Commentaire sur l’article de fond Hy Eliasoph M.A., et le présidentdirecteur général du RLISS central, une région englobant le centre-nord de Toronto, la région de York et les rives du lac Simcoe et comptant plus de 1,5 million d’habitants. Le RLISS central, tout comme les 14 RLISS de l’Ontario, est responsable de planifier, de coordonner et de financer les services de santé de plus de 130 organisations de soins de santé.
par Hy Eliasoph
Lorsque je suis parti de l’Alberta pour m’installer en Ontario il y a une quinzaine d’années, dans le cadre de mon orientation personnelle, j’ai demandé conseil à d’autres leaders de la santé qui avaient fait la même transition. Un thème commun a émergé, et je paraphrase : « Lorsque nous avons déménagé de l’Alberta en Ontario, nous pensions que tout serait plus compliqué, plus difficile, plus alambiqué, etc. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est à quel point ce le serait. » Eh bien, nous avons désormais notre réponse. D’après Steve Elson, c’est environ 50 % plus complexe. Il semble que l’Ontario pense avoir besoin de trois échelons pour gérer son système de santé, tandis que les autres provinces n’en ont besoin que de deux. En fait, l’Alberta, avec sa dernière recentralisation, pourrait en avoir besoin de moins. En fait, il s’est passé beaucoup de choses depuis 15 ans, comme monsieur Elson l’a judicieusement évoqué avec sa description des fluctuations de la régionalisation et de la recentralisation au Canada et des nombreux facteurs sous-jacents observés au Canada et dans d’autres pays. Il est peut-être surprenant de constater que l’Ontario, dernier venu dans la bagarre, a récemment suivi le reste du pays sur la voie de la régionalisation (décentralisation) pour bon nombre des mêmes raisons pratiques et politiques invoquées par monsieur Elson. D’un point de vue macrographique, l’Ontario, en mettant sur pied des réseaux locaux d’intégration des services de santé (RLISS), a procédé à des modifications structurelles et non à des changements de gouvernance. D’où l’échelon supplémentaire. Ce système à trois échelons peut-il fonctionner avec efficacité, s’acquitter du mandat et des attentes du gouvernement, fléchir ou du moins gérer la courbe des coûts, assurer une planification du système, prodiguer des services plus intégrés et faire participer le public et les collectivités aux décisions locales ? Monsieur Elson se montre clairement sceptique envers ces questions et d’autres encore. Comme il le souligne : « Les RLISS sont appelés à manœuvrer avec grande circonspection entre deux programmes jumelés mais concurrents », soit « faire preuve de responsabilité financière » et « favoriser la collaboration interorganisationnelle et l’intégration de l’ensemble des services. » Selon monsieur Elson, le respect de ce dernier programme est compliqué par le facteur suivant : « En raison de la multitude et de la diversité des organisations qui rendent compte de manière autonome aux RLISS... les organisations sont trop nombreuses pour qu’il soit possible d’entreprendre une intégration cohérente et gérable de l’exploitation ou des services. » De plus, comme en convient monsieur Elson, la tension dynamique entre ces deux intérêts concurrents sera presque toujours contrecarrée par l’importance accordée à la responsabilité financière. C’est encore plus prononcé aux antipodes, mais on le constate également sur la scène internationale. Monsieur Elson soutient que ce phénomène démontre pourquoi la relation entre les RLISS et les hôpitaux n’a pas évolué beaucoup plus loin que le rapport classique entre le ministère et les hôpitaux, centré sur les négociations et les approbations budgétaires. Comme monsieur Elson et d’autres l’ont affirmé, on n’a pas encore validé que la régionalisation a permis de parvenir à l’intégration ou à de meilleurs résultats de santé. Il a raison de souligner que « sur la scène locale ou régionale, la régionalisation structurelle peut être perçue comme une condition nécessaire mais insuffisante pour tenir la promesse de l’intégration des serHealthcare Management FORUM Gestion des soins de santé – Spring/Printemps 2009
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vices de santé dans l’ensemble du système. » L’ingrédient différenciateur, tel qu’il l’indique, est le leadership local. En effet, il y a des exemples remarquables de régies régionales de la santé (RRS) à haut rendement et d’autres qui ont éprouvé des difficultés. Ce paradigme, celui de la variabilité, crée un paradoxe ou un conflit fondamental pour le gouvernement comme gardien du bien ou de l’intérêt public, y compris les principes d’égalité, d’équité, de cohérence et de normalisation. Si certaines RRS (ou certains RLISS) obtiennent de bons ou d’excellents résultats, le gouvernement tente-t-il de « renforcer » ou de punir les autres ? Récompense-t-il ceux qui ont un bon rendement et, si c’est le cas, comment le fait-il pour ne pas violer les principes inhérents au service du bien public ? La grande question qui émerge de tout cela, c’est la mesure selon laquelle le gouvernement peut tolérer la variabilité locale ou régionale, un résultat presque inévitable de la décentralisation, Si la réussite dépend en partie du leadership local, quelle latitude peut-on donner aux RLISS ou aux RRS pour favoriser et aménager le leadership local sans aboutir à des variabilités de rendement supérieures aux limites de tolérance du gouvernement ? Ce phénomène explique peut-être bien le dilemme ultime qu’affronte le gouvernement : il ne peut pas exploiter le système avec efficacité selon le modèle de la centralisation. Comme l’a affirmé l’ancien ministre de la Santé et des Soins de longue durée de l’Ontario, George Smitherman : « On ne peut diriger un commerce de 34 milliards de dollars à partir de son siège social. » Pourtant, les écueils et l’évolution intrinsèque de la régionalisation vont à l’encontre des principes sociétaux plus vastes qu’adopte le gouvernement. Alors, que peut faire le gouvernement ? Eh bien, après avoir flirté avec quelques versions de la régionalisation, l’Alberta pense maintenant connaître la réponse : la recentralisation, un retour à la case départ, adjoint d’un « astérisque ». La réponse, semble-t-il, est la centralisation « sans lien de dépendance » du gouvernement, assaisonnée d’une représentation locale ou régionale. Est-ce que ça va fonctionner ? Le temps nous le dira. Ce qui est plus révélateur, c’est que, quel que soit le système de santé ou le pays, tous les gouvernements continuent de chercher le bon équilibre, tout insaisissable soit-il. Peutêtre judicieusement, monsieur Elson postule : « il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle. Une dépendance mutuelle lie ces deux extrêmes (la régionalisation et la centralisation) et en
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fait la pierre angulaire des systèmes de santé publique, quel que soit leur emplacement. » À la création des RLISS, on me demandait souvent combien de temps ils survivraient. Je répondais toujours : « Je ne le sais pas, mais ce que je sais, c’est que dans tous les autres territoires de compétence du Canada où on a régionalisé les services de santé, beaucoup ont apporté des changements, mais aucun n’est revenu à la situation qui prévalait avant le début du processus ». La question qu’on me pose maintenant (trois ans plus tard), c’est : « Combien de RLISS devrait-il y avoir, et la portée de leur autorité sera-t-elle élargie ? » Ce glissement signale un nouveau dialogue et une nouvelle orientation pour notre réflexion, mais je pense que la véritable orientation doit s’éloigner de la structure pour se tourner vers la fonction. Les fluctuations de la centralisation, de la décentralisation (régionalisation) et de la recentralisation continueront d’évoluer en réponse aux entrecroisements, aux convergences et aux divergences des forces et des facteurs politiques, financiers, sociaux et environnementaux. Sans suggérer qu’ils n’ont pas plus d’importance que des « bruits de fond », ils sont, tout au plus, une distraction. La question fondamentale, ce n’est pas si les RLISS peuvent réaliser leur mandat avec efficacité dans un système à trois échelons, mais plutôt quand une convergence des forces remettra en question l’efficacité des RLISS à donner des résultats dans une situation toujours mouvante, et comment le gouvernement y réagira. Pour que les RLISS réussissent, ils doivent, conjointement avec le gouvernement de l’Ontario par l’entremise du ministère de la Santé et des Soins de longue durée, toujours se réinventer dans une relation symbiotique axée sur la fonction et non sur la structure. Autrement dit, nous ne voulons pas être demain où nous en sommes aujourd’hui, c’est-à-dire au statu quo. La mesure selon laquelle une ou deux parties trouvent que des organismes de services de santé autonomes ajoutent de la valeur déterminera la viabilité du modèle à trois échelons. Pour ces organismes, c’est-à-dire les 2 500 en place, les hôpitaux et les Centres d’accès aux soins communautaires, notamment, la réussite des RLISS repose en grande partie entre leurs mains. Si j’étais un prestataire de services de santé, je préférerais détenir ma destinée entre les mains que de la voir dans celles de quelqu’un d’autre. En effet, certains n’aiment peut-être pas les RLISS, mais ils aimeraient peut-être encore moins ce qui les remplacerait.
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