Annales de dermatologie et de vénéréologie (2009) 136, 472—475
CLINIQUE
Aspects médicolégaux du dopage et dermatologie Medicolegal aspects of doping and dermatology J.-N. Dauendorffer a,∗, B. Montalvan b, P. Saiag c a
Service de dermatologie, centre hospitalier Franc¸ois-Quesnay, 2, boulevard Sully, 78201 Mantes-la-Jolie cedex, France b Fédération franc¸aise de tennis, avenue Gordon-Benett, 75016 Paris, France c Service de dermatologie générale et oncologique, hôpital Ambroise-Paré, AP—HP et faculté de médecine, université de Versailles—St-Quentin-en-Yvelines Île-de-France-Ouest, 92104 Boulogne cedex, France Rec ¸u le 19 juin 2008 ; accepté le 25 septembre 2008 Disponible sur Internet le 17 avril 2009
Introduction La loi no 99-223 du 23 mars 1999 puis la loi no 2006 405 du 5 avril 2006, codifiée dans le livre II (titre III) du code du sport, définissent le dopage comme l’utilisation de substances ou de procédés de nature à modifier artificiellement les capacités d’un sportif ou à masquer l’emploi de substances ou procédés ayant cette propriété. Cette définition renvoie à une liste de substances détaillée, publiée au Journal Officiel. Du fait du développement des pratiques sportives, le dermatologue peut être amené à prendre en charge des patients sportifs participant à des compétitions. Il se doit donc de connaître, parmi les traitements qu’il prescrit, ceux qui sont susceptibles de positiver un contrôle antidopage alors qu’ils seraient utilisés à des fins thérapeutiques. Sa responsabilité est en effet engagée s’il prescrit une telle substance à un sportif sans l’avertir de son appartenance à la liste des produits dopants interdits. Cet article propose ainsi de faire le point sur la lutte antidopage en France, les produits dopants interdits, la procédure relative à la prescription d’un produit dopant
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-N. Dauendorffer).
dans un but thérapeutique et les aspects juridiques du dopage.
Organisation de la lutte antidopage en France [1] La lutte antidopage repose essentiellement sur l’Agence franc ¸aise de lutte contre le dopage (AFLD), créée par la loi du 5 avril 2006. Son collège est composé de neuf membres : trois scientifiques, trois juristes, un sportif de haut niveau, un représentant du Comité national olympique et sportif franc ¸ais (CNOSF) et un « sage » désigné par le Comité consultatif national d’éthique. Ses missions consistent en l’organisation des contrôles antidopages, l’analyse des échantillons prélevés, la formulation de sanctions administratives de suspension, la délivrance d’autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) de substances ou de procédés, la prévention, la recherche et la coopération avec l’Agence mondiale antidopage. Il existe également des antennes médicales de prévention du dopage (AMPD), implantées dans les établissements publics de santé, le plus souvent au sein de centres hospitalo-universitaires. Il s’agit de structures de soin et de prise en charge des sportifs ayant eu recours à des pratiques dopantes ou susceptibles d’y recourir. Elles ont quatre missions : les soins aux sportifs ayant eu recours à des pratiques
0151-9638/$ — see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2008.09.030
Aspects médicolégaux du dopage et dermatologie dopantes, les conseils aux sportifs et aux fédérations, la recherche et la surveillance épidémiologique.
Liste des substances et procédés dopants [2] La liste des substances dopantes et méthodes de dopage interdites reprend celle élaborée et proposée par l’Agence mondiale antidopage (AMA), adoptée par le Comité international olympique (CIO) et par les fédérations sportives internationales. En France, un décret fixant la liste des substances dopantes et méthodes de dopage interdites, reprenant la liste internationale précitée est publié au Journal Officiel (décret no 2009-93 du 26 janvier 2009). Cette liste comprend les classes des substances et méthodes interdites en permanence (en compétition et hors compétition), les substances interdites uniquement en compétition, les classes des substances interdites dans certains sports. Elle est actualisée annuellement et est variable. La dernière version est valable du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2009 et accessible sur le site www.wada-ama.org.
Substances et méthodes interdites en et hors compétition (en permanence) Anabolisants Stéroïdes anabolisants androgènes exogènes et endogènes, anabolisants non stéroïdiens (modulateurs sélectifs des récepteurs des androgènes, tibolone. . .).
Hormones et substances apparentées Hormone de croissance (GH), gonadotrophines (hCG, LH), érythropoïétine (EPO), corticotrophine, insuline.
Bêta-2 mimétiques Ils sont tous interdits sauf le formotérol, le salbutamol, le salmétérol et la terbutaline exclusivement sous forme d’inhalation et sous réserve d’une AUT abrégée.
Antagonistes et modulateurs hormonaux Inhibiteurs d’aromatase, modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes, antiestrogènes, inhibiteurs de la myostatine.
Diurétiques et agents masquants Produits qui ont la capacité de moduler l’excrétion des produits ou de dissimuler leur présence dans les prélèvements effectués lors des contrôles antidopages, tels que épitestostérone, probénécide, succédanés du plasma (albumine, dextran, hydroxyéthylamidon).
Méthodes interdites Le dopage sanguin, les perfusions intraveineuses, les manipulations physiques et chimiques visant à falsifier ou altérer l’intégrité des échantillons recueillis lors des contrôles antidopages.
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Substances et méthodes interdites en compétition Outre les classes de substances énumérées ci-dessus, les classes suivantes sont interdites en compétition : • stimulants : amphétamine, adrénaline, cocaïne, etc. L’adrénaline, associée à des agents anesthésiques locaux, n’est pas interdite ; • analgésiques centraux et narcotiques : morphine. . . • cannabinoïdes ; • glucocorticoïdes administrés par voie orale, rectale, intraveineuse ou intramusculaire sauf AUT standard. Les autres voies d’administration (injection intra-articulaire, périarticulaire, péritendineuse, péridurale, intradermique et par inhalation) nécessitent une AUT abrégée. Les préparations topiques destinées à la peau ou aux muqueuses (buccales, périanales. . .) ne sont pas interdites et ne nécessitent donc pas d’AUT.
Substances interdites dans certains sports Alcool et bêtabloquants, en fonction des sports.
Substances spécifiques Les inhibiteurs de la 5-alpha-réductase et les glucocorticoïdes sont considérés comme des substances susceptibles d’entraîner une violation non intentionnelle des règlements antidopages du fait de leur présence fréquente dans les médicaments. De plus, ils sont moins susceptibles d’être utilisés avec succès comme agents dopants. Une violation des règles antidopages portant sur ces substances peut se traduire par une sanction réduite si le sportif peut établir qu’il n’a pas utilisé cette substance dans l’intention d’améliorer sa performance sportive.
L’AUT [1] Un sportif peut avoir à suivre un traitement médical comprenant des substances figurant sur la liste des produits interdits. Sont concernés tous les sportifs licenciés d’une fédération sportive et se préparant à participer à une compétition sportive. Le patient sportif doit demander auprès de l’AFLD une AUT, conformément à l’article L.232-2 du code du sport. Cette AUT permet l’utilisation thérapeutique de substances interdites, dans le cadre de prescriptions médicales justifiées. L’AUT ne peut être refusée à un sportif si les trois conditions suivantes sont réunies : • le demandeur subirait un préjudice de santé significatif si la substance n’était pas administrée dans le cadre de la prise en charge d’une pathologie aiguë ou chronique, faute d’alternative thérapeutique ; • l’usage à des fins thérapeutiques de ladite substance n’est pas susceptible de produire une amélioration de la performance autre que celle attribuable au retour à un état de santé normal ; • la nécessité de la prescription n’est pas une conséquence de l’usage antérieur à des fins non thérapeutiques de substances interdites.
474 L’AUT est accordée pour la durée de traitement, dans la limite d’un an maximum. Le renouvellement de l’AUT n’est pas automatique et nécessite une nouvelle demande. La procédure de demande d’AUT varie selon le type d’AUT, sachant qu’il en existe deux types : • l’AUT abrégée : elle est strictement limitée au bêta2-agonistes par voie inhalée (formotérol, salbutamol, salmétérol, terbutaline) et aux glucocorticoïdes par voie non systémique et non topique, c’est-à-dire les corticoïdes inhalés. En effet, les corticoïdes par voie systémique nécessitent une AUT standard et les corticoïdes topiques destinés à la peau et aux muqueuses ne nécessitent pas d’AUT. Dans cette procédure, l’AUT est accordée de principe dès réception du dossier complet. Si le médecin de l’AFLD a un doute sur le bien fondé de la demande, il saisit un comité de trois experts médecins qui peut rendre un avis favorable (l’AUT demeure dans ce cas valide) ou défavorable (le sportif est notifié du refus de l’AUT, la décision n’étant pas rétroactive c’est-à-dire que le refus prend effet le jour où le sportif rec ¸oit la notification) ; • l’AUT standard : elle concerne tout traitement comprenant une substance interdite qui ne peut être autorisée par une AUT abrégée. La demande adressée par le sportif à l’AFLD est examinée d’emblée par un comité comprenant au moins trois médecins. Si l’AUT est accordée, le sportif peut participer à des compétitions sans encourir de sanction en cas de contrôle positif pour les substances et les posologies déclarées. Les demandes d’AUT sont téléchargeables sur le site de l’AFLD. Le document peut être rempli par tout médecin désigné par le sportif comme étant son médecin habituel ou son médecin traitant. Le formulaire doit être conjointement rempli par le médecin et par le sportif ou ses représentants légaux s’il est mineur. La demande d’AUT comporte le dossier médical incluant les antécédents, l’histoire de la maladie, les données de l’examen, une ordonnance délivrée moins de un an avant la demande d’AUT, éventuellement les résultats d’examens complémentaires datant de moins de deux ans, un formulaire indiquant le nom commercial du médicament, la dénomination commune internationale (DCI) de la substance, la posologie, la voie et la fréquence d’administration, la signature et le cachet du médecin. Le médecin atteste par ce document qu’il n’existe pas d’alternative thérapeutique avec une substance ou un procédé non interdit.
Aspects juridiques [1] Lorsque le recours à des substances ou à des procédés prohibés est révélé par l’analyse, une procédure disciplinaire est engagée par la fédération concernée ou par l’AFLD lorsque le sportif concerné n’est pas licencié d’une fédération sportive franc ¸aise. Le sportif peut demander une contre-expertise dans un délai de cinq jours à compter de la réception de la lettre lui énonc ¸ant les griefs retenus contre lui. Si le sportif ne la demande pas ou si la contre-expertise confirme le résultat de la première analyse, une instruction est ouverte par l’instance fédérale de première instance qui procède à l’audition du sportif. Si le sportif bénéficie
J.-N. Dauendorffer et al. d’une autorisation d’usage thérapeutique délivrée par l’AFLD et correspondant à un résultat d’analyse positive, le président de l’organe disciplinaire de première instance classe l’affaire, après avis du médecin fédéral. Le médecin qui est amené à déceler des signes évoquant une pratique de dopage (article L.232-3 du titre III du code du sport) est tenu de refuser la délivrance d’un certificat médical attestant l’absence de contre-indication à la pratique d’un sport. Il doit informer son patient des risques encourus et lui proposer un suivi médical adapté. Enfin, il doit transmettre obligatoirement au médecin responsable de l’antenne médicale ses constatations et doit informer son patient de cette obligation. La méconnaissance de cette obligation de transmission est passible de sanctions par les instances compétentes de l’Ordre des médecins. Il est interdit pour un médecin de prescrire aux sportifs participant à des compétitions une ou plusieurs substances interdites, en dehors de la procédure d’AUT (article L.23210). La responsabilité (civile, pénale et disciplinaire) du médecin prescripteur peut être engagée. La violation de l’article est punie de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. La peine est portée à sept ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis en bande organisée ou commis à l’égard d’un mineur (article L.232-26). Le médecin reconnu coupable de ces infractions encourt, en outre, une interdiction d’exercer (article L.232-27). Enfin, il existe un contrat de soin entre le médecin et le sportif. Le sportif doit faire mention de sa qualité et s’informer de la nature des médicaments prescrits. Le médecin quant à lui doit chercher à prescrire en priorité des médicaments ne figurant pas sur la liste des substances interdites et indiquer au sportif, en cas d’absence d’autre possibilité thérapeutique, que le traitement comporte de telles substances. L’absence d’information donnée par le médecin peut engager sa responsabilité.
En pratique pour le dermatologue Dans sa pratique courante, le dermatologue est peu concerné par le problème du dopage étant donné que la grande majorité des traitements prescrits en dermatologie ne figurent pas sur la liste des substances interdites. Ainsi, les dermocorticoïdes ne sont pas contre-indiqués, de même que les anesthésiques locaux et l’adrénaline. Cependant, le dermatologue doit garder à l’esprit que des produits d’usage relativement courant en dermatologie figurent sur la liste des substances dopantes. Ainsi, les injections intradermiques de corticoïdes utilisées notamment dans la prise en charge des cicatrices hypertrophiques et des chéloïdes nécessitent une AUT abrégée. Buccobet® (bêtaméthasone), indiqué dans le traitement local des inflammations de la muqueuse buccale et de l’oropharynx, est autorisé puisque ne figurant pas sur la liste des substances dopantes, alors que le dictionnaire Vidal® indique une précaution d’emploi chez le sportif [3]. Les corticoïdes oraux (Cortancyl® , Solupred® . . .) sont interdits, sauf AUT standard. Enfin, les traitements antihémorroïdaires, sous forme de pommade ou de suppositoire, contenant des corticoïdes comme la fluocortolone
Aspects médicolégaux du dopage et dermatologie Tableau 1
Sites d’information utiles.
Agence franc ¸aise de lutte contre le dopage (AFLD) : www.afld.fr Ministère de la Jeunesse et des Sports : www.jeunesse-sports.gouv.fr et www.santesport.gouv.fr Agence mondiale antidopage (AMA) : www.wada-ama.org Comité international olympique (CIO) : www.olympic.org Numéro vert « Écoute dopage » : 0800 15 2000
(Ultraproct® ), la prednisolone (Deliproct® ) ou le désonide (Cirkan à la Prednacinolone® ) sont interdits en dehors d’une AUT standard. Le finastéride (Propecia® ), inhibiteur de la 5-alpharéductase, indiqué dans les stades peu évolués de l’alopécie androgénétique chez l’homme, était interdit jusqu’au 31 décembre 2008 par le décret n◦ 2008-35 du 10 janvier 2008 en dehors d’une AUT standard, alors qu’aucune mise en garde ne figurait dans le dictionnaire Vidal® . Notons qu’une ATU concernant le finastéride dans cette indication dermatologique se justifiait difficilement devant l’absence de préjudice important pour la santé du sportif qui en aurait été privé. Le rationnel de l’interdiction du finastéride reposait sur ses capacités à modifier le métabolisme et le profil d’excrétion urinaire des glucocorticoïdes endogènes ou exogènes [4]. On note, par exemple, une diminution de l’excrétion urinaire de 19 norandrostérone, générée après la prise de 19 norandrostènedione. Le contrôle antidopage consistait en la détection du carboxyfinastéride, un métabolite excrété dans l’urine 94 heures après une prise orale. L’interdiction d’utilisation des inhibiteurs de l’alpharéductase comme le finastéride et le dutastéride n’est cependant plus mentionnée par le décret actuellement en vigueur n◦ 2009-93. Parmi les antalgiques, Lamaline® est interdit en dehors d’une AUT standard car il contient, outre du paracétamol et de la caféine, de l’opium, alors que les spécialités à base de dextropropoxifène ou de tramadol sont autorisées. Colchimax® est interdit sauf AUT standard car il contient, outre la colchicine et le tiémonium autorisés, de la poudre d’opium qui figure sur la liste des substances interdites. On
475 peut noter qu’aucune mise en garde ne figure pour cette spécialité dans le dictionnaire Vidal® . Des médicaments pouvant à tort être considérés sans risque sont interdits comme l’heptaminol, contenu dans Ginkor Fort® (Ginkgo biloba, heptaminol et troxérutine) indiqué dans l’insuffisance veinolymphatique et la crise hémorroïdaire et dans Hept-a-myl® indiqué dans le traitement symptomatique de l’hypotension orthostatique.
Conclusion Le dermatologue doit rester vigilant au moment de toute prescription chez un sportif et avoir le réflexe de se reporter aux monographies du dictionnaire Vidal® ou aux sites d’information du ministère de la Santé ou de la Jeunesse et des Sports (Tableau 1). Ainsi, dans la rubrique « Mise en garde et précautions d’emploi », figurant pour chaque spécialité dans le dictionnaire Vidal® , est mentionné habituellement pour la plupart des produits concernés sans toutefois être exhaustif : « L’attention des sportifs est attirée sur le fait que cette spécialité contient un principe actif pouvant induire une réaction positive des tests pratiqués lors des contrôles antidopages ». Le type d’AUT, standard ou abrégée, n’est en revanche jamais précisé.
Conflits d’intérêts Aucun.
Références [1] Agence franc ¸aise de lutte contre le dopage (AFLD) : www.afld.fr. [2] Journal Officiel de la République franc ¸aise, décret no 2008-35 du 10 janvier 2008. [3] Dictionnaire Vidal® , édition 2008. [4] Thevis M, Geyer H, Mareck U, Flenker U, Schänzer W. Dopingcontrol analysis of the 5alpha-reductase inhibitor finasteride: determination of its influence on urinary steroid profiles and detection of its major urinary metabolite. Ther Drug Monit 2007;29:236—47.