Sociologie du travail 44 (2002) 153–154 www.elsevier.com/locate/soctra
François Sellier nous a quittés Sociologie du travail, en publiant l’un de ses derniers textes, rend hommage à l’économiste atypique1 qu’il fut à plus d’un égard. Cet agrégé de sciences économiques (qui en 1948 incluaient aussi le droit) était un spécialiste internationalement reconnu des Relations professionnelles ; grâce à son ouverture aux autres sciences sociales – à la sociologie notamment comme à l’histoire – il a su enrichir ses analyses de l’apport de celles-ci, comme en témoigne de manière exemplaire le texte qui suit à propos de la théorie économique de la firme. Une telle démarche – bien au-delà des discours récurrents sur l’interdisciplinarité – se traduisait chez François Sellier par des pratiques et des engagements qui ne lui ont pas valu – on s’en doute – que des approbations de la part de ses collègues. Cependant, l’intérêt qu’il portait à d’autres approches disciplinaires ne le détournait pas pour autant des capacités explicatives du raisonnement économique qu’il conseillait à ses étudiants ou jeunes chercheurs de poursuivre jusqu’au bout avant de faire appel à d’autres sciences sociales2. D’où ses réticences à l’égard de certaines approches socio-économiques. Autrement dit – et on le voit dans le texte ci-après – l’appel au raisonnement sociologique ne se substitue pas entièrement au raisonnement économique ; il apparaît plutôt comme complémentaire de celui-ci. Ce qui ne l’empêchait pas dans certains cas de s’emporter à propos de l’incapacité de la théorie économique standard à rendre compte de certains phénomènes sociaux, mettant alors en évidence ses points aveugles ou ses limites. Ses ouvertures aux sciences sociales et ses engagements ne se limitaient pas uniquement à des publications académiques, d’ailleurs variées et de qualité3. Elles se sont traduites aussi par la création d’institutions qui perdurent et se développent. Ainsi s’explique que F. Sellier ait été à l’origine du Laboratoire d’économie et de sociologie du travail en 1969 (Lest, reconnu comme unité propre de recherche du CNRS) dont le rayonnement international est connu, après avoir conçu au début des années 1960 le Centre d’étude des relations sociales dans le cadre de la faculté des sciences économiques de l’université d’Aix–Marseille.
1 Selon la formule de Philippe Simonot, l’un de ses anciens élèves, qualifiant F. Sellier de « professeur atypique » (Le Monde, Carnet, 12 juin 2001). 2 Op. cit. 3 Un ouvrage collectif en préparation permettra de prendre la mesure des divers travaux et publications de F. Sellier, dont ces brèves notes se font l’écho.
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De même, on comprend mieux qu’il ait pu créer dès 1959, à Aix-en-Provence, le deuxième Institut du travail en France, dédié à la formation de membres d’organisations syndicales ouvrières confédérées. Ce qui n’allait pas de soi à l’époque au sein d’une université. « Professeur atypique », F. Sellier était aussi – à sa manière – un économiste engagé. Le titre de certains de ses ouvrages est à cet égard explicite : Morale et vie économique (1959) ; Stratégie de la lutte sociale en France 1936–1960 (1961) ; La confrontation sociale en France : 1936–1981 (1984). Rappelons ici qu’il a aussi publié dans Sociologie du travail plusieurs articles et notes critiques, dont certains sont toujours d’actualité par les questions qu’ils posent (« Le rôle des organisations et des institutions dans le développement des besoins sociaux : le cas du besoin de santé et de l’assurance maladie », Sociologie du travail 12 (1), 1970, 1–14). Me permettra-t-on une dernière évocation ? L’analyse sociétale, qui sous-tend le texte qui suit a été pour F. Sellier – comme pour ses collègues qui ont participé avec lui à la recherche France-Allemagne (1973–1977, 1982) – un moment important de sa carrière par la qualité et l’intensité des échanges qu’elle a permis. Cette approche lui doit beaucoup dans la mesure où il a pu y introduire l’analyse des faits de relations professionnelles, que Jean-Daniel Reynaud considère comme prioritaires dans l’explication des phénomènes étudiés (« Conflit et régulation sociale. Esquisse d’une théorie de la régulation conjointe », Revue française de sociologie 20 (2), 1979, 367–376), tandis que nous nous efforcions – en désenclavant cet « espace d’action collective » d’une approche proprement institutionnelle – de mettre en évidence son caractère de construit social, en interdépendance avec l’espace d’éducation et de formation et l’espace de qualification, comme autant de formes de « rapports sociaux ». Ne retrouve-t-on pas là la figure de l’économiste atypique que l’on vient d’évoquer ? Quelques mots encore pour préciser que le texte publié dans les pages qui suivent avait été rédigé par F. Sellier pour un séminaire de recherche intitulé « L’analyse sociétale revisitée » qui s’est tenu au Lest en 1998. Sociologie du travail le reproduit ici dans sa quasi-intégralité4 (les coupes effectuées par le comité de rédaction sont signalées dans le texte par la mention [coupe SdT] ) à la fois parce que ce texte est l’un des derniers que F. Sellier ait rédigé et qu’il n’a jamais été publié en français5, mais aussi parce qu’il témoigne avec force du dialogue que F. Sellier a su engager entre la sociologie et l’économie. Marc Maurice Laboratoire d’économie et de sociologie du travail (Lest), 35, avenue Jules-Ferry, 13626 Aix-en-Provence cedex, France
4 Le comité de rédaction a également mené un léger travail éditorial sur l’introduction et traduit quelques phrases que F. Sellier avait rédigé en anglais. En revanche, les citations des auteurs anglo-saxons n’ont pas fait l’objet de traduction et apparaissent ici en anglais, comme dans le texte original. 5 Une version anglaise de ce texte a été publiée in : Maurice, M., Sorge, A. (Eds.), Embedding Organizations. Societal Analysis of Actors, Organizations and Socio-economic Context, John Benjamins Amsterdam, Philadelphie, 2000.