Dieu le Père ou Dieu la Mère : questionner les origines. À propos de… « Dieu la mère : trace du maternel dans le religieux » de Patrick Merot

Dieu le Père ou Dieu la Mère : questionner les origines. À propos de… « Dieu la mère : trace du maternel dans le religieux » de Patrick Merot

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ScienceDirect L’évolution psychiatrique 80 (2015) 447–450

À propos de. . .

Dieu le Père ou Dieu la Mère : questionner les origines. À propos de. . . « Dieu la mère : trace du maternel dans le religieux » de Patrick Merot Didier A. Chartier (Psychiatre, Psychanalyste) ∗ 14, rue de Liège, 75009 Paris, France Rec¸u le 25 mai 2014

On m’a raconté qu’un jour, lors d’une présentation de malade, Jean Delay examinait une patiente qui présentait un délire mystique. À la suite de je ne sais quelle observation, la patiente dit au professeur : « Qu’est-ce que vous en savez, vous de la religion ? » Le professeur dit : « La religion est ce qui tient, ce qui détient, ce qui retient ; La religion est ce qui lie, ce qui délie, ce qui relie ! » Je me suis toujours demandé quelle tête la patiente avait pu faire en entendant cela. . . L’énoncé, imparable, de Jean Delay présente pourtant un caractère particulier, il est bicéphale. En d’autres termes il établit, en regard de la religion, une dualité. Le récent ouvrage de Patrick Merot [1], dès son titre, affiche cette dualité, entre la formulation explicite : « Dieu la mère » et l’implicite, celle qui est conforme à nos habitudes de langage : « Dieu le père ». Pourtant, cette formulation « scandaleuse » « Dieu la mère » ne nous choque pas, après tout nous avons lu le père Teilhard de Chardin qui parle sans ambages de la « mère universelle » [2] et nous ne sommes pas trop dupes du paterno-morphisme de Dieu. Il est bien dangereux cependant de ne pas être dupes car cela peut bien déboucher sur un arrêt de la pensée et c’est en quoi le travail de Patrick Merot nous semblera bien utile, travail psychanalytique qui nous fait réfléchir à ce que l’on peut entendre quand un patient parle de son rapport à Dieu. Une autre raison fait que sans doute cela ne nous choque pas, c’est le retour actuel dans notre pensée du sensoriel, là où le langage verbal avait pris l’avantage. Il y a une corrélation entre ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected]

http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2014.12.009 0014-3855/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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ces deux phénomènes probablement due à l’écoute grandissante que nous avons des recherches neuro-psycho-biologiques qui nous amènent vers les caractères originaires de la conscience, mais sans doute aussi parce que nous avons moins de prévention envers ce qui touche à la transcendance. Nous donnons à celle-là le sens que lui donnait Jaspers, c’est-à-dire traitant des choses qui échappent aux sens et concernent ce qui était avant et sera après nous. Une quête de l’originaire et de la destinée par-delà ou en dec¸à de la conscience. Ce serait un retour vers des fondamentaux et une réélaboration de la place d’un maternel-sensoriel donc qui viendrait réparer le discrédit de l’intellectualisme ! Nous comprenons alors peut-être mieux le retour actuel du religieux dans la vie sociale. Nous savons que la question de la religion a beaucoup agité les esprits psychanalytiques et l’on aurait un peu trop tendance à se contenter des formulations freudiennes sur l’obsessionnalité sociale de la religion [3]. Certes, Freud s’est intéressé aux mythologies religieuses, particulièrement à la mythologie chrétienne en laissant tout cela dans un domaine d’ordre, disons névrotique, centré sur la figure paternelle. Certes il y a eu des incursions dans le domaine de la psychose, et nous nous souvenons de l’air interloqué qu’avait pris P.-Cl. Racamier quand il nous parlait de ses recherches sur l’incestuel. Il évoquait les fantasmes d’auto-engendrement qu’il tenait pour particuliers à la psychose. Nous lui avions fait remarquer qu’un hymne à la Vierge Marie disait : « Bénie sois tu ô Marie, car tu as engendré celui qui t’a créée » et que Fatima était appelée par les Mahométans « La mère de son père » ! Je crois que Patrick Merot y verrait le signe d’un passage de la religion, avec toutes les représentations qui lui sont liées au religieux. L’usage de l’adjectif va se faire en parallèle avec celui de maternel par rapport à la mère ; il va rendre compte de l’indicible, de l’irreprésentable qui caractérise le maternel originaire. Cet auteur va suivre la trace implicite de cette référence au maternel dans toute la recherche freudienne et dans les débats qu’elle a suscité avec Romain Rolland au premier chef, mais aussi avec Jung et Ferenczi, et dans ses prolongements dans la pensée de Lacan. Il sera fascinant de le suivre jusque sur le chemin suivi par les mystiques, avec une place privilégiée donnée à l’apophatisme de Maître Eckhart, et aux auto-observations de Madame Guyon [4]. Nous savons combien celle-ci était tenue en haute estime par Fénelon, dont il faut citer ici un passage de son « Télémaque » : « Étranger tu me demandes quel est mon père ? Je te répondrai sans détour. Ma mère m’a dit que j’étais le fils d’Ulysse ; pour moi je n’en sais rien, car nul ne connaît son père1 . » Cela laisse à penser qu’il faudrait prendre comme antiphrase le célèbre « Pater incertus, mater certissima », puisqu’aussi bien c’est l’incertain, l’irreprésentable qui paraît être du côté du maternel. Notons ici la place du négatif : penser le maternel, c’est le penser comme trace d’un chaos primordial que la loi paternelle aura pour fonction d’organiser. Je me souviens de certaine homélie prononcée par un père dominicain. Il disait à ses ouailles que Dieu n’était pas un commerc¸ant avec qui on pouvait marchander son salut, que Dieu n’était pas représentable ni intelligible, que Dieu n’était rien de tout cela mais un père qui nous aimait. . . Cela m’avait laissé songeur ! Dieu n’était pas et était, fallait-il vraiment que cela entrât en opposition ? Assez curieusement cela renvoie à ces deux dimensions où se déploie la question des origines : la dimension paternelle qui se lie au langage verbal et la dimension maternelle qui serait de l’ordre de la sensorialité préverbale empreinte de négativité conc¸ue comme positivité à venir. C’est la position matricielle-maternelle de Teilhard de Chardin quand il parle de la « loi maternelle » qui

1

Cité par Levy-Valensi dans son Précis de psychiatrie, au chapitre Hérédité psychopathique, 1939 [5].

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va donner naissance à la personnation. Il faut cependant considérer ces deux dimensions comme deux hypostases qui ne sauraient s’exclure. On a assez parlé de la bisexualité psychique pour ne pas tomber dans cette impasse, mais bien plutôt revenir à un originaire où si Dieu a créé l’homme à son image, (« ce que nous lui avons bien rendu » complète Voltaire), on ne saurait oublier qu’Adam à ses débuts était homme et femme, une idée que n’aurait pas reniée Socrate. . . Revenir à l’originaire maternel, permet de penser l’espace des pré-discours, l’espace des communications archaïques dont nous portons les traces ineffac¸ables, ce qui est particulièrement perceptible dans l’expérience analytique. Les cas cliniques rapportés par P. Merot l’illustrent bien. Alors au fond, pourquoi tout cela ? Est-ce l’affaire des psychanalystes de disserter sur la religion, sauf à y glisser leurs opinions personnelles, voire leurs rancœurs ou leurs idéaux d’esprits forts ? Ne s’agit-il pas de bien autre chose qui a à voir avec la notion de théorie de la méthode ? Interroger le maternel, en gardant à l’esprit les conditions de son apparition dans la psychopathologie et dans la cure c’est justement à la fois s’interroger sur ses failles et se questionner soi-même sur sa pratique : qu’offre-t-on du maternel lorsque l’on propose une cure et lorsqu’on la mène ? Cela débouche naturellement sur une mise en tension du normal et du pathologique, tension inévitable et féconde. Mais cela ouvre aussi sur des voies de dégagement, comme celles de la sublimation qui peuvent représenter une issue parfaitement salvatrice à des souffrances psychiques avérées. Le travail de Patrick Merot est à ce titre riche de plus d’un enseignement. Explorant la recherche menée par Freud, il en montre la dynamique complexe, les butées et les ouvertures. On peut faire une analogie entre ce travail et le travail réflexif de tout un chacun à partir de ses interrogations fondamentales. Cela n’enlève rien à la spécificité de la pensée créatrice de Freud, cela montre aussi à quels renoncements oblige la nécessité de cohérence de cette pensée. Il est particulièrement touchant alors de voir comment cette recherche, personnelle, va donner lieu à des débats, avec ses grands présents, Romain Rolland, Jung, et ses grands absents, Janet. Les ouvertures créées par ces débats sont aussi intéressantes que les fermetures, car si, dans l’œuvre freudienne c’est le paternel qui sera mis en avant par nécessité vis-à-vis de la construction du complexe d’Œdipe, le maternel y apparaît de fac¸on implicite justement par le négatif. Les butées de Freud sur la question de la télépathie, de la transmission de pensée et autres avatars médiumniques ont bien été montrées [6]. On peut regretter que ces débats aient été freinés par les engagements de chacun, mais on peut aussi le comprendre, et si la position de Freud vis-à-vis de Janet n’est guère à l’honneur du maître viennois nous pouvons, quant à nous réparer cette erreur. En tous les cas, l’introduction du maternel dans la question a quelque chose de réparateur par rapport au discours convenu qui menac¸ait de s’installer autour de la figure du père et qui tendait à tourner à la langue de bois. Il s’agit donc d’extraire le religieux de la religion, du moins de l’idée que l’on s’en fait à partir de présupposés quelque peu réducteurs. Cela me fait penser à la fameuse phrase du « père » Loisy L’Évangile et l’Église, (1902) [7] qui ne fut pas pour rien dans son excommunication en 1908 : « Le Christ a annoncé le Royaume, mais c’est l’Église qui est venue » ; une phrase qui dit bien ce qu’elle veut dire mais qui a besoin aussi d’être remise dans son contexte, puisque justement il y est fait état du développement d’une pensée, ce que la phrase paraît contredire. . . Extraire le religieux de la religion et le divin de Dieu sans doute, c’est donc redonner sa place à l’originaire et aux manifestations actuelles de sa trace dans une disposition essentiellement transcendantale, mais en y réintroduisant la sensorialité et comme trace et comme actualité imperceptible. C’est ouvrir une dialectique que montre bien P. Merot, où l’évolution, on pourrait dire la croissance psychique, se produit par dégagement et non par effacement (sic), ce qui nous

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donne une perception différente du temps qui évoque la synchronicité des positions chères à Mélanie Klein et que ne renierait sans doute pas le père Teilhard de Chardin. Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références Merot P. Dieu la mère ; trace du maternel dans le religieux. Paris: PUF, coll. « Le fil rouge »; 2014, 175 p. de Chardin T. Le phénomène humain. Paris: Le Seuil; 1955. Merot P. Immatérialité de l’âme et matériau inconscient. Evol Psychiatr 2008;72(1):79–91. Rabeyron T, Chouvier B, Le Maléfan P. Clinique des expériences exceptionnelles : du trauma à la solution paranormale. Evol Psychiatr 2010;75:633–53. [5] Levy-Valensi J. Précis de psychiatrie. Paris: Baillière; 1936. [6] Evrard R, Rabeyron T. Les psychanalystes et le transfert de pensée, enjeux historiques et actuels. Evol Psychiatr 2012;77:589–98. [7] Loisy A. L’Évangile et l’église. Paris: Picard; 1902. [1] [2] [3] [4]