Contribution à la stratigraphie du site paléolithique de Mezhyrich (Ukraine)

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Contribution à la stratigraphie du site paléolithique de Mezhyrich (Ukraine) Contribution to the stratigraphy of the Palaeolithic site of Mezhyrich (Ukraine) Paul Haesaerts a,*, Stéphane Péan b, Hélène Valladas c, Freddy Damblon a, Dmytro Nuzhnyi d a

b

Institut royal des sciences naturelles, 29, rue Vautier, B-1000 Bruxelles, Belgique Département de préhistoire, muséum national d’histoire naturelle, UMR 7194 du CNRS, IPH, 1, rue René-Panhard, 75013 Paris, France c Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, LSCE UMR CEA-CNRS, avenue de la Terrasse, 91198 Gif-sur-Yvette cedex, France d National Academy of Sciences of Ukraine, Institute of Archaeology, Stone Age Department, Geroiv Stalingrada 12, 04210 Kiev, Ukraine Disponible sur Internet le 12 aouˆt 2015

Résumé Cet article présente les résultats de l’approche géoarchéologique développée pour le site épigravettien de Mezhyrich (Ukraine) dans le cadre du projet ANR « Mammouths – La disparition de la steppe à mammouths : relations homme/environnements à la fin du Pléniglaciaire supérieur en Europe orientale ». Centrée sur l’analyse microstratigraphique d’une séquence lœssique complexe, la démarche a permis l’insertion à l’échelle du site des données archéologiques, environnementales et chronologique, situant l’activité des chasseurs épigravettiens entre ca 18 300 et 17 400 avant le présent, au cours d’une période froide marquée par de forts contrastes climatiques et environnementaux. # 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Mezhyrich ; Paléolithique supérieur ; Ukraine ; Enregistrement pédosédimentaire ; Paléoenvironnement ; Datations radiocarbone

* Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected] (P. Haesaerts), [email protected] (S. Péan), [email protected] (H. Valladas), [email protected] (F. Damblon), [email protected] (D. Nuzhnyi). http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2015.07.002 0003-5521/# 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Abstract This paper deals with a geoarchaeological study developed at the Epigravettian settlement of Mezhyrich (Ukraine) in the frame of the French ANR project ‘‘Mammouths’’. Based on a microstratigraphic analysis of a complex loess sequence, this approach has provided a large set of complementary data focusing on archaeology, environment and chronology, which document the activities of the Epigravettian hunters at the site between ca 18,300 and 17,400 before present, during a cold period characterized by strong climatic and environmental contrast. # 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Mezhyrich; Upper Palaeolithic; Ukraine; Pedosedimentary record; Palaeoenvironment; Radiocarbon dating

1. Introduction Situé à proximité de la ville de Kaniv, environ 150 km au sud-est de Kiev et à 15 km de la rive occidentale du Dniepr (Fig. 1), le gisement paléolithique de Mezhyrich est célèbre pour ses habitations en ossements de mammouth (Pidoplichko, 1969, 1976, 1998), préservées sous une couverture de dépôts lœssiques attribuée à la partie terminale du dernier glaciaire (Kornietz et al., 1981 ; Soffer, 1985). Le gisement occupe une position particulière au centre d’un promontoire situé une dizaine de mètres au-dessus de la plaine alluviale de la rivière Ros, à laquelle il se raccorde en pente douce à proximité du confluent avec la rivière Rosava. Dans la partie centrale du promontoire, les dépôts de couverture avoisinent cinq à six mètres d’épaisseur, au sommet d’un épais complexe sableux rapporté à la seconde terrasse. Découvert en 1965, le site a fait l’objet de plusieurs campagnes de fouille conduites entre 1966 et 1974 par I. Pidoplichko (1969, 1976, 1998) puis par N. Kornietz, notamment en collaboration avec une équipe russo-américaine de 1990 à 1995 (Kornietz et al., 1981 ; Soffer,

Fig. 1. Carte de situation. 1 : Mezhyrich ; 2 : Dobranichivka ; 3 : Gontsy ; 4 : Mezin. KI : Kiev ; Po : Poltava ; Kh : Kharkov ; BY : Biélorussie ; RU : Russie. Location map. 1: Mezhyrich; 2: Dobranichivka; 3: Gontsy; 4: Mezin. KI: Kiev; Po: Poltava; Kh: Kharkov; BY: Belarus; RU: Russia.

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1985 ; Soffer et al., 1997). Elles ont permis la mises au jour de quatre habitations en ossements de mammouth distantes d’une vingtaine de mètres (Dwellings numérotés de 1 à 4), entourées chacune par des fosses, numérotées de 1 à 9, et séparées par des aires de concentration de matériel lithique et de débris d’ossements dénommées Toptalishche, c’est-à-dire « aires piétinées » en ukrainien (Pidoplichko, 1969). Entre 1966 et 2003, diverses approches complémentaires furent surtout centrées sur les Habitations no 1 et no 4 et sur les structures adjacentes. En particulier, les observations de I. Pidoplichko (1969, 1976) ont conduit celui-ci à rapporter l’épais Toptalishche présent dans le secteur sud-est du site, à l’occupation principale de l’Habitation no 1. Par ailleurs, les données réunies au centre de l’Habitation no 4 à partir de 1987, attestaient la présence de deux, voire de trois couches culturelles distinctes séparées par des dépôts stériles (Gladkikh, 1999 ; Gladkikh et Kornietz, 1979 ; Soffer et al., 1997). Quant aux relations stratigraphiques entre les différentes habitations, elles n’ont pu être fixées avec précision (Soffer et al., 1997). Enfin, l’ensemble des occupations datées vers 15 000 uncal BP fut associé à un petit épisode interstadiaire enregistré par la palynologie, évoquant un paysage végétal régional en mosaïque de type steppe boisée, avec persistance de quelques essences thermophiles (Komar et al., 2003). À partir de 2002, de nouvelles recherches pluridisciplinaires furent conduites sur le site par une équipe de chercheurs ukrainiens, français et belge notamment, principalement entre 2006 et 2008 dans la cadre du projet de recherche « Mammouths – La disparition de la steppe à mammouths : relations hommes/environnements à la fin du Pléniglaciaire en Europe orientale ». Elles avaient pour objectif principal l’insertion à l’échelle du site des données archéologiques, stratigraphiques, environnementales et chronologiques. 2. L’enregistrement pédosédimentaire (P.H.) 2.1. Le contexte À la fin des années mille neuf cent quatre-vingt-dix, le gisement de Mezhyrich demeurait accessible au centre d’une zone décapée d’une vingtaine de mètres de côté, sur quatre mètres de profondeur, qui inclut l’Habitation no 4 dans le secteur nord-ouest et recoupe les remblais de la fouille des Habitations no 2 et no 1, respectivement dans les secteurs nord-est et sud-est. Dans cet espace, les fosses no 1 à 5 et 9 encadrent l’Habitation no 4, les fosses no 7 et no 8 jouxtent l’Habitation no 1, tandis que la fosse no 6 avoisine l’Habitation no 2 (Fig. 2). Plusieurs aires de Toptalishche y sont également associées, principalement entre la fosse no 6 et l’Habitation no 4 et sur le bord sud de celle-ci (Soffer et al., 1997). Les fosses furent supposées pénécontemporaines de la mise en place des habitations attenantes (hypothèse de N. Kornietz in Komar et al., 2003 : fixation, à la surface du sol, des grands os de base des habitations à l’aide du sédiment extrait des fosses périphériques). De 2005 à 2008, près de cinquante mètres de coupes ont été levés le long des parois de la zone décapée, centrées sur les dépôts encadrant les structures archéologiques. Plusieurs sondages profonds (P1 à P5, Fig. 3) furent également implantés le long des parois parois nord, est et sud de la zone décapée jusqu’aux dépôts sableux sous-jacents à la couverture limoneuse du site. Ces données furent complétées par des relevés détaillés des fosses no 6, 7 et 8, et par l’examen des coupes dégagées lors des fouilles antérieures joignant la partie externe de l’Habitation no 4 à la fosse no 5. En 2008, deux tranchées parallèles furent ouvertes dans la paroi est du site, permettant d’établir la liaison entre la fosse no 8 et une nouvelle fosse découverte en 2008 (fosse no 10), située sur le bord septentrional de l’Habitation no 1.

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MEZHYRICH

Ha-2 2

3

6 9

N

Ha-4 4

5 1

8

7

Ha-1

Fig. 2. Répartition des structures archéologiques (d’après Kornietz et al., 1981). Ha : habitations ; no 1 à 9 : fosses ; aires grises : Toptalishche. Distribution of the archaeological structures (from Kornietz et al., 1981). Ha: dwellings; no. 1 to 9: pits; grey areas: Toptalishche.

Notre démarche visait à établir une séquence pédosédimentaire de référence reproductible à l’échelle du site, par le biais des relevés microstratigraphiques. Cette approche repose sur la présence au sein des dépôts de couverture de marqueurs lithologiques (fines couches sableuses, limons lités) et pédologiques (horizons d’enracinement), dont les signatures spécifiques étendues à l’ensemble du site ont guidé les corrélations entre les différents secteurs, assurant de la sorte le positionnement précis du matériel archéologique et des échantillons pour datations et analyses diverses. L’ensemble des altitudes mesurées sur le site furent rapportées au repère z = 0 utilisé depuis la reprise des fouilles en 2002 (gravé sur le mur sud de la maison de fouille et sur le pylône électrique proche de la route). 2.2. La séquence lithostratigraphique À Mezhyrich, les dépôts de couverture avoisinent six mètres de puissance et intègrent sept unités pédosédimentaires reproductibles à l’échelle du site (unités A à G). Ils sont préservés au sommet d’un complexe de sables blancs stratifiés incorporant des lentilles de limon gris clair (unité S) rencontré à la base des sondages profonds P1, P3 et P4 (Fig. 4 et 5). 2.2.1. Unité A ( 80 cm) Limon homogène gris-brun, incorporant quelques lits centimétriques de sable blanc (A1). L’ensemble coiffe une alternance de couches de sable blanc et de limon sableux grisâtre appartenant à l’unité S. Dans le coin sud-est de la zone décapée, le sommet du limon A1 porte un petit horizon grisâtre souligné par des traces de radicelles à enduits carbonatés (A2).

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Fig. 3. Position des profils (2005–2008) et sondages profonds (P1–P5). Location of the sections (2005–2008) and test pits (P1–P5).

2.2.2. Unité B ( 50 cm) Dépôt limoneux homogène, de teinte gris-brun clair (B1). La partie inférieure du limon, bien documentée dans différentes coupes, incorpore plusieurs lits de sable grossier de teinte jaunâtre ; la partie supérieure du limon présente également un horizon décimétrique de teinte grisâtre associé à un réseau de radicelles à enduits carbonatés (B2).

2.2.3. Unité C ( 30 cm) Dépôt limoneux lité gris-brun clair, présentant un faciès spécifique caractérisé par une alternance de lits centimétriques plus brunâtres (C1). La base de l’unité est le plus souvent soulignée par une fine couche de sable jaunâtre ; sa partie supérieure présente un horizon décimétrique grisâtre avec réseau de radicelles carbonatées (C2). Dans l’ensemble, les unités A à

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Fig. 5. Stratigraphie des sondages profonds P1–P4. Symboles graphiques comme la Fig. 4. To : Toptalishche ; RHa-2 : remblai de l’Habitation no 2. Stratigraphy of test pits P1–P4. Graphic symbols as for Fig. 4. To: Toptalishche; RHa-2: refill Dwelling 2.

C s’inscrivent selon une géométrie régulière et parallèle, présentant une légère pente de  2 % en direction du sud-est (Fig. 6). 2.2.4. Unité D ( 20 cm) Dépôt limoneux gris-brun clair (D1) qui s’inscrit partout en continuité avec l’unité C, mais s’en distingue par son faciès hétérogène marqué par de nombreuses petites lentilles de sable jaunâtre. Cette unité porte également un petit horizon bioturbé grisâtre au sommet, dont Fig. 4. Séquence stratigraphique du site (2005–2008). 1 : limon sableux jaune clair ; 2 : limon jaune-ocre ; 3 : sable ; 4 : limon lité ; 5 : horizon d’enracinement ; 6 : horizon humifère ; 7 : pseudogley ; 8 : ossement. Palyno. M.K. : échantillons palynologiques (M. Komar). Chiffres en stratigraphie : échantillons pour granulométrie. Stratigraphic succession of the site (2005–2008). 1: light yellowish sandy loam; 2: light ocher loam; 3: sand; 4; laminated loam; 5: horizon with root-casts; 6: humic horizon; 7: pseudogley; 8: bone. Palyno M.K.: samples for pollen analysis (M. Komar). Numbers inside the stratigraphic column: samples for grain-size.

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N

4,1 5

4,35 4,35

4,3 0

4 ,2

5

4,1 0

4 ,2 0

4,16

4,10

4,3

5

4,38

4,17 4,43

4,4 0

4,15

4,47

4,4

5

4,47

4,35

4,40

4,45

Fig. 6. Isohypses du sommet de l’unité C. Contour-lines of the top of unit C.

l’épaisseur n’excède guère 4 à 5 cm (D2). Le long des parois nord et est de la zone décapée, cet horizon incorpore localement des concentrations de matériel archéologique, qui s’inscrivent dans le prolongement d’une première génération de Toptalishche (To-1) sur le pourtour des Habitations no 1, 2 et 4. C’est également au niveau de l’horizon D2 que s’ouvrent les fosses no 5, 6 et 8, dont la base inclut la couche archéologique Z-1, qui se raccorde latéralement au Toptalishche To-1 (Fig. 7–9). 2.2.5. Unité E (de 50 à  150 cm) Dépôt complexe formé de plusieurs couches de limon sableux gris-jaune clair et de lits de sable blanc localement dédoublés (numérotés S1 à S5). Les lits sableux, dont certains se suivent le long des parois nord et est du site, sont surtout bien développés dans le tiers inférieur de l’unité (E1) qui constitue une part importante du remplissage des fosses no 5, 6 et 8 et incorpore les couches archéologiques Z-2 et Z-3. Dans le remplissage de la fosse no 8, les couches archéologiques Z-2 et Z-3 sont nettement postérieures à la couche Z-1, dont elles sont séparées par une première couche de limon sableux

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Fig. 7. Stratigraphie de la paroi est avec la fosse 8. Symboles graphiques comme la Fig. 4. To : Toptalishche ; Z : couches culturelles de la fossse 8 ; RHa-1 : remblai de l’Habitation no 1. Stratigraphy of the eastern wall with pit 8. Graphic symbols as for Fig. 4. To: Toptalische; Z: cultural layers of pit 8; RHa1: refill Dwelling 1.

Fig. 8. Stratigraphie de la paroi sud avec la fosse 7. Symboles graphiques et abréviations comme les Fig. 4 et 7. Stratigraphy of the southern wall with pit 7. Graphic symbols and abbreviations as for Figs. 4 and 7.

incorporant le lit de sable blanc S1 ; latéralement Z-2 et Z-3 se raccordent aux Toptalishche To2 et To-3 également sus-jacents au Toptalishche To-1 de l’horizon D2 (Fig. 7). Dans la fosse no 6, c’est au sommet de la couche archéologique dédoublée Z-2 que s’ouvre une poche irrégulière colmatée de limon sableux homogène qui érode les dépôts sous-jacents (Fig. 9). Dans les deux tiers supérieurs de la sous-unité E2, le faciès sablo-limoneux prédomine, avec toutefois deux lits de sable blanc qui se suivent en continuité dans les parois nord et est (S4 et S5). À l’aplomb de la fosse no 8, ceux-ci sont soulignés par de petits horizons de type pseudo-gley et épousent une microtopographie en cuvette (Fig. 7).

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Fig. 9. Stratigraphie de la fosse 6 (paroi nord). Symboles graphiques et abréviations comme les Fig. 4 et 7. Stratigraphy of pit 6 (northern wall). Graphic symbols and abbreviations as for Figs. 4 and 7.

2.2.6. Unité F ( 200 cm) Limon sableux gris-jaune clair à nombreuses petites bioturbations qui confèrent une structure granulaire au dépôt. Dans sa moitié supérieure, celui-ci est affecté par de nombreuses krotovines

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(terriers) à remplissage de limon gris-brun et pour partie de limon jaune pâle, s’inscrivant en relation avec l’épais chernozem de surface (unité G). Le long des parois nord et est du site, la partie inférieure de l’unité F présente une série de laminations de type « doublets » répartie sur  30 cm d’épaisseur (F1). Chaque doublet se compose d’une couche de limon jaune pâle, dont l’épaisseur varie de quelques millimètres à un centimètre, surmontée d’une couche millimétrique de teinte gris brunâtre. Dans la paroi nord, la signature rythmique des doublets s’est avérée reproductible latéralement sur plusieurs mètres de distance, présentant une succession d’une quarantaine de doublets répartis sur environ 28 cm d’épaisseur (Fig. 4). 2.2.7. Unité G ( 110 cm) Limon gris-brun sombre à forte structure granulaire et nombreuses bioturbations ; il correspond à l’horizon A1 du chernozem de surface développé au sommet de la couverture limoneuse de l’unité F. Dans le coin sud-ouest de la zone décapée, le chernozem est associé à un épais horizon décarbonaté développé dans les unités sous-jacentes sur plus d’un mètre de profondeur. 3. Stratigraphie archéologique (P.H., S.P., D.N.) À Mezhyrich, quatre types de structures attestent de l’activité des chasseurs paléolithiques :    

les les les les

Toptalishche ; fosses ; couches archéologiques préservées dans le remplissage des fosses ; habitations construites en ossements de mammouth.

De 2005 à 2008, ces témoins furent bien enregistrés dans trois secteurs du site, respectivement sur le bord occidental de l’Habitation no 1 en relation avec les fosses no 7, 8 et 10 (Fig. 7, 8 et 11), au niveau de la fosse no 6 rapportée à l’Habitation no 2 (Fig. 9) et sur le bord occidental de l’Habitation no 4 combinée à la fosse no 5 (Fig. 10). La conjonction de ces données et leur positionnement dans un canevas microstratigraphique de haute résolution (cf. Section 2.2) ont conduit à identifier trois phases d’occupations distinctes et reproductibles à l’échelle du site, lesquelles se rapportent respectivement à la partie sommitale de l’unité D et à la moitié inférieure de l’unité E (Fig. 13 et 14). La première phase d’occupations est associée au Toptalishche To-1 incorporé à l’horizon d’enracinement au sommet de l’unité D ; celui-ci occupe l’espace entre les Habitations no 1, 2 et 4 mais se suit également sur le pourtour nord et est de l’excavation sous la forme de lentilles discontinues relayées latéralement par quelques artefacts et ossements isolés (Fig. 5). Sur le bord nord de la fosse no 8, le Toptalishche To-1 se raccorde à la fine couche archéologique Z-1 qui tapisse le fond de la fosse (Fig. 7). De même, de part et d’autre de la fosse no 6, le Toptalishche To-1 établit la liaison avec la première phase d’incision associée à la couche achéologique Z1 préservée sur le bord occidental de la fosse (Fig. 9). Une situation particulière existe sur le pourtour occidental de l’Habitation no 4 (Fig. 10) où l’ouverture de la fosse no 5 se raccorde à une couche archéologique dispersée, présente au sommet d’un limon à fines lentilles sableuses appartenant à l’unité D. À cet endroit, cette couche archéologique attribuable au Toptalishche To1 est distinctement sous-jacente aux ossements de mammouth préservés à la périphérie de l’Habitation no 4 (Fig. 10 et 12) et paraît bien s’inscrire dans le prolongement de la couche

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Fig. 10. Stratigraphie du bord occidental de l’Habitation no 4. Symboles graphiques et abréviations comme les Fig. 4 et 7. Stratigraphy of the western side of Dwelling 4. Graphic symbols and abbreviations as for Figs. 4 and 7.

archéologique inférieure rencontrée dans la tranchée ouverte en 1995 au centre de cette habitation (Soffer et al., 1997, p. 60). Le Toptalishche To-1 permet donc d’établir la liaison entre les fosses no 5, 6, 8 et 10 dont le creusement s’avère contemporain de la première phase d’occupations du site (Fig. 10–13). Dans l’ensemble, ces fosses paraissent distinctement

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Fig. 11. Stratigraphie des fosses 8 et 10. Symboles graphiques et abréviations comme les Fig. 4 et 7. Stratigraphy of pits 8 and 10. Graphic symbols and abbreviations as for Figs. 4 and 7.

Fig. 12. Transect de l’Habitation no 4 (cf. Fig. 10). Section across Dwelling 4 (cf. Fig. 10).

implantées à proximité d’aires d’activités ou d’habitats, mais la présence d’habitations en ossements de mammouth n’a pu être documentée à ce niveau. La seconde phase d’occupations du site accompagne la mise en place du Toptalishche To-2 ; celui-ci est bien individualisé sur le bord occidental de la fosse no 6 où il se raccorde à la couche archéologique Z-2 dédoublée, associée à une seconde phase d’incision de la fosse (Fig. 9). Le Toptalishche To-2 est également bien documenté dans la partie occidentale du site où il est associé aux ossements de mammouth situés à la périphérie de l’Habitation no 4 (Fig. 10 et 12) et s’inscrit dans le prolongement altimétrique de la couche archéologique principale reconnue à l’intérieur de l’habitation (seconde couche) et supposée contemporaine de la construction de l’Habitation no 4 et du creusement de la fosse no 4 (Soffer et al., 1997). Par ailleurs, dans le présent contexte, l’attribution de l’Habitation no 4 à la seconde phase d’occupations repose essentiellement sur le positionnement stratigraphique des ossements de mammouth appartenant à la partie externe de cette structure. Dès lors, l’hypothèse de la mise en place de la partie centrale de cette structure au cours de la première phase d’occupations du site ne peut être exclue (Fig. 14). Cette remarque vaut également pour le positionnement des Habitations no 1 et no 2, auxquelles nous n’avons pas eu accès. Enfin, dans les différents secteurs, les témoins des première et seconde phases d’occupations sont à chaque fois séparés par une couche décimétrique de lœss sableux homogène bien classé. Dans le secteur sud-est du site, ce lœss sableux est présent dans la partie inférieure du remplissage des fosses no 8 et 10, sous la couche archéologique Z-2 qui se raccorde au Toptalishche

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Fig. 13. Schéma corrélatif des fosses 5, 6 et 8 (cf. Fig. 7, 9 et 13). GP : gel profond. Les dates 14C se réfèrent à la Section 5.3 ci-après (P.H., H.V., F.D.). Correlation scheme linking pits 5, 6 and 8 (cf. Figs. 7, 9 and 13). GP: deep frost. The radiocarbon dates are referring to Section 5.3 hereafter (P.H., H.V., F.D.).

To-2 préservé entre le bord sud de la fosse no 8 et le remblai de la fouille de l’Habitation no 1 de I. Pidoplichko. Latéralement le lœss se charge de lits de sable blanc (S1), qui se suivent en dehors des fosses sur plusieurs mètres de distance à la base de E1. La troisième phase d’occupations est associée au Toptalishche To-3, qui est bien individualisé dans le secteur sud-est du site, à la périphérie de l’Habitation no 1 (Fig. 7 et 8). En particulier, c’est à ce Toptalishche que se raccorde la couche archéologique Z-3, sus-jacente au dépôt sableux S2 de la partie médiane de E1, laquelle contient des ossements de mammouth, dont une grande mandibule, présents sur le bord méridional de la fosse no 8. Ceux-ci sont vraisemblablement issus de l’Habitation no 1 située à proximité immédiate, raccordée par I. Pidoplichko (1976) à l’épaisse couche archéologique To-3 associée à la fosse no 7 (Komar et al., 2003) dans les carrés 405 et 406 de la paroi méridionale (Fig. 8). Une situation comparable existe à l’aplomb de la fosse no 6 avec un troisième Toptalishche (To-3) préservé sur le bord ouest de la fosse, que prolonge la couche archéologique Z-3 (Fig. 9). Celle-ci y est séparée de la couche Z-2b par un dépôt limoneux homogène incorporant une couche sableuse (S-2) comparable à l’épaisse couche sableuse S-2 de la fosse no 8. De même, la structure en poche irrégulière qui affecte la couche archéologique Z-2b dans la fosse no 6 occupe une position équivalente à celle de la poche de limon lœssique présente sous l’épaisse couche

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Fig. 14. Schéma stratigraphique combinant séquence, fosses et habitations (cf. Fig. 4 et 16). GP : gel profond. Habitations versus occupations : barres verticales noires : bien documentés ; barres grises : possibles, mais quasi pas documentés. Les dates 14C se réfèrent à la Section 5.3 ci-après (P.H., H.V., F.D.). Stratigraphic scheme combining site sequence, pits and dwellings (cf. Figs. 4 and 16). GP: deep frost. Dwellings versus occupations: black vertical bars: well-documented; grey bars: possibly, but almost not documented. The radiocarbon dates are referring to the Section 5.3 hereafter (P.H., H.V., F.D.).

archéologique To-3 dans la paroi sud (Fig. 8, carré 406), ce qui conforte l’attribution de cette couche archéologique, associée à l’Habitation no 1, à la troisième phase d’occupations du site. Dans ce contexte, les grands ossements de mammouth sous-jacents à la couche sableuse S-2 dans la fosse no 6 pourraient être issus de l’Habitation no 2 située à proximité, auquel cas celle-ci appartiendrait dès lors à la seconde phase d’occupations du site (Fig. 13 et 14). Par ailleurs, l’Habitation no 4 fut aussi occupée au cours de la troisième phase, comme le laisse supposer le Toptalishche To-3 qui recoupe la couche archéologique principale (To-2) sur le pourtour de la structure (Fig. 10 et 12) et s’inscrit dans le prolongement de la troisième couche archéologique au centre de la l’habitation (Soffer et al., 1997, p. 60) ; c’est également à cette phase que pourrait être rapportée la seconde incision de la fosse no 4 (Kornietz, 1994). Enfin, une ultime occupation du site par les chasseurs paléolithiques pourrait correspondre aux quelques ossements et fragments de défense de mammouth rencontrés au-dessus de la couche sableuse S4 dans la partie supérieure du remplissage de la fosse 6 (Fig. 9), mais l’absence de traces de Toptalishche ou de couche archéologique à ce niveau rend cette éventualité hypothétique. 4. Dynamique sédimentaire et contexte environnemental (P.H.) Ces deux approches prennent en compte divers paramètres complémentaires ; dans le cas présent, elles combinent la géométrie des dépôts, leur contexte microstratigraphique à l’échelle du site et la texture des sédiments, mais aussi la signature des horizons pédologiques et des déformations cryogéniques.

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Fig. 15. Diagramme textural des dépôts limoneux (cf. Fig. 4). Grain-size distribution of the loamy deposits (cf. Fig. 4).

Sur la base de ces critères, les dépôts limoneux des unités A à C peuvent être attribués à des apports éoliens de type lœssique. De fait, ces unités, qui s’inscrivent selon une géométrie en pente douce de l’ordre de  2 % en direction de la rivière Ros, se caractérisent par un bon degré de classement avec des médianes comprises entre 50 et 40 microns (Fig. 15, éch. no 2, 4 et 6). Les lits de sable blanc présents dans la partie médiane des dépôts silteux A1 et C1 présentent également une géométrie parallèle à la faible pente du versant ; leur faciès, leur bon degré de classement (Fig. 16, éch. no 1 et 5) et les fortes proportions de pollen tertiaire qu’ils contiennent (Soffer et al., 1997, p. 54–55), évoquent des lits de sables soufflés issus des dépôts sableux paléocènes présents à proximité du site, lesquels furent également intégrés à la séquence fluviatile de la seconde terrasse. Quant aux couches de sable grossier de teinte jaunâtre, présentes dans la partie inférieure des limons silteux B1 (Fig. 16, éch. no 3), leur faciès implique une origine différente de celle des lits de sable blanc ; sans doute s’agit-il de sables soufflés à partir des dépôts fluviatiles émergés dans la plaine alluviale située en contrebas. Enfin, la distribution récurrente, au sommet des unités A, B et C, d’horizons grisâtres légèrement enrichis en matière organique (Soffer et al., 1997, p. 53) et soulignés par de nombreuses radicelles carbonatées, conduit à attribuer ceux-ci à des phases de stabilisation du paysage sous une couverture herbacée relativement dense, l’absence de traces d’hydromorphie étant révélatrice d’un milieu bien drainé. L’unité D s’inscrit en continuité avec les unités sous-jacentes ; elle s’en distingue cependant par la présence de nombreuses petites lentilles de sable jaunâtre réparties dans la masse (D1), qui

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Fig. 16. Diagramme textural des dépôts sableux (Fig. 4, 7 et 9). Grain-size distribution of the sandy deposits (Figs. 4, 7 and 9).

confèrent au dépôt une texture bimodale (Fig. 15, éch. no 7) et témoignent probablement d’une activité éolienne, peut-être combinée à du ruissellement (cf. Soffer et al., 1997, p. 53). Le faible horizon d’enracinement D2, qui coiffe les limons sableux, enregistre une courte phase de stabilisation du paysage contemporaine de la première occupation du site par les chasseurs paléolithiques. Celle-ci s’accompagne du creusement des fosses no 5, 6, 8, et 10 et de la formation du Toptalishche To-1 intégré à l’horizon D2 (Fig. 7 et 9). C’est également le cas de la couche archéologique Z-1 qui tapisse le fond des fosses. Ces fosses avoisinent un mètre de profondeur et furent vraisemblablement creusées au cours de la période estivale, leur base le plus souvent subhorizontale correspondant probablement au sommet du sous-sol demeuré gelé. Une césure se marque dans la séquence avec la mise en place de l’unité E. Composée d’une succession de couches de limon sableux gris-jaune pâle alternant avec des couches de sable blanc (S1 à S5) ; celle-ci contribue au colmatage des fosses et rehausse la surface topographique de plus de 50 cm sur l’ensemble du site (Fig. 5, 7 et 9). Dans ce contexte, le schéma proposé précédemment, attribuant les couches sableuses S2 et S3 préservés au niveau des fosses à des épandages anthropiques (Soffer et al., 1997, p. 54), s’avère difficilement compatible avec la continuité latérale des couches sableuses de l’unité E, lesquelles se suivent en dehors des fosses sur plusieurs mètres de distance le long des parois nord et est de l’excavation. De fait, le bon

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Fig. 17. Diagramme textural des dépôts des fosses 8, 6 et 5 (Fig. 7, 9 et 10). Grain-size distribution of sediments from pits 8, 6 and 5 (Figs. 7, 9 and 10).

degré de classement des dépôts de la moitié inférieure de l’unité E (Fig. 15, éch. no 17 ; Fig. 16, éch. no 9, 15 et 16 ; Fig. 17, éch. no 8 et 14) et leur large répartition spatiale (Fig. 5, 7 et 9), plaident en faveur d’une intense activité éolienne associant apports lœssiques et sables soufflés. L’ensemble évoque un environnement steppique à couverture herbacée très clairsemée, occasionnellement plus dense au niveau des horizons à pseudo-gley présents dans les petites dépressions subsistant à l’aplomb de la fosse no 8 qui captent plus d’humidité (Fig. 7 et 10). C’est dans ce type d’environnement steppique qu’eurent lieu la seconde et la troisième phase d’occupations du site. Rapportées à la sous unité E-1, elles correspondent respectivement aux couches archéologiques Z-2 et Z-3 qui encadrent le niveau sableux S2 dans les fosses no 8 et 6 (Fig. 7 et 9). Le caractère périglaciaire de l’environnement au cours de cette période est attesté par la poche aux contours irréguliers colmatée de limon sableux homogène, qui s’ouvre au sommet de Z-2 dans la fosse no 6 et érode les dépôts sous-jacents jusqu’à la base de la fosse (Fig. 9). Généralement associé à des processus thermokarstiques, ce type de structure est produit par l’écoulement des eaux de fusion dans un sol gelé (Haesaerts et Van Vliet-Lanoë, 1981) et témoigne donc d’un premier épisode rigoureux avec gel profond, de peu postérieur à la seconde phase d’occupation du site. Un deuxième épisode de gel profond suit de près la troisième phase

382

P. Haesaerts et al. / L’anthropologie 119 (2015) 364–393

d’occupations ; il se marque par la fente de gel et les étirements qui affectent le Toptalishche To3 à l’aplomb de la fosse no 7 en périphérie de l’Habitation no 1 (Fig. 8, carré 405). C’est à cet épisode de gel profond qu’il faut attribuer les déformations cryogéniques de la partie supérieure du remplissage de cette fosse (blocs de sédiments basculés et auréole grise déferrifiée), celle-ci ne pouvant être positionnée précisément en stratigraphie car son sommet fut tronqué au cours d’une fouille antérieure à 2005. La partie basale de la couverture limoneuse supérieure de Mezhyrich (unité F), présente un faciès de lœss à doublets (Fig. 4 et 5), dont la signature reproductible latéralement sur une dizaine de mètres (F1) évoque une sédimentation de type nivéo-éolien (Haesaerts et de Heinzelin, 1979). De la sorte, chaque doublet constitue un enregistrement annuel saisonnier, composé d’une couche limoneuse claire résultant de l’apport lœssique estival (Fig. 15, éch. no 18) et d’une fine couche sombre provenant de la fusion de la couverture neigeuse au printemps. Selon ce schéma, la séquence de 40 doublets répartis sur une trentaine de centimètres d’épaisseur, enregistrerait un taux de sédimentation d’environ 70 centimètres par siècle, ce qui, dans le cas d’un modèle théorique de sédimentation continue, représente sept mètres par millénaire. Au-dessus des lœss à doublets, l’essentiel de la couverture supérieure (F2) se compose d’un limon sableux homogène (Fig. 15, éch. no 19), également d’origine éolienne. La structure interne de ce dépôt est oblitérée par un réseau de petites bioturbations, auquel se superpose un ensemble de krotovines à remplissage limoneux brun sombre dépendant du chernozem de surface (unité G). 5. Datations radiométriques et chronostratigraphie (P.H., H.V., F.D.) 5.1. Distribution des dates

14

C

Le site de Mezhyrich constitue un ensemble archéologique et paléontologique exceptionnel par la présence sur près d’un demi hectare d’une grande diversité de structures anthropiques et de couches archéologiques associées à plusieurs phases d’occupations bien positionnées en stratigraphie. À ce jour, on dispose de 32 dates 14C pour ce site, comprises entre 12 900 BP et 19 280 BP ; celles-ci se répartissent en 4 groupes complémentaires en fonction du degré de résolution stratigraphique, de la nature du matériel daté et de la période de réalisation des datations (Fig. 18 ; Tableau 1). Le premier groupe se compose de 13 dates (no 1 à 13), produites avant 2002 sur os, os brûlé et dent de mammouth ; elles furent réalisées à Kiev (KI, 5 dates), à Moscou (GIN, 3 dates), mais également à Oxford (OxA, 2 dates), à New York (QC, 2 dates) et en Arizona (AA, 1 date). La plupart sont rapportées aux Habitations no 1, 2, 3 et 4 (DW, cf. Soffer, 1985) ou à une couche archéologique, sans plus de précision (Soffer, 1985 ; Soffer et al., 1997 ; Iakovleva, 2001). Le second groupe comprend 5 dates (no 14 à 18) réalisées après 2000 à Groningen (GrA, o n 15 et 17), à Saclay (Sac, no 14 et 18) et à Oxford (OxA, no 16) sur des os de loup et de renard polaire. Issus des fouilles anciennes, ceux-ci proviennent des collections du Département de Paléontologie du Musée des Sciences naturelles (ANSU) à Kiev ; ils sont rapportés aux Habitations no 1 et 2, et au Toptalishche situé au sud de l’Habitation no 4. Le troisième groupe intègre 12 dates réalisées entre 2006 et 2008 dans le cadre du Projet ANR « Mammouths » ; celles-ci se répartissent en quatre séries de trois dates produites sur ossements de mammouth (11 dates) et de loup (1 date) précisément positionnés en stratigraphie. La première série de trois dates fut réalisée à Groningen (no 19 et 20) et à Oxford (no 21) sur les échantillons KB-323 et KB-344 ; ceux-ci furent prélevés en 2007 à Mezhyrich sur la partie diaphysaire médiane de deux fémurs de mammouth appartenant à l’Habitation no 4 ; récoltés en

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phase

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GrA

Sac

GrA Sac 15,0

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Sac

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Sac Sac Sac

Sac

Sac 15,0

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Loup

384

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1987 lors de la fouille du site, ils proviennent respectivement des parois nord (KB-323) et sud (KB-344) de la structure. La seconde série de dates, produites à Groningen (no 24) et à Saclay (no 25 et 26), concerne les échantillons OS-07-9 (humérus de mammouth) et OS-08-01 (métacarpien de loup) ; issus de la fosse no 6 fouillée en 2007 et 2008, ils furent récoltés dans la partie médiane de la couche archéologique Z-2a qui tapisse la fosse. La troisième série concerne un fragment de côte de mammouth (OS-08-02) présent à la base de la fosse no 8 (couche Z-1), daté à trois reprises à Saclay (no 27 à 29). Quant à la quatrième série de dates, elle fut obtenue à Groningen (no 30) et à Saclay (no 31 et 32) sur un fémur de mammouth (OS-07-7) incorporé à la partie inférieure du remplissage de la fosse no 7 que l’on peut probablement rapporter à la couche Z-3 (Komar, et al., 2003). Enfin, le quatrième groupe comprend 2 dates obtenues à Saclay sur des échantillons (MZH2 et MZH5, no 22 et 23) de charbon de bois (Marquer et al., 2012), attribué à Salix, issus de deux petites concentrations préservées dans la partie supérieure de la couche archéologique Z-2a de la fosse no 6. 5.2. Intercomparaison et validation du système Compte tenu de la diversité des données chronologiques disponibles à Mezhyrich, une première approche vise à évaluer la cohérence des dates produites avant 2002 (no 1 à 13) par rapport aux données radiométriques ultérieures, lesquelles s’inscrivent toutes entre 14 300 et 15 500 BP (no 14 à 32). De la sorte, on peut valablement écarter les 5 dates produites à Kiev, comprises entre 17 800 et 19 300 BP (no 9 à 13), de même que la date no 8 du laboratoire de New York (QC-900 : 15 245  1080 BP) affectée d’un sigma élevé et dépourvue de label stratigraphique. C’est également le cas de la date no 1 (OxA-709 : 12 900  200 BP), nettement plus jeune par rapport à l’ensemble du système. Quant aux 6 dates restantes (no 2 à 7) comprises entre 14 300 et 14 700 BP et rapportées aux Habitations no 1, 2, 3 et 4 (DW), elles seront retenues ici, car elles sont cohérentes avec la série des dates produites après 2000 à Groningen, à Oxford et à Saclay, bien que présentant des sigmas nettement plus élevés (Fig. 18). La seconde approche concerne les dates multiples effectuées sur un même échantillon dans un même laboratoire ou encore dans deux laboratoires, afin de tester la pertinence et la reproductibilité des dates obtenues. Cinq ossements furent sélectionnés pour ce type de datation (Tableau 2 et Fig. 18) :  l’os de loup DW 2 provenant de l’Habitation no 2, daté à Oxford (no 16) et à Groningen (no 17) ;  le fémur de mammouth KB-344 de l’Habitation no 4, également daté à Groningen (no 20) et à Oxford (no 21) ;  l’os de mammouth OS-07-9 de la partie médiane de la couche Z-2a de la fosse no 6, daté à Groningen (no 24) et à Saclay (no 25) ;  le fragment de côte de mammouth OS-08-02 à la base de la fosse no 8 (Z-1) daté à trois reprises à Saclay (no 27 à 29) ;  le fémur de mammouth OS-07-7 provenant de la fosse no 7 (Z-2 ou Z-3 ?) daté à Groningen (no 30) et à Saclay (no 31 et 32). Fig. 18. Distribution stratigraphique des dates 14C. Barres verticales grises : dates non retenues (cf. Section 5.2) ; barres noires : dates retenues. 1 : charbon de bois; 2 : mammouth (os) ; 3 : os ou dent (brûlé) ; 4 : loup ; 5 : renard polaire. Stratigraphic distribution of the radiocarbon dates. Grey vertical bars: dates not taken into consideration (cf. Section 5.2); black bars: accepted dates. 1: charcoal; 2: mammoth (bone); 3: bone or tooth (burned); 4: wolf; 5: polar fox.

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385

Tableau 1 Liste des dates 14C disponibles pour Mezhyrich, Dobranichivka et Mezin (décembre 2010). Available radiocarbon dates for Mezhyrich, Dobranichivka and Mezin (December 2010). no Mezhyrich Groupe 1: dates 14C obtenues avant 2002 Mezh : os mammouth DW 4 : os brûlé DW 1 : os brûlé DW 2 : os mammouth DW 2 : os brûlé DW 3 : os DW 3 : dent mammouth Cultural layer : os brûlé DW 4 cultural layer : os brûlé Cultural layer : dent brûlé Cultural layer (1976) : os brûlé DW 1 : os brûlé DW 1 : os mammouth

12 14 14 14 14 14 14 15 17 18 18 19 19

900  200 300  300 320  270 400  250 530  300 420  190 700  500 245  1080 855  950 020  600 470  550 100  500 280  600

OxA-709 GIN-2596 QC-897 OxA-712 GIN-2595 AA-1317 GIN-2593 QC-900 KI-1054 KI-1055 KI-1056 KI-1057 KI-1058

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13

Mezhyrich Groupe 2 : dates apre`s 2002 sur ossements des collections du De´partement de Pale´ontologie du Muse´e National d’Histoire Naturelle (ANSU) a` Kiev 14 400  90 SacA-14982 14 DW 1 : OS 07-6 (1966), tibia renard polaire DW 1 : fémur loup 14 450  90 GrA-22501 15 DW 2 : fémur loup 14 380  60 OxA-13044 16 14 600  110 GrA-22094 17 Idem OxA-13044 DW 4 : OS 07-3 (1984), fémur loup (Toptalishche) 15 210  130 SacA-14981 18 Mezhyrich Groupe 3 : dates apre`s 2002 sur du mate´riel issu des fouilles du programme Habitation no 4 (To-2) KB-323 : fémur mammouth, bord nord HA-4 14 550  70 KB-344 : fémur mammouth, bord sud HA-4 14 560  70 Idem GrN-29877 14 790  60 Fosse 6 : Z-2a supérieur (To-2) MZH-5 : charbon de bois 14 600  60 MZH-2 : charbon de bois 14 610  60 Fosse 6 : Z-2a médian (To-2) 14 750  50 OS 07-9 : os mammouth Idem GrA-38810 14 810  90 OS 08-01 : métacarpe loup 15 320  90 Fosse 8 : Z-1 (To-1) 14 830  90 OS 08-02 : côte mammouth Idem SacA-12041 14 920  90 Idem SacA-12041 14 970  90 Fosse 7 : Z-2 ou Z-3 ? OS 07-7 : fémur mammouth 14 590  60 Idem GrA-38787 15 030  90 Idem SacA-11176 15 430  90 Mezin (2004) Mezin P.H. : métacarpe loup 14 560  90 Dobranichivka (2004) Dobran 1 : métacarpe ours 14 355  90 13 990  90 Idem GrA-22472

ANR 2005–2008) GrN-29876 GrN-29877 OxA-15587

19 20 21

SacA-11487 SacA-11486

22 23

GrA-38810 SacA-11177 SacA-12040

24 25 26

SacA-12041 SacA-14984 SacA-12259

27 28 29

GrA-38787 SacA-11176 SacA-14986

30 31 32

GrA-22499

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GrA-22472 OxA-12108

34 35

386

P. Haesaerts et al. / L’anthropologie 119 (2015) 364–393

Tableau 2 Mezhyrich : dates 14C multiples sur mêmes échantillons. Mezhyrich: multiple radiocarbon dates on same samples. no 2e groupe Habitation no 2 DW 2 : fémur loup Idem 3e groupe Habitation no 4 : bord sud KB-344 : fémur mammouth Idem Fosse 6 : Z-2a médian OS 07-9 : os mammouth Idem Fosse 8 : Z-1 OS-08-02 : côte mammouth Idem Idem Fosse 7 : (Z-2 ou Z-3 ?) OS 07-7 : fémur mammouth Idem Idem

14 380  60 14 600  110

OxA-13044 GrA-22094

16 17

14 560  70 14 790  60

GrN-29877 OxA-15587

20 21

14 750  50 14 810  90

GrA-38810 SacA-11177

24 25

14 830  90 14 920  90 14 970  90

SacA-12041 SacA-14984 SacA-12259

27 28 29

14 590  60 15 030  90 15 430  90

GrA-38787 SacA-11176 SacA-14986

30 31 32

Sur les cinq ossements testés, le recouvrement des dates est de un sigma pour OS-07-9 (no 24 et 25) et OS-08-02 (no 27–29), de deux sigmas pour DW 2 (no 16 et 17) et KB-344 (no 20 et 21) ; par contre, OS-07-7 (no 30–32) pose problème, la dispersion des dates étant à chaque fois supérieure à deux sigmas (Fig. 18). Par ailleurs, la fiabilité du système a pu être renforcée en comparant les dates produites sur plusieurs échantillons issus d’une même couche archéologique. On dispose de la sorte de quatre séries de dates qui couvrent la majeure partie de la séquence archéologique et présentent à chaque fois un recouvrement à l’échelle d’un sigma (Fig. 19). C’est le cas notamment des deux dates produites sur les concentrations de charbon de bois MZH-2 et MZH-5 de la partie supérieure de la couche archéologique Z-2a (fosse no 6), dont les âges sont quasi identiques (no 22 et 23), mais aussi des deux dates produites à Groningen pour les ossements KB-323 et KB-344 de l’Habitation no 4 (no 19 et 20). Sur la base de ces critères, 11 dates supplémentaires (reproduites en gris sur les graphiques de la Fig. 18) ont été mises en réserve. Cela concerne en particulier les trois dates no 30 à 32 sur le fémur de mammouth de la fosse no 7, dont la large dispersion n’est guère compatible avec le degré de résolution du système. De même, les dates no 26 sur l’os de loup de la fosse no 6 (couche Z-2a,) et no 18 sur l’os de loup du Toptalishche dans le prolongement de l’Habitation no 4, s’avèrent discordantes par rapport à l’ensemble des dates disponibles pour les mêmes couches. Par ailleurs, les six dates produites avant 2002 sur os et os brûlés, rapportées aux Habitations no 1 (DW 1, no 3), 2 (DW 2, no 4 et 5) et 4 (DW 4, no 2), bien que comparables à celles obtenues après 2002 pour des couches archéologiques équivalentes, ne sont plus prises en compte, leurs sigmas compris entre 250 et 300 ans étant trop élevés par rapport aux sigmas des dates ultérieures. C’est également le cas des deux dates rapportées à l’Habitation no 3 (DW 3, no 6 et 7), laquelle sort du cadre stratigraphique de la présente étude.

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3 ka BP

14,5

ème

14

phase 2

15

ème

ka BP

14,5

Sac

ème

phase

16 17

OxA

ka BP

2

19

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14,5

ème

387

phase

ka BP

22

1

23

24 25

14,5

ère

phase

27 28 29

14,5

GrA GrN

GrN

Sac

Sac

GrA GrA OxA 15,0

15,0

15,0

Sac 15,0

15,0

Sac Sac Sac

Fig. 19. Distribution des dates 14C validées. Symboles graphiques comme la Fig. 18. Distribution of the accepted radiocarbon dates. Graphic symbols as for Fig. 18.

5.3. Chronologie de la séquence archéologique Au départ, on disposait de 32 dates 14C, dont 13 dates produites avant 2002 furent écartées car nettement discordantes par rapport à l’ensemble (6 dates) ou présentant des sigmas très élevés (7 dates). Sur les 19 dates produites après 2002, 5 dates furent également écartées sur la base de divers critères visant à contrôler la cohérence et le degré de fiabilité de l’approche chronologique (Fig. 19). La séquence chronologique de Mezhyrich repose donc sur 14 dates 14C, pour la plupart bien positionnées en stratigraphie, l’ensemble présentant une distribution chronologique cohérente qui situe les trois phases d’occupations du site entre ca 15 050 et 14 300 14C BP (Fig. 14 et 19). La première phase d’occupations est documentée par le Toptalishche To-1 associé à l’horizon d’enracinement au sommet de l’unité D ; celui-ci fut recoupé en plusieurs endroits dans les profils de la moitié septentrionale de l’excavation et le long de sa paroi orientale où il se raccorde à la fine couche archéologique Z-1 de la base de la fosse no 8 (Fig. 16). Une connexion similaire existe de part et d’autre de la fosse no 6, dont la base enregistre un premier épisode d’incision (Z1, Fig. 19). La chronologie de cette première phase repose sur trois dates cohérentes (no 27–29) obtenues sur une côte de mammouth à la base de la fosse no 8, situant celle-ci entre 15 050 et 14 750 14C BP à un sigma (Fig. 19). La seconde phase d’occupations, rapportée à la partie inférieure de l’unité E, est séparée du sommet de l’unité D par un dépôt de lœss sableux (E1), avec lits de sables soufflés (S1) ; elle accompagne la mise en place du Toptalishche To-2, qui est bien développé sur le bord méridional

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de la fosse no 8 (Fig. 7 et 13), mais aussi sur le bord occidental de la fosse no 6 où il se raccorde latéralement à la couche archéologique dédoublée Z-2a et Z-2b (Fig. 19) ; le Toptalishche To2 est également présent sur le bord occidental de l’Habitation no 4, dans le prolongement des ossements appartenant à l’habitation (Fig. 12 et 13). La chronologie des épisodes de la seconde phase est documentée par trois séries cohérentes de deux dates comprises entre 14 900 et 14 480 qui s’inscrivent en continuité avec les âges de la première phase (Fig. 14 et 19) : respectivement entre 14 900 et 14 700 BP sur os de mammouth pour la partie médiane de la couche archéologique Z-2a (no 25 et 24), entre 14 670 et 14 540 BP sur charbon de bois pour la partie supérieure de Z-2a (no 22 et 23) et entre 14 620 et 14 480 BP sur les fémurs de mammouth KB-323 et KB-344 de l’Habitation no 4 (no 20 et 19). Quant à la date de 14 790  90 BP produite à Oxford pour KB-344 (no 21), bien que supérieure aux précédentes, elle demeure cependant compatible avec les âges de la partie médiane de Z-2a (Fig. 19). Dans ce contexte, il importe de considérer la relation entre le matériel daté et l’évènement que l’on veut dater, dans le cas présent, les phases d’occupations du site et les habitations en ossements de mammouth qui y sont associés. Concernant les dates sur os de mammouth, celles-ci peuvent être quelque peu surévaluées, dans la mesure où plusieurs décennies, voire un siècle, peuvent séparer la mort de l’animal et l’utilisation des ossements par les Paléolithiques dans un environnement de steppe froide. La situation est cependant différente dans le cas des deux dates de la fosse no 6 obtenues sur des charbons de bois de la partie supérieure de Z-2a ; le charbon de bois étant issu de la végétation contemporaine de l’activité humaine, ces deux dates comprises entre 14 670 et 14 540 BP constituent donc un marqueur précis pour la seconde phase d’occupations du site. D’autre part, concernant l’Habitation no 4, dans la mesure ou la majeure partie des ossements qui la composent est probablement issue de concentrations naturelles à proximité du site, plutôt que d’activités cynégétiques (Soffer, 1985), ou tout au moins résultant principalement de collectes sur des accumulations osseuses, la mise en place de cette habitation pourrait être quelque peu postérieure à l’âge des ossements, donc plus proche de 14 500 BP. Dans ce cas, celleci serait associée à la partie terminale de la seconde phase d’occupations, correspondant à la couche archéologique Z-2b de la fosse no 6. Ce pourrait également être le cas de l’Habitation no 2 située à proximité, comme le laisse supposer les grands ossements de mammouth présents dans le lœss sableux sus-jacent à la couche Z-2b et probablement issus du démantèlement de cette habitation. La troisième phase d’occupations est séparée des témoins de la seconde phase par une alternance de lœss sableux et de sables soufflés (E-1), présentant à la base une structure de sousfusion de type thermokarst, qui traduit un épisode de gel profond bien développé au niveau de la fosse no 6. Cette phase d’occupations est associée au Toptalishche To-3 préservé sur le bord occidental de la fosse no 6 dans le prolongement de la couche archéologique Z-3, mais aussi en bordure et dans la partie centrale de l’Habitation no 4. Le Toptalishche To-3 est surtout bien individualisé de part et d’autre de l’Habitation no 1 où il se raccorde à la partie médiane de l’unité E et incorpore de grands ossements de mammouth à l’aplomb de la fosse no 8, lesquels sont probablement dérivés de cette habitation. Sur les 19 dates produites après 2002, seules deux dates se réfèrent à l’Habitation no 1 (DW 1) : respectivement 14 400  90 (no 14) et 14 450  90 BP (no 15). Obtenues sur ossements de renard et de loup issus des anciennes collections, deux espèces bien représentées parmi la faune chassée des couches archéologiques, ces deux dates peuvent être valablement rapportées à la troisième phase d’occupations correspondant au Toptalishche To-3 associé à l’Habitation no 1 (Fig. 13, 14 et 19).

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Mezhyrich

Dobran. ka BP

33 34

14,0

Mezin ka BP

35

14,0

ka BP

To-3 (Ha-1)

Ha-4 (To-2)

14

19

15

Z-2a

20

22

23

Z-1

24 25

27 28 29

14,0

Gontsy ka BP

Niveau supérieur

14,0

OxA

?

14,5

OxA

14,5

14,5

14,5

Sac GrA GrN

GrA

GrN

GrN

GrN

GrA OxA Sac

15,0

15,0

Sac

15,0

15,0 Sac Sac

1 2 3 4 5 6 7

Bois

Loup Ours

Fig. 20. Distribution régionale des dates 14C. Regional distribution of the radiocarbon dates. 1: charcoal; 2: wood; 3: mammoth (bone); 4: bone or tooth (burned); 5: wolf; 6: polar fox; 7: bear.

Par ailleurs, notons que le site de Mezhyrich ne constitue pas un cas isolé en Ukraine centrale ; de fait, plusieurs gisements analogues ont fourni des dates 14C comparables (Tableau 1 et Fig. 20). A Dobranichivka, sur le versant oriental de la vallée du Dniepr, on dispose des dates croisées 13 990  90 et 14 355  90 BP réalisées en 2002 à Oxford et à Groningen sur un ossement d’ours prétraité à l’IRSNB, issu de la structure en os de mammouth. Ce serait également le cas du gisement de Mezin (ou Mizyn en ukrainien, vallée de la Desna) daté de 14 560  90 BP à Groningen sur os de loup prétraité à l’IRSNB. De même à Gontsy (ou Hintsi en ukrainien), dans la région de Poltava, la dizaine de dates produites à Oxford sur os, os brûlé et dents de mammouth situe les deux niveaux archéologiques du site entre 13 900 et 14 800 BP (Iakovleva, 2001). 5.4. Contexte chronostratigraphique La séquence pédosédimentaire de Mezhyrich comprend deux générations de dépôts lœssiques (unités A à D et unité F) séparées par un ensemble de lœss sableux et de sables soufflés (unité E). Les lœss inférieurs évoquent un environnement steppique relativement humide avec plusieurs épisodes de stabilisation sous couvert herbacé continu. C’est dans ce contexte que se situe la première phase d’occupations du site datée entre environ 15 050 et 14 750 BP (entre 18 300 et17 900 CalBP) au sommet de l’unité D (Tableau 3). Les deuxième et troisième phases d’occupations sont associées aux habitations en ossements de mammouth. Celles-ci sont datées respectivement entre 14 900 et 14 500 BP (entre 18 150 et 17 600 CalBP) et entre 14 500 et

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Tableau 3 Mezhyrich : dates 14C calibrées (OxCal v4.2.3, Reimer et al., 2013). Mezhyrich: calibrated radiocarbon dates (OxCal v4.2.3, Reimer et al., 2013). no Habitation no 1 (To-3) OS-07-06 DW 1

14 400  90 (Sac-14982) 14 450  90 (GrA-22501)

17 418–17 686 17 479–17 745

14 15

Habitation no 2 (To-3 + To-2 ?) DW 2 DW 2

14 380  60 (OxA-13044) 14 600  110 (GrA-22094)

17 432–17 627 17 650–17 909

16 17

Habitation 4 (To-2) K-323 K-344 K-344

14 550  70 (GrN-29876) 14 560  90 (GrN-29877) 14 790  90 (OxA-15587)

17 622–17 843 17 619–17 865 17 875–18 116

19 20 21

Fosse 6 : Z-2a supe´rieur (To-2) MZH5 MZH2

14 600  60 (Sac-11487) 14 610  60 (Sac-11486)

17 681–17 882 17 692–17 892

22 23

Fosse 6 : Z-2a me´dian (To-2) OS-07-9 OS-07-9

14 750  50 (GrA-38810) 14 810  90 (Sac-11177)

17 866–18 031 17 895–18 138

24 25

Fosse 8 : Z-1 (To-1) OS-08-02 OS-08-02 OS-08-02

14 830  90 (Sac-12041) 14 920  90 (Sac-14984) 14 970  90 (Sac-12259)

17 916–18 162 18 016–18 268 18 069–18 323

27 28 29

Fig. 21. Distribution des dates 14C calibrées (OxCal v4.2.3, cf. Reimer et al., 2013). Distribution of the calibrated radiocarbon dates (OxCal v4.2.3, cf. Reimer et al., 2013).

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GISP 2 18

++

O

-42

Ca -38

400

ka BP 14

15

16

17

18

Ph-3 Ph-2 Ph-1

19

20 Fig. 22. Chronologie des phases d’occupations de Mezhyrich versus GISP2. Positionning of the Mezhyrich chronology with regard to GISP2.

14 300 BP (entre 17 750 et 17 400 CalBP) ; elles se situent au cours d’une période de forte activité éolienne (unité E) avec plusieurs épisodes de gel profond, qui précède de peu la mise en place de la couverture lœssique qui scelle le site (unité F). Les données réunies à Mezhyrich permettent de rapporter la séquence du site à la partie terminale du Pléniglaciaire supérieur, une période peu documentée dans le domaine lœssique d’Europe centrale et orientale (Haesaerts et al., 2007, 2010). Dans ce contexte, c’est la séquence des glaces du Groenland qui a servi de référence, après transposition des dates 14C en âges calibrés (OxCal v4.2.3 : Tableau 3 et Fig. 21). Comparées à la séquence du GISP2 qui établit une relation avec les apports de poussières carbonatées (Meese et al., 1997 ; Ram et Koenig, 1997), les trois phases d’occupations du site se positionnent au début de l’épisode GS 2 (Fig. 22), en bon accord avec la séquence pédosédimentaire de Mezhyrich, ce qui renforce l’attribution des

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habitations construites en ossements de mammouth à un épisode stadiaire de net contraste environnemental et climatique. Remerciements Ce travail pluridisciplinaire a été réalisé dans le cadre du projet de recherche international 2006–2009 : « Mammouths – La disparition de la steppe à mammouths : relation homme/ environnement à la fin du Pléniglaciaire en Europe orientale », subsidié par l’Agence Nationale de la Recherche (dir. S. Péan, no ANR-05-JCJC-0240-01, Programme « Jeunes chercheurs »). Il constitue également une contribution au projet MO/36021 de l’État Belge (SSTC). Les auteurs remercient les collègues et amis ukrainiens pour leur accueil et leur collaboration, mais aussi Éric Dermience de l’Institut Royal des Sciences Naturelles de Belgique pour le soin apporté à la réalisation des travaux infographiques.

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