Rev Méd Interne 2000 ; 21 : 911-4 © 2000 Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0248866300002472/FLA
Lexique
La transition G20210A dans le gène de la prothrombine et la maladie thromboembolique veineuse N. Trillot1, C. Zawadzki1, A. Watel1, B. Jude1 1
Laboratoire d’hémostase, hôpital Cardiologique, CHRU, 59037 Lille cedex, France
(Reçu le 12 juillet 2000 ; accepté le 18 juillet 2000)
Résumé Introduction. – Les anomalies constitutionnelles de la coagulation prédisposant aux thromboses veineuses sont les déficits en inhibiteurs physiologiques (déficit en antithrombine, protéine C et protéine S) et la résistance à la protéine C activée liée à la présence du facteur V Leiden. Récemment, Poort et al. ont identifié un polymorphisme dans la région 3’ non transcrite du gène de la prothrombine : la transition G20210A (FII G20210A) associée à un risque thrombotique veineux accru. Exégèse. – La prévalence de l’allèle A est de l’ordre 1 à 4 % dans la population et de l’ordre de 5 à 7 % chez les sujets présentant un antécédent thrombotique veineux. Le risque thrombotique lié à la présence de l’allèle A est augmenté de 3 à 5. Le diagnostic est réalisé par la technique PCR (polymerase chain reaction) et digestion par enzyme de restriction sur l’ADN génomique. Des travaux récents cherchent à préciser le risque relatif et les caractéristiques cliniques (âge de la thrombose et caractère récidivant de la maladie thrombotique) liés à la présence de la mutation FII G20210A. Le risque semble plus élevé lorsqu’elle est associée à un facteur V Leiden hétérozygote. Conclusion. – La présence de la mutation FII G20210A ne modifie pas la prise en charge de l’épisode thrombotique initial mais peut, selon les données cliniques, modifier la durée de l’anticoagulation. Lorsqu’elle est identifiée, elle implique dans tous les cas une information auprès du patient sur sa nature constitutionnelle, les mesures prophylactiques à prendre dans les situations thrombogènes et les réserves à formuler quant à l’utilisation des œstrogènes à visée contraceptive. © 2000 Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS thrombose veineuse / thrombophilie constitutionnelle / FII G20210A
Summary – The G20210A transition in the prothrombin gene and venous thromboembolic disease. Introduction. – Genetic predisposition to venous thrombosis can be due to coagulation inhibitor deficiencies (antithrombin, protein C or protein S) or to activated protein C resistance resulting from factor V Leiden mutation (FV Leiden). Poort et al. recently identified a new polymorphism in the 3’-untranslated region of the prothrombin gene, the G20210A transition (FII G20210A), which was found to be associated with an increased risk of venous thrombosis. Exegesis. – The prevalence of the A allele is approximately 1 to 4% in the general population, and 5 to 7% in patients with venous thrombosis. Heterozygous carriers have a three to five times increased risk of thrombosis. The diagnosis is based on a polymerase chain reaction technique and restriction enzyme digestion from genomic DNA. Recent studies aim to determine the relative risk of thrombosis and the clinical features which are associated with the mutation (age of first thrombosis, recurrence). The thrombotic risk seems to be higher when FII G20210A transition is associated with the FV Leiden mutation. Conclusion. – The presence of heterozygous FII G20210A transition does not modify the management of acute thrombotic events but can lead to an increase in the duration of the anticoagulant treatment. When such a genetic abnormality is identified, thorough information of the patient is needed,
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including on the prophylactic heparin in high-risk situations and caution on the prescription of oral contraceptives containing estrogens. © 2000 Éditions Scientifiques et Médicales Elsevier SAS venous thrombosis / inherited thrombophilia / FII G20210A
En 1996, Poort et al. ont identifié une nouvelle anomalie de coagulation associée à une tendance thrombotique : une transition G20210A dans la région 3’ non transcrite du gène de la prothrombine ou facteur II (FII G20210A) [1]. Initialement cette anomalie a été identifiée par technique PCR et séquençage, puis confirmée par digestion enzymatique. Elle était retrouvée chez 18 % des sujets qui présentaient des antécédents thrombotiques veineux personnels et familiaux, et chez seulement 1 % des sujets témoins. L’allèle A est associé à un taux un peu plus élevé de facteur II plasmatique [1]. La plupart des sujets porteurs de la mutation se trouvent dans le quartile le plus élevé des taux de facteur II (supérieur à 115 %). Le mécanisme par lequel la mutation entraîne une augmentation du taux de facteur II et le mécanisme physiopathologique entre l’augmentation du taux de facteur II et l’augmentation du risque thrombotique ne sont pas élucidés mais l’étude récente de Soria et al. conforte l’idée qu’il s’agit d’une mutation fonctionnelle [2]. Il a ensuite été confirmé que la prévalence de l’allèle 20210A était effectivement de 1 à 4 % dans la population normale avec une distribution géographique variable. La prévalence de la mutation est de 3 % en Europe du Sud contre 1,7 % en Europe du Nord [3]. Chez les sujets présentant une histoire thrombotique, la prévalence est de l’ordre de 5 à 7 %, selon les plus récentes études, donc un peu moins élevée qu’initialement signalée. La prévalence est plus élevée chez les patients présentant un accident thrombotique veineux idiopathique avant 45 ans, des thromboses veineuses récidivantes ou des antécédents familiaux thrombotiques [1, 4]. En dehors de cette population, le risque thrombotique de cette mutation serait, selon Tosetto et al., très faible (1,26 ; 95 % CI : 0,4–3,9) [5]. Dans la plupart des études, le risque relatif de thrombose veineuse est augmenté de trois à cinq fois [1, 6]. Ce risque serait plus élevé chez les sujets qui présentent en même temps un facteur V Leiden [7]. La mutation FII G20210A a été trouvée chez 10 % des patients avec un épisode thrombotique veineux et un facteur V Leiden et, à
l’inverse, un facteur V Leiden est présent chez 30 à 40 % des patients avec un épisode thrombotique veineux et un FII G20210A [8]. Les patients présentant une double hétérozygotie – facteur V Leiden et FII G20210A – thrombosent plus tôt que ceux qui présentent un FII G20210A hétérozygote isolé (22 ans versus 30,5 ans) selon Ferrerasi et al. [4]. Le risque de récidive thrombotique précoce (deux ans après l’épisode initial) ne semble pas majoré par la présence de la mutation [9, 10], mais dans deux études récentes, De Stefano et al. et Margaglione et al. mettent en évidence une majoration du risque de récidive thrombotique chez les patients présentant une double hétérozygotie facteur V Leiden et FII G20210A [11, 12]. Cette anomalie serait donc un facteur génétique supplémentaire de risque thrombotique. Dans l’état actuel des connaissances, il semble très vraisemblable que ce facteur doit être associé à d’autres ou à des circonstances particulières pour induire une pathologie thrombotique. Les formes homozygotes sont rares. Le risque de thrombose veineuse est inconnu actuellement. Seul des cas cliniques isolés ont été rapportés dans la littérature et on a peu de données concernant la tolérance réelle des formes homozygotes [13, 14]. Le diagnostic est réalisé par biologie moléculaire, sur l’ADN génomique [1]. Le diagnostic peut être réalisé sur le même prélèvement que le facteur V Leiden. Après amplification par technique PCR, un fragment de 345 paires de bases est généré. Après digestion par l’enzyme de restriction Hind III, l’allèle muté est clivé en deux fragments de 322 et 23 paires de bases (figure 1). CONSÉQUENCE D’UN DIAGNOSTIC POSITIF Compte tenu du peu de recul et de données prospectives sur cette anomalie, il est difficile de proposer des recommandations fermes. Les décisions d’exploration et les décisions thérapeutiques doivent être prises cas par cas, en tenant très largement compte du
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Figure 1. Électrophorèse des fragments obtenus après digestion du produit de PCR par l’enzyme de restriction Hind III. Les patients porteurs de l’anomalie à l’état hétérozygote (génotype 20210 AG) sont signalés par un flèche. Les autres patients ne sont pas porteurs de l’anomalie (génotype 20210 GG). pb : paires de bases.
tableau clinique. En période aiguë, la prise en charge d’un accident thrombotique n’est pas modifiée. Pour la prise en charge secondaire, un diagnostic de FII G20210A hétérozygote ou homozygote est un argument pour poursuivre les antivitamines K au minimum six mois [15] et probablement au-delà des délais habituels, mais cette décision est à considérer au cas par cas. Si les antivitamines K sont arrêtés, une héparinothérapie prophylactique doit au moins être prescrite dans les circonstances à risque, selon un protocole de type « risque élevé », c’est-à-dire environ 4 000 à 5 000 UI d’héparine de bas poids moléculaire par 24 heures. Un dépistage positif doit entraîner une information aussi complète que possible de la nature de l’anomalie (avec document écrit), du risque de récidive et de son caractère familial. Il s’agit d’une anomalie constitutionnelle autosomique à transmission dominante. Le risque de transmission est de un sur deux indépendamment du sexe. Les précautions à prendre chez les adultes identifiés dans le cadre d’une étude familiale, sont la mise
en place d’une héparinothérapie prophylactique dans les circonstances à risque : immobilisation pour quelle que cause que ce soit, chirurgie, plâtre et postpartum, selon un protocole de type « risque élevé ». Il n’y a pas de consensus sur l’abstention d’une estrogénothérapie, en particulier contraceptive. Chez les femmes porteuses de l’anomalie et n’ayant jamais thrombosé, cette décision dépend essentiellement de l’histoire thrombotique familiale. Lorsqu’il existe des antécédents thrombotiques veineux chez des collatéraux de premier ou du deuxième degré, une grande prudence est recommandée vis-à-vis de la prescription des estrogènes. Il n’y a pas de consensus sur l’utilité d’un traitement par l’héparine au cours de la grossesse. Ces propositions ne font pas actuellement l’objet d’un consensus. Seules des études prospectives et randomisées permettront d’évaluer avec précision le risque thrombogène de cette anomalie et le « bénéfice » d’une attitude interventionniste, tant dans l’exploration que dans la prescription d’antithrombotiques.
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RE´ FE´ RENCES 1 Poort SR, Rosendaal FR, Reitsma PH, Bertina RM. A common genetic variation in the 3’-untranslated region of the prothrombin gene is associated with elevated plasma prothrombin levels and an increase in venous thrombosis. Blood 1996 ; 88 : 3698703. 2 Soria JM, Almasy L, Souto JC, Tirado I, Borell M, Mateo J, et al. Linkage analysis demonstrates that the prothrombin G20210A mutation jointly influences plasma prothrombin levels and risk of thrombosis. Blood 2000 ; 95 : 2780-5. 3 Rosendaal FR, Doggen CJ, Zivelin A, Arruda VR, Aiach M, Siscovick DS, et al. Geographic distribution of the 20210G to A prothrombin variant. Thromb Haemost 1998 : 706-8. 4 Ferraresi P, Marchetti G, Legnani C, Cavallari E, Castoldi E, Mascoli F, et al. The heterozygous 20210 G/A prothrombin genotype is associated with early venous thrombosis in inherited thrombophilias and is not increased in frequency in artery disease. Arterioscler Thromb Vasc Biol 1997 ; 17 : 2418-22. 5 Tosetto A, Missiaglia E, Frezzato M, Rodeghiero F. The VITA Project: prothrombin G20210A mutation and venous thromboembolism in the general population. Thromb Haemost 1999 ; 82 : 1395-8. 6 Alhenc-Gelas M, Arnaud E, Nicaud V, Aubry ML, Fiessinger JN, Aiach M, et al. Venous thromboembolic disease and the prothrombin, Methylene tetrahydrofolate reductase and factor V genes. Thromb Haemost 1999 ; 81 : 506-10. 7 Zoller B, Svensson PJ, Dahlback B, Hillarp A. The A0 allele of the prothrombin gene is frequently associated with the factor V Arg 506 to Gln mutation but not with protein S deficiency in thrombophilic families [letter]. Blood 1998 ; 91 : 2210-1. 8 Makris M, Preston FE, Beauchamp NJ, Cooper PC, Daly ME, Hampton KK, et al. Co-inheritance of the 20210A allele of the prothrombin gene increases the risk of thrombosis in subjects with familial thrombophilia. Thromb Haemost 1997 ; 78 : 1426-9.
9 Eichinger S, Minar E, Hirschl M, Bialonczyk C, Stain M, Mannhalter C, et al. The risk of early recurrent venous thromboembolism after oral anticoagulant therapy in patients with the G20210A transition in the prothrombin gene. Thromb Haemost 1999 ; 81 : 14-7. 10 Lindmarker P, Schulman S, Sten-Linder M, Wiman B, Egberg N, Johnsson H, the DURAC. Trial Study Group. The risk of recurrent venous thromboembolism in carriers and non-carriers of the GI691A allele in the coaglualation factor V gene and the G20210A allele in the prothrombin gene. Thromb Haemost 1999 ; 81 : 684-9. 11 De Stefano V, Martinelli I, Mannucci PM, Paciaroni K, Chiusolo P, Casorelli I, et al. The risk of recurrent deep venous thrombosis among heterozygous carriers of both factor V Leiden and the G20210A prothrombin mutation. N Engl J Med 1999 ; 341 : 801-6. 12 Margaglione M, d’Andrea G, Colaizzo D, Cappucci G, Popolo A, Brancaccio V, et al. Coexistence of factor V Leiden and factor II A20210 mutations and recurrent venous thromboembolism. Thromb Haemost 1999 ; 82 : 1583-7. 13 Kyrle PA, Mannhalter C, Beguin S, Stümpflen A, Hirschl M, Weltermann A, et al. Clinical studies and thrombin generation in patients homozygous or heterozygous for the G20210A mutation in the prothrombin gene. Arterioscler Thromb Vasc Biol 1998 ; 18 : 1287-91. 14 Zawadzki C, Gaveriaux V, Trillot N, Bauters A, Watel A, AlhencGelas M, et al. Homozygous G20210A transition in the prothrombin gene associated with severe thrombotic disease: Two cases in a French family [letter]. Thromb Haemost 1998 ; 80 : 1027-8. 15 Schulman S, Rhedin AS, Lindmarker P, Carlsson A, Larfars G, Nicol P, et al. The duration of anticoagulation Trial Study Group. A comparison of six weeks with six months of oral anticoagulant therapy after a first episode of venous thromboembolism. N Engl J Med 1995 ; 3232 : 1661-5.