Annales Médico Psychologiques 165 (2007) 225–229 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/
Dictionnaire biographique Disponible sur internet le 03 mars 2007
Joseph Rogues de Fursac (1872–1942) Marie Henri Joseph Pierre Étienne, fils de Jean Baptiste Émile Rogues de Fursac, 28 ans, propriétaire agricole, et de Dame Jeanne de la Boulinière, est né le 20 décembre 1872, à Cognac (Haute-Vienne). Il ne s’agit pas du célèbre Cognac de la Charente, mais d’une petite localité (actuellement moins de 1000 habitants) du Limousin, de l’arrondissement de Rochechouart, qui s’est appelé autrefois Comphrac, puis Cognac le Froid (en 1914), et, enfin, Cognac la Forêt (1973), et dont le code postal est 87310. Il y a encore dans cette localité un domaine de Fursac, et la forêt est probablement riche en bouleaux si l’on se réfère au patronyme de la parturiente qui est venue accoucher au domicile de ses parents, à Cognac, alors que le couple résidait ailleurs. Il entreprend des études de médecine à Limoges où il a pour maîtres Prosper Lemaistre, Gilbert Raymondant, Justin Lemaistre dont il fut l’interne puis le malade (c’est ce qu’il écrit dans l’introduction de sa thèse, sans plus de précision ; de même, dans cette introduction, il remercie Pierre Marie, professeur agrégé, médecin des Hôpitaux qui lui a prodigué des conseils et des appuis dans des circonstances difficiles). Ici surgit une difficulté : nous avons un texte emprunté à un journal, Le Courrier du Centre, un journal qui a paru de 1848 à 1914, daté du 28 juillet 1884 (http://linards.ifrance.com), texte que voici : « On nous écrit de Linards le 25 juillet. » « Hier jeudi, une foule nombreuse et recueillie se pressait dans la modeste église de Linards, entourant la famille éplorée du jeune Sautour, mort si rapidement du choléra à Toulon. On peut dire que tous les habitants de Linards et un grand nombre de personnes des environs avaient tenu à l’honneur d’affirmer leur sympathie pour cette famille si cruellement éprouvée. Nous avons pu remarquer dans l’assistance, non seulement presque tous les médecins de la région, mais encore d’autres jeunes praticiens venus de loin pour rendre un dernier hommage à la mémoire du malheureux infirmier militaire qui avait été leur condisciple. » « L’école de médecine de Limoges, qui avait compté Sautour au nombre de ses élèves, avait délégué, pour assister à ce service, MM. Proposer Lemaistre et Louis Bleynie et deux internes de l’hôpital, MM. Decrossac et Rogues de Fursac. » La difficulté est qu’en 1884, Rogues de Fursac, le nôtre, n’avait que 12 ans et ne pouvait pas être interne d’un service hospitalier. Une première hypothèse est qu’il pourrait bien y avoir un autre Rogues de Fursac. Une autre hypothèse est qu’il doi:10.1016/j.amp.2007.01.012
pourrait y avoir une erreur sur l’année, car nous n’avons pas le fac-similé du journal, mais une retranscription ; il pourrait s’agir de l’année 1894 ; alors Rogues de Fursac, 22 ans, pouvait être interne. Or, après l’épidémie de choléra à Toulon, en 1884– 1885, il y en a une autre en 1892–1894. Ce qui est certain, c’est que Rogues de Fursac a été l’interne de Justin Lemaistre. Puis il monte à Paris, il est externe en 1894, interne des asiles de la Seine en 1897. Après un stage d’interne à Villejuif dans le service de Vallon, il arrive à la Clinique des maladies mentales à Sainte-Anne, dont la chaire est occupée par Joffroy, deuxième titulaire de cette chaire après Benjamin Ball, et il est nommé chef de clinique avec Manheimer, après un concours. Le mercredi 14 juin 1899, à 13 heures, il soutient sa thèse devant un jury composé par Joffroy, Professeur, Président, Fournier, Professeur, Gaucher agrégé et Dupré agrégé, une thèse consacrée au Moloch de la psychiatrie du XIXe siècle, la paralysie générale (PG), intitulée « Des stigmates physiques de dégénérescence chez les paralytiques généraux ». Dans la préface, on apprend que depuis 1898, il s’adonnait à des études de physiologie dans le laboratoire de Richet. Il signale les positions de différents auteurs sur l’étiologie de la PG ; en 1857, déjà, Esmarch et Jessen affirmaient l’étiologie toujours syphilitique, tandis que Charcot et Joffroy tenaient pour un facteur nécessaire, l’hérédité, et une cause occasionnelle (alcool, syphilis, surmenage...). Dans ses études sur l’alcoolisme, Jacques Borel a insisté sur le fait que le rôle excessif attribué à l’alcool avait retardé l’École française dans la reconnaissance de l’étiologie vraie, alors qu’elle avait, la première, découvert la maladie et décrit admirablement son anatomie pathologique et sa clinique. Rogues de Fursac n’a inclus dans son étude que des paralytiques généraux hommes, à cause de la longueur des cheveux des femmes qui gêne la céphalométrie, un ensemble de mesures nécessaires pour recueillir les stigmates physiques de dégénérescence (était-il un lecteur de Schopenhauer ?). Il compare des groupes de 50 sujets normaux, 50 PG et 50 autres aliénés ; pour la céphalométrie il s’appuie sur l’article de Manouvrier (« L’intermédiaire des biologistes », septembre 1898) et, pour les stigmates de la face, sur les études de Séglas, soit avec Féré (Revue d’anthropologie, 1886), soit dans ses leçons cliniques sur les maladies mentales et nerveuses. Ses résultats sont que les stigmates peuvent exister chez les sujets normaux, mais qu’ils sont plus fréquents chez les PG, que leur fréquence est égale chez les PG et chez les aliénés quelconques, aucun n’est pathognomonique, tel ou tel stigmate peut exister chez un sujet normal et manquer chez un PG et il conclut à la prédisposition héré-
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ditaire. C’était la position de Joffroy qui a inspiré cette thèse et qui a présidé la soutenance. La présence simultanée de Joffroy et Fournier indique que celui-ci n’avait pas encore rejoint le camp des partisans de l’étiologie syphilitique. Après sa thèse, il est médecin adjoint à Clermont de l’Oise où subsiste, sur le site de Fitz-James, un pavillon qui porte son nom (à côté des pavillons Sérieux-Capgras, Sicard et Cellier), puis au pensionnat de Ville-Evrard. 1. Écrits et dessins des malades mentaux En 1905, Rogues de Fursac publie Les écrits et les dessins dans les maladies nerveuses et mentales (Essai clinique), chez Masson. Cet ouvrage comporte 232 figures dans le texte. En 1905, il est en poste à Clermont de l’Oise et la plupart des échantillons y ont été recueillis, d’autres proviennent de collections privées, comme celle de Thivet, de Chombard (avec qui il étudiera aussi la morphinomanie et ses quatre périodes – euphorie, hésitations, augmentation des doses, affaiblissement) et un exemple est emprunté et traduit « exactement » du livre de Köster, Die Schrift bei Geisterkrankheiten (L’écriture dans les maladies mentales), Leipzig, 1903. Dans la première partie, il expose des considérations générales sur les écrits pathologiques, dans la deuxième, il considère les écrits dans les diverses maladies nerveuses et mentales, dans la troisième les dessins. En ce qui concerne l’écriture, il distingue l’exécution, la réalisation ou calligraphie, et le contenu ou psychographie. Pour la graphologue espagnole Mathilde Ras Fernandez qui se considère comme la représentante en Espagne de l’École graphologique française, celle-ci réunissait Crépieux-Jamin, Streltsky, Rogues de Fursac et Solange Pellat. On peut le considérer comme un pionnier de la graphologie et surtout de la graphologie médicale, bien qu’il ait été précédé par Marcé (« De la valeur des écrits des aliénés au point de vue de la sémiologie et de la médecine légale », Annales d’hygiène publique et de médecine légale, 1860, t. XXI), précédé également par Crépieux-Jamin, dont le livre date de 1897, enfin par Köster que nous avons vu et par son maître Joffroy qui a étudié les troubles de l’écriture dans la paralysie générale. On peut aussi le considérer comme un pionnier de l’étude de l’art psychopathologique. Cet important ouvrage de 307 pages nourri de nombreux documents et de réflexions paraît en 1905, il est donc contemporain de l’ouverture par Auguste Marie d’un musée à l’asile de Villejuif et bien antérieur à l’exposition de la collection Prinzhorn, qui n’aura lieu à Francfort qu’en 1921, et à la parution du livre de Prinzhorn, Bilderei der geisteskranken, « Iconographie des malades mentaux », en 1922. Dans l’introduction de ce livre, qui est resté très célèbre, Prinzhorn parle de collections privées de psychiatres anciens, en particulier français, mais sans les nommer ; il n’est pas aussi discret pour Lombroso ou Morgenthaler. Cet oubli – ou se pourrait-il que ce soit volontaire ? – ne diminue en rien la valeur de l’œuvre de Rogues de Fursac. L’étude des écrits et dessins des patients fera partie de leur examen général et sera l’occasion de quelques communications, comme celle qu’il a présentée à la Société de Psychiatrie de Paris avec Capgras (séance du 21 avril 1910), « Écrits et dessins d’un paralytique général atypique » : un
homme de 56 ans dont la mémoire défaille, qui a des troubles du caractère et qui, après un ictus présente une hémiparésie avec agraphie et paragraphie, mais surtout une conservation de ses facultés de dessinateur. L’exemplaire de ce livre sur les écrits et dessins qu’il a dédicacé et offert à la bibliothèque de SainteAnne porte un échantillon de son écriture qui, malgré ses petites dimensions pourrait servir de base à une étude graphologique de son caractère (arroseur arrosé ?) et être comparé avec les témoignages (il y a quelques décennies j’ai appris de la fille d’une ancienne infirmière de Rogues de Fursac qu’il était très empressé auprès des malades, exigeant quant aux soins mais toujours très courtois et proche de ses collaborateurs). Ce livre paraît dans une année riche en publications de médecine générale (H. Roger : Introduction à l’étude de la médecine ; Farabeuf : Précis de manuel opératoire), de neurologie et de médecine mentale (2e édition du Traité de médecine de Bouchard et Brissaud, tomes IX et X) ; Henry Meige : Les tics ; Leçons de Brissaud sur les maladies nerveuses, Leçons de Meige). 2. Un mouvement mystique Après la 2e édition de son Manuel de psychiatrie (1905), Rogues de Fursac publie chez Alcan, en 1907, Un mouvement mystique contemporain, le réveil religieux du pays de Galles (1904–1905). Observons le titre. Aujourd’hui, on aurait vraisemblablement employé le terme de « secte », un terme utilisé d’autant plus qu’il n’est pas bien défini, permettant de jeter dans le même sac et le même opprobre des groupements dangereux et d’autres inoffensifs mais coupables de soustraire des adhérents aux religions traditionnelles. En 1906 (donc un an après la loi de séparation), Rogues de Fursac avait été chargé par le ministère de l’Intérieur (dont dépendaient les asiles, à l’époque) d’étudier l’influence du mysticisme sur le développement des maladies mentales. Il est allé passer de longues semaines dans les vallées minières du Clamorgan au pays de Galles et il s’est intéressé au mouvement du Réveil, autour d’un certain Evan Roberts (1875–1951), coauteur avec Jesse Penn-Lewis (1861– 1927) de War on the saints. À l’asile d’aliénés de Clamorgan, à quelques kilomètres de Bridgent, abritant 1 800 malades, on a constaté que pendant le mouvement du Réveil, les crimes, délits et l’alcoolisme avaient diminué. Il s’est également entretenu « avec deux jeunes gens qui s’intéressent à la crise religieuse où la France se débat actuellement. Ils apprécient beaucoup le principe de la séparation de l’Église et de l’État et souhaiteraient le voir appliquer en Angleterre ». Il note également que le mouvement a atténué le fanatisme religieux et a développé l’esprit de tolérance. La même année, il a également publié des Notes de psychologie religieuse. Les conversions. Par un arrêté d’août 1908, Rogues de Fursac, médecin adjoint à Ville-Evrard, y est maintenu comme médecin chef et, dans le même temps, Capgras, médecin adjoint à la colonie familiale de Dun sur Auron, est transféré à Ville-Evrard, comme médecin adjoint. En mai–juin 1909, il publie, dans le Journal de Psychologie normale et pathologique, une étude sur l’hérédité dans l’avarice où il relève que les antécédents sont aussi fréquents dans les familles d’avares que dans les familles
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d’aliénés, que les troubles associés sont des troubles du caractère, rarement des psychoses ; il poursuivra ses recherches sur l’avarice et fera un livre sur le sujet en 1911. À la séance du 19 juillet 1909 de la Société clinique de médecine mentale, il publie avec Capgras « Un cas de folie intermittente. Myoclonie et délire de possession prémonitoire des accès ». Il s’agit d’une psychose maniacodépressive avec, d’abord, des accès maniaques à longs intervalles, puis des accès maniaques plus rapprochés, enfin des accès alternés, sans affaiblissement intellectuel et avec des soubresauts de tout le corps et rotation de la tête à droite comme prodromes de l’accès maniaque disparaissant dès que celui-ci s’installe. À la séance du 20 décembre 1909 de la Société clinique de médecine mentale, il présente avec Vallet l’observation d’un persécuté voyageur qui rappelle le patient de Legrand du Saulle faisant le tour du monde pour échapper à ses persécuteurs ; les auteurs lui attribuent un puissant individualisme, des idées délirantes et des tendances mythomaniaques. Ce thème de la déambulation des « aliénés migrateurs » circule tout au long de l’histoire de la psychiatrie. Récemment, Ian Hacking a publié, aux Empêcheurs de penser en rond, Les fous voyageurs (2002). À la séance du 28 février 1910 de la Société Médico-Psychologique, il est élu membre titulaire avec Truelle après le rapport d’une commission composé pour eux deux de Magnan, Blin, Picqué, Sémelaigne, Vallon et Leroy. 3. L’avarice En 1911, paraît chez Alcan L’avarice, étude de psychologie morbide qui a été longuement analysée dans L’Encéphale (1911, I, 297) par Capgras. Ce comportement – monomanie, passion, addiction selon les époques – n’avait guère intéressé les aliénistes ; en revanche les écrivains, auteurs dramatiques, romanciers, moralistes, essayistes, cinéastes s’en sont emparés (Molière, Balzac, Gogol, Théophraste avec ses grippe-sous, La Bruyère, Dickens, Walt Disney avec Balthazar Picsou, Claude Chabrol dans « Les sept péchés capitaux »). Les citations sont nombreuses : « La plus raisonnable des passions, l’avarice, est celle qui rend le plus fou » (Goncourt) ; « L’avarice est le pire des défauts qui existe, si on compte ses sous, on compte aussi ses sentiments » (Audiard). Le vocabulaire est abondant : Amyot a parlé de l’avarice et de la « chicheté » ; plus près de nous : ladrerie, radinerie, pingrerie ; des avares on a dit qu’ils sont « constipés », avant de connaître le caractère anal... C’est par l’intermédiaire de l’un des écrivains qu’un aliéniste, encore plus méconnu que Rogues de Fursac, lui avait consacré quelques pages. Il s’agit de Prosper Despine qui avait publié en 1884 La science du cœur humain ou la psychologie des sentiments et des passions d’après les œuvres de Molière. Rogues de Fursac indique, chez l’avare, une absence d’imagination, une réduction de l’activité à un seul secteur, la disparition des sentiments affectifs en dehors du sentiment de possession. Despine avait souligné que l’avare, insensible aux sentiments généreux, est cependant accessible à l’amour (mais là aussi il s’agit de posséder). L’avare a des troubles du jugement, il comprend mal son intérêt, il est pusillanime, il préfère réduire les risques plutôt que de gagner beaucoup. L’auteur distingue l’avarice de la cupidité de l’hédoniste. La méfiance de l’avare est bien connue. Il peut
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finir par collectionner n’importe quoi, surtout s’il a un affaiblissement intellectuel. (L’auteur arrive, là, au bord de ce qui sera isolé bien plus tard comme syndrome de Diogène.) Ce livre a été traduit en grec et il a paru à Athènes en 1913 (η φιλαργυρια) où l’on reconnaît les deux racines (aimer et argent, argent métallique). Un écrivain, Ernest Hello, a d’ailleurs défini l’avarice selon l’étymologie : « L’avare a l’amour physique du métal. Il aime l’or et l’argent en eux-mêmes. Il les aime matériellement. Il est attiré par eux. Le contact du métal est pour lui une joie et un plaisir physique. » Nous voici aux portes du fétichisme. Eduardo T. Mahieu dans « Le capitaliste fou », avril 2006 (Cercle d’études psychiatriques Henri Ey, Paris) admire les descriptions de Rogues de Fursac et celles, plus tardives (1925) d’Ernest Dupré (les mendiants thésaurisateurs). C’est probablement pour son étude sur l’avarice que René Le Senne le classe (in Traité de caractérologie, 1945) parmi les psychiatres caractérologues. 4. Les publications À la séance du 15 janvier 1912 de la Société clinique de médecine mentale, il présente avec Leroy un cas de « tentative de suicide précédée d’un double homicide » à propos duquel il propose de réactiver les anciennes notions du taedium vitae ou de spleen (on se rappelle que Brière de Boismont avait rédigé un mémoire sur l’ennui ou taedium vitae où, bien entendu, il donne à l’ennui son sens fort, racinien, bérénicien). Au IIIe Congrès de Médecine légale (Paris, 26–28 juin 1913), il étudie les troubles mentaux dans l’intoxication oxycarbonée avec des signes de psychasthénie, une irritabilité ; Paul Moreau de Tours y avait vu un délire avec idées de persécution peu stables ; dans la discussion, Dupré insiste sur l’amnésie, Régis est sceptique ; pourtant, n’y aurait-il pas parfois un syndrome de Korsakoff dans les intoxications chroniques aussi ? Cette même année, à la séance de juillet de la Société Médico-Psychologique, il publie avec Genil-Perrin une « Étude statistique sur les antécédents héréditaires des PG », c’est un retour au sujet de sa thèse, pourtant à l'époque la cause est entendue, l’origine syphilitique de la PG est affirmée, mais si tous les PG ont été syphilitiques, tous les syphilitiques ne développent pas une PG. Avec Roger Dupouy, il présente « un cas de phobie à systématisation délirante (Annales Médico-Psychologiques, 1913, 471) chez un patient à hérédité chargée, accablé par l’obsession d’occasionner un dommage à autrui, secondairement délirant, donc un cas d’obsession avec passage à la psychose, un délire de teinte mélancolique. Arnaud rappelle le cas, vu par Janet, d’un obsédé devenu délirant et qui arrive à accomplir inconsciemment l’acte qu’il redoute d’exécuter. Rogues de Fursac, qui allait étudier le témoignage, comme il se doit, à qui s’intéresse à la médecine légale psychiatrique, publie (Encéphale 1914–1919, p. 566, compte rendu du IVe Congrès de médecine légale, 25–27 mai 1914) avec Eissen une « contribution à l’étude du témoignage indirect ». Ce témoignage indirect (l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’ours...) pouvait paraître dérisoire, mais l’histoire est bâtie sur des témoignages indirects et on lui attribue quelque intérêt. Bien sûr, le témoignage subit des altérations d’un intermédiaire à l’autre, mais la désinformation ne se fait pas au hasard, elle suit des règles précises : le témoignage indirect
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déforme les faits dans le sens de la simplification, de la vraisemblance et de la logique, et il oublie les faits qui ne sont pas susceptibles de susciter une émotion. Rogues de Fursac s’intéresse donc à la généalogie de l’erreur, « comment l’on se trompe », c’est la marque d’un esprit libéré de la prétention d’arriver à une vérité absolue et qui se contente de réduire le plus possible la marge d’erreur. Avec Vallon, dont il fut l’interne, il publie une étude sur la timidité sexuelle (Archives d’anthropologie criminelle, mars 1914). Puis, Gilbert Ballet et Rogues de Fursac traitent des « psychoses commotionnelles » (Paris médical, 1er janvier 1916). On signale (in Journal of Insanity 1918, 75, 19–51) un texte de Rogues de Fursac, « Traumatic and emotional psychoses so-called shell shock ». C’est probablement une traduction, la mode n’était pas encore pour les auteurs français de publier en anglais basique. Le 6 décembre 1919, à la Société de médecine légale, il expose un cas de mythomanie avec dénonciation. En 1920, toujours à Ville-Evrard, il reçoit la médaille d’honneur de l’Assistance publique. En 1920, à la séance du 18 janvier de la Société de Psychiatrie (in Encéphale, 1920, 157), avec Xavier Abély, il étudie la « transformation d’un délire polymorphe en épilepsie » ; au sortir de la crise, le délire a disparu, les crises généralisées augmentent de fréquence, des crises vertigineuses apparaissent. Dans les interventions, Delmas pose la question d’une psychose maniacodépressive, Doutrebende signale la fréquence de l’association psychose maniacodépressive et épilepsie, qui serait due à la prolifération névroglique. À la séance du 19 février 1920 de la même société, Leroy et Rogues de Fursac traitent des hallucinations lilliputiennes chez un alcoolique intoxiqué depuis longtemps. En 1921, avec Capgras, il étudie le syndrome de Capgras chez les personnes âgées. La même année, Rogues de Fursac, alors médecin chef à Maison-Blanche (?) étudie avec Xavier Abély, alors médecin adjoint à l’asile de Châlons-sur-Marne, le traitement des états mélancoliques par le cacodylate de soude à hautes doses (Annales Médico-Psychologiques, 1921, II, 425) ; l’amélioration physique est constante, l’amélioration psychique fréquente, surtout chez les sujets jeunes ayant eu peu d’accès. À la séance du 17 mai 1921 de la Société clinique de médecine mentale, il expose avec Furet un cas de « lipomatose symétrique » (type Launois et Bensaude) avec délire considéré d’abord comme alcoolique mais étant, en réalité, une psychose hallucinatoire qui a abouti à un délire de possession avec troubles de la sensibilité générale et interprétations délirantes. Dans leur article « De l’adéno-lipomatose symétrique » (in Bulletin de la Société médicale des Hôpitaux de Paris, 1898, 298, 318), P.E. Launois et Raoul Bensaude ne signalent que peu de troubles psychiques en dehors de l’alcoolisme. Avec Furet (Encéphale, 1922, 38), il fait état de 48 PG traités par arsénobenzols, méthode des doses faibles et fréquemment répétées ; cette technique est sans danger, elle ne guérit pas, mais elle apporte des améliorations appréciables. En janvier 1922, à la Société clinique de médecine mentale, avec Leroy, il a parlé du « pansexualisme » de Freud ; il cite L’introduction à la psychanalyse et il ajoute que Freud « a certainement mis en lumière une grande vérité ». En 1923, deux contributions sont importantes : la 6e édition de son Manuel, nous y reviendrons,
et le problème du « rationalisme morbide ». Quand on entend ce terme, on pense tout de suite à Minkowski, et pourtant l’article a été signé aussi par Rogues de Fursac, et même en première place : Rogues de Fursac et Minkowski, « Contribution à la pensée et à l’attitude des autistes (le rationalisme morbide) » in Encéphale, avril 1923, 18e année, no 4, p. 215. Le terme de rationalisme morbide a probablement été promu par Minkowski qui, en tant que bergsonien, ne répugnait peut-être pas à une dévaluation de la raison. En fait, il s’agit d’une pensée irréaliste, qui n’interroge jamais le réel, c’est une ratiocination et non une rationalisation. Au contraire, ce type de pensée, de perte de contact avec la réalité, pourrait être plus justement qualifié d’idéalisme morbide. Le 25 avril 1925, une commission comprenant Pactet, Charpentier et Rogues de Fursac est chargée d’examiner la candidature de Mme Minkowska au titre de membre correspondant national de la Société Médico-Psychologique. Or, Rogues de Fursac, membre de cette commission, avait collaboré avec Minkowski, lequel n’avait pas tari d’éloges sur la 6e édition du manuel de Rogues de Fursac. En principe, l’affaire se présentait bien, je ne connais pas la suite, voilà un sujet de recherche sur la petite histoire de la Société Médico-Psychologique. Au Congrès de Médecine légale, 27/29 mai 1926, il étudie le témoignage des psychopathes (à l’époque, le terme de psychopathe s’applique à toutes les variétés de malades mentaux). Ce témoignage ne doit pas être systématiquement récusé ; il classe les témoignages dans l’ordre de crédibilité décroissante : mélancolie, psychose interprétative chronique, psychose hallucinatoire chronique, arriération, épilepsie, PG, démence sénile, artériosclérose cérébrale. Chez les psychopathes (en général) le témoignage est caractérisé par la pauvreté plus que par l’erreur. La même année (Annales Médico-Psychologiques, 1926, p. 71), il estime que parfois un divorce peut éviter un internement, c’est une idée qui n’était probablement pas partagée par beaucoup de collègues à l’époque. En 1929 (21–26 mai) à Barcelone, il expose avec Caron une étude sur « Criminalité sexuelle et alcoolisme » à propos de 157 observations dans lesquelles l’alcoolisme a été associé à la criminalité dans le domaine des mœurs ; il s’agissait d’un état d’alcoolisation aiguë provoqué parfois chez un sujet sobre, voire abstinent ; dans le cas où le sujet était sobre antérieurement, la criminalité survient sur un état neuropsychiatrique probablement anormal. Au XVe Congrès de Médecine légale de langue française (26–28 mai 1930), il intervient sur le rapport de Cosdedoat (agrégé du Val-deGrâce) : il n’y a pas d’équivalence entre mysticisme et état pathologique, mais le mysticisme peut s’associer à des troubles mentaux, par exemple le délire mystique chez des persécutés interprétants classiques (et, j’ajouterais, dans le délire érotique mystique des épileptiques). Laignel-Lavastine, Rogues de Fursac et H. d’Heucqueville étudient la « valeur du pH urinaire dans le diagnostic des états de dépression » (in Annales MédicoPsychologiques, 1931, T. 1, no 1, p. 179, 345) ; ils observent que chez les schizophrènes, la courbe de l’acidité ionique est dysharmonique. Avec Georges d’Heucqueville, il publie « Contribution à l’étude de la mimique fronto-orbitaire (Annales Médico-Psychologiques, 1934, T. 1, no 1, p. 1-27) ; ils distinguent la mimi-
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que spontanée ou affective et la mimique-langage avec des mouvements volontaires (la mimique de l’acteur, par exemple) et ils rappellent les travaux de Duchenne de Boulogne sur le frontal, l’orbiculaire des paupières, la sourcilier et le pyramidal. Dans la nécrologie de Rogues de Fursac, Paul Guiraud rapporte qu’ « il avait fait sur la mimique des aliénés de nombreuses recherches du plus haut intérêt avec l’aide du cinématographe et de l’investigation électrophysiologique ». En 1935, il s’intéresse à « La pathologie dans l’histoire. Psychologie et maladies d’Alphonse-Louis du Plessis de Richelieu » (Annales MédicoPsychologiques, 1935, T. II, no 4, 537–545) ; c’est le frère aîné d’Armand, un « dégénéré » dromomane et ayant une phobie de l’eau. L’intéressé subit des défaillances, avec pertes de la vue (sans inconscience), une oppression de poitrine, un ictère, des ébauches de lypothymie, une dyspnée, une hydropisie et une ascite ancienne, bref un état hépatocardiaque. Rogues de Fursac, Xavier Abély, Fretet et Ralu (in Annales Médico-Psychologiques, 625–628) traitent des « mère bourreaux de leurs enfants, reconnues aliénées » ; dans certains cas, le trouble mental est peu marqué et n’est révélé que par les sévices, les principales causes sont l’épilepsie, un début de démence organique, le déséquilibre et la perversion avec appoint alcoolique, un délire de revendication sociale, le rationalisme morbide ; Marchand, dans la discussion, dit que dans trois quarts des cas, l’alcool est en cause ; pour Laignel-Lavastine, il n’est pas indispensable. 5. Le Manuel Rogues de Fursac a beaucoup travaillé et beaucoup publié. (On notera incidemment que ses publications, à partir de 1900, sont surtout cliniques et nosographiques et qu’à partir de 1920 environ, il fait aussi état des essais thérapeutiques.) Il appartenait à la Société Médico-Psychologique, à la Société clinique de médecine mentale, à la Société de Psychiatrie, il fréquentait le Congrès des aliénistes et le Congrès de Médecine légale. Mais son œuvre la plus importante, c’est son Manuel de Psychiatrie. Il était très apprécié et, parmi les plus anciens d’entre nous, certains ont commencé leur apprentissage de la psychiatrie avec ce manuel. Entre 1903 et 1923, six éditions françaises ont paru, toujours mises à jour, avec, surtout dans la dernière, un chapitre de médecine légale de 144 pages. Il a été analysé par Naudascher dans les Annales Médico-Psychologiques (1923, II, 171) et par Minkowski dans L’Encéphale. Il a été traduit en anglais par Aaron Joshua Rosanoff, en espagnol par J. Peset en 1921 (sur la 5e édition), à Buenos Aires (Graciela Onofrio a souligné l’importance des textes de Rogues de Fursac, et d’autres auteurs français) pour le développement de la psychiatrie argentine. Au fil du temps, on voit apparaître l’encéphalite épidémique, une meilleure appréciation du rôle de la syphilis, la prolifération des toxicomanies. Il renonce à la notion de démence précoce en faveur de l’hébéphrénocatatonie, il confond l’ancienne démence paranoïde avec le délire
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chronique de Magnan et la rattache à la psychose systématisée hallucinatoire. On trouve toujours des notations intéressantes, par exemple, au cours d’un séminaire sur la pathologie du travail et des professions, je suis tombé sur ce passage du Manuel : « Il n’est du reste pas démontré que, au total, telle profession expose plus que telle autre aux maladies mentales. Il n’y a d’exception que pour le métier militaire » ; j’étais arrivé à la même conclusion, sauf pour la fin, l’exception ce n’était pas le métier militaire, mais la condition de bonne à tout faire. Réputé comme clinicien et psychologue, on aurait retrouvé des traces de ses écrits ainsi que ceux de Chaslin dans la littérature surréaliste ; ce ne serait pas impossible, malgré les dénégations, mais c’est surtout dans le domaine de la médecine légale qu’il est apprécié. Guiraud dit de lui qu’il était « l’expert idéal ». En 1923, il annonce 1138 expertises ; ce n’est pas énorme, après plus de 20 ans d’exercice et, en tout cas, c’est loin d’approcher du score de nos industriels en expertises. Il a été commis dans des affaires retentissantes. En 1934, il fait partie avec Genil-Perrin et Truelle du collège d’experts chargés d’examiner Gorguloff, l’assassin du président Doumer. Cette expertise a été, parfois, sévèrement critiquée et il semblerait que Rogues de Fursac ait renoncé à ses fonctions d’expert quand Gorguloff a été condamné à mort. En 1936, il a expertisé Petiot qui avait déjà eu une affaire de narcotiques et qui, surpris à voler un livre, avait agressé l’agent, s’était enfui, était revenu quelques jours après avec la preuve de sa réforme pour troubles mentaux, avant d’être placé dans une clinique privée. Rogues de Fursac le trouve « chroniquement déséquilibré », mais préconise la sortie. Cette affaire ne renforce pas l’avis de Rogues de Fursac que « le psychiatre est absolument qualifié pour prévoir les réactions futures d’un délinquant psychiquement anormal et les effets que l’on peut attendre de sa conduite à venir de l’indulgence ou de la sévérité », mais ce qui est plus étonnant, c’est ce passage cité par plusieurs auteurs (Senon...) : « J’estime en effet que l’expert n’a le droit de déclarer irresponsable un individu que si l’on peut proposer des mesures d’ordre médical suffisantes pour assurer la défense sociale, soit en modifiant, au moyen d’une thérapeutique appropriée, le psychisme du sujet, soit en l’internant dans un asile d’aliénés avec la certitude que son état mental permettra de l’y conserver aussi longtemps que persistera l’état dangereux. » Ce texte, où il y a quelques incohérences (comme de juger irresponsable ou non un individu pour un délit antérieur en fonction de l’avenir), mériterait d’être proposé comme sujet de dissertation à des juristes, des médecins légistes, des experts psychiatres... Néanmoins, Rogues de Fursac a joué un rôle important dans le monde psychiatrique français et étranger comme clinicien et comme enseignant. J. Biéder