Impact de la dépression sur l’adhésion aux traitements anticancéreux oraux

Impact de la dépression sur l’adhésion aux traitements anticancéreux oraux

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Synthèse General review

Volume 100 • N◦ 10 • octobre 2013 John Libbey Eurotext

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Impact de la dépression sur l’adhésion aux traitements anticancéreux oraux Impact of depressive disorders on adherence to oral anti-cancer treatment Michaël Chabrier1 , Olivier Bezy1 , Marie-Ange Mouret2 , Jacques-Olivier Bay3 , Isabelle Jalenques1

Article rec¸u le 16 mai 2013, accepté le 05 septembre 2013 Tirés à part : M. Chabrier

1 CHU de Clermont-Ferrand Gabriel-Montpied, Service de psychiatrie d’adultes A et psychologie médicale, Équipe mobile psycho-oncologie, 58, rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand, France 2 Centre Jean-Perrin, Oncologie médicale, 58, rue Montalembert, 63000 Clermont-Ferrand, France 3 Université d’Auvergne CREaT-EA 7283, Inserm CIC-501, CHU Clermont-Ferrand Hôpital Estaing, Service de thérapie cellulaire et d’hématologie clinique adulte, Clermont-Ferrand, France

Pour citer cet article : Chabrier M, Bezy O, Mouret MA, Bay JO, Jalenques I. Impact de la dépression sur l’adhésion aux traitements anticancéreux oraux. Bull Cancer 2013 ; 100 : 1017-22. doi : 10.1684/bdc.2013.1824.

doi : 10.1684/bdc.2013.1824

Résumé. La mauvaise adhésion thérapeutique est un problème médico-économique de plus en plus important en cancérologie du fait de l’émergence croissante de traitements anticancéreux oraux. Le taux moyen de non-adhésion avec les thérapies anticancéreuses orales est d’environ 21 %. L’exemple de l’imatinib dans la leucémie lymphoïde chronique ou du tamoxifène dans le cancer du sein permet d’illustrer l’importance de la mauvaise observance en termes de résultats médicaux et de coût économique. Fait encore peu connu des oncologues, la dépression joue un rôle central dans ce processus de mauvaise observance. Un dépistage adapté de la dépression tout au long de la prise en charge devrait permettre une meilleure prise en charge. Des extrapolations de données sont faites à partir d’autres pathologies chroniques en termes d’idées de prise en charge globale. Le patient pris en charge en oncologie doit avoir l’opportunité de raconter l’histoire unique de sa maladie car la question de l’adhésion thérapeutique interroge sur le rapport du patient à la maladie et au traitement et échappe à une logique scientifique. 

Mots clés : adhésion, observance, dépression, oncologie, cancérologie, traitement oral

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Abstract. The improper adherence to therapy is an emerging medical and economic issue in oncology which raised with the increasing use of oral anti-cancer treatment. Currently, the average rate of non-adherence to oral anti-cancer therapy is estimated at around 21%. In this study, we use the examples of the imatinib treatment against chronic lymphocytic leukemia and the tamoxifene treatment against breast cancer to assess the negative consequences of the non-adherence to therapy in terms of medical outcome and health care cost. One of the main causes of non-adherence to these oral cancer treatments is depression. Surprisingly, this aspect is still relatively unknown to oncologists, while depression has been taken into account for the treatment of other chronic diseases (e.g. diabetes. . .). We therefore propose that cancer patients should be screened for depression throughout their treatment to improve the adherence to therapy. Cancer patients should have the opportunity to explain their own perception of their disease and their treatment that are key parameters in the onset of depression. The recent use of oral therapy in cancer treatment should thus be accompanied by the establishment of a global management of cancer patient on a case-by-case basis.  Key words: adherence, compliance, depressive disorder, oncology, oral treatment

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Introduction Traitements oraux en cancérologie Le développement récent des thérapies orales dans le traitement des cancers permet d’envisager de nouvelles prises en charge plus simples, plus confortables pour le patient et plus économiques en terme de facturation d’hospitalisation [1]. Ces modalités thérapeutiques tendent à prendre une place majeure dans les traitements anticancéreux, comme en témoigne l’évolution à partir de 2002 des ventes d’antinéoplasiques dans les officines, présentée dans le rapport de l’Institut National du Cancer sur la situation de la chimiothérapie des cancers en 2010 (figure 1). Ces drogues sont parfois de simples substitutions de formes intraveineuses mais aussi de nouvelles molécules certes innovantes mais coûteuses [2]. Ainsi, l’imatinib est passé en termes de valeur en 2008 au 8e rang des spécialités les plus vendues en officine. Malgré ses indications limitées à des maladies rares, cette thérapie ciblée très efficace est administrée à très long terme à des malades, qui ont une vie longue et « normale » sans hospitalisations [2]. Vingt à vingt-cinq pour cent des traitements anticancéreux en développement sont actuellement destinés à une utilisation par voie orale [3].

Le problème de l’observance La chimiothérapie orale est soumise à deux contraintes majeures : la problématique de la non-adhésion au traitement et certaines limites pharmacologiques encore mal connues [1]. L’adhésion au traitement (terme synonyme aux termes d’observance et de compliance mais qui devrait être préférentiellement utilisé) est définie selon l’OMS comme « le degré avec lequel le comportement du patient coïncide avec les recommandations d’un professionnel de soin, en termes de prise de traitement, de suivi du régime alimentaire et/ou d’adaptation du style de vie » [4]. Différents facteurs sont intriqués dans

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Ventes anticancéreux, officines Source : Afssaps, rapport 2010

Figure 1. Évolution des ventes d’antinéoplasiques dans les officines en millions d’euros.

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ce processus d’observance thérapeutique. On distingue ainsi les facteurs liés [3,5,15] : – au patient (état émotionnel, état cognitif, représentations et attentes de la maladie et des traitements, participation active aux décisions de soins, facteurs socio-économiques, familiaux et culturels) ; – au médecin (capacité à être disponible, empathique, à l’écoute notamment des plaintes concernant les effets secondaires, capacité à donner des informations pratiques sur la prise du traitement) ; – à la relation médecin-malade (à noter l’importance de la qualité de la première consultation et de la continuité de la relation pour nouer une relation de confiance et d’alliance thérapeutique) ; – au traitement (fréquence et durée d’administration, délai d’action et de mise en évidence de bénéfices du traitement, polymédication, effets indésirables, coût) ; – au système de santé (relations entre les différents intervenants de santé, accès aux soins, continuité des soins). L’existence d’un syndrome dépressif semble avoir un impact important sur cet élément capital pour la prise en charge médicale. Un intérêt croissant au niveau des soins et de la recherche est porté à cette question nouvelle en cancérologie en raison des importants enjeux médico-économiques qui en découlent. Il est en effet nécessaire de bien comprendre l’importance de la bonne observance d’un traitement, notamment dans son indication en long cours, afin d’optimiser son efficacité pour le patient et d’éviter un surcoût pour la société. Nous proposons ici de présenter le retentissement de la dépression sur le facteur observance et sur l’efficacité des traitements au long cours.

Importance de l’observance et conséquences médico-économiques De fac¸on générale le taux moyen de non adhésion avec les thérapies anticancéreuses orales est de 21 % [6]. Plus spécifiquement Hershman et al. [7] ont montré que seulement 49 % des patientes atteintes d’un cancer du sein ont une adhésion optimale à l’hormonothérapie sur un suivi de 4,5 ans. En hématologie les taux de non-observance à l’imatinib dans la leucémie myéloïde chronique (LMC) (traitement potentiellement curateur) sont d’environ 25 à 33 % des patients [8, 9]. L’étude belge prospective multicentrique ADAGIO (« Adherence Assessment with Glivec : Indicators and Outcomes ») n’a même retrouvé une compliance parfaite avec l’imatinib dans la LMC que dans seulement 14,2 % des cas sur un total de 169 patients et sur une période d’environ 90 jours [8]. Ce taux apparaît réellement faible, et pose vraiment le problème de l’observance thérapeutique. Les conséquences de la non-adhésion thérapeutique sont non seulement une augmentation de la consommation des ressources du système de santé (nombre Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

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de consultations médicales et de consultations en urgences, hospitalisations plus fréquentes avec une durée plus longue) mais aussi une augmentation de la toxicité des traitements, des biais dans l’évaluation de l’efficacité des médicaments et une augmentation de la mortalité [5]. Dans le cas du cancer du sein hormonosensible Hershman et al. ont étudié une cohorte nord-américaine de 8 769 patientes traitées par tamoxifène et/ou inhibiteurs de l’aromatase. Un arrêt prématuré de l’hormonothérapie avant la période de 4,5 ans (définit si l’intervalle entre deux renouvellements d’ordonnances est supérieur à 180 jours) est survenu dans 31,5 % des cas avec comme conséquence une augmentation de la mortalité de 26 %. Une augmentation de 49 % de la mortalité a été observée parmi les patientes qui continuaient le traitement durant les 4,5 ans mais avec une mauvaise observance (28 % d’entre elles) [7]. Dans le cadre de la LMC, la non-adhésion à l’imatinib est considérée comme la raison principale de non obtention d’une réponse moléculaire complète chez les patients traités depuis plusieurs années [9, 10]. Elle serait aussi responsable d’une augmentation des coûts médicaux de plus de 283 % [11]. Le coût annuel de la non-observance dans tous les domaines médicaux est estimé à environ 100 billons de dollars aux USA [5].

Impact du syndrome dépressif sur l’adhésion au traitement La dépression est considérée comme un facteur de risque majeur de non-adhésion au traitement médical aussi bien du cancer que d’autres pathologies médicales. Selon Di Matteo et al. qui ont réalisé une méta analyse en 2000 portant sur 12 études et 661 patients souffrant de pathologies cancéreuses et de pathologies médicales chroniques les patients déprimés ont trois fois plus de risque d’être non observant par rapport à des patients non déprimés [12]. Grenard et al. retrouvent quant à eux comme résultat d’une méta analyse de 2011 comportant 31 études et 18 245 patients aux ÉtatsUnis un risque relatif d’être non observant de 1,7 chez les patients déprimés [13]. Il y a cependant très peu d’études qui s’intéressent spécifiquement au lien entre dépression et adhésion aux traitements en cancérologie. Chez les adolescents et jeunes adultes également la dépression et l’estime de soi ont été retrouvées comme facteurs affectant l’adhésion au traitement en cancérologie [14]. La diminution de l’adhésion au traitement chez les patients déprimés pourrait s’expliquer par [12] : – la perte d’espoir (y compris dans l’efficacité d’un traitement par exemple) et le pessimisme qu’ils ressentent ; – le manque d’énergie et de motivation de ces patients moins actifs dans les soins, Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

– l’isolement social souvent associé ; – les troubles cognitifs liés à la dépression (à l’origine d’oublis de traitements et donc d’une mauvaise adhésion « non intentionnelle ») ; – la moindre culture médicale des patients déprimés [15] ; – une mauvaise communication médecin-malade [16] ; Ce phénomène expliquerait en partie la surmortalité des patients déprimés en cancérologie [17]. Certaines données sur l’adhésion au traitement en cardiologie suggèrent que la présence ou l’absence de syndrome dépressif est un facteur plus important que la sévérité du syndrome dépressif en terme de retentissement sur l’adhésion au traitement [18]. Cependant à l’inverse une étude longitudinale (toujours en cardiologie) montre que plus la sévérité de l’épisode dépressif augmente plus l’adhésion au traitement diminue. Un autre résultat très intéressant de cette étude est que le traitement et l’amélioration des symptômes dépressifs permettent une amélioration de l’observance d’un traitement par aspirine dans les suites d’un syndrome coronarien aigu [19]. Le lien entre dépression et non observance n’est cependant pas clairement expliqué (cause, conséquence ou phénomène auto-entretenu ?) [12]. Les patients déprimés ont également beaucoup plus de difficultés à accepter la mise en route d’un traitement, comme l’ont montré Colleoni et al. dans une étude en 2000 avec des patientes présentant un cancer du sein ayant une indication de chimiothérapie adjuvante éventuellement associée à un traitement hormonal [20].

Comment améliorer l’observance en prenant en considération les syndromes dépressifs ? Le diagnostic de syndrome dépressif : un problème récurrent La dépression est fréquemment retrouvée comme comorbidité dans les pathologies cancéreuses et médicales chroniques : près de 25 % des patients cancéreux vont souffrir au cours de leur maladie d’un syndrome dépressif et environ 5 % d’un épisode mélancolique. Cette prévalence augmente en phase avancée et palliative [21]. Tel que montré par Martin et al., cette dépression est le plus souvent sous-diagnostiquée par les médecins de premier recours (non reconnue dans 50-70 % des cas) et sous-traitée [15]. Cela pourrait s’expliquer par des facteurs liés à la fois au patient et au médecin. Du côté du patient ces facteurs sont : – un manque de conscience et de compréhension des symptômes dépressifs ; – des plaintes centrées sur les symptômes physiques ;

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– une réticence à admettre les symptômes psychiques (par crainte de la stigmatisation de la maladie mentale) ; – une réticence à parler au médecin de problèmes non médicaux. Concernant les facteurs liés au médecin, on retrouve : – un manque de connaissance sur la dépression ; – un manque d’expérience dans la prise en charge ; – une réticence à évaluer l’état émotionnel des patients ; – un temps disponible limité [15]. Reconnaître la dépression chez un patient peut aider le médecin à comprendre la non-observance du patient et ainsi améliorer la relation médecin-malade. Un dépistage à l’entrée dans la pathologie cancéreuse permet d’identifier les patients à risque de mauvaise observance et donc de leur proposer une surveillance plus étroite et une prise en charge spécifique. Par ailleurs, devant une suspicion de mauvaise adhésion au traitement on sera également attentif à rechercher une dépression [12]. Le dépistage doit se faire tout au long de la prise en charge, y compris au décours des thérapeutiques dans la période dite de rémission [22]. À cet égard, les dispositifs sur le modèle de la consultation SALTO-H (« consultation de guérison » [23]) apparaissent comme un outil pertinent. Il appartient aux équipes médicales et soignantes d’oncologie et/ou au médecin traitant de dépister la dépression. Les questions d’évaluation de l’humeur peuvent être ouvertes (« comment était votre moral ces derniers temps ? », « est-ce qu’il y a des bons moments ? ») ou fermées (« durant ces quinze derniers jours avez-vous noté une perte de capacité à vous intéresser et à prendre plaisir à vos activités habituelles ? », etc.) et des échelles type HADS (« Hospital Anxiety and Depression Scale ») peuvent être utilisées dans ce but [21]. Les deux symptômes cardinaux sont la tristesse de l’humeur et la perte d’intérêt et de plaisir. Ils peuvent être associés à d’autres symptômes cognitifs et affectifs tels que l’auto-dévalorisation, la culpabilité (envahissante, généralisée), l’anesthésie affective, l’indifférence, la perte de la capacité à prendre plaisir (même minime et au quotidien), le désir de mort et les idées suicidaires, le pessimisme pathologique et la péjoration de la situation carcinologique [22]. Il semble également important d’être attentif aux symptômes d’allures somatiques plus facilement « dicibles » lors d’une consultation médicale, qui doivent alerter et faire rechercher une dépression même s’ils sont non spécifiques : asthénie, douleurs, amaigrissement, anorexie, troubles du sommeil, troubles cognitifs ou encore plaintes concernant l’image corporelle. Citons comme exemple hors cancérologie, l’« American Diabetes Association » et l’ « American Heart Association » qui recommandent un dépistage de routine de la dépression pour les patients diabétiques et coronariens [24, 25].

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Prise en charge du syndrome dépressif et traitement éventuel Une fois dépistée la dépression doit être prise en charge en associant idéalement traitement médicamenteux et psychologique (individuel et/ou groupal). Pour rappel signalons que la prescription d’antidépresseurs inhibiteurs du CYP2D6 (paroxétine, fluoxétine) est contre-indiquée avec le tamoxifene [22]. Cette prise en charge permet au final une amélioration de la qualité de vie (et non de la survie [21]). Il est intéressant de noter que certains auteurs ont montré que la prise d’un traitement antidépresseur était associée à une meilleure adhésion au traitement antirétroviral chez les patients déprimés infectés par le HIV [26]. L’adhésion au traitement antirétroviral ne semble pas prédire l’adhésion au traitement antidépresseur mais l’inverse est vrai [27]. Nous pouvons en conclure qu’une attention particulière doit être portée sur l’observance du traitement antidépresseur qui peut être associée à l’observance d’autres traitements médicamenteux. Se développent également différentes interventions pour une approche globale de la pathologie chronique (diabétique et/ou coronarienne) et dépressive qui semblent prometteuses. Des interventions dans un style d’éducation thérapeutique mixte sur la dépression et le diabète par entretiens et appels téléphoniques ont permis une meilleure adhésion au traitement par antidiabétiques oraux et antidépresseurs et ainsi un meilleur contrôle glucidique et une diminution des symptômes dépressifs [24]. Une autre étude montre un meilleur taux de contrôle glucidique, de la tension artérielle et une amélioration des scores de dépression et qualité de vie après éducation thérapeutique globale et suivi régulier médical et infirmier chez des patients déprimés avec une maladie diabétique et/ou coronarienne mal équilibrée [28]. Ce type de prise en charge (éducation thérapeutique globale médicale et psychiatrique sur la dépression avec une collaboration au niveau des soins) doit progresser en cancérologie car une extrapolation de ces résultats est probablement possible. La mise en place et le développement des soins de support (dont l’importance a été soulignée au cours des différents plans cancer) vont dans ce sens.

Quel message pour l’oncologue ? La question de l’observance révèle une complexité dans la prise en charge des patients, jusqu’il y a peu sous-estimée par les oncologues habitués à des thérapeutiques administrées par voie intraveineuse. Elle pose des limites à la croyance en la « toute-puissance » de la parole du médecin qui bien souvent n’imagine pas que le patient puisse ne pas suivre ses recommandations. Le clinicien doit garder à l’esprit que les patients déprimés sont moins observants que les autres. Différents Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

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facteurs de risque de dépression dans le cadre de l’oncologie doivent donc être recherchés [22] : – personnels : sexe féminin, jeune âge au moment du diagnostic (15-54 ans), événements de vie récents négatifs ou stressants, antécédents psychiatrique personnels et/ou familiaux, certains traits de personnalité (tendance à ne pas exprimer ses émotions, à considérer les événements de la vie comme incontrôlables et inévitables, faible estime de soi et faiblesse du soutien émotionnel, tendance au pessimisme) ; – sociaux : statut marital (célibataire, divorcé, séparé, veuf), isolement social, faible niveau socioéconomique, appartenance à une minorité ethnique, perception d’un manque de soutien social ; – liés à la maladie cancéreuse : type de cancer (pancréas, ORL), stade (avancé ou métastatique), phases critiques d’annonce du diagnostic, de la récidive ou de l’aggravation, entrée en phase palliative ou à l’inverse période de rémission sur le plan tumoral (risque d’accroissement du sentiment d’abandon), mauvais contrôle de symptômes physiques (douleur essentiellement, nausées, vomissements, fatigue, altération de l’état général. . .) ; – facteurs organiques (endocriniens, métaboliques, atteintes cérébrales. . .) ; – facteurs iatrogènes : traitement potentiellement dépressogène (corticothérapie, interféron, levetiracetam etc..) ou dépression secondaire aux effets indésirables [29]. L’évaluation de l’humeur doit se faire à distance d’une annonce diagnostique (minimum une semaine après) et en l’absence de syndrome douloureux non contrôlé. Elle peut être réalisée par des questions simples et/ou des questionnaires et une attention particulière doit être portée à certains symptômes non spécifiques plus facilement « dicibles » par le patient en consultation médicale somatique. L’oncologue saura également être attentif au changement de fonctionnement du patient, parfois exprimé par l’entourage [22]. Dans la perspective d’améliorer l’observance Martin et al. soulignent la nécessité pour le patient pris en charge en oncologie d’avoir l’opportunité de raconter l’histoire unique de sa maladie. Ceci permettant aux professionnels de santé d’apprendre des éléments importants pour l’adhésion aux traitements : croyances, attitudes, normes subjectives, contexte culturel, environnement social et facteurs émotionnels [15]. Di Matteo et al. insistent également sur l’importance des représentations du patient sur la gravité de sa maladie [30]. Le professionnel de santé doit ainsi être dans une attitude disponible et à l’écoute du patient, y compris de ce qu’il exprime de fac¸on non verbale [15]. En cas de doute ou de constat de dépression avérée il convient d’orienter le patient vers une prise en charge par un psychiatre et/ou psychologue dans le cadre des soins de support. Le traitement comporte des approches Bull Cancer vol. 100 • N◦ 10 • octobre 2013

psychothérapiques et/ou médicamenteuses associées à des interventions psychosociales. Des pistes de réflexions et des stratégies innovantes sont en développement : éducation thérapeutique dans les établissements, mise en place de plates-formes téléphoniques par les laboratoires, rôle de l’infirmière de coordination, possibilités de monitorer l’adhésion grâce aux progrès de la pharmacologie (dosage des médicaments. . .). Il serait cependant illusoire de penser qu’un traitement sans effet indésirable et correctement expliqué au patient suffirait à obtenir une adhésion thérapeutique parfaite de sa part même dans le cas de maladies graves potentiellement létales. Cette problématique interroge en effet sur le rapport du patient à la maladie et au traitement et échappe à une logique scientifique.

Conclusion Au total, l’évaluation et la prise en charge de l’état de santé mentale des patients peuvent aider à réduire le risque de non adhésion thérapeutique et contribuer à de meilleurs résultats en terme de santé [15, 31]. Il s’agit d’une piste intéressante et peu explorée encore dans le domaine de la cancérologie. Alors que les interventions visant à améliorer l’observance sont pour la plupart très complexes et ont jusqu’ici montré peu d’efficacité [31], des progrès dans le dépistage et le traitement de la dépression pourraient permettre une amélioration des résultats en oncologie. L’objectif est d’obtenir un meilleur accès aux soins et une meilleure efficacité des traitements pour les patients. Cela permettrait également de diminuer les couts pour la société. De plus amples recherches sur les résultats d’une prise en charge de ce type sur l’observance thérapeutique médicamenteuse sont cependant nécessaires. La question de l’observance est un challenge permanent et un défi pour le clinicien, ce d’autant plus qu’il est étonnant de constater que le seul fait d’être adhérent aux traitements (que ce soit à un placebo ou à une substance active) semble en lui-même entrainer une diminution de la mortalité. . . [32].  Liens d’intérêts : les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec le texte.

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