Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2018) 30, 38—40
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CAS CLINIQUE
Détresse respiratoire aiguë : un cas de goitre thyroïdien compressif Acute airway obstruction: A case of compressive thyroid goiter A. Clémenc ¸ot a,∗, M. Jnan a, M. Koszutski b a
Service d’accueil des urgences, hôpital Bel-Air, CHR Metz-Thionville, 1—3, rue du Friscaty, 57100 Thionville, France b Service de réanimation, hôpital Bel-Air, CHR Metz-Thionville, 1—3, rue du Friscaty, 57100 Thionville, France evrier 2018 ; accepté le 5 avril 2018 Rec ¸u le 25 f´ Disponible sur Internet le 26 mai 2018
MOTS CLÉS Détresse respiratoire aiguë ; Goitre compressif
KEYWORDS Acute airway obstruction; Compressive goiter
Résumé Un homme de 72 ans est admis au service d’accueil des urgences pour une détresse respiratoire aiguë sur un volumineux goitre multinodulaire plongeant exerc ¸ant un important effet de masse sur la filière pharyngo-laryngée. Notre cas clinique illustre une complication rare d’un goitre thyroïdien. © 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
Summary A 72-year-old man is admitted in the emergency department for acute airway obstruction on a large, multinodular goiter that exerts an important mass effect on the pharyngo-laryngeal sector. © 2018 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction
∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (A. Clémenc ¸ot).
https://doi.org/10.1016/j.jeurea.2018.04.001 2211-4238/© 2018 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
En France, la prévalence du goitre simple concerne environ 10 % de la population adulte [1]. L’augmentation de volume du goitre ainsi que son caractère multi-nodulaire peuvent entraîner des complications locales telles qu’une dyspnée
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par compression trachéale, une dysphonie par compression du nerf récurrent, une dysphagie par compression œsophagienne voire un syndrome cave supérieur par compression veineuse profonde. Ces symptômes sont le plus souvent d’apparition progressive et mettent très rarement en jeu le pronostic vital. Le goitre compressif s’avère plus dangereux lorsque le développement se fait en intra thoracique, on parle alors de goitre plongeant. Ce dernier peut causer un syndrome asphyxique par compression trachéale.
Observation Un homme de 72 ans est transporté au service d’accueil des urgences (SAU) pour difficultés respiratoires. Les antécédents du patient comprennent un diabète non insulino-dépendant, une hypertension artérielle, un tabagisme sevré, une obésité (98 kg pour 177 cm soit un IMC à 31 kg/m2 ) et un goitre thyroïdien. Pour ce dernier, le médecin traitant fait réaliser une échographie annuelle et le patient n’a jamais envisagé de prise en charge chirurgicale compte tenu de l’absence de gêne fonctionnelle. À l’arrivée au SAU, le patient a une détresse respiratoire avec des signes de lutte inspiratoire, des sueurs et une dysphonie. À l’examen physique, la pression artérielle est à 143/96 mmHg, la fréquence cardiaque à 110 battements par minutes, la fréquence respiratoire à 40 cycles par minutes et la saturation transcutanée en oxygène (SpO2 ) à 88 % sous 6 L d’oxygène. Il n’y a pas de fièvre. L’auscultation pulmonaire met en évidence quelques ronchis bilatéraux. Il n’y a pas d’œdème de la langue ni de la luette. On remarque un volumineux goitre thyroïdien. La mesure des gaz du sang artériel effectuée à son arrivée sous 6 L d’oxygène par minutes met en évidence une acidose (pH à 7,19) hypercapnique (PaCO2 à 65 mmHg) avec augmentation des lactates à 6,2 mmol/L. Le bilan biologique met en évidence un léger syndrome inflammatoire avec des leucocytes à 15 100/mm3 , une CRP à 14 mmol/L et une procalcitonine à 0,10 g/L. Il n’y a pas de dysthyroïdie. La prise en charge initiale comprend l’administration d’un bolus intraveineux de 120 mg de méthylprednisolone associé à un aérosol de 5 mg d’adrénaline. L’état du patient se dégrade avec l’aggravation de l’hypoxémie non corrigée par l’oxygénothérapie au masque haute concentration (SpO2 à 94 % sous 15 L/min d’O2 ) et l’apparition de troubles de la conscience. La décision d’intuber la trachée du patient en salle de déchoquage du SAU est prise. Devant un patient obèse avec cou court, la ventilation et l’intubation sont prévues difficiles [2], et le réanimateur de garde et l’ORL d’astreinte sont appelés afin d’anticiper les éventuelles difficultés à l’intubation. L’examen au fibroscope (après l’injection intraveineuse de 100 mg de kétamine) réalisé par le réanimateur ne retrouve pas d’épiglottite ni d’œdème des voies aériennes supérieures, mais ne permet cependant pas de cathétériser la trachée. Une intubation par laryngoscopie simple (après une induction en séquence rapide par étomidate et suxaméthonium) est finalement réalisée, permettant le passage d’une sonde de calibre 8 mm et la sédation est entretenue par midazolam et sufentanyl. L’état hémodynamique reste conservé sous ventilation mécanique.
Figure 1. Coupe transversale de tomodensitométrie passant au niveau cervical montrant la sonde d’intubation affleurant la paroi de la trachée. Le diamètre de la lumière trachéale est mesuré à 8,6 mm avec la sonde endotrachéale in situ maintenant sa perméabilité.
Figure 2. Coupe frontale de tomodensitométrie passant au niveau cervical montrant la sonde d’intubation affleurant la paroi de la trachée.
La tomodensitométrie cervico-thoracique met en évidence un volumineux goitre multinodulaire plongeant exerc ¸ant un important effet de masse sur la filière pharyngo-laryngée ainsi qu’une pneumopathie basale bilatérale (Fig. 1 et 2). Le patient est transféré en réanimation pour la suite de la prise en charge. Une thyroïdectomie totale est réalisée le lendemain de son admission, avec l’exérèse d’un goitre de 510 g plongeant à la fois dans le médiastin supérieur et surtout en rétro pharyngien (Fig. 3). L’évolution est marquée par la survenue d’une diplégie laryngée associée à une détresse respiratoire immédiatement après le retrait de la sonde endotrachéale, imposant une nouvelle intubation suivie quelques jours plus tard d’une trachéotomie. Le patient est transféré en service d’ORL pour la suite de la prise en charge. L’analyse histologique de la pièce de thyroïdectomie a montré l’absence de malignité.
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A. Clémenc ¸ot et al. une chirurgie de manière précoce lorsque le scanner de suivi met en évidence un début de compression trachéale par les nodules [7,8]. Cependant, dans notre cas, l’interrogatoire de la famille du patient ne retrouvait pas de gêne respiratoire qui aurait pu faire discuter une thyroïdectomie avant la survenue de complications. Seul le volume important du goitre aurait pu faire discuter le traitement chirurgical programmé.
Conclusion Nous rapportons le cas d’un patient présentant une détresse respiratoire aiguë par compression trachéale extrinsèque, secondaire à un volumineux goitre bénin plongeant dans un contexte d’infection pulmonaire. La dyspnée n’a pas été d’installation progressive comme cela est le cas habituellement ; se pose ici la question de la légitimité d’une surveillance scanographique des goitres plongeants, plus à même de repérer plus précocement une complication locale de ce type.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Figure 3.
Pièce de thyroïdectomie.
Discussion Les goitres multi-nodulaires et les cancers thyroïdiens sont les deux principales étiologies retrouvées dans la littérature comme responsables de dyspnée aiguë par compression trachéale [3,4]. Les patients avec un goitre cervicothoracique ont fréquemment une plainte respiratoire qui prédomine sur les autres symptômes, plainte s’expliquant par la compression locale du goitre. L’étude rétrospective d’Ayache et al. a démontré que parmi 117 patients opérés d’un goitre rétrosternal, une dyspnée préopératoire était retrouvée dans 39 % des cas tandis que la dysphagie était présente dans seulement 16 % des cas [5]. Cependant l’installation d’une dyspnée aiguë est rare dans cette pathologie. Une étude portant sur 18 patients ayant subi une exérèse de goitre volumineux par sternotomie retrouvait 16 cas avec une doléance respiratoire par compression des voies aériennes supérieures mais seulement trois patients avec une dyspnée aiguë [6]. L’apparition progressive de symptômes en rapport avec une compression des différentes structures intra cervicales doit faire poser l’indication de thyroïdectomie programmée. Deux cas cliniques similaires au notre ont été rapportés ; les auteurs rappellent qu’il paraît indispensable de réaliser
Références [1] Barrere X, Valeix P, Preziosi P, Bensimon M, Pelletier B, Galan P, et al. Determinants of thyroid volume in healthy French adults participating in the SUVIMAX cohort. Clin Endocrinol 2000;52:273—8. [2] Alipour H, Geffroy S, Roger JB, Massip AL, Oueini M. Intubations et intubations difficiles dans les services des urgences. JEUR 2009;22(S2):A157. [3] Lukienczuk T, Rychlewski D, Bednarz W, Szydlowski Z. Acute respiratory failure in the course of thyroid disease. Przegl Lek 1999;56:134—8. [4] Shaha A, Alfonso A, Jaffe BM. Acute airway distress due to thyroid pathology. Surgery 1987;102:1068—74. [5] Ayache S, Mardyla N, Tramier B, Strunski V. Clinical signs and correlation with radiological extent in a series of 117 retrosternal goitre. Rev Laryngol Otol Rhinol 2006;127:229—37. [6] Cougard P, Vanet S, Matet P, Goudet P, Viard H. Endothoracic goiter operated on by cervicosternotomy. About 18 cases. Chirurgie 1994;120(6—7):309—13. [7] Sharma A, Naraynsingh V, Teelucksingh S. Benign cervical multinodular goiter presenting with acute airway obstruction: a case report. J Med Case Rep 2010;4:258. [8] Ito T, Shingu K, Maeda C, Kitazawa M, Mizukami Y, Hiraguri M, et al. Acute airway obstruction due to benign asymptomatic nodular goiter in the cervical region: a case report. Oncol Lett 2015;10:1453—5.