Complications thyroïdiennes après greffes de cellules souches hématopoïétiques dans l’enfance

Complications thyroïdiennes après greffes de cellules souches hématopoïétiques dans l’enfance

Archives de pédiatrie 11 (2004) 1326–1332 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/ Mémoire original Complications thyroïdiennes après greffes de ce...

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Archives de pédiatrie 11 (2004) 1326–1332 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/

Mémoire original

Complications thyroïdiennes après greffes de cellules souches hématopoïétiques dans l’enfance Thyroid dysfunction after haematopoietic stem cell transplantation during childhood C. Curtillet *, P. Cuadras, E. Dore, H. Chambost, I. Thuret, G. Michel Service hématologie pédiatrique du professeur Michel, hôpital Timone-Enfants, 264, rue Saint-Pierre, 13385 Marseille cedex 05, France Reçu le 16 décembre 2003 ; accepté le 7 juillet 2004 Disponible sur internet le 12 octobre 2004

Résumé Objectif. – Évaluer le pourcentage et les facteurs de risque de survenue de séquelles thyroïdiennes chez 79 enfants ayant reçu une greffe de cellules souches hématopoïétiques entre 1989 et 1998 dans un même centre. Patients et méthodes. – L’âge moyen à la greffe était de 6,8 ans, et le suivi moyen postgreffe de 5,5 ans. Cinquante-sept patients ont reçu une allogreffe et 22 une autogreffe. Sur la cohorte de 79 patients, deux groupes de patients ont été isolés en fonction du type de préparation à la greffe : irradiation corporelle totale fractionnée (ICT) (n = 54), chimiothérapie type Busulfan (n = 25). La fonction thyroïdienne a été évaluée par le dosage de thyréostimuline (TSH) et thyroxine libre (T4L), l’hypothyroïdie vraie étant définie par un taux de TSH > 4 mU/l et T4L basse, et l’hypothyroïdie compensée par un taux de TSH > 4mU/l avec T4L normale. Résultats. – Selon la méthode de Kaplan et Meier, la probabilité de survenue d’insuffisance thyroïdienne six ans après la greffe pour les 79 patients a été de 36 % ± 6 %. Dans les deux groupes ICT ou Busulfan, le risque d’hypothyroïdie à six ans était de 49 % ± 8% et de 9 % ± 6 % respectivement (p < 0,001). La survenue d’hypothyroïdie après greffe n’a pas été influencée significativement par le sexe, l’existence ou non de maladie du greffon contre l’hôte et la pathologie initiale. En revanche, le jeune âge est apparu influencer significativement le taux d’hypothyroïdie à six ans : 59% ± 9% si âge < 7,7 ans vs 34 % ± 13 % si âge > 7,7 ans dans le groupe ICT, p = 0,02. Conclusion. – Un suivi systématique et prolongé de la fonction thyroïdienne s’impose après greffe de moelle quel que soit le type de préparation (irradiation ou chimiothérapie seule). L’influence du jeune âge sur la survenue d’hypothyroïdie est une donnée nouvelle qui nécessite d’être étudiée sur de plus amples effectifs. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract To evaluate the percentage and risk factors of thyroid dysfunction in 79 children who underwent bone marrow transplantation in a single centre. Patients and methods. – The mean age of the cohort was 6.8 and mean follow-up 5.5 years. The 79 patients were divided in two groups according to the pretransplant conditioning regimen: fractionated total body irradiation (TBI)(N =54), chemotherapy with Busulphan (N =25). Thyroid function was evaluated by thyroid-stimulating hormone (TSH) and free thyroxine (fT4) tests. Overt hypothyroidism was defined by low fT4 blood levels and TSH > 4mU/l, and compensated hypothyroidism by normal fT4 index and TSH >4mU/L. Results. – The six-year probability of hypothyroidism was 36 ±6% for the whole group of 79 patients, 49 ±8% after TBI and 9 ±6% in the Busulphan group (P <0.001). Neither gender, nor primary disease, nor presence of graft versus host disease were found to be statistically significant for occurrence of hypothyroidism in the TBI group. However, a younger age seemed to influence statistically the 6-year probability of hypothyroidism in the TBI group: 59 ±9% if age <7.7 years versus 34 ±13% if age >7.7 years (P =0.02).

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Curtillet). 0929-693X/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2004.07.017

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Conclusion. – A careful follow-up of thyroid function is recommended even without TBI conditioning regimen. Young age as a potential risk factor of hypothyroidism has never been described and needs to be studied in a larger cohort. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Greffe de moelle ; Hypothyroïdie Keywords: Hematopoietic stem cell transplantation; Thyroid dysfunction; Child

1. Introduction Les greffes de cellules souches hématopoïétiques sont devenues le traitement de choix pour de nombreuses hémopathies malignes ou non malignes de l’enfant. Durant ces vingt dernières années, la meilleure connaissance des techniques et des complications des greffes a permis d’améliorer considérablement la survie des enfants et par-là même d’observer des effets secondaires tardifs, notamment sur la thyroïde. Il est reconnu que les complications thyroïdiennes tardives sont liées au type de préparation à la greffe et qu’il s’agit le plus souvent d’insuffisance thyroïdienne [1–4]. Ces préparations comportent habituellement de fortes doses de Cyclophosphamide en association avec soit du Busulfan, soit une irradiation corporelle totale (ICT) [5,6]. L’ICT constitue un facteur de risque majeur, atténué en partie par le fractionnement des doses reçues [6]. Le Busulfan est reconnu comme étant à l’origine de complications thyroïdiennes à moindre degré par rapport à l’ICT [1,6]. Afin de mieux comprendre les facteurs influençant la survenue de séquelles thyroïdiennes après greffe chez l’enfant, nous avons étudié la fonction thyroïdienne de 79 enfants ayant reçu une greffe de cellules souches hématopoïétiques dans un même centre d’hématologie pédiatrique. 2. Patients et méthodes Cette étude monocentrique rétrospective a permis d’inclure 79 enfants selon les critères suivants : avoir bénéficié d’une greffe de cellules souches hématopoïétiques dans le service d’hématologie pédiatrique du CHU de Marseille entre janvier 1989 et octobre 1998, rester en vie et en rémission complète pendant au moins deux ans après la greffe, disposer d’au moins un bilan thyroïdien après greffe. Au moment de l’étude, le recul moyen des enfants greffés était de huit ans. 2.1. Patients L’âge moyen à la greffe était de 6,8 ans (extrêmes de quatre mois à 17 ans). Trente pour cent des enfants avaient moins de quatre ans. Les affections en cause étaient majoritairement des hémopathies malignes (n = 67). Parmi les 79 patients, trois sont décédés d’une rechute survenue plus de deux ans après la greffe. 2.2. Greffes Sur 79 patients, 57 ont reçu une allogreffe et 22 une autogreffe. En fonction de la préparation utilisée avant la

greffe, nous avons distingué un groupe « ICT » et un groupe « Busulfan ». Plus précisément, les 54 patients qui constituaient le premier groupe ont été préparés par ICT fractionnée sur trois jours comportant deux Grays, deux fois par jour pour un total de 12 Grays avec protection pulmonaire à huit Grays (le plus souvent dans le cadre d’un protocole dit « TAM » associant ICT fractionnée, Aracytine et Melphalan). Les 25 patients du second groupe ont été préparés par chimiothérapie seule type Busulfan à la dose de 16 mg/kg ou 480 mg/m2 ou 600 mg/m2 (le plus souvent dans le cadre du protocole « BU–CY » associant Busulfan et Cyclophosphamide à 120 mg/kg ou 200 mg/kg). Les préparations par chimiothérapie seule étaient réservées aux patients de moins de quatre ans, aux hémopathies non malignes, ou aux patients greffés en première rémission pour leucémie aiguë myéloblastique (LAM). La prévention de la maladie du greffon contre l’hôte (GvH) a consisté en l’association de Ciclosporine A et méthotrexate en cure courte pour la majorité des cas (n = 37). Vingt-quatre cas de GvH aiguë ont été observés dont 21 de grade I ou II et trois de grade III ; huit cas de GvH chronique ont été recensés dont quatre formes limitées et quatre formes extensives. 2.3. Tests de fonction thyroïdienne La fonction thyroïdienne a été étudiée par les dosages plasmatiques de thyréostimuline (TSH), thyroxine libre (T4L) en méthode radio-immunologique. Les valeurs normales sont : TSH : 0,2 à 3,5 mU/l, T4L : 7 à 17 pmol/l. L’hypothyroïdie vraie a été définie par une augmentation de la TSH supérieure à 4 mU/l associée à une baisse de T4L. L’hypothyroïdie compensée a été définie par un taux de TSH supérieur à 4 mU/l à deux reprises avec un taux de T4L normal. L’hypothyroïdie compensée transitoire a été définie par une normalisation spontanée du taux de TSH dans les 12 mois suivant la détection de la première anomalie, et l’hypothyroïdie compensée durable par la persistance d’une TSH élevée après 12 mois. Les cas d’hypothyroïdie vraie, compensée durable et compensée transitoire ont été retenus dans les calculs de probabilité d’insuffisance thyroïdienne. Dans notre étude, le nombre moyen d’évaluations thyroïdiennes après greffe était de cinq par patient. 8 % des patients (n = 6) ont eu une seule mesure, 65 % des patients (n = 51) ont eu plus de trois mesures, et 35 % (n = 28) plus de cinq mesures. La durée moyenne du suivi thyroïdien était de 5,5 ans (extrêmes de 2 à 11 ans). Le délai moyen entre la

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greffe et le premier bilan thyroïdien était de 2,3 ans et celui entre le premier et deuxième bilan de 1,1 an. La répartition des données selon le groupe ICT et Busulfan est précisée dans le Tableau 1. 2.4. Méthodes statistiques Les données descriptives de la population ont été calculées en valeur moyenne et extrêmes [7]. Les probabilités de survenue d’une insuffisance thyroïdienne ont été calculées selon la méthode de Kaplan-Meier, rendues en pourcentage et déviation standard [8]. Les probabilités ont été comparées entre elles en utilisant la méthode du log rank, une différence étant considérée comme significative si p < 0,05 [9].

3. Résultats 3.1. Insuffısance thyroïdienne Parmi les 79 patients de l’étude, aucun cas d’hyperthyroïdie n’a été observé. On a dénombré 25 cas d’hypothyroïdie répartis en trois cas d’hypothyroïdie vraie durable traités, 17 cas d’hypothyroïdie compensée durable (dont dix traités et sept non traités) et cinq cas d’hypothyroïdie compensée transitoire non traités. L’absence de traitement pour sept cas d’hypothyroïdie compensée durable résultait d’une élévation modérée de la TSH pour laquelle une surveillance clinique et biologique semestrielle a été préconisée. La première anomalie thyroïdienne a été détectée en moyenne deux ans après la greffe, et le traitement hormonal substitutif par L-thyroxine a été débuté en moyenne deux ans plus tard, soit quatre ans après la greffe. Parmi les 25 cas d’hypothyroïdie décelés, deux appartenaient au groupe Busulfan (Tableau 1). Il s’agissait pour le premier cas d’une hypothyroïdie compensée durable non traitée. Le patient a été allogreffé à l’âge de six ans pour maladie de Kostmann. Six bilans thyroïdiens ont été réalisés Tableau 1 Répartition des données selon les deux groupes ICT et Busulfan Données ˆ ge moyen A (en années) Pathologies initiales malignes (LAL–LAM– autres)/non malignes Allogreffes/Autogreffes Recul moyen (en années) Suivi thyroïdien (en années) Cas d’hypothyroïdie (vraie–compensée durable– compensée transitoire)

Groupe ICT* n = 54 7,7

Groupe Busulfan n = 25 6

53 (37–9–7)/1

14 (2–11–1)/11

37/17 7,4

20/5 8,5

5,1

6

23 (3–16–4)

2 (0–1–1)

ICT : irradiation corporelle totale ; LAL : leucémie aiguë lymphoblastique ; LAM : leucémie aiguë myéloblastique.

au cours des trois ans de suivi. Les quatre premiers dosages effectués entre huit mois et 21 mois postgreffe retrouvaient une TSH élevée entre 5,7 et 9 mU/l avec T4L normale. Les deux dosages ultérieurs, à deux et trois ans postgreffe, retrouvaient une TSH à 4 mU/l, soit quasi normalisée en l’absence de traitement. Le deuxième cas d’hypothyroïdie dans le groupe Busulfan était de type compensé transitoire. Le patient avait été greffé pour une leucémie aiguë lymphoblastique en deuxième rémission à l’âge de deux ans. Les deux premiers dosages réalisés tardivement à trois ans et 3,5 ans postgreffe retrouvaient une TSH modérément élevée à 4,5 puis 4,3 mU/l. La TSH s’est normalisée spontanément six mois plus tard puis est restée stable au cours des bilans annuels ultérieurs. La probabilité d’insuffisance thyroïdienne à six ans de la greffe pour l’ensemble des 79 patients, était de 36 ± 6 %. Elle était de 49 ± 8 % dans le groupe ICT, vs 9 ± 6 % dans le groupe Busulfan. Cette différence est statistiquement significative à p < 0,001 (Fig. 1). 3.2. Facteurs de risque Nous avons également étudié l’influence potentielle de différents facteurs sur la probabilité d’insuffisance thyroïdienne. Cette étude a été limitée au groupe ICT en raison du faible nombre de cas d’hypothyroïdie observé dans le groupe Busulfan. Il n’y avait pas de différence statistiquement significative en fonction du sexe, de la pathologie initiale, du type de greffe et de la survenue de GvH aiguë ou chronique (Tableau 2). En revanche, le jeune âge à la greffe est apparu comme un facteur de risque de survenue d’hypothyroïdie. En effet, parmi les 54 patients préparés par ICT, l’âge moyen était de 7,7 ans: 33 d’entre eux étaient âgés de moins de 7,7 ans et 21 de plus de 7,7 ans. La probabilité de survenue d’hypothyroïdie à six ans de la greffe était de 59 ± 9 % pour les patients de moins de 7,7 ans et 34 % ± 13 % pour ceux de plus de 7,7 ans (Fig. 2). Cette différence est statistiquement significative (p = 0,02). On note que pour ces deux sous-groupes de patients, la durée moyenne de suivi de la fonction thyroïdienne était similaire (5,3 et 5,4 ans respectivement) ainsi que la répartition des pathologies initiales (70 % de LAL dans les deux groupes).

Fig. 1. Probabilité d’insuffisance thyroïdienne après Busulfan (n = 25) ou ICT (n = 54).

C. Curtillet et al. / Archives de pédiatrie 11 (2004) 1326–1332 Tableau 2 Facteurs influençant la survenue d’hypothyroïdie après ICT Critère

n

Sexe Garçons/Filles Age 7,7 ans/> 7,7 ans Pathologie initiale LAL/LAM Type de greffe Allogreffe/autogreffe GvH Grade ≥ II/grade 0–I

33/21

Probabilité Signification d’hypothyroïdie à statistique 6 ans dans le groupe ICT 45 vs 48 % NS

33/21

59 vs 34 %

0,02

40/13

43 vs 61 %

NS

37/17

54 vs 61 %

NS

15/22

65 vs 45 %

NS

ICT : irradiation corporelle totale, LAL : leucémie aiguë lymphoblastique, LAM : leucémie aiguë myéloblastique.

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l’échographie thyroïdienne n’ayant pas été réalisée à titre systématique chez tous les patients, le nombre de cas dépistés a pu être sous-estimé.

4. Discussion Les résultats de cette étude nous permettent de souligner trois points majeurs : • après ICT, la probabilité cumulée de survenue d’hypothyroïdie à six ans de la greffe est de 49 %, soit environ un cas sur deux ; • après chimiothérapie type Busulfan, le taux de survenue d’hypothyroïdie à six ans de la greffe n’est pas nul : 9 %, soit environ un cas sur dix ; • le jeune âge apparaît influencer significativement la survenue d’hypothyroïdie après greffe. Nous allons confronter point par point ces résultats aux données de la littérature (Tableau 3) puis discuterons l’intérêt ou non du traitement substitutif en cas d’hypothyroïdie compensée. 4.1. Données de la littérature

Fig. 2. Probabilité d’insuffisance thyroïdienne après ICT en fonction de l’âge.

3.3. Autres anomalies thyroïdiennes • Nous avons noté un cas de transfert de thyroïdite autoimmune. Il s’agissait d’un garçon greffé à l’âge de quatre ans à partir de son frère pour une LAL en seconde rémission, préparé par ICT. A un an de la greffe, les bilans thyroïdiens ont révélé des taux de TSH élevés et un traitement substitutif a été débuté à 19 mois postgreffe. Alors que le patient était en chimérisme complet de type donneur, le dosage des anticorps antithyroïdiens s’est avéré fortement positif. Le bilan familial alors réalisé a révélé que le frère donneur était porteur d’anticorps antithyroïdiens sans perturbation de la TSH et que la mère recevait un traitement substitutif thyroïdien depuis quatre ans pour thyroïdite avec des taux d’anticorps antithyroïdiens encore élevés. Chez ce patient, l’allogreffe de moelle à partir de son frère a conduit au transfert de clones lymphocytaires anormaux à l’origine d’une insuffisance thyroïdienne par thyroïdite auto-immune. • Deux patients parmi les 79 étudiés ont présenté des anomalies thyroïdiennes morphologiques à type de kyste et nodule bénin, survenues à huit ans postgreffe. Cependant,

• La radiothérapie, qu’elle soit de localisation cervicale ou corporelle totale, est reconnue de longue date pour induire des séquelles thyroïdiennes à long terme, quels que soient l’âge ou l’affection traitée [10–12]. Dans le cadre d’une préparation à la greffe de moelle osseuse, l’ICT en dose fractionnée plutôt qu’en dose unique permet de réduire le taux de survenue d’insuffisance thyroïdienne à long terme : en effet, la littérature rapporte des taux d’insuffisance thyroïdienne après ICT en dose unique aux alentours de 45 % [2,13,14] alors que les valeurs observées après ICT en dose fractionnée oscillent entre 10 et 28 % [6,15–18]. Dans notre étude, le taux de 49 % après ICT en dose fractionnée se rapproche donc plus des valeurs observées habituellement après ICT en dose unique. Ceci peut être expliqué par l’analyse de trois facteurs déterminants : les variations selon les études du taux de TSH définissant l’hypothyroïdie, du nombre de bilans thyroïdiens réalisés après greffe et de la durée globale du suivi thyroïdien postgreffe. En effet, les valeurs supérieures de TSH définissant une hypothyroïdie varient entre 4 et 10 mU/l dans l’ensemble de la littérature. Dans notre étude, la valeur seuil de TSH étant fixée à 4 mU/l, 25 cas d’hypothyroïdie ont été retenus, alors que neuf d’entre eux présentaient des taux de TSH strictement inférieurs à six, dont sept inférieurs à cinq. Dans les études de Boulad et al. et de Ogilvy-Stuart et al., pour des valeurs seuil de TSH fixées à 6,7 et 6 mU/l respectivement, le taux d’hypothyroïdie en irradiation fractionnée était de 15 et 16 % [6,18]. Avec ces mêmes critères de définition, les taux d’hypothyroïdie observés dans notre étude auraient été plus faibles.

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Tableau 3 Revue de la littérature sur les hypothyroïdies après greffe de moelle osseuse chez l’enfant Auteur année Référence Sklar 1982 [13] Sanders 1986 [15]

Nombre cas 27 116

Age moyen en années 13,5 8

Katsanis 1990 [16]

20 60 21

9,7

Littley 1991 [17]

Type de préparation Durée Suivi en années ICT 2,7 ICT fr 4 ICT ICT fr 3 ICT 5 ICT fr ?

TSH anormale si > à : en mu/l 6 6,3

Taux d’hypothyroïdie (%) 43 27

10 (1 valeur) ou > 7 5

10 30 28

ICT fr ICT ICT fr ICT ICT fr ICT ICT fr BU ICT BU Chimio BU : 69 cas ICT fr BU

4 8 1,8 5,7 2,7 7,5 6,2 6,2 6

? ? 6 ? ? 5 6,7 6,7 ?

1,17

4

16 46 16 73 25 48 15,2 14 43 9 14

5,1 6

4 4

49 9

23 Sanders 1991 [14] Stuart 1992 [18] Thomas 1993 [23] Borgstrom 1994 [2] Boulad 1995 [6] Michel 1997 [25] Toubert 1997 [26] Présente étude 2003

153 84 31 26 23 27 139 7 19 26 77 54 25

10 8,1 8,7 6,5 10,2 9,2 11,2 6,5 26 7,7 6

ICT: irradiation corporelle totale ; ICT fr : irradiation corporelle totale fractionnée ; BU : chimiothérapie type Busulfan.

Par ailleurs, la rigueur du suivi postgreffe matérialisée par le nombre de déterminations biologiques influence également les résultats. Dans notre étude, 65 % des patients ont eu plus de trois contrôles biologiques de TSH en postgreffe et 8 % des patients n’ont eu qu’un seul dosage de TSH. Dans l’étude de Sanders et al., à propos de 116 enfants préparés par ICT fractionnée ou en dose unique, le taux global d’hypothyroïdie retrouvé est de 27 %, alors que 53 % des patients n’ont eu qu’un seul contrôle de TSH en postgreffe [15]. Boulad et al. ont retrouvé un taux d’hypothyroïdie de 15 % dans leur étude concernant 139 enfants préparés par ICT fractionnée, alors que 27 % des patients seulement avaient eu plus de trois contrôles de TSH en postgreffe [6]. De même, Devney et al. ont justifié l’incidence plus forte de dysthyroïdie (88 %) retrouvée dans leur étude par rapport aux travaux de Green et al. (37 %) et Shalet et al. (69 %) après irradiation pour maladie de Hodgkin, par cette différence de nombre de déterminations biologiques [19–21]. Enfin, la durée du suivi après irradiation doit être également prise en compte dans l’interprétation des résultats. Dans notre étude, les cas d’hypothyroïdie sont survenus en majorité au cours des trois premières années postgreffe, avec atteinte d’une phase de plateau après six ans (Fig. 1). Ces délais sont conformes à ceux de nombreux auteurs [2,13,22]. Or, la durée moyenne de suivi après ICT est inférieure à trois ans dans plusieurs études avec ICT fractionnée [16,18,23] alors qu’elle est de 5,1 ans dans notre étude, ce qui majore d’autant le nombre de cas dépistés. • L’âge représente également à lui seul un facteur permettant d’expliquer les taux élevés retrouvés dans cette étude. Dans le groupe ICT, le taux d’hypothyroïdie six ans après

la greffe est significativement plus élevé pour les patients âgés de moins de 7,7 ans soit 59 %, contre 34 % pour ceux plus âgés. Il existe peu de données dans la littérature sur le risque d’insuffisance thyroïdienne après ICT chez les jeunes enfants. Glatstein et al. en 1971 ont étudié le devenir de 225 patients irradiés au niveau cervical pour lymphome [24]. Les auteurs ont rapporté une augmentation significative du taux d’hypothyroïdie chez les patients de moins de 20 ans par rapport à ceux plus âgés. Les séries pédiatriques concernant les enfants les plus jeunes sont celles de Sanders et al. et Ogilvy-Stuart et al. avec un âge moyen de 8 et 8,1 ans respectivement [15,18]. Elles n’étudient pas l’influence de l’âge sur la survenue d’hypothyroïdie. Dans notre série, l’âge moyen des enfants est de 7,7 ans, ce qui constitue à notre connaissance le plus jeune groupe d’enfants étudiés après irradiation pour transplantation médullaire. Les résultats de notre étude nécessitent probablement d’être confirmés ou infirmés sur de plus amples effectifs. En effet, même si la différence que nous observons est statistiquement significative, notre démonstration reste basée sur un effectif restreint. S’il se confirmait que le jeune âge soit bien un facteur de risque d’hypothyroïdie, ceci expliquerait en partie les taux élevés que nous observons malgré un régime d’irradiation fractionnée. • Plusieurs auteurs ont rapporté la survenue de séquelles thyroïdiennes après préparation à la greffe par chimiothérapie à forte dose, en particulier par Busulfan. En effet, Bueltzingsloewen et al. en 1995 ont relevé deux cas d’hypothyroïdie en postgreffe parmi 21 enfants préparés par Busulfan à une dose supérieure à 16 mg/kg [5]. Boulad et al. ont rapporté un cas d’hypothyroïdie survenu après préparation sans irradiation, comprenant du Busulfan [6].

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Michel et al. en 1997, ont rapporté une probabilité d’insuffisance thyroïdienne à six ans de 9 %, dans leur étude concernant 23 enfants greffés pour leucémie aiguë myéloblastique avec une préparation par Busulfan et Cyclophosphamide [25]. Toubert et al. ont retrouvé un taux d’hypothyroïdie de 14 % à 14 mois postgreffe pour 77 patients greffés sans irradiation avec Busulfan [26]. Dans notre étude, deux cas d’hypothyroïdie ont été observés après Busulfan, correspondant à une probabilité d’insuffisance thyroïdienne à six ans de 9 %. Ces résultats sont donc superposables à ceux de la littérature. Une surveillance thyroïdienne s’impose donc après greffe quel que soit le mode de préparation par radiothérapie ou chimiothérapie. 4.2. Intérêt d’un traitement substitutif L’hormonothérapie substitutive est de mise en cas d’hypothyroïdie franche. En revanche, en cas d’hypothyroïdie compensée, les critères d’institution d’un traitement hormonal substitutif ne sont pas consensuels. La majorité des auteurs recommande de débuter le traitement dès la confirmation d’une TSH augmentée et persistante. Cette attitude est fondée sur trois arguments : la fréquence de l’évolution spontanée d’une hypothyroïdie compensée vers une hypothyroïdie franche, la diminution des risques de modification morphologique de la thyroïde à long terme (adénome, carcinome) sous traitement, et la réduction des troubles de croissance sous traitement substitutif [2,13,15,22]. Ces arguments sont controversés par certains auteurs : en effet, les hypothyroïdies compensées pouvant être transitoires, une substitution thyroïdienne précoce pourrait masquer une normalisation spontanée. Dans notre étude, cinq cas d’hypothyroïdie transitoire ont été observés avec normalisation secondaire de la TSH. Plusieurs auteurs proposent donc une attitude plus attentiste [3,5,16,27]. Par ailleurs, le potentiel de réduction de l’incidence des carcinomes radio-induits sous traitement substitutif est discuté : dans une grande cohorte de patients irradiés, Hancock et al. n’ont rapporté aucune différence de risque de cancer thyroïdien entre les patients substitués ou non [22]. Tamura et al. ont montré également que la normalisation de la TSH sous traitement permettait de réduire l’incidence des nodules bénins mais n’avait pas d’effet sur le taux de survenue de cancers thyroïdiens [28]. De même, pour Cohen et al., la relation entre carcinogenèse et taux de TSH élevés n’est pas établie [29]. Par ailleurs, le risque d’ostéoporose précoce observé après greffe, surtout chez les filles du fait de l’insuffisance gonadique, pourrait être majoré en cas de substitution hormonale [3,4]. Ainsi, il apparaît justifié d’observer une surveillance d’au moins un an avant de débuter un traitement hormonal substitutif chez un enfant en hypothyroïdie compensée. En outre, une fenêtre thérapeutique de trois à six mois pourrait être proposée après deux à trois ans de traitement afin de ne pas masquer une évolution transitoire. Si l’hypothyroïdie subclinique se confirme, la substitution peut être poursuivie à vie en visant l’obtention d’une TSH normale.

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4.3. Risque carcinologique ? Enfin, avec le recul dont nous disposons dans notre étude, aucun cas de carcinome thyroïdien secondaire n’a été observé. Cependant, le risque de survenue de cancer thyroïdien secondaire est connu après greffe de moelle préparée par irradiation [29–31]. Cohen et al. ont rapporté sur 113 enfants greffés, huit cas de carcinomes thyroïdiens secondaires, tous survenus après ICT dans un délai médian de 8,5 ans après greffe. Quatre de ces cas ont été dépistés par échographie thyroïdienne annuelle systématique alors que l’examen clinique et le bilan thyroïdien étaient normaux [29]. Ceci souligne l’importance d’un suivi prolongé et systématique après greffe non seulement clinique et biologique, mais également échographique. 5. Conclusion Cette étude monocentrique rétrospective regroupant la plus jeune cohorte d’enfants greffés nous a permis de mieux comprendre les facteurs influençant la survenue de séquelles thyroïdiennes en postgreffe. L’irradiation se confirme comme étant le facteur prépondérant. Le taux élevé rapporté dans notre étude après irradiation fractionnée doit cependant être pondéré par certains critères d’inclusion propres à notre travail : une valeur seuil basse de TSH dans notre définition de l’hypothyroïdie, une longue durée de suivi postgreffe, un nombre moyen de déterminations biologiques élevé, le jeune âge de la cohorte. Dans cette étude, le jeune âge s’est révélé également influencer à lui seul la survenue d’hypothyroïdie. Cette notion est nouvelle et nécessite d’être confirmée ou infirmée par d’autres travaux. Notre étude confirme par ailleurs que les préparations à la greffe sans irradiation mais comprenant une chimiothérapie à forte dose par Busulfan conduisent à la survenue de séquelles thyroïdiennes dans des proportions non négligeables (taux de 9 % à six ans). Ainsi, les séquelles thyroïdiennes peuvent apparaître après n’importe quelle préparation à la greffe. Il convient donc d’effectuer une surveillance systématique. Cette surveillance doit être également prolongée du fait du risque de survenue à long terme d’anomalies morphologiques avec risque de cancer thyroïdien secondaire après irradiation. Le traitement hormonal substitutif est de rigueur dans les cas d’hypothyroïdie franche ; il doit être débuté avec prudence dans les cas d’hypothyroïdie compensée compte tenu des controverses précitées. Références [1]

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