Accident vasculaire cérébral : un diagnostic différentiel de l’hématome médullaire compressif

Accident vasculaire cérébral : un diagnostic différentiel de l’hématome médullaire compressif

Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 297-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003641/SCO Cas cliniq...

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Ann Fr Anesth Réanim 2001 ; 20 : 297-9 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765801003641/SCO

Cas clinique

Accident vasculaire cérébral : un diagnostic différentiel de l’hématome médullaire compressif J. Morel1*, C. Michard2, V. Benvenuto3, G. Braly2 1

Département d’anesthésie-réanimation, CHU, 42055 Saint-Étienne cedex 2, France ; 2département d’anesthésie-réanimation, hôpital de Firminy, 2, rue Bénaud, 42704 Firminy, France ; 3service de moyen et long séjour, hôpital de Firminy, 2, rue Bénaud, 42704 Firminy, France

RE´SUME´ Nous rapportons le cas d’un patient de 84 ans qui a développé une monoplégie du membre inférieur gauche dans les suites d’une rachianesthésie pour fracture du col fémoral. L’IRM réalisée en urgence a permis d’éliminer une compression médullaire. Il s’agissait en fait d’un accident vasculaire cérébral. Cette observation amène à discuter le choix de la technique d’anesthésie, et les différentes étiologies d’un trouble neurologique après rachianesthésie. L’apparition de signes cliniques évoquant un hématorachis, doit faire rechercher par l’imagerie (IRM ou scanner) des signes de compression médullaire afin de proposer une laminectomie en urgence. Enfin, l’importance et les difficultés de l’examen clinique des patients âgés en traumatologie sont soulignées. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS compression médullaire rachianesthésie

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monoplégie

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ABSTRACT Cerebral stroke: a differential diagnosis of spinal haemetoma. We report the case of a 84-year-old patient who developed a monoplegia of the left inferior limb after a spinal anaesthesia for femoral neck’s fracture. The magnetic resonance imaging (MRI) carried out in emergency, eliminated a spinal compression. The final diagnosis was a cerebral stroke. This observation leads us to discuss the choice of anaesthesia technical, the various aetiologies of a neurological

Reçu le 2 mars 2000 ; accepté le 3 janvier 2001. *Correspondance et tirés à part.

trouble after spinal anaesthesia. The appearance of clinical signs evoking a spinal haematoma, must make seek by the imagery (MRI or scanner) the signs of spinal compression in order to propose an emergency laminectomy. Finally we insist on the importance but also on the difficulties of the clinical examination in elderly traumatic patients. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS monoplegia / spinal anaesthesia / spinal haematoma

Les complications neurologiques liées à l’anesthésie locorégionale (ALR) sont rares, mais peuvent être responsables de lésions sévères. L’apparition d’un déficit neurologique dans les suites d’une rachianesthésie doit faire rechercher un hématome médullaire compressif. D’autres étiologies doivent être discutées lorsque celui-ci n’a pu être confirmé. Nous rapportons le cas d’un patient ayant développé une monoplégie dans les suites d’une rachianesthésie. OBSERVATION Un homme âgé de 84 ans, a été adressé au service des urgences pour fracture du col fémoral gauche, suite à une chute de sa hauteur. Une arythmie complète par fibrillation auriculaire et une hypertension artérielle étaient traitées par digoxine et vérapamil. On ne retrouvait pas de prise récente d’antiagrégant plaquettaire ou d’anticoagulant. La pression artérielle était mesurée à 160/100 mmHg, sans anisotension, la fréquence cardiaque était irrégulière à 96 b·min–1. Un canal lombaire étroit dégénératif était connu. L’examen neurologique, pratiqué au service des

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J. Morel et al.

urgences, ne retrouvait aucun déficit sensitif et tous les réflexes ostéo-tendineux étaient présents. Le bilan radiologique montrait une fracture pertrochantérienne gauche et le canal lombaire étroit. On réalisait une immobilisation par une traction collée associée à des antalgiques (propacétamol et nalbuphine). Aucune prophylaxie de la maladie thromboembolique était commencée avant la pose d’un clou gamma prévue le lendemain. Le bilan biologique ne montrait aucune anomalie : plaquettes 191 000·mm–3, TP : 90 % et TCA : 31 s (témoin à 30 s) . Le lendemain, une rachianesthésie était réalisée par une seule ponction de l’espace L3–L4, avec une aiguille de 22 G. Ni la ponction (qui ramena un liquide céphalorachidien clair) ni l’injection lente n’ont été douloureuses. Le volume de la solution injectée était de 3,5 mL. Il associait 12,5 mg de bupivacaïne hyperbare et 50 µg de fentanyl. Aucune paresthésie n’a été signalée. Le niveau du bloc atteignait T10, dix minutes après l’injection. Un monitorage par scope, oxymètre de pouls, et Dinamap™ permettait une surveillance régulière des constantes hémodynamiques. L’intervention a duré 75 minutes. Le patient a reçu 1 000 mL de Ringer lactate. Le saignement peropératoire était évalué à 150 mL. Aucune baisse notable de la pression artérielle n’a était notée. Les pressions artérielles minimales enregistrées étaient de 140 mmHg pour la pression systolique et de 65 mmHg pour la diastolique. Trois heures après la fin de l’intervention, le bloc sensitif était levé. On notait une monoplégie du membre inférieur gauche de type central, avec un réflexe cutanéo-plantaire en extension, des réflexes ostéo-tendineux non abolis, sans déficit sensitif, ni atteinte sphinctérienne. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) dorsolombaire réalisée en urgence retrouvait une infiltration hémorragique de l’espace sous-dural en regard de la deuxième vertèbre lombaire. Une laminectomie n’était pas réalisée devant l’absence de signe de compression médullaire ou radiculaire. Du fait de deux examens scanographiques cérébraux non informatifs, réalisés en fin de première et deuxième semaines, et de la possibilité de faux négatifs pour la détection de lésions ischémiques, une IRM encéphalique a été réalisée. Elle montrait un hypersignal en T2, de nature ischémique, dans le territoire de l’artère cérébrale antérieure droite. Le Doppler des troncs supraaortiques mettait en évidence une sténose à 60 % de

la carotide interne droite. L’échographie cardiaque retrouvait une fonction cardiaque droite et gauche normale et pas de thrombus intra-auriculaire. Un mois après le déficit, malgré la rééducation fonctionnelle, il persistait un déficit moteur proximal. DISCUSSION Une complication nerveuse après rachianesthésie doit faire évoquer par ordre de fréquence les étiologies suivantes [1-3] : les compressions dues à un hématome, l’ischémie par baisse de la pression de perfusion médullaire, les complications de postures et celles en relation avec un abcès. Il faut ajouter une cinquième étiologie qui correspond au syndrome radiculaire transitoire. Ce syndrome d’irritation peut se rencontrer avec la bupivacaïne, même s’il est plus fréquent avec la lidocaïne [4, 5]. Seule l’évolution permet de trancher entre troubles transitoires et définitifs. On a longtemps pensé que la rachianesthésie avait une plus faible morbidité postopératoire que l’anesthésie générale. Ainsi, on pensait que la rachianesthésie entraînait moins de complications neuropsychiques et permettait une récupération plus rapide des fonctions cérébrales supérieures. Une étude américaine rétrospective sur 9 425 malades, comparant la morbidité postopératoire de la rachianesthésie et de l’anesthésie générale, ne montre en fait aucune différence entre ces deux techniques [6]. La présence d’un canal lombaire étroit (CLE) pourrait guider le choix du mode anesthésique. Ainsi certains auteurs font du CLE symptomatique une contre-indication à la rachianesthésie [2], alors que d’autres utilisent ce mode d’injection afin d’améliorer sa symptomatologie [7]. Un hématome de faible volume chez un patient avec un canal lombaire étroit suffit pour être compressif [8]. Par conséquent, la présence d’un CLE asymptomatique doit faire évaluer le rapport bénéfice/risque d’une anesthésie périmédullaire. L’analyse des grandes séries de rachianesthésie montre que l’incidence des hématomes compressifs est faible, mais difficile à évaluer [2, 3, 9]. Dans 10 % des cas de chirurgie discale sous anesthésie péridurale, on retrouve la présence de sang dans l’espace péridural, et ce de façon asymptomatique [10]. Le principe du blood patch illustre bien ce fait, puisque l’injection d’un volume limité de sang dans l’espace péridural ne s’accompagne d’aucun signe de compression médullaire. Dans les suites d’une ponction

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Monoplégie après rachianesthésie

lombaire, un hématorachis doit être évoqué devant la persistance anormale ou la réapparition d’un bloc sensitivomoteur précédé ou non de douleurs d’intensités inhabituelles en ceinture. L’imagerie permet de confirmer le diagnostic d’hématome médullaire compressif afin d’envisager le plus rapidement un geste neurochirurgical. L’IRM dorsolombaire est l’examen de choix à réaliser en urgence [3]. Cependant elle n’est pas disponible dans tous les centres. La scanographie peut être proposée à la place de l’IRM lorsque celle-ci ne peut être réalisée. Une autre attitude peut être d’orienter le patient présentant des signes cliniques d’un hématome compressif vers un centre neurochirurgical, qui dispose habituellement d’un plateau technique suffisant. Dans notre observation, l’IRM a mis en évidence une infiltration hémorragique de l’espace sous-dural, mais la décompression chirurgicale fut réfutée devant l’absence de signes de souffrance médullaire ou radiculaire à l’IRM. Il faut souligner que d’autres étiologies pouvaient expliquer cet infiltrat hémorragique dans notre observation : la chute initiale du patient [11] ou une hémorragie spontanée [2, 11, 12]. Le tableau clinique associé aux données de l’imagerie ne permet pas de retenir les quatre étiologies initiales. En effet, un abcès est d’apparition plus tardive et est associé à des signes septiques. La posture provoque des atteintes nerveuses de type périphérique [13]. Lorsque les complications propres à la rachianesthésie ne peuvent être retenues, il faut envisager une pathologie indépendante de celle-ci. De nombreuses publications rapportent une décompensation neurologique de pathologies rachidiennes préexistantes chez des patients opérés sous anesthésie générale [1-3, 14]. Ces lésions neurologiques auraient pu être attribuées à l’ALR si celle-ci avait été réalisée [1]. Une étiologie encéphalique était possible compte tenu de l’arythmie cardiaque. La possibilité de faux négatifs à la scanographie, lors de lésions ischémiques cérébrales de faible importance, nous a fait réaliser une IRM cérébrale. L’hypersignal en T2 dans le territoire de l’artère cérébrale antérieure droite évoquait un processus ischémique. Malheureusement, il est difficile de savoir a posteriori si l’accident ischémique est responsable de la chute initiale, ou si celui-ci est survenu au cours de l’intervention.

Ceci souligne l’importance d’un examen neurologique initial correctement mené lorsqu’une anesthésie périmédullaire est envisagée. Cependant, l’examen clinique de la personne âgée est parfois difficile, notamment en traumatologique du fait de l’impotence fonctionnelle et de la douleur. Un déficit neurologique après une rachianesthésie doit faire rechercher systématiquement un hématorachis par un examen radiologique et faire orienter le patient vers un centre neurochirurgical. Lorsqu’une cause médullaire a été éliminée, une origine encéphalique doit alors être évoquée. RE´ FE´ RENCES 1 Pleym H, Spigset O. Peripheral neurologic deficit in relation to subarachnoid or epidural administration of local anaesthetics for surgery. Acta Anaesthesiol Scand 1997 ; 41 : 453-60. 2 Dahlgren N, Tornebrandt K. Neurological complications after anaesthesia. A follow-up of 18,000 spinal and epidural anaesthetics performed over three years. Acta Anaesthesiol Scand 1995 ; 39 : 872-80. 3 Hernot S, Samii K. Les différents types d’agression nerveuse au cours des anesthésies locorégionales. Ann Fr Anesth Réanim 1997 ; 16 : 274-81. 4 Hampl KF, Wiedmer S, Luginbuehl I. Transient neurologic symptoms after spinal anesthesia. Anesthesiology 1998 ; 88 : 629-33. 5 Freedman JM, Li DK, Drasner K, Jaskela MC, Larsen B, Wi S and the spinal anesthesia study group Transient neurologic symptoms after spinal anesthesia. An epidemiologic study of 1,863 patients. Anesthesiology 1998 ; 89 : 633-41. 6 O’Hara DA. The effect of anesthetic technique on postoperative outcomes in hip fracture repair. Anesthesiology 2000 ; 92 : 94757. 7 Fukusaki M, Kobayashi I, Hara T, Sumikawa K. Symptoms of spinal stenosis do not improve after epidural steroid injection. Clin J Pain 1998 ; 14 : 148-51. 8 Aromaa U, Lahdensuu M, Cozanitis DA. Severe complications associated with epidural and spinal anaesthesias in Finland-1993 A study based on patient insurance claims. Acta Anaesthesiol Scand 1997 ; 41 : 445-52. 9 Auroy Y, Narchi P, Messiah A, Litt L, Rouvier B, Samii K. Serious complications related to regional anesthesia. Results of a prospective survey in France. Anesthesiology 1997 ; 87 : 479-86. 10 Usubiaga JE. Neurological complications of spinal and epidural analgesia. In : Saidman LJ, Moya F, Eds. Complications of anesthesia. Springfield : Thomas ; 1970. p. 227-40. 11 Watts C, Porto L. Recognizing spontaneous spinal epidural hematoma. Geriatrics 1976 ; 31 : 97-9. 12 Lonjon MMC, Paquis P, Charrelet S, Grellier P. Non traumatic spinal epidural hematoma, report of four cases and review of the literature. Neurosurgery 1997 ; 41, 2 : 483-7. 13 Skouen TS, Wainapel SF, Willock MM. Paraplegia following epidural anesthesia. A case report and literature review. Acta Neurol Scand 1985 ; 72 : 437-43. 14 Tetzlaff JE, Dilger GA, Wu C, Smith MP, Bell G. Influence of lumbar spine pathology on the incidence of paresthesia during spinal anesthesia. Reg Anesth Pain Med 1998 ; 23 : 560-3.