéressés peuvent prétendre au titre des conséquences patrimoniales de l’atteinte à l’intégrité physique ». « Mais elles ne font pas obstacle à ce que le fonctionnaire obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant les préjudices non patrimoniaux ». Il suffit que l’accident soit imputable au service (CAA Nantes, 23 avril 2009, no 08NT03175) : L’infection respiratoire de Mme X., cause des souffrances éprouvées par cette dernière et de sa privation d’activités courantes d’agrément, doit être regardée comme imputable à l’activité professionnelle de l’intéressée au CHU de Caen ; que dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’une faute dudit centre hospitalier, Mme X. peut prétendre à l’indemnisation du préjudice lié aux souffrances physiques et morales subies par elle, ainsi qu’à son préjudice d’agrément. En cas de faute, l’agent a droit à une réparation intégrale (CE, 9 février 2004, no 252865) : « Alors même que les conséquences dommageables d’un accident sont susceptibles d’ouvrir droit à une pension forfaitaire d’invalidité, tout fonctionnaire conserve le droit de réclamer à l’État, dans les conditions du droit commun, une indemnisation complémentaire destinée à lui procurer la réparation intégrale du préjudice corporel subi, dès lors que ce dernier serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l’État ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombe à celui-ci ».La faute est retenue si l’accident trouve son origine exclusive dans le défaut de conception des locaux (CAA, 8 juin 2010, no 09BX02418) : « Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment des rapports d’expertise produits au dossier, que M. A., agent d’entretien spécialisé du centre communal d’action sociale de la ville de Bordeaux, affecté au centre d’accueil du Leydet, a été heurté par une palette, le 1er août 2003, alors qu’il procédait à la réception de marchandises ; que cet accident a pour origine la configuration des locaux, du fait notamment de leur étroitesse et de l’importance de la pente d’accès à la cuisine, rendant difficile la manutention d’objets lourds et volumineux ; que l’exiguïté de cette zone faisait obstacle à ce que les palettes rec¸ues soient déballées sur place ; que l’utilisation d’un engin de
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manutention était donc nécessaire pour déplacer les palettes hors de la zone de déchargement ; que, dans ces conditions, l’accident trouve son origine exclusive dans le défaut de conception des locaux ; qu’aucune faute, ni de M. A. ni de l’agent de livraison, ne peut être de nature, dans les circonstances de l’espèce, à exonérer le centre communal d’action sociale de la ville de Bordeaux de sa responsabilité ou à l’atténuer ; que le centre communal d’action sociale de la ville de Bordeaux n’est donc pas fondé à invoquer la faute de la victime ou le fait du tiers pour s’exonérer de sa responsabilité à l’égard de M. A. ; que la responsabilité du centre communal d’action sociale de la ville de Bordeaux est ainsi entièrement engagée à l’égard de M. A. ». 2. Les modalités de l’indemnisation complémentaire (responsabilité sans faute) Il convient de faire le point sur les postes pris en charge (2.1) et ceux qui restent exclus (2.2), et qui ne pourraient être intégrés dans l’indemnisation qu’en cas de responsabilité pour faute. 2.1. Postes pris en charge En cas d’absence de faute, l’agent a droit, selon justificatifs, à la prise en compte des postes suivants : • des frais médicaux engagés et non pris en charge par l’Assurance maladie (CE, 25 mars 2009, no 316822), par exemple, les frais de kinésithérapie (CAA Versailles, 22 octobre 2009, no 08VE01539) ; • matériel médical et appareillage (CE, 25 mars 2009, no 316822) ; • pretium doloris (CE, 25 mars 2009, no 316822) ; • le retentissement psychologique (CAA Versailles, 22 octobre 2009, no 08VE01539) ; • troubles qu’il subit dans ses conditions d’existence (CE, 25 mars 2009, no 316822). D’une manière générale, est indemnisable l’ensemble des préjudices matériels et moraux imputables au service et distincts de l’atteinte à l’intégrité physique qui, elle, est réparée par le forfait de pension (CAA Bordeaux, 7 octobre 2008, no 07BX01592). L’agent ne peut prétendre qu’à une indemnité complémentaire, réparant des chefs de préjudice distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, seule caractérisée par un taux d’incapacité. Ainsi, il n’y pas lieu de prendre en compte, dans ce cadre, un taux d’incapacité fixé par un expert judiciaire, parce qu’il serait supérieur à celui retenu par la commission départementale de réforme (CAA Marseille, 4 mai 2010, no 08MA02707). Exemple de l’appréciation du trouble dans les conditions d’existence (CE, 25 juin 2008, no 286910) : Considérant que, selon le rapport de l’expert commis par le tribunal administratif de Poitiers, Mme A. souffre, en raison de sa contamination (Hépatite C), d’une grande asthénie physique et psychique ; qu’elle est astreinte à un suivi médical régulier et a dû entreprendre un traitement antiviral ; qu’elle éprouve légitimement des craintes relatives à une évolution défavorable de son état de santé ; que les répercussions de l’affection ont rendu nécessaire un suivi psychiatrique ; qu’il sera fait une juste appréciation des troubles qu’elle subit dans ses conditions d’existence et de la réparation qui lui est due à ce titre en condamnant le centre hospitalier de Saintes à lui verser une somme de 40 000 euros.
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2.2. Postes exclus Dans la mesure où la faute de l’administration n’est pas retenue, est exclue l’indemnisation : • du préjudice professionnel et financier (CE, 25 mars 2009, no 316822 ; CE, 25 juin 2008, no 286910). « L’agent ne pourrait toutefois prétendre à la réparation des conséquences pécuniaires de son accident, en sus de la pension qui lui a été accordée, que si celui-ci devait être regardé comme la conséquence d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État » : • du préjudice du fait de la perte de primes et indemnités (CAA Nantes, 4 mars 2010, no 08NT01023). Mais, la jurisprudence exclut aussi la tierce personne et l’aménagement de la maison (CE, 15 juillet 2004, No 224276) : « Considérant qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’accident dont a été victime M. X. soit imputable à une faute de l’administration ; qu’ainsi, M. X. n’est pas fondé à demander le versement d’une indemnité pour les frais de tierce personne et d’aménagement de son appartement, ainsi que pour le préjudice de carrière qu’il subit du fait de son accident ». Annexe 1. Jurisprudence récente (responsabilité sans faute) CAA Marseille, 29 juin 2010, no 08MA02399. Faits et procédure Mme A., infirmière psychiatrique, a été victime le 6 septembre 1999 d’une agression par une patiente délirante du CHS, alors qu’elle était en service. Elle a saisi l’employeur d’une demande préalable le 14 août 2006 en vue d’obtenir l’indemnisation des préjudices économiques, financiers, matériels et moraux consécutifs à cette agression en invoquant le défaut dans l’organisation du service de l’établissement hospitalier. Par jugement du 6 mars 2008, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande et elle a interjeté l’appel du jugement. En droit Aux termes de l’article 80 de la loi no 86-33 du 9 janvier 1986 susvisée : les établissements sont tenus d’allouer aux fonctionnaires qui ont été atteints d’une invalidité résultant d’un accident de service ayant entraîné une incapacité permanente d’au moins 10 % ou d’une maladie professionnelle, une allocation temporaire d’invalidité cumulable avec leur traitement dans les mêmes conditions que les fonctionnaires de l’État. Les conditions d’attribution, ainsi que les modalités de concession, de liquidation, de paiement et de révision de l’allocation temporaire d’invalidité sont fixées par voie réglementaire. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions. Elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à
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la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité. Mme A. a développé un état de stress post-traumatique nécessitant son placement en arrêt de travail à la suite de l’agression dont elle a été victime le 6 septembre 1999 par une patiente délirante, alors qu’elle était en service. Si Mme A. persiste à soutenir en appel que la responsabilité du centre hospitalier se trouve engagée à raison d’un défaut dans l’organisation du service en invoquant l’insuffisance du personnel et le non-respect des normes protectrices, elle n’apporte cependant à l’appui de cette assertion aucun élément de nature à l’établir. Dans ces conditions, et ainsi que l’a jugé le tribunal, Mme A. n’est pas fondée à soutenir que le CHS aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité à son égard. Alors même qu’elle a été indemnisée au titre de la réglementation relative aux accidents de service, Mme A. conserve le droit de demander au CHS, en l’absence même d’une faute de cet établissement public, la réparation des souffrances physiques et morales et des préjudices esthétiques et d’agrément pouvant résulter de sa maladie. Délai d’action Le délai pour obtenir l’indemnisation de certains préjudices subis par Mme A., tel le préjudice moral dont elle demande la réparation, ne pouvait courir au plus tôt que du 1er janvier de l’année suivant celle au cours de laquelle l’état de santé de l’intéressée avait été consolidé. Le centre hospitalier soutient que la consolidation a été acquise au plus tard au cours de l’année 2001 et que la créance de la requérante était prescrite au moment de la présentation de sa demande préalable formée en août 2006. Il n’apporte toutefois à l’appui de cette assertion aucune pièce médicale de nature à l’établir. Indemnisation Il résulte, en revanche, de l’instruction et notamment du certificat médical du 3 janvier 2003, rédigé par un praticien spécialisé en neuropsychiatrie, que, suite à l’accident de travail dont a été victime Mme A. le 6 septembre 1999, la consolidation de l’état de santé de l’intéressée avec séquelles date du 4 janvier 2003. Les autres éléments figurant au dossier ne permettent pas de contredire cette date du 4 janvier 2003. Par suite, il ne peut être faire droit à l’exception de prescription opposée par l’établissement. Mme A. soutient avoir subi d’importants préjudices économiques, financiers, matériels et moraux, elle ne peut cependant obtenir, en l’absence de faute du centre hospitalier de Montperrin, la réparation de son seul préjudice moral. Il sera fait une juste appréciation de ce poste de préjudice consécutif à l’agression subie le 6 septembre 1999 en condamnant le centre hospitalier de Montperrin à lui verser une somme forfaitaire de 5000 euros, tous intérêts compris. Ce montant tient compte des troubles psychologiques non contestés dont souffrait Mme A. antérieurement à l’accident dont il s’agit qui avaient justifié un arrêt de travail de quelques mois en 1994 au vu des éléments médicaux versés au dossier.