Cancer et religiosité : la connaissance de la maladie affecte-elle le degré de la foi en Dieu ?

Cancer et religiosité : la connaissance de la maladie affecte-elle le degré de la foi en Dieu ?

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Cancer et religiosité : la connaissance de la maladie affecte-elle le degré de la foi en Dieu ? A. Maalouf, G. Sleilati, R. Sarkis Université Saint Joseph, Faculté de Médecine – Beirut (Liban). Correspondance : R. Sarkis (MD, Ph. D), Hôtel-Dieu de France, Université Saint Joseph, Faculté de Médecine, Beirut, Liban. e-mail : [email protected]

Résumé / Abstract

Introduction

Cancer et religiosité : la connaissance de la maladie affecte-elle le degré de la foi en dieu ?

Le cancer est une expérience qui bouleverse toute la vie du patient et de sa famille. Traitements épuisants, diminution de la qualité de vie et l’incertitude de la survie sont parmi les fardeaux à supporter. Pour plusieurs, la religion et la spiritualité jouent un rôle important dans le « coping » à cette crise [1]. Des études menées auprès des patients avec divers types de cancer ont montré que la majorité considérait la religion comme importante et qu’elle les avait aidés à faire face à leur maladie [2-5]. De plus, religion et spiritualité sont associées avec une amélioration du confort du patient ainsi qu’une réduction de l’hostilité, de l’anxiété et de l’isolation sociale [6-8]. Cette conclusion est aussi supportée par deux grandes études menées par Levins et al. auprès de la population générale [9, 10]. Ils ont retrouvé que la religiosité et la participation à des services religieux étaient corrélées de façon positive à l’état de santé et de bien être. Cet effet bénéfique de la foi religieuse pour les cancéreux est solidement établi dans plusieurs travaux de recherche : meilleur ajustement [11, 12], meilleure qualité de vie avec moins de détresse [13], moins de douleur, moins de fatigue, moins de dépression [14, 15] et même meilleur fonctionnement immunitaire [16, 17]. Cette relation foi-cancer n’est pas unidirectionnelle puisque le cancer va aussi affecter la religiosité du patient. Plusieurs travaux ont décrit des individus qui s’ont senti plus proches de Dieu, plus sensibles au moment présent, plus appréciatifs de la vie, plus connectés à des forces au delà d’eux-mêmes ou plus imprégnés d’un sens de mission [18-20]. Concernant l’effet du cancer sur le degré de la foi religieuse, le faible nombre de recherches dans ce domaine ne permet pas de bien conclure. Dans une étude transversale chez des femmes âgées

A. Maalouf, R. Sarkis, G. Sleilati Objectif : Mesurer l’influence de la connaissance de sa maladie cancéreuse sur le degré de la foi religieuse chez le patient. Méthode : Interrogatoire auprès de 117 patients ayant une maladie cancéreuse admis au service d’oncologie de l’Hôtel Dieu de France durant la période allant du 24 Novembre 2005 au 1er Décembre 2005, et remplissage d’une version arabe du questionnaire du SCSORF : plus le score à ce questionnaire s’élève, plus il indique un haut degré de foi. Résultats : On a retrouvé un score plus élevé chez les patients qui sont au courant de leur maladie que ceux qui ne le sont pas (p < 0,001), plus élevé chez les femmes que les hommes (p < 0,05), plus élevé chez les Musulmans que les Chrétiens (p < 0,01) mais les Chrétiens avaient un score plus élevé à la question du confort dans la foi (p < 0,001), plus élevé chez les patients avec rechute de leur maladie que ceux sans rechute (p < 0,01), plus élevé chez les patients qui ne prenaient pas de benzodiazépines que ceux qui en prenaient (p < 0,05). On a aussi retrouvé une corrélation positive entre le niveau d’éducation et la connaissance de la maladie (p < 0,05), corrélation positive entre la durée depuis le diagnostic et la fréquence de la prière (p < 0,05) et une corrélation négative entre le niveau d’éducation et la préférence d’être en groupe avec des personnes de la même foi (p < 0,05). Conclusion : Cette étude est la première à démontrer que connaître son diagnostic de cancer est un facteur qui augmente le degré de la foi religieuse, indépendamment du stress mondain que vit le patient. Cela souligne l’importance de la foi du patient pour un meilleur contrôle des symptômes de la maladie ou des effets secondaires des traitements, avec une réduction de l’usage des benzodiazépines. Mots-clés : Cancer. Qualité de vie. Foi. Cancer and religiosity: does knowledge of disease affect the degree of faith in God?

A. Maalouf, R. Sarkis, G. Sleilati Objective: To measure the influence of knowledge of one’s cancer on the degree of religious faith in patients Method: Questioning of 117 patients with cancer who were admitted to the oncology department of the Hôtel Dieu de France Hospital during the period from 24 November 2005 to 1 December 2005, and filling out of an Arabic version of the SCSORF questionnaire: the higher the score on this questionnaire, the more it indicates a high level of religious faith. Results: We found a higher score in patients who knew about their disease than in those who did not (p<0.001), a higher score in women than in men (p<0.05), a higher score in Muslims than in Christians (p<0.01), but Christians had a higher score on the question concerning comfort in religious faith (p<0.001), a higher score in patients with relapse of their disease than those with no relapse (p<0.01), and a higher score in patients who were not taking benzodiazepines than in those who were taking them (p<0.05). We also found a positive correlation between education level and knowledge of the disease (p<0.05), a positive correlation between the time lapsed since diagnosis and the frequency of prayer (p<0.05), and a negative correlation between education and the preference for being in a group of people of the same faith (p<0.05). Conclusion: This study is the first to demonstrate that knowing one’s cancer diagnosis is a factor that increases the degree of religious faith, independently of the everyday stress J Chir 2007,144, N°5 • © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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experienced by the patient. This underscores the importance of the patient’s faith in better controlling the symptoms of the disease and the side effects of the treatments, with a reduction in the use of benzodiazepines.

ultérieure avec des patients de cancer de sein et des sujets sains a été menée pour examiner la stabilité test-retest [29]. Dans les deux échantillons, la mesure a démontré une bonne stabilité test-retest (r = 0,82-0,93) et une bonne consistance interne (alpha = 0,95-0,97). Le SCSORFQ des sujets cancéreux était plus élevé que celui des sujets sains ce qui relève un plus haut degré de foi chez les cancéreux. Le SCSORFQ s’est avéré être un moyen fiable et concis pour l’évaluation de l’intensité de foi religieuse. Les recherches antérieures ont comparé la foi d’un groupe cancéreux à celui d’un groupe sain ce qui ne permet pas de bien cerner si la connaissance de son diagnostic est à l’origine de cette différence en foi observée ou si c’est seulement le stress mondain que vit le cancéreux (visites fréquentes à l’hôpital, traitements lourds, fatigue…) qui est la cause. D’où l’intérêt de notre étude dont l’objet est de répondre à cette question en comparant les patients qui connaissent leur diagnostic à ceux qui ne le connaissent pas, deux populations qui par ailleurs sont comparables (toutes les deux vivent le stress des examens médicaux, des traitements et des hospitalisations). Le but de notre étude était d’essayer d’isoler l’effet cognitif du cancer sur le degré de la foi religieuse du patient cancéreux ; est-ce que la connaissance du diagnostic de cancer diminue la ferveur de la foi, l’augmente, ou reste-elle inchangée ?

Key words: Cancer. Quality of life. Faith.

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chez qui un diagnostic de cancer du sein a été nouvellement porté, la moitié a signalé une fortification de leur foi [1]. Des résultats semblables sont retrouvés dans une autre étude transversale chez des patients qui recevaient un traitement pour divers type de cancer [21]. La plupart ont signalé une augmentation de leur implication religieuse, avec 67 % qui ont signalé une augmentation de la prière et 51 % une augmentation de leur foi. En revanche, dans une étude longitudinale avec des patients cancéreux au stade terminal, il y avait peu de changement de la religiosité [3]. Parmi ceux qui sont décédés au cours de l’étude, il y avait une tendance vers la diminution ou la stabilisation de la foi religieuse plutôt qu’une augmentation. Une étude menée auprès de 108 patientes diagnostiquées avec un cancer gynécologique a montré que pour 76 % d’entre elles la religion avait une place sérieuse dans leur vie, 49 % sont devenues plus religieuses depuis leur diagnostic, aucune patiente n’est devenue moins religieuse, et 93 % pensaient que leur engagement religieux a aidé à garder leurs espoirs [22]. Certains ont proposé le modèle de maturation post traumatique de Calhoun et Tedeschi [23] pour expliquer ce phénomène : quand un individu subit une menace ou une souffrance majeure, cette expérience bouleverse ses suppositions à propos de ce monde et met en route un processus de réorganisation cognitive. Ces résultats insinuent qu’un haut niveau de menace pourrait mobiliser un plus grand « coping » religieux. Pour permettre une évaluation objective d’un certain aspect de la religiosité, plusieurs instruments de mesure ont été élaborés et validés. D’un intérêt particulier à notre étude est le « Santa Clara Strength of Religious Faith Questionnaire » (SCSORFQ) [24, 25]. Proposé par Plante et Bocaccini en 1997, cet instrument concis permet d’évaluer une dimension de la religiosité qui a reçu peu d’attention dans le domaine de recherche de la santé : le degré de la foi religieuse (tableau 1). C’est un questionnaire de 10 items à coter de 1 à 4 (de « je désapprouve fortement » à

Tableau 1 Les dix questions du SCSORFQ [24]. 1

Ma foi religieuse est très importante pour moi

2

Je prie quotidiennement

3

Ma foi est une source d’inspiration

4

Ma foi me procure du sens et du but dans ma vie

5

Je me considère actif dans ma foi, église, mosquée, temple

6

Ma foi est une part importante de ma personne

7

Ma relation avec Dieu est très importante pour moi

8

J’aime être parmi d’autres qui partagent ma foi

9

Je retrouve dans ma foi une source de confort

10

Ma foi a un impact sur plusieurs de mes décisions

« j’approuve fortement ») qui a démontré une forte cohérence interne et une bonne validité convergente et divergente dans plusieurs études avec des citoyens, des étudiants [24-26] et des consommateurs de substances dopantes [27]. De plus, le SCSORFQ ne contient pas de référence à une orientation religieuse particulière et donc peut être utilisé chez tous sujets quelle que soit leur affiliation religieuse. Pour étudier ses propriétés psychométriques parmi les sujets médicaux, l’instrument a été administré à 175 femmes consultantes une clinique de gynécologie et à 104 patients cancéreux recevant un traitement dans un programme de transplantation de moelle [28]. Dans les deux échantillons, le SCSORFQ a démontré une forte cohérence interne (alpha = 0,960,97) et une forte association avec les autres mesures de religiosité (religiosité intrinsèque, pratique religieuse, confort et puissance tiré de la religion, perception de soi comme religieux). Dans le groupe des cancéreux, le SCSORFQ score était corrélé avec le sexe où les femmes avaient un plus haut score. Une étude

Matériels et méthodes

L’échantillon Les participants à l’étude étaient tous des patients ayant une maladie cancéreuse, admis au service d’oncologie de l’hôpital de l’Hôtel-dieu de France (Beyrouth-Liban) pendant la période allant du 24 novembre 2005 au 1er décembre 2005, ayant un âge ≥ 18 ans avec un état clinique jugé adéquat pour une bonne compréhension du questionnaire et une bonne coopération. L’échantillon s’est ainsi constitué de 117 patients.

Les instruments Le seul et principal instrument de notre enquête consistait en un questionnaire simple comportant trois parties, la première relevant les caractéristiques

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Tableau 2 Les caractéristiques de l’échantillon. Âge – années

Type de cancer – n ( %)

Moyenne

60,45

Sein

34 (29,1)

Écart-type

13,44

Hématologique

21 (17,9)

Poumon

20 (17,1)

Femme

66 (56,4)

Tractus digestif

16 (13,7)

Homme

51 (43,6)

Gynécologique

10 (8,5)

Sexe – n ( %)

Nationalité – n ( %) Libanais

114 (96.6)

Étranger

4 (3,4)

Lieu de résidence – n ( %)

Pancréas

7 (6)

Prostate

3 (2,6)

ORL

2 (1,7)

Autre

4 (3,4)

Mois depuis le diagnostic – mois

Beyrouth

74 (63,2)

Moyenne

28,67

Mont Liban

23 (19,7)

Écart type

34,26

Bekaa

8 (6,8)

Mode

Nord

7 (6)

Médiane

Sud

3 (2,6)

Étranger

2 (1,7)

État civil – n ( %)

Traitement reçu – n (%) Médical

61 (52,1)

Radiothérapie

30 (25,6)

93 (79,5)

Veuf/Séparé

16 (13,7) Rechute de la maladie – n (%) 8 (6,8)

Niveau économique – n (%)

Oui

37 (31,6)

Non

80 (68,4)

Bas

33 (28,2) Traitement psychotrope – n (%)

Moyen

75 (64,1)

Élevé

9 (7,7)

Affiliation religieuse – n (%)

Aucun

78 (66,7)

Benzodiazépine

37 (31,6)

Anti-dépresseur

11 (9,4)

Chrétien

81 (69,2) Le SCSORFQ score – points/40

Musulman

36 (30,8)

Connaissance de la maladie – n (%)

117 (100)

Chirurgical

Marié Célibataire

2 12

Moyenne

34,69

Écart-type

4,32

Oui

79 (67,5)

Mode

37

Non

38 (32,5)

Médiane

36

Plus bas score retrouvé

14

Plus haut score retrouvé

40

Motif d’admission – n (%) Chimiothérapie Complication

110 (94) 7 (6)

socio-démographiques, la deuxième les caractéristiques médicales et la troisième consacrée à l’évaluation du degré de la foi. Cette partie était formée des dix questions du SCSORFQ traduites en arabe, chacune à coter par le patient de 1 à 4. Ainsi un total sur 40 a été calculé pour chaque patient, plus ce score augmente, plus le degré de foi est élevé.

La procédure Après une triple vérification du degré de connaissance du patient de sa maladie (interrogatoire des infirmières, des parents, et question indirecte posée au patient lui-même), les informations

démographiques et médicales étaient remplies puis le SCSORFQ était distribué à chaque patient. À noter que 14 malades ont répondu au questionnaire oralement (12 ne savaient pas lire et 2 n’avaient pas leur lunette de lecture avec eux).

L’analyse statistique L’analyse des données était faite grâce au logiciel SPSS® (Statistical Package for the Social Sciences). La corrélation entre le score et les paramètres quantitatifs et/ ou de type ordinal a été fondée sur le coefficient non paramétrique de Spearman. La comparaison du score entre les sous groupes a fait appel aux tests non

paramétriques de Mann-Whitney et de Kruskal-Wallis. L’analyse multivariée a fait appel à la régression ordinale selon le protocole de McCullagh (1980, 1998). La distribution des scores étant déviée à droite vers la gamme des valeurs supérieures, la fonction de liaison choisie est la fonction log-log complémentaire. La qualité d’ajustement du modèle a utilisé la statistique de Pearson. L’adéquation du modèle a fait appel au Pseudo R2 de Cox et Snell, de Nagelkerke et de McFadden. Le modèle final ayant le maximum de vraisemblance a été retenu. Chaque facteur dans ce modèle agit via son coefficient sur le score total. Quand le coefficient est positif, le facteur est favorable ; quand le coefficient est négatif, le facteur est de mauvais pronostic, l’amplitude du coefficient donnant l’importance de ce facteur, et ceci toutes choses étant égales par ailleurs car l’analyse est multivariée. Tous les tests sont bilatéraux, et p < 0,05 est considéré comme significatif. Le p < 0,10 tend vers la signification.

Résultats 417

L’échantillon (tableau 2) Le taux de participation était de 97,5 % (des 120 patients éligibles, 3 ont refusé de participer). La moyenne d’âge était de 60,5 ans avec 56,4 % de femmes. La majorité étaient des Libanais (96,6 %), résidant à Beyrouth (63,2 %), mariés (79,5 %) et d’un niveau socio-économique moyen (64,1 % avec un revenu mensuel entre 700 $ et 2 500 $). L’affiliation religieuse s’est répartie entre 69,2 % de Chrétiens et 30,8 % de Musulmans. Pour le niveau d’éducation, 9,4 % étaient illettrés, 60,7 % avaient une certaine éducation scolaire et 29,9 % avaient une éducation universitaire. Concernant la variable cruciale pour cette étude, qui est celle de la connaissance de la maladie cancéreuse, nous avons noté que 67,5 % des sujets étaient au courant de leur diagnostic alors que 32,5 % des sujets ne connaissait pas leur cancer. Plusieurs types de cancer ont été représentés, essentiellement le cancer du sein (29,1 %), hématologique (17,9 %), du poumon (17,1 %) et digestif (13,7 %). La moyenne des mois écoulés depuis le diagnostic était de 28,7 mois. Tous les malades avaient reçu un traitement médical (chimiothérapie, hormonothérapie)

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et 52,1 % un traitement chirurgical ; 31,6 % avaient eu une rechute de leur cancer et 33,3 % prenaient un traitement a effet psychotrope (31,6 % des patients étaient sous benzodiazépine). La moyenne du score au SCSORFQ était de 34,69/40 (écart-type de 4,32) avec la plus haute note pour la question 7 (3,90/4) et la plus basse pour la question 5 (2,79/4).

Tableau 3

Associations entre le score SCSORFQ et les autres variables (tableau 3)

Rechute

Score patients avec rechute > Score patients sans rechute

Prise de benzodiazépines

Score patients sans benzodiazépine > Score patients sous benzodiazépine

L’analyse statistique multivariée a montré que le score des patients au courant de leur maladie (35,92/40) était significativement supérieur à celui des patients non au courant (33,08/40) (p < 0,001), le score des femmes (35,89/40) était significativement supérieur à celui des hommes (33,84/40) (p < 0,05), le score des Libanais (35,23/ 40) était significativement supérieur à celui des étrangers (28,50/40) (p < 0,05), le score des Musulmans (35,58/40) était significativement supérieur à celui des Chrétiens (34,74/40) (p < 0,05), le score des patients avec rechute de leur maladie (35,24/40) était significativement supérieur à celui des patients sans rechute (34,89/40) (p < 0,05) et le score des patients qui ne prenaient pas un traitement de benzodiazépine (35,58/40) était significativement supérieur à celui des patients qui en prenaient (33,76/40) (p < 0,05). Bien que le score des Musulmans soit légèrement supérieur à celui des Chrétiens, l’analyse a retrouvé que le score des Chrétiens à la question 9 « Je retrouve dans ma foi une source de confort » (3,81/4) était supérieur à celui des Musulmans (3,28/4) de façon statistiquement très significative (p < 0,001). Aucune différence statistiquement significative n’est mise en évidence entre les scores SCSORFQ quand le reste des variables sont prises comme critère de regroupement (lieu de résidence, état civil, état financier, niveau éducatif, motif d’admission, modalités de traitement prises, antécédent de voyage, le type de cancer, durée depuis le diagnostic).

Durée depuis le diagnostic

Corrélation positive avec le score de la question 2

Niveau d’éducation

Corrélation négative avec le score de la question 8 Corrélation positive avec la connaissance de la maladie

Les corrélations Une corrélation positive existait entre la durée depuis le diagnostic et le score donné à la question 2 « Je prie quotidiennement » (rho de Spearman = + 0,209)

Les résultats significatifs selon les variables. Connaissance de la maladie

Score des patients au courant de leur maladie /Score des patients non au courant Corrélation positive avec le niveau d’éducation

Sexe

Score des femmes > Score des hommes

Nationalité

Score des Libanais > Score des Érangers

Religion

Score Musulmans > Score Chrétiens Score Chrétiens en Q9 > Score Musulmans

statistiquement significative (p < 0,05). Aussi, on a retrouvé une corrélation négative statistiquement significative entre le niveau éducatif et le score donné pour la question 8 « J’aime être parmi d’autres qui partagent ma foi » (rho de spearman = -0,269) (p < 0,05). Finalement, le niveau d’éducation et la connaissance de la maladie étaient corrélés de façon positive (rho de spearman = + 0,296) et statistiquement significative (p < 0,05).

Discussion

L’effet du cancer sur la foi On a montré que le score au SCSORFQ des patients ayant connaissance est supérieur à celui des patients n’ayant pas connaissance de leur cancer et n’est pas expliqué par une fluctuation d’échantillonnage. On peut alors conclure que le fait isolé de connaître sa maladie, indépendamment du stress que vit le cancéreux (traitements réguliers et lourds, altération de l’état général, admissions fréquentes à l’hôpital, examens de routine…) puisque ceci est aussi le vécu des non connaisseurs, est un facteur qui rapproche le patient de Dieu et augmente la ferveur de sa foi religieuse. Cette conclusion est en accord avec les résultats des études qui ont comparé le degré de la foi religieuse entre un groupe cancéreux et un autre non cancéreux [28, 29]. Nous pensons que ce changement dans la religiosité pourrait être en partie expliqué par le modèle de maturation post-traumatique de Calhoun et Tedeschi. Dans la mentalité de beaucoup de gens, cancer et décès vont de soi, donc divulguer le diagnostic

les jette dans un monde inconnu où la possibilité de mourir est considérée très sérieusement. Cette situation bouleverse toutes ses suppositions, toutes ses certitudes à propos de ce monde. Les choses qui paraissaient tellement importantes avant sont refoulées au second plan, les projets de vie sont suspendus, sa place dans le schéma de la vie n’est plus claire. Le sujet se sent fragile, perdu, seul, cherchant le pourquoi de cette « injustice ». Cette quête aussi intellectuelle que spirituelle est tout un processus de réorganisation cognitive, une réévaluation de toutes ses philosophies existentielles. Mais tout ce monde matériel ne lui offre aucune explication plausible pour ce grand « Pourquoi ? ». C’est à ce moment qu’il se fixe les yeux plus sur Dieu, commence à s’attacher de plus en plus à ses croyances religieuses qui prennent dès lors le premier plan et lui offrent une explication plus plausible à son dilemme et plus encourageante. Même si beaucoup de questions restent non résolues, le patient s’attache plus à ce principe d’une réalité transcendante, de Dieu et d’une vie qui continue dans l’au delà : c’est la foi qui augmente.

À propos des autres facteurs Notre étude n’a pas montré de relation entre le niveau d’éducation et le degré de foi, de même que les deux études de Sherman et al. [28, 29]. Est-ce c’est parce qu’il n’y a vraiment pas de relation ? Ou bien est-ce l’effet traumatisant majeur du cancer qui efface une telle relation et rend l’effet de l’éducation sur la foi non détectable ? Il est impossible de

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trancher avec les données de cette étude. Par contre, on a remarqué que plus le niveau d’éducation augmente, moins le patient aime être parmi d’autres qui partagent sa foi (corrélation négative avec le score à la question no 9 et le niveau d’éducation). Cela est probablement dû au fait que plus un individu devient intellectuel, plus il a tendance à réfléchir aux événements pour leur trouver une explication rationnelle, et moins il trouve de bénéfice aux réunions émotionnelles. De plus, on a retrouvé que plus le niveau d’éducation augmente plus le taux de patients au courant de leur diagnostic augmente (corrélation positive entre ces deux variables) ; résultat auquel on s’attendait. Dans un pays tel que le Liban, la famille du patient et le médecin traitant étudient soigneusement la décision de divulguer le diagnostic au malade. L’arguement qui a le plus de poids sur une cette décision est de prévoir comment le malade va réagir à cette nouvelle, panique ou compréhension, et son effet sur sa qualité de vie. Le niveau d’éducation joue ainsi un rôle essentiel dans cette évaluation. Moins une personne est éduquée moins elle comprend le cancer en tant que maladie potentiellement traitable et plus elle l’envisage comme sentence de mort. C’est pour cela que famille et médecin sont plus réticents à divulguer le diagnostic. Le degré de foi chez les femmes de notre étude était plus élevé que celui des hommes, confirmant les résultats des publications antérieures [28, 29]. Cette différence est due au fait que les femmes sont par nature plus émotionnelles alors que les hommes sont plus rationnels. Ce sujet est discuté dans plusieurs travaux de recherches. Cette nature émotionnelle rend les femmes plus sensibles aux expériences traumatisantes et plus connectées à leur spiritualité. Bien que notre analyse ait montré que les Libanais ont un plus haut degré de foi que les étrangers, ces résultats sont contestables. Le nombre d’étrangers inclus dans l’étude est trop faible pour être représentatif et ne permet pas une bonne exploitation des résultats. C’est pourquoi, il nous paraît prudent de s’abstenir de tirer des conclusions regardant la nationalité. Le degré de foi des Musulmans était plus élevé que celui des Chrétiens, ces derniers retrouvant plus de confort dans

leur foi que les Musulmans. Notre opinion peut être critiquée, mais nous pensons que ces deux différences découlent directement de la manière dont chacune des deux religions présente l’image de Dieu. Dans l’Islam, Dieu est le tout puissant créateur de l’univers, le sage juge, le juste, l’unique, l’amour par excellence, qui demande toute notre attention et notre respect. Rentrer en communion avec lui nécessite une totale obéissance à ses devoirs et ses décrets. Cette sincère quête de communion, de plaire à Dieu et accomplir ses devoirs est à l’origine d’un haut degré de foi religieuse. Dans le Christianisme, l’image de Dieu est un peu différente. Oui, Dieu est le Créateur, le tout puissant, le juge, le sage, l’amour par définition, comme dans l’Islam, mais pour les Chrétiens, Dieu est aussi le fils du modeste charpentier né il y a presque 2 000 ans, qui a vécu dans la pauvreté, qui a partagé douleur et souffrance, et par son amour pour l’homme, a choisi d’être crucifié à notre place et assurer le salut de l’homme. Dieu s’est incarné parmi nous et a vécu le pire de nos problèmes. Ce message peut être à l’origine d’un haut degré de confort et de bienêtre chez les Chrétiens qui tirent plus de signification et de valeur à leur souffrance. Pour le traitement psychotrope, les patients qui étaient sous benzodiazépines avaient un plus bas score au SCSORFQ que ceux qui ne l’étaient pas. Que comprendre de ce résultat ? : 1) est-ce qu’un traitement par anxiolytique diminuait le degré de foi du patient en lui donnant un meilleur sentiment de bien être et en diminuant l’importance de ses croyances religieuses ? ou ; 2) c’est parce que ceux ayant un haut degré de foi se sentaient déjà plus ou moins confortables et non anxieux qu’ils ne nécessitaient pas un traitement anxiolytique ? Formulée autrement, la question qui se pose est, est-ce que c’est la prise d’anxiolytique qui influe la foi ou c’est la foi qui influe la prise d’anxiolytique ? Notre expérience auprès des patients ainsi que les études précédentes [9-12] qui ont mesuré le degré d’anxiété en rapport avec le religiosité soutiennent la deuxième hypothèse : un haut degré de foi résulte en moins d’anxiété et en un meilleur état de bien être psychologique, et rend moins nécessaire le traitement anxiolytique aux patients.

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Limitations Beaucoup d’attention et de vérification ont été utilisées durant la traduction du SCSORFQ, la version arabe n’a pas bénéficié d’une étude pilote pour la validation du questionnaire en cette langue. Une telle étude aurait était nécessaire pour s’assurer que le SCSORFQ en arabe n’a pas perdu de ses qualités de mesure et de consistance. Mais le questionnaire est court, fait de 10 questions, lesquelles sont formulées de manière très simple, on a opté pour ne pas faire d’étude pilote. Le second point faible est le fait que 14 patients n’ont pas rempli personnellement le questionnaire mais ont répondu oralement pour chaque item qui leur était lu à haute voix. Ceci pourrait être à l’origine d’un biais dans les réponses (suggestion par la personne qui pose les questions) et poser un doute sur la validité de comparer leur score avec ceux des autres qui ont personnellement lu et rempli le questionnaire. Mais compte tenu du petit nombre de ces patients, et le fait que les questions ont été lues par la même personne, sans modifications des phrases, l’impact sur la validité des résultats doit être minime.

Conclusion Cette étude est arrivée à montrer comment le cancer influence la religiosité et la spiritualité du patient, en augmentant le degré de la foi et les répercussions positives sur la qualité de vie du patient. Ces résultats soulignent l’importance des croyances religieuses dans la tolérance de la maladie, mais aussi la place primordiale qu’occupe la foi dans la vie du cancéreux. Cette constatation bien qu’évidente dans notre vie quotidienne auprès des malades est maintenant démontrée de façon objective et devrait pousser le milieu hospitalier à prendre plus en considération les besoins spirituels du malade, et à incorporer ces éléments dans le plan thérapeutique. Des études à la recherche de la nature exacte de ces besoins devraient être lancées pour améliorer le confort et le bien être des patients.

Références 1. Feher S, Maly RC. Coping with breast cancer in later life: The role of religious faith. Psycho-oncology 1999;8:408-416.

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Cancer et religiosité : la connaissance de la maladie affecte-elle le degré de la foi en dieu ?

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