Choc anaphylactique au pancuronium et au vécuronium

Choc anaphylactique au pancuronium et au vécuronium

CAS CLINIQUE © Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. Rdanim., 4: 241-243, 1985. Choc anaphylactique au pancuronium et au vecuronium Anaphylactoid reaction...

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CAS CLINIQUE

© Masson, Paris. Ann. Fr. Anesth. Rdanim., 4: 241-243, 1985.

Choc anaphylactique au pancuronium et au vecuronium Anaphylactoid reactions to pancuronium and vecuronium C. CONIL, J.L. BORNET, M. JEAN-NOEL, J.M. CONIL, A. BROUCHET Service de Chirurgie G6n6rale et Digestive, CHU Toulouse-Rangueil, Chemin du Vallon F31054 Toulouse C6dex

RleSUMI~: Les auteurs ra'pportent le cas d'un choc anaphylactique au vdcuronium chez une patiente ayant d6j~t pr6sent6 le m~me type d'accident au cours d'une anesth6sie ayant comport6 l'utilisation du pancuronium. AprSs avoir discut6 le tableau clinique, ils insistent sur la ndcessit6 d'une exploration immuno-allergologique correctement mende, le manque d'efficacit6, dans certains cas, de la pr6paration anti-histaminique m6me bien conduite et sur l'existence d'allergies crois6es entre les myorelaxants. Un choc anaphylactique peut ~tre observ6 lors de la premiSre utilisation d'une mol6cule, l'organisme ayant 6t6 antdrieurement sensibilis6 d'autres myorelaxants. Cette observation est le premier cas clinique d6crit de choc anaphylactique au bromure de v6curonium.

ABSTRACT : A case is reported of anaphylactic shock due to

Lors des accidents anaphylactoides graves peranesth6siques, la responsabilit6 des myorelaxants est tr~s souvent mise en cause, principalement s u x a m 6 t h o n i u m , a l c u r o n i u m et gallamine, tr6s rarement p a n c u r o n i u m [5, 6, 7]. Quant au v6curonium, c o m m e r c i a l i s 6 en France depuis avril 1984, il n ' a j u s q u ' h ce jour, j a m a i s entrain6 de choc anaphylactique. I1 n ' e s t pas histaminolib6rateur [2]. Cependant son potentiel allergisant a 6t6 6voqu6 r 6 c e m m e n t [11]. Si les diff6rents aspects cliniques du choc anaphylactoide et les mesures th6rapeutiques paraissent bien codifi6es, l ' e x p l o r a t i o n i m m u n o - a l l e r g o l o g i q u e doit ~tre scrupuleusement men6e [10] p o u r diagnostiquer l ' a g e n t causal, surtout lorsqu'il existe une allergie crois6e entre les myorelaxants. Enfin, la pr6m6dication antihistaminique n ' a p p o r t e pas n6cessairement la protection escompt6e. L ' o b s e r v a t i o n que nous rapportons ici illustre ces faits.

ans auparavant, cette femme avait d6jtt b6n6fici6 d'une anesth6sie g6n6rale pour incision d'un abc~s de la main. L'anesth6sie s'6tait d6roul6e sans probl6me; le protocole n'a pas 6t6 retrouv6. L'examen pr6anesth6sique actuel met en 6vidence des signes caract6ris6s de spasmophilie. I1 n'y a aucun terrain atopique ni allergique. Une hypokali6mie est constat6e ta 2,9 mmol-1 -I, corrigEe par une perfusion de chlorure de potassium. Une heure avant l'intervention, la patiente revolt, par voie intramusculaire, 100 mg d'hydroxyzine et 0,5 mg d'atropine. L'induction anesth6sique est rEalis6e avec 0,25 mg de fentanyl, t0 mg de diazdpam, 50 mg de iodure de suxam6thonium. Une intubation orotrach6ale est rEalis6e; aucune modification h6modynamique n'est observ6e. Devant l'apparition, dans des d61ais normaux, des signes de d6curarisation, 5 mg de bromure de pancuronium sont inject6s; peu apr6s survient une tachycardie sinusale associ6e ~ un collapsus, 6voluant vers un tableau d'inefficacit6 circulatoire avec troubles du rythme majeurs. La r6animation circulatoire est imm6diatement entreprise, associant un remplissage vasculaire avec des solutions cristalloides et du m6taraminol. Mais la pression art6rielle reste imprenable et survient une r6action urticarienne g6n6ralis6e. On injecte 0,25 mg d'adr6naline i.v. : l'6volution se fait vers une tachycardie ventriculaire, puis un arr~t cardiocirculatoire. On entreprend massage cardiaque externe, ventilation m6canique en oxyg~ne pur, remplissage vasculaire, alcalinisation. Une activit6 cardiaque sous forme d'un rythme nodal r6apparait apr~s trois chocs 61ectriques externes. L'fvolution est progressivement favorable alors que la thErapeutique des sympt6mes est poursuivie. I1 n'y a pas de

OBSERVATION Mme X., gtg6e de 41 ans, est hospitalis6e dans le service de Chirurgie Digestive en juillet 1983 pour chol6cystectomie. Vingt

Re~u le 10 aoOt 1984; accept6 sous forme rEvis6e le 2 janvier 1984.

vecuronium occurring in a patient who had already had such a shock, due then to pancuronium, during a previous general anaesthesia. The need for a full immuno-allergological investigation, the occasional efficiency of the anti-histamine premedication, and crossed allergies between muscle relaxants are stressed. It is noted that an anaphylactic shock can be seen on first using a new molecule, as the patient can have been sensitized to it by other muscle relaxants. This case was the first to be described of an anaphylactic shock due to vecuronium bromide.

Tirds ~ part : J.L. Bornet.

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C. CONIL ET COLL.

s6quelle neurologique. L'mtervention chirurglcale est 6videmment report6e. Six semaines plus tard, la patiente est soumlse h une exploration immuno-allergique, comprenant des test cutan6s par intradermor6action h 10-5 et des tests in vitro (TTL et TDBH) vis-h-vis du pancuronium, du fentanyl et du suxam6thonium. Tousles rEsultats sont n6gatifs. La cause de l'accident peranesth6sique n'est pas attribu6e aux drogues anesthEsiques. Cinq mois plus tard, Mine X. revient dans le service pour cholEcystectomie. Une preparation antihistamlnique est instituEe, comoortant pendant trois jours la triple association hydroxyzine (lOOmg .j-~), tritoqualine (900mg .j-l) et acide epsilon aminocapro'ique (24 g • j-~), et 45 min avant l'induction anesthEsique : cimEtidine (200 rag) et hydroxyzine (100 rag) par voie intramusculaire. Sont 61imin6es, par principe, toutes les substances anesth6siques utilisEes prEcEdemmentet sont choisies celles r6put6es non histaminolib6ratrices. Apr~s l'injection de 0,5 mg de flunitraz6pam et de 1,5 mg d'alfentanil, l'induction se poursuit par l'administration d'enflurane jusqu'h l'obtention de la perte de conscience. L'intubation orotrach6ale est r6alis6e apr6s l'injection de 4 mg de bromure de v6curonium. Survient alors un bronchospasme, qui c~de rapidement, puis des troubles du rythme: tachycardie sinusale assoeiEe h des signes de souffrance myocardique h type de courant de lesion puis collapsus, urticaire g6ante puis bradycardie. 0,25 mg d'adrEnaline sont imm6diatement inject6s. La situation se normalise tr6s rapidement et il est dEcidE de reporter l'intervention. Une nouvelle exploration est alors r6alis6e en deux temps; immEdiatement apr~s l'aecident, est effectu6 un compte des basophiles, qui est nul; six semaines plus tard, TDBH et IDR sont pratiqu6s pour toutes les substances utilis6es. Ces tests mettent en 6vidence une allergie ~t anticorps r6aginique au bromure de pancuronium, au vEcuronium et ~t la gallarnine (tableau I). En conclusion il s'agit d'une anaphylaxie croisEe aux myorelaxants, r6v616epar un choc grave apr~s injection de pancuronium et de v6curoniurn.

Tableau I. - - Bilan immunologique

Pancuronium V6curonium Gallamine Atracurium Suxam6thonium Bupivacaine Fentanyl Alfentanil Diaz6pam

IDR

TDBH

Positif (10-3) Positif (10-3) Positif (10-5) N6gatif NEgatif NEgatif N6gatif N6gatif NEgatif

N6gatif N6gatif N6gatif N6gatif N6gatif NEgatif NEgatif NEgatif Douteux 35 %

IDR: intradermor6action; TDBH: test de d6granulation des basophiles humains.

DISCUSSION

Ce cas repr6sente le premier accident anaphylactique d6crit lors de l'utilisation de v6curonium, curarisant r6put6 non histaminolib6rateur [2]. Le choc s'est produit chez une patiente n'ayant jamais 6t6 en contact avec le v6curonium. Le tableau clinique a 6t6 d'embl6e dramatique : le collapsus cardiocirculatoire inaugural se corn-

plique tr~s rapidement de troubles du rythme majeurs, puis d'arr~t cardiocirculatoire. Ces ph6nom~nes sont retrouv6s sur un organisme hautement sensibilis6 et permettent d'6voquer une anaphylaxie cardiaque. Le coeur a 6t6 l'organe-cible de la r6action antig~neanticorps [13]. Les manifestations cutan6o-muqueuses, pr6cieuses pour orienter le diagnostic et la th6rapeutique, ne sont apparues que 10 min apr6s l'injection de l'agent causal et ont persist6 3 h 4 h. Cela peut &re expliqu6 par le fait que dans les formes graves la lib6ration d'histamine se fair massivement ~ partir des basophiles et non des mastocytes cutan6s, induisant le collapsus inaugural. Ce n'est que secondairement qu'apparaissent les signes cutan6s lorsque, apr6s r6cup6ration d'une tension art6rielle sensible, la peau est nouveau perfus6e. L'adr6naline s'est confirm6e ~tre le traitement du choc, en association avec le remplissage vasculaire. L'enqu&e anamnestique avait mis en 6vidence une spasmophilie. Cette affection conf~re une hyperr6activit6 ~ l'histamine et se retrouve tr~s souvent chez les sujets ayant pr6sent6 un accident anaphylactoide [7]. Par ailleurs, la femme jeune semble plus expos6e h cet accident, ce qui correspond bien ~ notre observation. Le choc anaphylactoide a 6t6 d6clench6 la premi6re fois apr6s l'administration de pancuronium. Le bilan immuno-allergologique pratiqu6 darts les d61ais conseil16s (six semaines) s'6tant r6v616 n6gatif avec les substances utilis6es, le diagnostic d'histaminolib6ration non sp6cifique avait alors 6t6 envisag6. La deuxi6me anesth6sie a donc 6t6 r6alis6e avec des substances r6put6es non histaminolib6ratrices, n'ayant de pr6f6rence jamais 6t6 administr6es h la patiente, et pr6c6d6es d'une pr6m6dication antihistaminique importante. Malgr6 toutes ces pr6cautions, un choc grave s'est reproduit lors de l'injection du v6curonium. Le bilan immuno-allergologique a confirm6 l'allergie au v6curonium, associ6e ~ une allergie au pancuronium et h la gallamine. Etant donn6 la r6cente commercialisation du v6curonium, on peut affirmer que la patiente n'avait jamais re~u ce myorelaxant. I1 s'agit doric d'une allergie crois6e entre ces trois myorelaxants. Peut-6tre y a-t-il eu administration de gallamine lors de la premiere anesth6sie ? Cela est peu probable pour un abc6s du doigt. Mfime en l'absence de contact ant6rieur avec un curarisant, des cas d'allergie vraie h ces produits ont 6t6 d6crits [3, 7, 12]. 11 est possible que la sensibilisation se produise h partir des radicaux ammonium quaternaire pr6sents darts de nombreuses autres substances que les curarisants [1]. Le deuxi6me choc aurait vraisemblablement pu ~tre 6vit6 si, lors du premier bilan pratiqu6 six semaines apr~s l'accident, les tests avaient 6t6 mieux adapt6s. La dilution ~ 10 -5 s'est r6v616e incontestablement trop faible. En effet, FISHER conseille 10 -3 pour tous les myorelaxants (sauf 10 - s pour la d-tubocurarine) [4]. De plus, il aurait fallu tester l'ensemble des myorelaxants

ANAPHYLAXlE AU PANCURONIUM ET AU VI~CURONIUM

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utilisables en anesth6sie. L'utilit6 du TTL est fort discutable; non adapt6 au diagnostic de l'allergie m6dicamenteuse, il n'est pas n6cessaire de le r6aliser. Quant au TDBH, il a toujours 6t6 n6gatif. Le deuxi6me bilan a 6t6 mieux adapt6 et plusieurs dilutions ont 6t6 test6es, confirmant la pr6sence d'anticorps de type r6aginique au pancuronium, au v6curonium, et h la gallamine. I1 est dommage que l'alcuronium n'ait pas 6t6 test6 car il s'agit d ' u n curarisant pour lequel des anticorps sont souvent rencontr6s en cas d'anaphylaxie ~t la gallamine

absolue, lors d'un accident de ce type, de proc6der ~t une enqu~te immuno-allergologique vis-a-vis de t o u s l e s myorelaxants. Une allergie crois6e aux myorelaxants commande l'6radication ddfinitive de ces substances dans les protocoles d'anesth6sie car il n'existe actuellement aucune pr6mddication efficace du choc anaphylactique vrai.

[81.

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On doit contre-indiquer formellement chez cette patiente l'utilisation ult6rieure de curarisants. Le bloc moteur induit par l'anesth6sie p6ridurale ou rachidienne repr6sente une alternative ~t retenir. Depuis cette patiente a subi une hyst6rectomie pour placenta accreta grace une anesth6sie p6ridurale ~ la bupivacaine. L'anesth6sie et l'intervention se sont d6roul6es sans probl~me. A la lumi~re de cette observation, il est 6vident que si les associations antihistaminiques propos6es [7] peuvent, sinon suffire, du moins diminuer l'intensit6 des ph6nomSnes d'histaminolib6ration non sp6cifique, en aucun cas elles ne mettent h l'abri de l'accident anaphylactique vrai, comme l'illustre cette observation. I1 semble en effet, ~ la suite d'6tudes exp6rimentales r6alis6es par LORENZ et coll. [9] chez le chien, que jusqu'~/ un certain seuil la pr6m6dication antihistaminique abolisse ou diminue de faqon importante la r6ponse ~t l'histamine; dans les cas oil l'histaminolib6ration est tr6s importante, les doses d'antagonistes sont incapables de prot6ger des effets de la substance. Par ailleurs, d'autres m6diateurs chimiques : prostaglandines E et F2, facteur d'agr6gation plaquettaire (PAF), << slowreacting substance of anaphylaxis >> (SRS-A), etc., sont aussi lib6r6s dans l'anaphylaxie cardiaque et leur action p6riph6rique n'est pas bloqu6e par l'association m6dicamenteuse antihistaminique.

CONCLUSION

Cette observation met en 6vidence la r6alit6 d ' a c c i d e n t anaphylactique avec des mol6cules r6put6es non allergisantes et l'existence d'allergie crois6e entre diff6rentes mol6cules myorelaxantes. Cela confirme la n6cessit6

BIBLIOGRAPHIE