Imagerie de la Femme (2011) 21, 148—153
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
MISE AU POINT
Cancer du sein métastatique : progrès dans la prise en charge et limites actuelles夽 Metastatic breast cancer: Current therapeutic progress and limits
W. Jacot a,∗, G. Romieu a, P.-J. Lamy b a
Service d’oncologie, CRLC Val-d’Aurelle-Paul-Lamarque, 208, rue des Apothicaires, 34298 Montpellier cedex 05, France b Laboratoire de biologie spécialisée, unité de transfert en cancérologie clinique, CRLC Val-d’Aurelle-Paul-Lamarque, 34298 Montpellier cedex 05, France Disponible sur Internet le 22 novembre 2011
MOTS CLÉS Cancer du sein ; Métastases ; Modifications phénotypiques ; Thérapeutiques ciblées
KEYWORDS Breast cancer; Metastases; Phenotypic changes; Targeted therapies
夽 ∗
Résumé Le cancer du sein demeure un problème de santé publique. Bien que la curabilité de ce type tumoral soit en augmentation, notamment grâce aux progrès du dépistage et des traitements adjuvants, le cancer du sein métastatique reste une maladie incurable dans la majorité des cas. Les progrès thérapeutiques, tant du point de vue de la chimiothérapie que des thérapeutiques ciblées, ont certes augmenté la survie de ces patientes, mais avec une faible augmentation de la proportion de longues survivantes. L’une des putatives explications à ces situations d’échec relatif peut se situer dans l’instabilité phénotypique des cellules cancéreuses, processus initié lors de la progression tumorale en son site initial et se poursuivant lors du processus métastatique. Un faisceau croissant de données scientifiques plaide pour une réanalyse phénotypique des lésions métastatiques afin d’individualiser au mieux la prise en charge de ces patientes atteintes d’un cancer du sein métastatique. Cet article présente une analyse de la fréquence de ces modifications ainsi que de nouvelles modalités d’évaluation de ce statut phénotypique. © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS.
Summary Breast cancer remains a major public health problem. Even if there is an increase of this cancer curability, mainly related to the advances in screening and adjuvant therapies, metastatic breast cancer remains a lethal disease in the vast majority of cases. Therapeutic advances in the chemotherapy and targeted therapies fields induced an increase in survival, however the proportion of long survivors remains low. One of the putative hypotheses of these results can be in the phenotypic instability of cancer cells, an early process initiated during tumour progression, and metastatic stage of the disease. An increasing amount of scientific data are pledging for a reanalysis of the phenotypic profile of metastatic lesions in order to identify
Ce texte est déjà paru sous la référence Médecine Nucléaire 34 (2010) 52—57, doi:10.1016/j.mednuc.2009.11.009. Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (W. Jacot).
1776-9817/$ — see front matter © 2011 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.femme.2011.10.005
Cancer du sein métastatique : progrès dans la prise en charge et limites actuelles
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drugable targets and allow individualisation of the treatment of theses metastatic breast cancer patients. This article presents a comprehensive analysis of the frequency of theses phenotypic changes altogether with new modalities to evaluate this phenotypic status. © 2011 Published by Elsevier Masson SAS.
Introduction Le cancer du sein demeure un problème de santé publique. En France, en 2005, plus de 49 000 patientes ont été atteintes d’un cancer du sein et plus de 11 000 décès lui sont attribuables en 2006 [1]. On estime qu’au moins une femme sur dix sera atteinte par cette pathologie durant sa vie. Bien que la curabilité de ce type tumoral soit en augmentation, notamment grâce aux progrès du dépistage et des traitements adjuvants, le cancer du sein métastatique (CSM) reste une maladie incurable dans la majorité des cas. Quarante pour cent des décès prématurés féminins (avant 65 ans) lui sont attribuables. Même si les progrès de l’imagerie et la généralisation du dépistage ont permis de réduire le stade tumoral au diagnostic et donc améliorer le pronostic, ces deux paramètres étant intrinsèquement liés (Tableau 1), on estime qu’environ 30 % des patientes prises en charge pour un cancer du sein au stade localisé vont présenter une évolution métastatique. Cette revue va s’intéresser aux progrès récents de la prise en charge de cette pathologie, et va essayer d’appréhender, notamment du point de vue biologique, les raisons de l’efficacité limitée des traitements médicaux du CSM.
Prise en charge de la maladie métastatique La diffusion du cancer à distance du sein et des ganglions de drainage lymphatique direct impose une prise en charge systémique de la maladie cancéreuse. Les deux armes classiquement opposées à cette situation sont la chimiothérapie cytotoxique et l’hormonothérapie anticancéreuse. À cet arsenal se sont récemment ajoutées les thérapeutiques ciblées, aidées par une meilleure sélection des populations tumorales grâce aux progrès de la biologie moléculaire. Cependant, malgré toutes ces avancées, les résultats cliniques, certes encourageants, restent limités. Depuis la découverte des propriétés anticancéreuses des moutardes azotées durant la Seconde Guerre mondiale, la chimiothérapie anticancéreuse n’a cessé d’être optimisée, avec la découverte et l’introduction en clinique de nouvelles classes thérapeutiques, ainsi que les multiples possibilités d’associations thérapeutiques. Cependant, malgré les
Tableau 1 Fréquence et pronostic associés au stade tumoral : résultats de l’étude Eurocare 4 [2]. Stade tumoral
Fréquence (%)
Survie à cinq ans (%)
T1 N0 M0 T2-T3 N0 M0 T1-3 N+ M0 T4 Nx M0 M1
28,9 18,6 31,0 6,8 6,2
98 87 77 55 18
grandes avancées qu’elle a représentées au stade adjuvant, et ce dans toutes les situations clinicobiologiques [3], le bénéfice en termes de survie globale au stade métastatique reste modeste et les guérisons de patientes au stade métastatique anecdotiques. Par exemple, l’introduction des taxanes dans l’arsenal de première ligne thérapeutique des CSM hormono-indépendants ou résistants n’est pas associée dans une méta-analyse récente [4] à une amélioration de la survie globale, celle-ci restant aux alentours de 20 mois. Cela est d’autant plus décevant que l’introduction de ces mêmes taxanes a permis une amélioration significative du pronostic des patientes au stade adjuvant. L’autre axe classique, et même historique car décrit en 1896 par Sir Arthur Beatson [5], est représenté par l’hormonothérapie anticancéreuse. Environ 75 % des patientes vont présenter une tumeur exprimant des récepteurs aux estrogènes et/ou à la progestérone. L’existence de cette cible thérapeutique a permis le développement des premières « thérapeutiques ciblées » dans le cancer du sein, qu’il s’agisse de la castration, chirurgicale (Sir Arthur Beatson) [5] ou radique, ou de l’utilisation de molécules chimiques interagissant avec la voie des estrogènes (agonistes de la LH-RH, anti-estrogènes tels le tamoxifène ou le fulvestran, inhibiteurs de l’aromatase). Les inhibiteurs de l’aromatase ont démontré, lors de cette dernière décennie, leur supériorité sur le tamoxifène, tant en situation métastatique que dans des stades plus précoces de la maladie [3,6]. Cependant, ce bénéfice reste limité et une partie de celui-ci semble au moins autant imputable à des variations du métabolisme du tamoxifène qu’à une efficacité intrinsèquement supérieure des inhibiteurs de l’aromatase. Le champ d’investigation de la « métabolomique » trouve là tout son intérêt, avec notamment l’étude du polymorphisme du cytochrome 2D6 ou l’interférence de traitements concomitants comme certains antidépresseurs sérotoninergiques [7—9]. Une amélioration de cette prise en charge peutelle résulter d’une meilleure compréhension phénotypique et/ou génotypique du cancer du sein ?
Prise en charge du cancer du sein en fonction de son profil moléculaire La mise à disposition de la clinique et des unités d’interface clinicobiologique de la technologie dite des puces à ADN a permis, en analysant simultanément les degrés d’expression de plusieurs milliers de gènes, de décrire différents soustypes moléculaires de cancer du sein [10,11]. Ces différents groupes, pouvant être grossièrement approximés en pratique courante selon l’expression des récepteurs hormonaux et de l’antigène HER-2, se définissent schématiquement comme suit : luminal A (RE+ et/ou RP+, HER-2−), luminal B (RE+ et/ou RP+, HER-2+) et luminal C, normal-like, ERBB2 positifs et basal-like (regroupant une majorité des tumeurs dites triple-négatives soit RE−, RP−, HER-2−) [12]. Ces sous-groupes présentent effectivement un pronostic
150 différent, avec un pronostic plus péjoratif des groupes basallike et ERBB2 positifs (ainsi que du groupe des luminals C selon les séries). Cependant, il est essentiel de considérer les conditions de création de ces groupes de tumeurs. Elles restent basées sur des études analysant une population de patientes atteintes de cancers du sein prises en charge avant l’introduction du trastuzumab en situation adjuvante, pouvant de ce fait expliquer le pronostic de la population ERBB2 positive, la surexpression d’HER-2 dans cette population étant à la fois un facteur pronostique, mais aussi un facteur prédictif depuis l’introduction en clinique du trastuzumab. En d’autre terme, cette classification en sous-types moléculaires dégage des familles de tumeurs pour lesquelles une prise en charge différentielle doit actuellement être appliquée en pratique clinique, après détermination anatomopathologique du statut des trois marqueurs moléculaires prédictifs et pronostiques que sont le RE, le RP et HER-2. On ne peut en l’état attendre d’avancées considérables, hormis la découverte, au sein d’un de ces sous-groupes, d’une cible différentiellement exprimée qui permettrait le développement d’une thérapeutique ciblée. D’intenses efforts se poursuivent en ce sens.
Thérapeutiques ciblées C’est ainsi, sur les bases d’études démontrant la valeur pronostique de l’expression de l’antigène HER-2, qu’a débuté le développement du trastuzumab en oncologie mammaire. HER-2, aussi appelée HER-2/neu ou c-erbB-2, est une glycoprotéine transmembranaire de 185 kDa, présentant de grandes homologies avec l’EGFR [13] impliquée dans les mécanismes de communication intercellulaire, selon un mécanisme de transduction du signal, son activité tyrosine kinase permettant l’activation par phosphorylation de différentes protéines intracellulaires impliquées dans des voies de signalisation induisant un phénotype tumoral (prolifération, mécanismes de survie, mobilité et modification des mécanismes d’adhésion). Dès 1987, un fort taux d’expression cellulaire d’HER-2 a été incriminé dans la physiopathologie de nombreux cancers humains, dont les adénocarcinomes mammaires [14], et une amplification génique ou une hyperexpression tissulaire d’HER-2 en immunohistochimie (IHC) est détectée dans 10 à 34 % des adénocarcinomes mammaires invasifs [15]. Cette hyperexpression est associée à un phénotype cellulaire agressif, une plus grande proportion de tumeurs négatives pour les récepteurs aux estrogènes et à la progestérone ainsi qu’en clinique à un pronostic péjoratif [16]. Le trastuzumab, une immunoglobuline G1 monoclonale murine humanisée, a été créé afin de cibler spécifiquement la portion extracellulaire de HER-2 [17]. Son utilisation aux stades précoces de la maladie a permis une amélioration considérable du pronostic de la population des patientes atteintes d’une tumeur HER-2 surexprimée [18], permettant une réduction d’environ 50 % du risque de récidive et de décès. Cependant, au stade métastatique même s’il a permis une amélioration des paramètres de survie et la réversion du classique mauvais pronostic de cette population [19], lui redonnant un pronostic globalement identique à celui d’une population HER-2 non surexprimée, les guérisons restent rares et la récidive la règle. L’introduction en seconde ligne métastatique du lapatinib, inhibant la fonction tyrosine kinase de l’EGFR et d’HER-2, a de même permis une amélioration de la survie sans progression, mais n’a pas permis de modification de la survie globale [20]. Une piste
W. Jacot et al. alors suivie fût de postuler que, « l’anomalie HER-2 » étant d’une importance cruciale pour ce sous-type de cancer du sein, le ciblage à la fois de la portion extracellulaire et de la portion intracellulaire d’HER-2 devrait permettre de rattraper les résistances au ciblage de l’une ou l’autre de ces portions de la protéine. Ce double ciblage permet, certes, une amélioration des paramètres de survie par rapport au seul lapatinib dans une étude de phase III [21], cependant le bénéfice là aussi reste modeste. Toujours dans le domaine des thérapeutiques ciblées, mais cette fois-ci dans le sous-type des cancers dits « triplenégatifs » et ne pouvant donc pas être ciblés par une hormonothérapie ou un traitement par trastuzumab, la découverte d’une forte proportion de ces tumeurs chez les patientes présentant une mutation des gènes de prédisposition BRCA1 ou BRCA2 a permis le développement de nouvelles voies thérapeutiques. Dans ces cancers, se développant chez des patients ayant une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2, existe une anomalie constitutionnelle de la réparation de l’ADN. Le ciblage d’un agent bloquant la réparation des dommages de l’ADN serait donc théoriquement à même d’être plus efficace chez ces patientes. C’est ainsi qu’ont été développés des inhibiteurs des poly (ADP-riboses) polymérases (PARP). Ces PARP sont des enzymes impliqués dans la réparation de l’ADN et, en particulier, des cassures simple brin. Lors d’une cassure simple brin de l’ADN, la cellule mobilise un complexe enzymatique qui soit réparera le dommage en utilisant la réparation par excision de base ou la recombinaison homologue, soit dans le cas contraire entraînera la mort cellulaire. En cas d’utilisation d’inhibiteurs de PARP dans des tumeurs déficientes en activité BRCA, l’accumulation des cassures simple brin aboutit à des cassures double brin qui vont bloquer la fourche de réplication et entraîner la mort des cellules cancéreuses par synergie létale. Les tumeurs du sein observées chez les patientes porteuses de mutation BRCA sont souvent de phénotype triple-négatif. De plus, il est fréquemment constaté des anomalies fonctionnelles des gènes BRCA dans les tumeurs triple-négatives sporadiques. L’idée était donc d’associer une chimiothérapie induisant des dommages/cassures au niveau de l’ADN et une inhibition de PARP chez des patientes atteintes de tumeurs triple-négatives ou BRCA mutées. Une étude rapportée lors du dernier congrès annuel de l’ASCO apporte des résultats préliminaires très encourageants de ce genre d’associations thérapeutiques [22]. Le ciblage d’une anomalie moléculaire détectée au stade précoce de la maladie, ou sur la biopsie d’une zone métastatique, ne permet donc visiblement pas une efficacité totale du traitement ciblé, qu’il s’agisse des récepteurs hormonaux ou de l’antigène HER-2. On s’est alors intéressé au ciblage du microenvironnement tumoral, et plus particulièrement à la néoangiogenèse tumorale. L’angiogenèse est un mécanisme clé dans la croissance tumorale et la progression métastatique [23]. Parmi les facteurs proangiogèniques, le vascular endothelial growth factor (VEGF) est probablement la molécule la plus cruciale, notamment vis-à-vis de la multiplication des cellules endothéliales. Beaucoup d’inhibiteurs de l’angiogenèse ont été développés ces dernières années dans le but de bloquer l’approvisionnement sanguin des tumeurs comme nouvelle stratégie anticancéreuse. Le bévacizumab a été le premier agent antiangiogénique ayant obtenu l’agrément d’utilisation en pathologie humaine. Il s’agit d’un anticorps monoclonal humanisé anti-VEGF (IgG1), se liant et neutralisant toutes les isoformes humaines de VEGF-A et fragments protéolytiques bioactifs. En bloquant la liaison du VEGF-A à ses récepteurs Flt-1 (VEGFR-1)
Cancer du sein métastatique : progrès dans la prise en charge et limites actuelles et KDR (VEGFR-2) situés sur la surface endothéliale, il bloque l’activation des récepteurs et la formation de nouveaux vaisseaux [24,25]. Deux études de phase III randomisées ont démontré l’efficacité de l’ajout du bévacizumab à une chimiothérapie de première ligne métastatique [26,27], le gain en survie globale se révèle non significatif et le bénéfice de l’adjonction du bévacizumab en seconde ligne métastatique n’a pu être démontré à ce jour [28]. Comment donc expliquer ces résultats démontrant certes une efficacité de ces différents traitements, mais un impact nettement moindre des thérapeutiques médicales en situation métastatique comparativement à leurs résultats en situation adjuvante ? Une possible hypothèse peut être avancée par l’étude de la biologie tumorale et par les bases du processus métastatique.
Maladie métastatique, diversification phénotypique et implications thérapeutiques Se peut-il que l’origine des difficultés exacerbées lors de la prise en charge des tumeurs au stade métastatique puisse être expliquée par les bases mêmes du processus métastatique ? Cette évolution métastatique est la résultante ultime d’un processus multiétapes qui a conduit une cellule normale à une cellule cancéreuse, puis qui a gouverné la multiplication et l’invasion de ce néotissu au sein du tissu d’origine avant d’en permettre l’échappement et le développement à distance [29]. Or la tumeur primaire se compose d’un ensemble hétérogène de cellules aux altérations génétiques multiples [30], pouvant expliquer la spécificité métastatique pour tel ou tel tissu d’un type tumoral donné, mais aussi pouvant laisser envisager que les caractéristiques génotypiques et phénotypiques des lésions métastatiques soient différentes de celles de la tumeur primitive et même différentes d’une métastase à l’autre. Cette théorie a longtemps été considérée comme de faible relevance clinique, cependant avec l’apparition des thérapeutiques ciblées, il existe un certain regain d’intérêt à la recherche de telles divergences. Ont principalement été analysées les discordances d’expression entre la tumeur primitive et les métastases ganglionnaire et/ou à distance en ce qui concerne les trois cibles classiques du cancer du sein, les récepteurs hormonaux et l’antigène HER-2. Les données les plus anciennes concernent bien entendu les dosages des récepteurs hormonaux. En 1983, Holdaway et Bowditch rapportent, sur une série de 28 patientes, des variations dans les taux des récepteurs aux estrogènes et à la progestérone entre les tumeurs primitives et leurs métastases. Une concordance n’était retrouvée que dans 46 % des cas [31]. Cette étude reste critiquable car elle mélange les récidives métastatiques et des cancers controlatéraux pour certaines patientes. Cependant, ce genre de variations est à nouveau intensivement décrit ces dernières années. Par exemple, dans l’étude de Simmons et al. [32], 40 % des patientes présentaient un changement dans le statut de leurs récepteurs hormonaux (et 8 % au niveau d’HER-2) entre la tumeur primitive et la biopsie d’une cible métastatique, conduisant dans 20 % des cas à une modification de la stratégie thérapeutique. La question à se poser devient alors : « s’il existe une hétérogénéité de l’expression des récepteurs hormonaux au sein des métastases en plus de celle existant entre la tumeur primitive et les lésions métastatiques, est-il envisageable et nécessaire de biopsier les différentes
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lésions avant de décider d’une stratégie thérapeutique ? » La réponse est évidemment non. De nombreuses lésions ne sont pas accessibles à une biopsie ou posent des problèmes de risques iatrogènes. De plus, en cas de métastases diffuses, l’idée de réaliser des dizaines de biopsies n’est pas recevable. Existe-t-il une alternative ? Les données concernant la tomographie par émission de positons (TEP) utilisant le 18F-16␣-17-fluorœstradiol (FES) plaident en ce sens. Cette méthode va cibler les RE de manière non invasive et pourrait donc permettre de déterminer in vivo l’expression des ER sur l’ensemble des sites tumoraux. Le FES présente les mêmes caractéristiques que l’œstradiol biologique pour le RE et le transport protéique (sex hormone binding globulin [SHBG]). De plus, il a été montré une excellente corrélation entre la fixation du FES au niveau des sites tumoraux (primitif et métastases) et l’expression des RE au niveau des différents prélèvements [33]. Plusieurs équipes ont évalué l’hétérogénéité d’expression des ER en utilisant le FES. Par exemple, Mortimer et al. ont démontré que quatre des 17 (24 %) patients présentaient des différences d’expression des RE entre les différents sites métastatiques [34]. Dans l’étude de Linden et al., sur 47 patientes métastatiques initialement considérées comme RE positives, six (13 %) présentaient au moins un site négatif au FES [35]. La négativité au FES était significativement associée à l’absence de réponse à une hormonothérapie. Il pourrait donc s’agir d’une méthode non invasive d’évaluation du statut RE des métastases des cancers du sein, avec possibilité d’optimiser le choix d’une thérapeutique selon ses probabilités ou non de réponse à l’hormonothérapie. En ce qui concerne les variations du statut HER-2, en plus des données de Simmons et al. [32], dès 2001, Simon et al. rapportaient d’importantes discordances entre le statut HER-2 de la tumeur, de ses métastases ganglionnaires et des métastases à distance dans un tissue micro-array (TMA) de 392 patientes (196 tumeurs sans atteinte ganglionnaire, 196 patientes avec atteinte ganglionnaire) [36]. De même, Santinelli et al. rapportent dans une série prospective de 119 patientes des discordances (avec implications cliniques) dans le statut HER-2 dans 6,5 % des cas entre la tumeur primitive et les adénopathies axillaires synchrones, dans 13,3 % en cas de récidives locales et 28,6 % des cas de récidives métastatiques métachrones [37]. Dans l’étude de Regitnig et al., dans une série de 31 cancers du sein, 15 cas présentaient une modification du statut immunohistochimique d’HER-2, avec pour trois de ces cas un passage d’un score 0 à un score 3+ conduisant donc à une modification thérapeutique [38]. Dans l’étude de Zidan et al., sur une série de 48 cas, 14 % des patientes voyaient leur statut HER-2 changer entre la tumeur primitive et les métastases [39]. Il est important de noter que dans la majorité des cas rapportés comme discordants dans ces séries, les changements s’effectuaient dans le sens du gain de la surexpression d’HER-2 et que la perte de surexpression reste un élément nettement plus rarement rapporté. Ici aussi, existe-t-il un moyen simple, non ou peu invasif, de déterminer le statut HER-2 d’une maladie métastatique ? Une équipe rapporte l’utilisation du taux circulant de la portion extramembranaire d’HER-2, associée à la détermination du statut HER-2 des cellules tumorales circulantes [40]. Ces données restent très préliminaires et nécessitent des études dédiées de confirmation. Au sujet de ces deux thématiques (détermination du taux d’HER-2 circulant et intérêt des cellules tumorales circulantes), il est conseillé au lecteur de se reporter à l’exposé de Tse dans cette même revue [41].
152 Ces discordances doivent-elles nous surprendre ? Rappelons-nous qu’une lésion métastatique est considérée comme issue d’une seule cellule originelle de la tumeur primitive et ayant réussi à survivre dans le milieu sanguin, puis à se déposer dans un organe distant pour développer une métastase. Considérant les seuils actuellement retenus pour conclure à l’hormonodépendance d’une tumeur (généralement à partir de 10 % des cellules examinées présentant une faible positivité pour le récepteur hormonal concerné) ou à un statut HER-2 3+ (au moins 30 % des cellules présentant un marquage membranaire complet), il n’est pas surprenant de se dire que jusqu’à 90 % (dans le cas des récepteurs hormonaux) et 70 % (dans le cas d’HER-2) des cellules à potentiel métastatique peuvent présenter un phénotype discordant avec la tumeur primitive. La démonstration d’une meilleure viabilité et nidification d’une cellule tumorale circulante en fonction de son statut RE, RP et HER-2 n’a en revanche pas été clairement explorée, ne permettant pas d’avancer une hypothèse d’avantage lié à ces expressions. Ces seuils, justement retenus pour déterminer le pouvoir prédictif de la réponse à une hormonothérapie ou à un traitement ciblant HER-2, ne peuvent en aucun cas préjuger avec certitude du statut des métastases, synchrones et encore moins ultérieures. Une évaluation, au moins partielle de ces statuts de cibles thérapeutiques, doit donc être systématiquement envisagée, les implications thérapeutiques pouvant se révéler majeures dans cette population au pronostic vital engagé.
Conclusion Le cancer du sein demeure donc un problème de santé publique. La poursuite des efforts en termes de dépistage et de traitements adjuvants ne doit pas faire négliger la prise en charge des patientes au stade avancé de la maladie. La démonstration de plus en plus étoffée de l’instabilité phénotypique des différentes lésions métastatiques plaide pour, dans la mesure du possible et du raisonnable, une nouvelle analyse phénotypique des lésions métastatiques afin d’individualiser au mieux la prise en charge de ces patientes atteintes d’un CSM. Cette remise en question des différentes cibles thérapeutiques devrait permettre une prise en charge optimale de ces patientes.
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