Épidémiologie des démences en Tunisie

Épidémiologie des démences en Tunisie

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ARTICLE IN PRESS

NPG-444; No. of Pages 8

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2014) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

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ARTICLE ORIGINAL

Épidémiologie des démences en Tunisie Epidemiology of dementia in Tunisia S. Hajem a,∗, O. Saidi b, N. Ben Mansour b, Y. Mejdoub b, M. Hsairi b a

Unité de recherche sur le vieillissement et les causes médicales de décès, institut national de santé publique, ministère de la Santé, 25, rue d’Autriche, 1002 Tunis, Tunisie b Institut national de santé publique, ministère de la Santé, Tunis, Tunisie

MOTS CLÉS Épidémiologie ; Démences ; Vieillissement ; Alzheimer ; Tunisie



Résumé Contexte. — La Tunisie a connu un accroissement considérable des maladies dégénératives et incapacitantes liées à l’âge parmi lesquelles figurent notamment les démences et la maladie d’Alzheimer. Ces maladies relèvent d’une prise en charge sociosanitaire spécifique et il est important d’avoir des prévisions démographiques pour pouvoir mettre en place des mesures adaptées. Objectif. — Le but de ce travail consiste à mettre à la disposition des professionnels et des intervenants dans le domaine gérontologique une synthèse des informations disponibles sur la prévalence des démences en Tunisie en 2001, 2012 et 2030. Méthodologie. — En se basant sur une étude faite en 2001, et en tenant compte des données épidémiologiques actuelles concernant les démences, nous avons fait une estimation pour l’année 2012. Cette estimation se base sur l’effectif total de la population tunisienne en 2012 et sur la proportion de personnes âgées de plus de 65 ans. À partir de ces nouvelles données, nous avons pu réaliser une projection à l’horizon 2030. Résultats. — On peut estimer à près de 4,6 % la prévalence des démences, tous types confondus, au sein de la population tunisienne âgée de 65 ans et plus en 2012, la prévalence de la maladie d’Alzheimer avoisinerait quant à elle les 3,2 %. Ainsi, le taux de prévalence des démences, tous types confondus, a augmenté de 24 % en un peu plus de 10 ans. La projection en 2030 montre que le nombre des personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de syndromes démentiels avoisinerait les 58 000 patients. Quant aux personnes du même âge atteintes de la maladie d’Alzheimer qui représente 70 % de l’ensemble des démences, leur nombre à cet horizon atteindrait près de 40 600 patients.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Hajem).

http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003 1627-4830/© 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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S. Hajem et al. Conclusion. — La maladie d’Alzheimer et les autres démences constitueront un enjeu majeur auquel la Tunisie sera confrontée dans les années qui viennent, et ce, tant sur le plan sanitaire, social que sur le plan économique. © 2014 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

KEYWORDS Epidemiology; Dementia; Aging; Alzheimer’s disease; Tunisia

Summary Background. — Tunisia has experienced a considerable increase in degenerative and debilitating diseases associated with aging including in particular dementia and Alzheimer’s disease. These diseases belong to a specific socio-taking health care and it is important to have population estimates to set up appropriate measures. Objective. — The aim of this paper is to provide professionals and stakeholders in the gerontology field with a synthesis of available data on the prevalence of dementia in Tunisia in 2001, 2012 and 2030. Methods. — Based on a study conducted in 2001, and taking into account the current epidemiological data on dementia, we made an estimate for 2012. This estimate was based on the total number of the Tunisian population in 2012 and the proportion of people aged over 65. From these new data, we were able to make a projection for 2030. Results. — The prevalence of dementia of all types can be estimated of around 4.6% in the Tunisian population aged 65 and over in 2012, and the prevalence of Alzheimer’s disease of around 3.2%. Thus, the prevalence of dementia of all types has increased by 24% in over 10 years. The projection shows that in 2030 the number of seniors aged 65 and older with dementia syndromes would be around 58,000 patients. As for people of the same age suffering from Alzheimer’s disease accounting for 70% of all dementias, their number would reach nearly 40,600 patients. Conclusion. — Alzheimer’s disease and other dementia will be a major challenge, which Tunisia will face in the coming years, and these both in terms of health, society and economy. © 2014 Published by Elsevier Masson SAS.

L’analyse de l’évolution de la structure par âge de la population tunisienne montre que notre pays n’échappe pas à ce phénomène démographique universel que représente le vieillissement et se situe déjà à un stade avancé de la transition démographique. En effet, notre pays connaît un accroissement soutenu de la proportion des personnes âgées témoin de l’allongement de l’espérance de vie. Ainsi, la part des sujets âgés de 60 ans ou plus est passée de 5,1 % en 1956 à près de 10 % actuellement. Celle des personnes âgées de 65 ans et plus est passée quant à elle de 3,5 % en 1966 à 7 % aujourd’hui. Quant à l’espérance de vie à la naissance, elle se situe aujourd’hui autour de 75 ans (73 ans pour les hommes et 77 pour les femmes) [1]. Par ailleurs, les projections démographiques laissent entrevoir que ce processus de vieillissement de la population tunisienne se poursuivra dans les années et décennies à venir. Ces projections montrent que le poids des personnes âgées de 60 ans ou plus va doubler durant les 20 prochaines années. Elles devraient représenter, en 2030, 17,7 % de l’ensemble de la population. De son côté, l’espérance de vie à la naissance devrait poursuivre sa progression pour atteindre, à l’horizon de 2030, 77,5 ans pour les hommes et 82,5 ans pour les femmes [2]. Cette évolution de la structure par âge de la population tunisienne est de nature à engendrer de nouveaux centres d’intérêt et de nouvelles priorités qui concernent tout particulièrement, mais pas uniquement, le domaine sanitaire. La transition démographique entraîne, en effet, une transition

sanitaire caractérisée notamment par l’émergence de maladies chroniques [3] ainsi que par celle de maladies dégénératives et incapacitantes liées à l’âge parmi lesquelles figurent notamment les démences et plus particulièrement la maladie d’Alzheimer. Les maladies neurodégénératives entraînent une détérioration progressive des capacités mentales et physiques pouvant conduire à une perte de l’autonomie avec risque d’exclusion et de souffrances, autant physiques que psychologiques. De ce fait, ces pathologies invalidantes et leurs multiples conséquences constitueront un enjeu majeur auquel notre pays sera confronté dans les années qui viennent, et ce, tant sur le plan sanitaire, social que sur le plan économique [4]. De nombreuses études socioéconomiques ont démontré que le coût social, économique et humain de ces maladies incapacitantes est élevé. Il nous a donc semblé important de faire une évaluation actuelle du nombre de personnes concernées par ces pathologies démentielles dans notre pays et de faire des prévisions démographiques à 2030 pour pouvoir mettre en place des mesures adaptées dès maintenant.

But et objectifs But Compte tenu du fait que l’on ne peut prétendre soigner correctement si l’on ne dispose pas d’une information fiable

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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Épidémiologie des démences en Tunisie et régulièrement mise à jour, le but de ce travail consiste à mettre à la disposition des professionnels et des intervenants dans le domaine gérontologique une synthèse des informations disponibles sur la prévalence des démences dans notre pays.

Objectifs Dans le contexte démographique et épidémiologique actuels, les objectifs de ce travail s’articulent autour des points suivants : • faire un rappel des données scientifiques actuellement disponibles concernant l’épidémiologie des démences (prévalence et nombre de personnes atteintes) au sein de la population tunisienne âgée ; • réaliser une projection, à l’horizon 2030, de la prévalence des démences et du nombre de personnes qui seront atteintes par ces pathologies.

Rappel sur les données disponibles concernant l’épidémiologie des démences au sein de la population tunisienne âgée En matière de démence, le constat essentiel qui ressort est que nous ne disposons pas aujourd’hui de données suffisamment récentes. Le présent recueil rassemble les quelques données disponibles qui proviennent toutes d’une seule et même étude épidémiologique dont les résultats remontent à plus de 10 ans.

Données de prévalence : résultats de l’enquête nationale réalisée en 2001 par l’Institut national de santé publique Les seules données représentatives à l’échelon national disponibles sur la prévalence des démences dans notre pays proviennent de l’étude épidémiologique qui a été entreprise en 2001 conjointement par l’unité de recherche sur le vieillissement de l’Institut national de santé publique (INSP) et le service de neurologie de l’hôpital Charles-Nicolle [5—8]. Elle a été entreprise auprès d’un sous-échantillon composé de 482 personnes âgées de 65 ans et plus réparties en 218 hommes et 264 femmes. Ce sous-échantillon appartient à l’enquête nationale sur la santé et les soins médicaux qui a été réalisée par l’INSP en 2001 sur un échantillon représentatif de la population tunisienne. Sachant que l’évolution insidieuse de la plupart des démences rend leur repérage et leur diagnostic précoce assez difficiles, les auteurs ont procédé à la mise au point d’un outil spécifique destiné à détecter le plus aisément possible les troubles cognitifs compatibles avec une démence. L’objectif de cette démarche était de réduire au maximum la marge d’erreur en optant pour des critères de diagnostic reconnus et rigoureux qui s’appuient sur une évaluation neuropsychologique des fonctions cognitives. Cet outil (Annexe 1) a été développé et validé au niveau du service de neurologie de l’EPS Charles-Nicolle. Il s’agit d’un test d’évaluation des fonctions cognitives basé sur le

3 Mini-Mental State Evaluation (MMSE) et adapté à la population tunisienne. Les critères de démence du DSM-IV ont été repris dans cette grille. Compte tenu du fait que les premiers signes d’une démence débutante sont habituellement des troubles cognitifs repérés par le malade et/ou son entourage, la grille utilisée a été axée essentiellement sur l’évaluation de ces troubles. Celle-ci comporte un questionnement qui a pour objectif de déceler des troubles mnésiques, une désorientation temporospatiale, des troubles de l’attention, des troubles du calcul mental ainsi que d’éventuels troubles du langage en évaluant la compréhension d’un proverbe tunisien (Annexe 1). Le processus d’évaluation des fonctions cognitives et les critères diagnostiques de démences utilisés, ainsi que les scores construits pour permettre l’identification des patients présentant des troubles cognitifs sont présentés sur l’Annexe 2. L’évaluation du fonctionnement cognitif des 482 personnes âgées de 65 ans et plus composant l’échantillon de l’étude, a montré que 18 d’entre elles répondaient aux critères diagnostiques de démence. Ce chiffre correspondait à une prévalence de l’ordre de 3,7 %. Ce taux est sensiblement inférieur aux résultats observés dans les pays ayant un niveau de développement supérieur au nôtre notamment en Europe et en Amérique du Nord où les taux de prévalence des démences chez les sujets de plus de 65 ans sont compris entre 5 % et 10 % [9—11]. Cet écart pourrait s’expliquer essentiellement par les disparités d’espérance de vie à la naissance, celles-ci étant beaucoup plus élevées dans les pays dits développés. Ce constat est d’autant plus plausible que la prévalence des syndromes démentiels augmente fortement avec l’âge. Il ressortait aussi de nos résultats que le taux de prévalence des démences diffère significativement selon le sexe : 4,6 % chez les femmes contre seulement 2,8 % chez les hommes. Notre étude avait montré également que deux cas de démence sur 3 étaient observés chez les femmes. Cette surreprésentation des femmes pourrait s’expliquer, d’une part, par des différences biologiques, hormonales (rôle des estrogènes) ou génétiques, mais aussi, d’autre part, par leur plus longue espérance de vie. Cette constatation est bien connue dans la littérature [12]. En accord également avec la littérature scientifique, notre étude a montré que l’âge est un facteur fortement discriminant. En effet, le taux de prévalence des démences augmente de fac ¸on régulière et linéaire, passant de seulement 0,3 % chez les personnes appartenant à la classe d’âge 65—74 ans à 16,3 % chez les personnes âgées de 85 ans et plus. Par ailleurs, les résultats du bilan étiologique avec, d’une part, l’absence de lien entre démence et facteurs de risque vasculaires (hypertension artérielle et diabète) et, d’autre part, le rôle confirmé des antécédents familiaux et personnels de maladies neurodégénératives, montrent que, pour une grande majorité de nos malades, il s’agissait d’un syndrome démentiel dégénératif. La cause la plus fréquente en était la maladie d’Alzheimer. L’association fortement significative (p < 0,001) entre démence et antécédents psychiatriques (dépression notamment) est compatible avec ce diagnostic. Il est, en effet,

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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admis aujourd’hui qu’une proportion importante de malades présentant une maladie d’Alzheimer souffre de fac ¸on concomitante d’un syndrome dépressif. Ces résultats sont tout à fait conformes à ceux rapportés dans la littérature internationale qui montrent que la maladie d’Alzheimer représente 70 % des cas de démences [13—15]. Les 30 % restants sont répartis entre les démences vasculaires (10 %) et les démences mixtes (20 %). Pour des raisons de simplification, et parce qu’elles sont encore rares dans notre pays, nous n’avons pas pris en compte les autres formes de démence, les démences fronto-temporales et apparentées et la démence à corps de Lewy en particulier.

Estimation du nombre de personnes démentes au moment de l’étude nationale de 2001 En 2001, la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus était de 6,5 % dans notre pays pour une population totale de 9 650 600 individus, soit un total de 627 289. Avec une prévalence estimée à 3,7 %, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de démence, tous types confondus, avoisinait les 23 210 patients. Parmi ces derniers, 16 247 étaient atteints de la maladie d’Alzheimer. Les 6963 cas restants se répartissent en 2321 cas de démences vasculaires et 4642 cas de démences mixtes.

Actualisation des données concernant l’épidémiologie des démences Méthodologie Pour faire une estimation actualisée du nombre de cas de démence dans notre pays, nous nous sommes basés sur l’analyse internationale intitulée « Delphi consensus » qui repose sur une méthodologie de consensus entre experts. Il ressort de cette expertise que le nombre de cas attendus de démences dans le monde devrait doubler tous les 20 ans [16]. Cette hypothèse se retrouve dans la méta-analyse effectuée en 2003 par Wimo et al. [17] qui montrait que de 25 millions de cas en 2000 le nombre de patients déments devrait passer à 63 millions en 2030 et à 114 millions en 2050 dont 84 millions dans les régions les moins développées. Les mêmes conclusions figurent également dans le rapport mondial 2009 sur la maladie d’Alzheimer publié par l’Alzheimer’s Disease International (ADI) dans le cadre de la journée mondiale de la maladie d’Alzheimer organisée le 21 septembre 2009 [18]. Cette approche est encore confortée par les résultats de l’étude entreprise par Ramaroson et al. [19] qui ont montré que l’incidence de la maladie d’Alzheimer continue à croître et ce, indépendamment du vieillissement de la population, et de l’efficacité croissante des médecins dans le diagnostic précoce de la maladie.

Estimation de l’effectif actuel de la population âgée atteinte de démences Si l’on extrapole à notre pays les hypothèses émises par les études citées ci-dessus, la population tunisienne

âgée de 65 ans et plus compterait aujourd’hui environ 34 815 personnes atteintes de démences tous types confondus (augmentation de 50 % en 10 ans). En effet, en 2001, notre pays comptait environ 23 210 déments. Compte tenu du fait que la maladie d’Alzheimer représente 70 % de l’ensemble des démences, la population tunisienne âgée de 65 ans et plus compterait à l’heure actuelle environ 24 371 personnes atteintes de cette maladie. Les autres cas sont répartis comme suit : 3481 cas de démences vasculaires et 6963 cas de démences mixtes.

Estimation du taux de prévalence des démences au sein de la population tunisienne âgée en 2012 L’estimation du taux de prévalence des démences dans notre pays en 2012 repose sur les quatre paramètres suivants : • l’effectif total de la population tunisienne au cours de l’année 2012 qui était estimé au 1er juillet à 10 732 900 ; • la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus au sein de la population tunisienne en 2012 qui était de 7 % ; • le nombre total de personnes âgées de 65 ans et plus au sein de la population tunisienne qui est estimé, à partir des deux paramètres précédents, à 75 1303 ; • le nombre de patients déments au cours de l’année 2012 qui est estimé ci-dessus à 34 815. Ces paramètres conduisent à estimer à près de 4,6 % la prévalence des démences, tous types confondus, au sein de la population tunisienne âgée de 65 ans et plus. La prévalence de la maladie d’Alzheimer avoisinerait quant à elle les 3,2 %.

Interprétation de l’évolution de la situation épidémiologique des démences entre 2001 et 2012 Les données déclinées dans le Tableau 1 montrent que le taux de prévalence des démences, tous types confondus, a augmenté de 24 % en un peu plus de 10 ans. Ce chiffre concorde avec les conclusions qui peuvent ressortir du

Tableau 1 Évolution de la prévalence et du nombre de personnes âgées atteintes de démences en Tunisie en 2001 et en 2012.

Prévalence des démences au sein de la population tunisienne âgée de 65 ans et plus Nombre de personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de démences tous types confondus Prévalence de la maladie d’Alzheimer parmi la population tunisienne âgée de 65 ans et plus Nombre de personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de la maladie d’Alzheimer

2001

2012

3,7 %

4,6 %

23 210

34 815

2,6 %

3,2 %

16 247

24 371

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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Épidémiologie des démences en Tunisie rapport mondial 2009 sur la maladie d’Alzheimer publié par l’Alzheimer’s Disease International [18]. En effet, selon ce rapport le nombre de personnes atteintes de démences dans le monde en 2010 avait atteint les 35 millions de patients. Cette estimation correspond à une hausse du taux de prévalence de 10 % par rapport au taux rapporté en 2005 par la revue The Lancet 5 ans plus tôt [16]. Il convient également de souligner le fait que le taux de prévalence des démences ainsi estimé dans notre pays pour l’année 2012 (4,6 %) se rapproche des taux observés dans les pays d’Europe et d’Amérique du nord au début des années 1990. Cela confirme le constat que le vieillissement des populations des pays émergents comme la Tunisie se fait de manière plus accélérée et que ces pays devront réaliser leur transition démographique dans des délais beaucoup plus courts. Notons enfin que nos résultats sont conformes aux conclusions du rapport de 2009 sur la maladie d’Alzheimer [18] qui stipulent que l’augmentation attendue du nombre de personnes atteintes de démences dans le monde est largement imputable à l’augmentation de ce nombre dans les pays à revenus faibles et moyens. Ce rapport estime que plus de la moitié (58 %) des personnes atteintes de démence vivent dans un pays à revenu faible ou intermédiaire. D’ici 2050, cette proportion est susceptible de dépasser 70 %.

Projections de la situation épidémiologique des démences à l’horizon 2030 Projection du nombre des personnes démentes à l’horizon 2030 Si l’on se réfère aux théories validées par le rapport mondial de 2009 [18] qui stipulent que le nombre de cas attendus de démences dans le monde devrait doubler tous les 20 ans, le nombre de déments au sein de la population tunisienne devrait être multiplié par 2,5 au cours de la période allant de 2001 à 2030. Ce raisonnement conduit à estimer qu’à l’horizon 2030, le nombre de personnes âgées de 65 ans et plus atteintes de syndromes démentiels avoisinerait les 58 000 patients. Quant aux personnes du même âge atteintes de la maladie d’Alzheimer, leur nombre atteindrait près de 40 600 patients.

Projection des taux de prévalence des démences à l’horizon 2030 Il nous est malheureusement impossible de réaliser une projection des taux de prévalence des démences à l’horizon 2030 car nous ne disposons pas de projections réellement fiables de la structure par âge de la population tunisienne. En particulier, nous n’avons pas d’indications sur l’évolution de la proportion des personnes âgées de 65 ans et plus au cours des deux décennies à venir (paramètre nécessaire à la détermination d’un dénominateur approprié pour calculer les taux de prévalence).

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La mortalité par démences Comme nous venons de le voir, la prévalence des syndromes démentiels se situe actuellement à un niveau plutôt élevé et, selon les projections rapportées ci-dessus, sa progression devrait se poursuivre au cours des décennies à venir. Il est, dès lors, pertinent d’estimer la mortalité due à ces pathologies. Cette estimation est rendue possible grâce à l’analyse des données de mortalité de 2009 qui montre que les démences, tous types confondus, étaient responsables de 66 décès soit 0,3 % de l’ensemble des décès survenus cette année-là [20]. Témoin du vieillissement annoncé de la population tunisienne, cette proportion n’était que de 0,1 % durant l’année 2001. Le poids des démences dans la mortalité générale a été donc multiplié par trois en moins d’une décennie. Les cas de décès imputables aux démences se répartissent en 28 hommes et 32 femmes. Le sexe n’a pas été renseigné pour 6 cas. Le poids de la mortalité par démences est significativement plus élevé chez les femmes : 0,4 % versus 0,2 % chez les hommes. Ce constat a été fait aussi pour la morbidité. Il a été, en effet, démontré que la prévalence des démences diffère significativement selon le sexe : 4,6 % chez les femmes contre seulement 2,8 % chez les hommes. Nos résultats montrent également que le poids de la mortalité proportionnelle due aux démences augmente de fac ¸on linéaire et significative avec l’âge passant de 0,07 % chez les personnes âgées de moins de 75 ans à 0,9 % chez les sujets âgés de 85 ans ou plus. Les deux-tiers des décès liés aux démences ont été constatés chez des personnes âgées de 80 ans ou plus. Composée essentiellement de femmes âgées, la catégorie socioprofessionnelle des inactifs concentre près de 60 % des cas de décès imputables aux démences. Cela va de soi car nous savons que ces pathologies sont plus fréquentes chez les femmes et que leur prévalence augmente avec l’âge. Quant à la distribution géographique de la mortalité liée aux démences, elle a permis de constater que les grands centres urbains du Grand Tunis, du Centre-est et du Nord-est concentrent plus de 70 % des décès liés à ces pathologies.

Conclusion Les démences, et en particulier la maladie d’Alzheimer, constituent désormais une source importante de morbidité, de mortalité et de handicap. Elles représentent un véritable défi de santé publique que notre pays doit relever dans les années et décennies à venir. Ce défi se situe principalement au niveau de la mise en œuvre de politiques qui promeuvent la prévention et la prise en charge précoce de ces maladies neurodégénératives lourdement incapacitantes. La maladie d’Alzheimer est aussi un véritable fléau social et un fardeau excessif pour l’individu, la famille et la société. Son coût humain, social et économique élevé représente une charge importante pour le système de santé et grève les budgets alloués pour l’assurance maladie et l’aide sociale. Toutes ces raisons réunies constituent un argument majeur pour placer cette maladie au cœur des

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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préoccupations des professionnels de santé, de la société civile et des pouvoirs publics. L’ampleur des souffrances et des dépenses qu’elle engendre justifie amplement cette orientation et l’inscription de la lutte contre la maladie d’Alzheimer, comme une priorité des actions publiques. Cette perspective pragmatique est une réponse anticipée à l’augmentation rapide des besoins en soins de santé et en services sociaux qui accompagnera inéluctablement la croissance du nombre de personnes âgées concernées par cette maladie. Sachant que l’incidence des démences croît fortement avec l’âge, l’amélioration de l’espérance de vie de la population tunisienne engendrera inéluctablement une augmentation du nombre de personnes atteintes de ces pathologies. La progression continue de cette maladie interpelle et exige la mise en œuvre opérationnelle d’un plan d’action multidisciplinaire et intersectoriel visant à assurer aux patients une prise en charge précoce, adaptée, individualisée et continue. Le but ultime de ce plan d’action consiste à mettre en place les conditions nécessaires devant permettre aux personnes âgées atteintes de démence de rester pleinement autonomes le plus longtemps possible, et ce, à la fois en termes de prévention et de prise en soins. Ayant pour ambition première de contribuer à éclaircir le choix des prestations et des ressources les plus adaptées aux besoins des personnes atteintes de démence, ce plan d’action doit mettre l’accent sur la nécessité d’inscrire la prise en soin de cette maladie dans le cadre d’une démarche pluridisciplinaire. Il doit également engager la réflexion sur les stratégies qui devraient permettre d’assurer aux malades une couverture suffisante par les dispositifs de soins de santé et de couverture sociale tout en préservant la viabilité des finances publiques. De fac ¸on plus globale, le plan national de lutte contre la maladie d’Alzheimer s’inscrit dans le cadre des réponses concrètes et durables que nous devons apporter aux multiples défis lancés par le vieillissement de la population tunisienne dont l’espérance de vie à la naissance se situe à l’heure actuelle à près de 75 ans, et ce, dans un souci d’adaptation de nos politiques publiques à la transition démographique que connaît notre pays. Il s’agit d’un phénomène à long terme et les solutions doivent être mises en place progressivement mais précocement.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe 1. Grille d’évaluation des fonctions cognitives utilisée dans l’étude de 2001 sur la situation épidémiologique des démences en Tunisie 1) Mémoire : 1.1 Oublis dans la vie quotidienne : Rapportés par le sujet lui-même = 1

Rapportés par l’entourage du sujet = 2 Non = 3 Si 2, préciser : conjoint, enfant ou autre :............. ......................... 1.2 Âge de début des oublis : 2) Orientation temporospatiale : Le sujet peut-il identifier : Le jour de la semaine : oui = 1, non = 2 La saison actuelle : oui = 1, non = 2 Le lieu où il se trouve : oui = 1, non = 2 Le gouvernorat : oui = 1, non = 2 3) Attention : 3.1 Pour sujet analphabète : Citer les jours de la semaine à l’envers : • possible (moins de 3 fautes sur 6) = 1 • impossible (3 fautes et plus sur 6) = 2 3.2 Pour sujet instruit : Calcul mental : (100-7) : 5 fois (93—86—79—72—65) : • possible (moins de 3 fautes sur 5) = 1 • impossible (3 fautes et plus sur 5) = 2

jusqu’à

65

4) Raisonnement logique : Interprétation du proverbe : (Traduction approximative du proverbe : C’est à la fois grâce à la fraîcheur du henné et à la douceur de la main)

Annexe 2. Approche diagnostique des démences dans l’étude de 2001 Nous avons opté pour une procédure de diagnostic de la démence en deux étapes qui implique successivement le repérage des troubles cognitifs puis l’existence, selon des critères précis, d’une démence chez les sujets âgés inclus dans l’étude. I-Critères de repérage des troubles cognitifs à l’aide de la grille présentée sur l’Annexe 1 1. Identification des troubles mnésiques Toute personne âgée qui présente des oublis dans la vie quotidienne, que ces oublis soient rapportés par la personne elle-même ou par son entourage familial (conjoint, enfants, petits-enfants). 2. Identification des troubles de l’orientation temporospatiale La personne est déclarée désorientée dans le temps et dans l’espace quand elle n’arrive pas à identifier les deux paramètres suivants : -le jour de la semaine et la saison actuelle, -le lieu où elle se trouve et le gouvernorat auquel est rattaché ce lieu. 3. Identification des troubles de l’attention L’identification des troubles de l’attention dépend étroitement du niveau intellectuel de la personne interrogée.

Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

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3.1 Pour les sujets analphabètes : Il existe un trouble de l’attention lorsque la citation des jours de la semaine à l’envers est impossible. 3.2 Pour les sujets instruits : Tout sujet ayant fait au moins 3 fautes au calcul mental proposé, est déclaré comme ayant un trouble de l’attention.

(troubles du langage), l’apraxie (incapacité de réaliser une activité motrice malgré des fonctions motrices intactes), l’agnosie (impossibilité de reconnaître ou d’identifier des objets malgré des fonctions sensorielles intactes) et une atteinte des fonctions exécutives (planification, organisation, etc.).

4. Identification des troubles du raisonnement logique L’identification des troubles du raisonnement logique a été basée sur le degré de compréhension et d’interprétation du proverbe tunisien proposé par la grille d’évaluation du fonctionnement cognitif. Nous avons établi une échelle d’évaluation en ce qui concerne l’évaluation du proverbe : *2 Points : cette note n’est accordée que lorsque la réponse de la personne interrogée correspond à l’une des propositions suivantes (ou à d’autres jugées identiques) : - Le proverbe est une généralisation abstraite exprimant l’idée qu’un problème donné responsabilise deux (ou plusieurs) personnes ; - La cause du problème est partagée entre tous les protagonistes ; - Le problème peut impliquer des personnes ou une personne et un objet. *1 Point : Un seul point est accordé lorsque la personne interrogée formule une réponse jugée vague et incomplète. C’est, à titre d’exemple, lorsque la personne évoque un problème donné ou parle d’une seule personne responsable de ce problème. C’est le cas aussi d’une personne qui se contente de rappeler le sens concret du proverbe (le henné ne devient pas foncé sur des mains lisses). *0 Point : une telle notation correspond au cas où la personne se contenterait de la seule répétition du proverbe. On accorde également une telle note à toute personne qui formule une réponse dans laquelle elle parle de choses qui n’ont aucun lien avec le proverbe. On définit alors trois classes pour le raisonnement logique qui est déclaré : - normal si le score vaut 2, - légèrement altéré si le score vaut 1, - profondément altéré si le score vaut 0.

Références

II-Critères de diagnostic des démences Une fois l’identification des troubles cognitifs achevée, un jugement final du fonctionnement cognitif a été fait par un panel d’experts se composant de deux neurologues et d’un épidémiologiste et les sujets ont été classés comme souffrant ou non de démence. Ainsi, une personne était déclarée atteinte de démence si elle présentait un trouble de la mémoire et au moins un trouble de l’orientation temporospatiale, de l’attention ou du raisonnement logique. Pour ce dernier paramètre, nous avons considéré les personnes présentant une altération profonde (score de 0). En ce qui concerne la détérioration de la mémoire, nous n’avons pris en considération que les troubles mnésiques qui duraient depuis au moins un an, et ce, afin d’avoir la certitude de pouvoir faire la distinction entre une démence et un problème confusionnel. Nous avons repris les critères de démence du DSM-IV qui englobent non seulement la perte de mémoire, mais aussi au moins une autre déficience cognitive comme l’aphasie

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Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003

Modele + NPG-444; No. of Pages 8

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Pour citer cet article : Hajem S, et al. Épidémiologie des démences en Tunisie. Neurol psychiatr gériatr (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2014.05.003