L’attachement chez les enfants abandonnés en institution résidentielle à Kinshasa

L’attachement chez les enfants abandonnés en institution résidentielle à Kinshasa

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L’attachement chez les enfants abandonnés en institution résidentielle à Kinshasa Attachment in the abandoned children rise in residential institution in Kinshasa F. Mbiya Muadi a,∗ , I. Aujoulat b , A. Wintgens c , T. Matonda ma Nzuzi a , B. Pierrehumbert d , S. Mampunza Ma Miezi e , D. Charlier Mikolajczak c a

Université catholique de Louvain, école doctorale santé et société, SSS/IRSS, Clos Chapelle-aux-champs, 30 boîte B1.30.16, 1200 Bruxelles, Belgique b Université catholique de Louvain, institut de recherche santé et société (IRSS), faculté de santé publique (FSP), Louvain Belgique c Service de psychiatrie infanto-juvénile, université catholique de Louvain, cliniques universitaires Saint-Luc, avenue Hippocrate no 10, Boîte 2030, 1200 Bruxelles, Belgique d Unité de recherche du SUPEA (service universitaire de l’enfant et de l’adolescent), université de Lausanne, Lausanne, Suisse e Département de psychiatrie, université de Kinshasa, Kinshasa, République démocratique du Congo

Résumé Cette étude examine les qualités d’attachement dans un groupe de 42 enfants abandonnés vivant en institution résidentielle et de 42 enfants vivant dans leur famille d’origine à Kinshasa, tous âgés de quatre à sept ans. L’objectif de cette étude est de déterminer l’effet des soins en institution sur les qualités d’attachement des enfants abandonnés. La méthode utilisée porte sur l’analyse des récits des enfants à travers les histoires à compléter recueillies par l’Attachment Story Completion Task (ASCT), instrument principal qui a permis la récolte des données. Nos résultats montrent que les taux d’attachement des enfants des deux groupes sont différents : 47,6 % vivant en institution ont un attachement désorganisé contre seulement 11,9 % pour le groupe des enfants vivant en famille ; 33,3 % d’enfants vivant en institution ont révélé un attachement sécure comparativement à 66,7 % pour ceux vivant en famille. Malgré l’écart de différence dans les qualités d’attachement des deux groupes, l’étude montre que les enfants abandonnés en institution à Kinshasa ont réalisé un taux de sécurité plus élevé que ce que nous révèlent les études faites dans une population similaire ailleurs. Cet indice suggère l’existence d’une force de résilience qu’il faudrait exploiter afin de favoriser le plus d’attachement sécurisé chez les enfants abandonnés à Kinshasa. Il fut indiqué ainsi, l’importance pour les personnels des institutions pour enfants abandonnés, d’avoir plus d’attention sur l’histoire et le vécu de chaque enfant quant aux traumatismes probablement causés par l’abandon. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Attachement ; Institution ; Enfants abandonnés ; Sécurité ; Désorganisation ; Kinshasa

Abstract This study examines the quality of attachment in a group of 42 abandoned children living in residential institutions and 42 children living in their family of origin in Kinshasa, all aged four to seven years. The objective of this paper is to determine the effect of institutional care on the quality of attachment of abandoned children. The method involves analysis of children’s reports through the stories collected by the Attachment Story Completion Task (ASCT), the main instrument that enabled the collection of data. Our results show that the rate of attachment of children in the two groups are different: 47.6 % living in institutions have a disorganized attachment against only 11.9 % for the group of children living in family; 33.3 % of children living in institutions showed a secure attachment compared to 66.7 % for those living in family. Despite the gap of difference in attachment representations of the two groups, the study shows that the abandoned children in institutions in Kinshasa have achieved



Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (F. Mbiya Muadi).

0222-9617/$ – see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.neurenf.2012.09.002

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a security rate higher than what is revealed by similar studies in population elsewhere. This index has revealed the existence of a resilient force to be tapped in order to promote more secure attachment in abandoned children in Kinshasa. It was pointed out the importance for the institutions staff for abandoned children, to havemore attention to the history and experiences of each child, having in mind the consequences of trauma caused by abandonment. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Attachment; Institution; Abandoned children; Security; Disorganization; Kinshasa

1. Introduction L’environnement dans lequel naît et grandit un enfant joue un rôle déterminant dans son devenir. Les conséquences d’une construction de relations peu consistantes avec son entourage immédiat peuvent aboutir à une expression perturbée, parfois gravement, de son caractère ou même, de manière durable, de sa personnalité. La présence des figures parentales, celle de la mère en particulier, est d’une importance incontestable pour la sécurisation physique et surtout psychoaffective de l’enfant. C’est dans ce cadre que la figure d’attachement est déterminante quand celle-ci est comprise comme processus de structuration des modèles mentaux que l’enfant se construit et particulièrement l’aspect dynamique de sa modélisation [1,2]. Lorsque les premiers liens connaissent une distorsion, notamment par la perte d’une figure d’attachement principale, l’enfant peut connaître des troubles de l’attachement [3]. La séparation précoce de l’enfant avec ses parents sans compensation adéquate est donc généralement néfaste pour l’enfant qui court le risque de ne plus être capable de construire des relations sentimentales et sociales positives, car privé du lien physique et psychologique sécurisant entre lui et ses parents au cours des premières années de sa vie [2]. Notre étude porte sur les stratégies d’attachement chez les enfants abandonnés, placés en institution résidentielle à Kinshasa. Avec une superficie de 9965 km2 et une population estimée entre six et huit millions d’habitants, d’environ 450 ethnies, Kinshasa est l’une des plus grandes villes d’Afrique. La République démocratique du Congo (RDC), dont elle est la capitale, se classe à la 187e position sur 187 de l’index de développement humain [4]. Depuis une décennie, le pays connaît des guerres récurrentes dans sa partie Est et les conséquences de ces violences répétitives se font ressentir sur toute son étendue, y compris à Kinshasa la capitale. Actuellement, Kinshasa est devenue, ville-refuge, où les rescapés des guerres espèrent trouver la paix et le pain. On y assiste non seulement à l’augmentation de la population, mais aussi à une détérioration de la qualité de vie de la population. Cette population en majorité (58 %) jeune est confrontée à divers problèmes. Chômage à plus de 90 % ; sous-alimentation, accès insignifiant à l’eau potable, à l’énergie électrique, à la santé, à l’éducation, à la culture et à l’information. Par conséquent, la population congolaise vit en dessous du seuil international de pauvreté fixé à 1 $ par personne, par jour. En RDC, il est de 0,72 $ par personne, par jour [5]. Une instabilité permanente s’est installée depuis des décennies, perturbant profondément la vie des Congolais en général mais plus encore celle des habitants de Kinshasa. La mauvaise gouvernance a plongé le pays tout entier dans une « agonie

économique »1 se traduisant par une profonde pauvreté. Devenue chronique suite aux nombreuses années d’insécurité et à l’instabilité économique au pays, la pauvreté congolaise a engendré plusieurs maux au sein de la société. La dislocation de la famille, première cellule de la société, en est une des conséquences. Les grandes victimes de cette situation sont les personnes vulnérables, en l’occurrence les enfants. Notons qu’en 1990, la RDC ratifiait la Convention relative aux droits de l’enfant en appuie à son Code de famille en vigueur depuis 1987. Ce code prône la primauté des droits humains, surtout ceux de l’enfant. Le pays a poussé sa bonne volonté plus loin en adhérant aux recommandations des grandes conférences africaines et mondiales sur les droits humains, dont celles du Sommet mondial pour les enfants. Et l’article 19 du Code des droits de l’enfant est souvent repris en écho dans les discours et documents du ministère de la Famille en RDC : « prendre toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalité physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitement ou d’exploitation. . . » [5]. Malgré l’existence de ces textes, les enfants connaissent une situation difficile en RDC. Leurs droits les plus élémentaires s’en trouvent être bafoués (l’alimentation, l’éducation, la santé. . .). Pour certains parents ou familles en RDC, les motifs d’abandon d’enfants sont nombreux. Par conséquent, des milliers d’enfants se retrouvent actuellement rejetés dans la rue. D’où la naissance de la classe des personnes vivant dans la rue. Cette classe compte en son sein plusieurs catégories d’enfants : enfants abandonnés, enfants orphelins d’un ou de deux parents, enfants dits sorciers, enfants déplacés de guerres et non accompagnés, jeunes adultes de la rue, enfants « shegués2 » issus des unions des jeunes adultes « shegués ». Leur nombre est estimé à 25 000 [5,6] rien que pour la ville de Kinshasa. En général, ces enfants sont exposés à la maltraitance qui renvoie à toutes formes de violences : violence sexuelle, violence physique, violence psychologique. Dans ce contexte particulièrement difficile, le problème d’abandon d’enfant vient susciter les actions humanitaires et éveiller l’intérêt des scientifiques [7]. La précarité de la vie que mènent les enfants conduit plus d’un chercheur dans le domaine de l’enfance à s’interroger et à trouver les moyens de venir en aide à l’enfance profondément blessée. C’est ainsi que 1 Nous utilisons ce terme pour montrer par analogie, l’état de léthargie profonde dans lequel est plongée l’économie du pays : situation stationnaire où rien ne s’améliore dans tous les domaines. 2 Un nom stigmatisant utilisé à Kinshasa pour désigner tout enfant abandonné et tous ceux qui vivent dans la rue.

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pendant la dernière décennie, il y a eu en RDC une prolifération d’organisation non gouvernementales (ONG) qui s’occupent des enfants. Il s’agit des structures d’accueil pour enfants, créées dans le but de répondre à la demande croissante de prise en charge des enfants abandonnés. Ces structures font certes un bon travail et fournissent des grands efforts pour la prise en charge de ces enfants en rupture des liens d’attachement, exposés à toutes sortes de violences et traumatismes. Les placer dans une institution qui, de ce fait, prend la place de la famille, est l’une des réponses donnée à la problématique des enfants en grande précarité à Kinshasa. Malgré la prolifération de ce type d’institution, il se pose encore la question d’une prise en charge qui tienne compte non seulement des besoins matériels mais aussi et surtout des besoins psychiques de ces enfants. Les institutions orientent principalement leurs interventions à la satisfaction des besoins matériels des enfants au détriment de leurs demandes psychoaffectives [7]. Si un des principes de la théorie de l’attachement stipule que les expériences précoces entre les jeunes enfants et ceux qui en prennent soin influencent leur devenir psychoaffectif, il est important de veiller aux relations des enfants en institution. « Le contexte de vie d’un enfant est une composante absolument déterminante pour le développement des systèmes comportementaux permettant la formation de l’attachement » [8]. Ce sont les appels, les cris, les pleurs de l’enfant et sa recherche du confort qui suscitent l’attention et la réponse du donneur de soins. C’est ce que Guedeney et Dugravier désignent comme étant « le rôle du maintien actif de la proximité dans le développement de la mentalisation et de l’intersubjectivité du bébé, dans le contexte des interactions parent–enfant » [9]. Cela est d’autant plus vrai que « la relation d’attachement se construit progressivement : le schème génétiquement programmé est modelé par l’environnement social » [9]. 1.1. Attachement, abandon et institution De plus en plus d’études montrent le lien entre les qualités d’attachement et la qualité de liens de l’enfant avec son entourage immédiat. Ainsi Diane Benoit note que la qualité de soins donnés précocement à l’enfant est reliée aux répercussions sociales et affectives ultérieures [10]. Dans la plupart des études ayant analysé l’effet de soins en institution sur l’attachement, il a été montré que le sentiment de sécurité des enfants en institution est durement éprouvé. Les enfants élevés en institution sont à risque d’augmenter de fac¸on spectaculaire une variété de problèmes de comportements sociaux [11]. En effet, la fréquence de l’attachement désorganisé a été au centre des études portant sur les enfants institutionnalisés et même chez les enfants adoptés. Ayant examiné l’attachement chez les enfants institutionnalisés et de la communauté à Bucarest, Zeanah et al. [12] ont trouvé que les enfants élevés dans des institutions montraient de graves perturbations de l’attachement contrairement à ceux élevés en communauté. Cette étude a montré que les enfants qui grandissent en institution sont exposés à une variété de risques susceptibles d’influencer l’expression de la psychopathologie (problèmes de développement, désorganisation de l’attachement, problèmes émotionnels, troubles

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mentaux, tels que de la dépression, des idées suicidaires, de l’anxiété généralisée. . .) [11,13]. Il en est de même au niveau des représentations d’attachement chez les enfants élevés en établissement. Van Ijzendoorn et al. ont relevé la violence institutionnelle comme une des causes de l’attachement désorganisé chez les enfants vivant en établissement [14]. Ils affirment que les soins fournis dans le contexte imprévisible et parfois chaotique de certains établissements à risques multiples engendrent la négligence des besoins d’attachement de l’enfant. Cela renvoie aux caractéristiques inhérentes au fonctionnement des établissements de soins pour enfants, qui limitent la prestation de soins individuels continus, stables et sensibles [14]. Les auteurs ont montré que les enfants victimes de mauvais traitements et les enfants élevés en établissement avaient la même proportion d’attachement sécurisé mais que la proportion d’attachement désorganisé était beaucoup plus élevée chez les enfants élevés en établissement [14]. Ainsi, d’après ces études, c’est l’environnement socioaffectif institutionnel délétère qui est la principale limite aux interactions favorables à un bon développement des enfants. D’autres études ont comparé des enfants institutionnalisés à ceux qui sont non institutionnalisés. Elles conclurent pour la plupart, que les enfants en institution ont un développement déficitaire dans presque tous les domaines ayant été examinés (développement physique, développement comportemental en général, comportements atypiques et autres). Particulièrement, les soins en institution sont souvent associés à la qualité d’attachement des enfants à leurs soignants. Les enfants forment un attachement spécifique à leurs soignants en fonction des soins et de l’attention dont ils bénéficient de ces derniers. Chez les enfants institutionnalisés l’attachement désorganisé et d’autres formes aberrantes de qualités d’attachement (inclassables, insécurité, désorganisé) prédominent, comme le montrent des études récentes [11,15]. Par exemple, Zeanah et al. [11] ont révélé que seulement 22 % des enfants institutionnalisés ont été classés comme ayant un attachement organisé (sécurisé ou non insécurisé), alors que 65 % ont été classés comme ayant un attachement désorganisé et 13 % étaient inclassables [16]. Cela revient à montrer que l’attachement désorganisé est plus fréquent chez les enfants qui se trouvent dans une situation particulière comme celle d’un établissement ou d’une institution résidentielle. La désorganisation, que Solomon et George définissent comme une coupure dans une stratégie organisée [17], se révèle donc comme la stratégie d’attachement la plus utilisée par les enfants d’un établissement ou d’une institution résidentielle. L’enfant désorganisé fait preuve d’une incapacité à construire une stratégie organisée d’attachement dans des situations stressantes où il a besoin de réconfort et du soutien. C’est pourquoi Lyons-Ruth montre l’existence de sous-groupe de désorganisation : D/sécure, D/évitant, D/ambivalent. Pour Lyons-Ruth, un enfant D/sécure est capable de surmonter sa détresse pendant la séparation par exemple et montre peu d’évitement lors de la réunion [17]. Tout enfant a besoin de soins rassurants et sécurisants pour se construire un attachement favorable à son développement. L’établissement des liens affectifs solides et stables est indispensable pour assurer le développement harmonieux de l’enfant

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en rupture des liens familiaux [18]. Certains auteurs suggèrent le placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou d’adoption afin de favoriser l’établissement des liens solides. C’est le cas de Mary Dozier qui dans un article récent passe en revue les résultats d’un certain nombre d’études qui indiquent que les soins institutionnels ont un « effet pernicieux » sur le développement des jeunes enfants. Elle suggère à cet effet une famille d’accueil ou une famille d’adoption comme alternatives préférables aux soins en établissement pour les jeunes enfants. Elle propose le placement de l’enfant dans une famille d’accueil où une sorte d’alliance peut le lier à ses parents d’accueil. Car, une « famille d’accueil a un plus grand potentiel pour réduire les méfaits de développement des soins en institution [16] ». L’espoir est permis et il arrive aussi que l’institution s’améliore. Dans ce cas, on observe des changements dans la qualité d’attachement de l’enfant. Deux expériences réalisées dans des orphelinats à Saint-Petersburg en Russie ont permis de constater une « amélioration substantielle » au niveau du développement physique, mental, social et affectif de l’enfant. L’expérimentation a consisté à introduire dans des orphelinats pour enfants de la naissance à 48 mois en plus des soins médicaux et de la nutrition, de l’assainissement, des jouets et d’exclure des abus. Les résultats ont été spectaculaires montrant à quel point la qualité des soins et des relations avaient de l’impact sur le développement de l’enfant [19].

1.2. Objectif et hypothèse Le présent article s’inscrit dans une étude plus large portant sur l’effet d’attachement sur les capacités interactives des jeunes enfants abandonnés institutionnalisés à Kinshasa. L’objectif de cet article est de déterminer l’effet des soins en institution sur la qualité d’attachement des enfants. En pratique, dans la majorité des institutions à Kinshasa, les enfants abandonnés sont bien pris en charge matériellement et physiquement mais le personnel pense qu’il n’y pas nécessité d’intégrer des soins psychologiques pour garantir leur développement global. Et pourtant, dans un premier article, nous avions montré que si la prise en charge des enfants abandonnés en institution leur garantissait la sécurité pour le logement, pour l’alimentation, pour la scolarisation et aussi pour les soins de santé, il existe encore des problèmes importants qu’il va falloir prendre en compte. En l’occurrence, il faudrait veiller à ne pas être en contradiction avec les besoins de l’enfant et ne pas sous-estimer les traumatismes psychiques causés par l’abandon [7]. Pour examiner l’impact des soins et des interactions sur l’attachement des enfants, nous avons comparé deux groupes d’enfants en fonction de leurs qualités d’attachement : un groupe vivant en institution et un groupe vivant en famille d’origine. Trois questions nous ont servi de fil rouge. D’abord, les enfants abandonnés vivant en institution développent-ils davantage un attachement désorganisé ? Ensuite, comparées à celles des enfants vivant en famille, les qualités d’attachement sont-elles les mêmes ou différentes ? Et finalement, quelles sont les précautions à prendre pour que la vie en institution réponde aux besoins de développement de l’enfant ?

La présente étude formule l’hypothèse que contrairement aux enfants vivant en famille, nous attendons un taux faible de sécurité et un taux élevé d’insécurité et de désorganisation chez les enfants institutionnalisés à Kinshasa. 2. Participants et méthodes 2.1. Cadre de l’étude L’étude s’est déroulée à Kinshasa dans deux institutions d’accueil pour enfants abandonnés. Les centre I et centre II3 ont été choisis parmi une centaine d’institutions que compte la ville de Kinshasa à cause de la renommée dont ils jouissent par rapport aux autres. Les deux institutions ont des structures bien établies et font partie des centres de référence du ministère des Affaires sociales4 sur la question des enfants abandonnés. La première institution est située au centre de la capitale et l’autre à l’extrémité sud de la ville. Elles ont l’avantage de recevoir les enfants venus de tous les coins de la ville-province de Kinshasa. La recherche a ciblé les enfants abandonnés âgés de quatre à sept ans ayant déjà vécu pendant trois ans dans la même institution. 2.2. Participants Quatre-vingt-quatre enfants ont été sélectionnés dans le cadre d’une étude prospective de mars 2010 à juin 2011. L’âge des enfants était compris entre trois ans et demi et six ans et 11 mois. Tous les enfants étaient scolarisés. Deux groupes distincts ont participé à cette étude. Le premier, groupe d’étude, est composé de 42 enfants abandonnés vivant en institutions résidentielles à Kinshasa ci-dessus mentionnées. Le second, groupe témoin, est composé de 42 enfants, vivant en famille avec leurs parents, sélectionnés dans les écoles que fréquentent les enfants du groupe d’étude. 2.3. Mesure de l’attachement La variable attachement a été mesurée à l’aide de la procédure des histoires à compléter. Ce test, proposé par Bretherton et Ridgeway [20], s’adresse aux enfants âgés de trois à sept ans. En combinant la méthode narrative avec la mise en scène, sous forme de jeu symbolique avec des poupées, Bretherton et Ridgeway cherchaient à aider les jeunes enfants pour lesquels une tâche purement verbale pouvait présenter un niveau de difficulté trop élevé [3,21]. Par la suite, en Suisse, Pierrehumbert [21] a approfondi l’utilisation de ce test et l’a étendu dans plusieurs pays : Suisse, Espagne, Belgique, France, Angleterre, etc. L’Attachment Story Completion Task (ASCT) est une série d’« histoires à compléter » que l’expérimentateur fait passer à l’enfant [22]. C’est l’outil principal utilisé dans cette étude. Il consiste à proposer une situation chez l’enfant, permettant d’accéder aux représentations relatives à l’attachement sur la 3 Pour des raisons de confidentialité, les vrais noms de ces deux institutions ne seront pas cités dans cet article. Ils sont remplacés par centre I et centre II. 4 Ministère des Affaires sociales, Action humanitaire et Solidarité nationale.

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base d’une production narrative. Sous forme ludique, l’enfant interagit avec l’expérimentateur en complétant les histoires que ce dernier amorce. Grâce à ce test, on peut comprendre l’organisation des représentations d’attachement de l’enfant à partir de ses compétences narratives et de ses comportements. Le principe est le suivant : à l’aide des figurines, on amorce une mise en scène que l’enfant est invité à continuer et achever. Les thèmes évoqués ont pour but d’activer le système d’attachement. On propose à l’enfant six histoires dont chacune aborde un thème particulier pouvant susciter un besoin de réconfort : • • • •

la figurine « enfant » renverse son sirop à table ; elle tombe d’un rocher alors qu’elle joue dans un parc ; elle a peur du monstre dans sa chambre ; elle est séparée des parents alors que ceux-ci partent quelques temps en voyage ; • elle les retrouve après leur absence ; • elle a perdu son petit chien. Chaque épisode raconté cherche à susciter une réaction de l’enfant dans la situation présentée : réaction à la réprimande, recherche de réconfort, recherche de protection, réaction à la séparation, réaction aux retrouvailles et réaction à la disparition. La séance est filmée car c’est sur base de ces vidéos que le narratif de l’enfant est codé et analysé [21]. 2.4. Analyse des résultats Pour interpréter ce test, plusieurs types de codage ont été mis au point depuis sa création. Partant du système des travaux initiaux de Bretherton [23,24], d’autres auteurs ont mis en place un modèle pouvant rendre compte du narratif de l’enfant. C’est le cas des cartes pour les complètements d’histoires (CCH), proposées par Miljkovitch et Pierrehumbert [25]. Ce système de cotation des CCH est basé sur le tri forcé des cartes (Q-sort) et met en évidence les quatre dimensions d’attachement « sécurité, évitement, ambivalence et désorganisation » extraites sous forme de scores. Actuellement, cette procédure est l’une des plus utilisées dans l’évaluation des représentations d’attachement chez les enfants. Elle se révèle très efficace et sa validité a été testée dans une série de méta-analyses sur 139 études [26,27]. Les évaluations filmées ont été codées par des professionnels expérimentés au ASCT. À cet effet, nous avons réalisé une validation à deux niveaux. La première fut d’ajuster notre codage des récits à ceux des travaux réalisés par des chercheurs de l’UCL qui avaient déjà utilisé cet outil sur un grand nombre d’enfants, d’une part [17], et sur des enfants à problèmes psychiatriques graves d’autre part [28]. Deuxièmement, nous avons réalisé un accord interjuge qui a porté sur dix récits par un chercheur congolais formé à la méthode. Pour une première application aux enfants congolais à Kinshasa, le caractère ludique et universel du test en a facilité l’application. À part la chercheuse, les cotateurs intervenus pour la réalisation de l’accord interjuge étaient aveugles au fait que l’enfant fasse partie d’un groupe ou de l’autre.

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Tableau 1 Représentation d’attachement. Attachement

Enfants abandonnés, n (%)

Enfants en famille, n (%)

Total

Sécurité Insécurité Évitant Ambivalent Désorganisation

14 (33,3)

28 (66,7)

46

2 (4,7) 6 (14,3) 20 (47,6)

2 (4,7) 7 (16,6) 5 (11,9)

9 11 24

Total

42 (100)

42 (100)

90

p = 0,005.

Les catégories d’analyse pour l’interprétation des séquences filmées d’ASCT ont été définies en fonction des classifications majeures de représentation de l’attachement chez l’enfant : • • • •

sécure (B) ; insécure-évitant (A) ; insécure-ambivalent (C) ; désorganisé (D).

Le traitement statistique a été effectué à l’aide du logiciel SPSS 18 (SPSS Inc., Chicago, IL, États-Unis). Les comparaisons des données des deux groupes ont été réalisées à l’aide de test de Khi2 de Pearson. L’analyse des données quantitatives a été réalisée à l’aide de modèle de Manova. L’analyse en clusters a été utilisée dans le but de faire ressortir les différences entre les deux groupes, le groupe d’étude et le groupe témoin. Les narratifs ont fait l’objet d’une analyse thématique de contenu, dans le cadre d’une démarche inductive visant à faire émerger des catégories explicatives des mécanismes que l’enfant mobilise pour l’attachement. 3. Résultats Sur la base de système de codage CCH, comme décrit cidessus, nous avons pu distinguer quatre modèles d’attachement : la sécurité, insécurité-évitant, insécurité-ambivalent et désorganisation, que nous présentons dans les tableaux ci-dessous. Les données concernant les représentations d’attachement sur l’ensemble de nos investigations sont présentées dans le Tableau 1. Ainsi, il est possible de remarquer que certaines représentations sont majoritaires dans un groupe et minoritaires dans un autre. Le taux de sécurité est de 33,3 % chez les enfants abandonnés (groupe clinique) contre 66,7 % chez les enfants en famille (groupe témoin) ; la désorganisation se révèle à 47,6 % chez les enfants abandonnés contre 11,9 % chez les enfants en famille. L’insécurité-évitant à 4,7 % dans les deux groupes, l’insécurité-ambivalent à 16,6 % chez les enfants en famille et 14,3 % d’ambivalents chez les enfants abandonnés. Les séquences qui sont reprises dans les tableaux ci-dessous sont tirées des narratifs des enfants et illustrent, pour chaque représentation d’attachement, les résolutions données par les enfants.

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Tableau 2 Exemples de types de résolutions aux représentations d’attachement chez les enfants abandonnés : problème 1 « l’enfant tombe du rocher ». Scènes ASCT

Désorganisé (n = 20)

Insécure (n = 8) Évitant et ambivalent

Sécure (n = 14)

Scène du rocher

Résolution

Résolution

Résolution

L’enfant tombe du rocher en présence de ses deux parents

L’enfant se casse la jambe et les parents se fâchent

Enfants évitants

Les parents vont l’emmener à l’hôpital, la maman pleure, les parents sont inquiets et vont chercher la voiture pour l’emmener à l’hôpital ; la maman accourt alerter les voisins, le papa prend l’enfant dans ses bras Il y a une sorte de mousse qui amortit le choc et l’enfant n’a pas mal Les parents se placent autour du rocher et l’enfant tombe dans leurs bras

L’enfant est blessé au front et il y a une ouverture sur le front L’enfant est blessé dans l’œil et il gardera désormais un défaut dans l’œil L’enfant ne pourra plus marcher correctement, il devient boiteux Les deux enfants se cassent les jambes et se mettent à ramper car ils ne peuvent plus marcher

L’enfant ne va pas monter sur le rocher L’enfant s’accroche pour ne pas tomber du rocher L’enfant reste à sa place sans rien faire Enfants ambivalents

L’enfant a mal après sa chute du rocher et le papa demande de rentrer à la maison L’enfant tombe du rocher et reste là sans résolution

Dans le Tableau 2, il est question de la scène no 5 des histoires à compléter où l’on raconte à l’enfant un épisode de promenade dans le parc avec les parents. L’enfant tombe d’un rocher alors qu’il était entrain de jouer. La suite de l’histoire est donnée par l’enfant à qui l’expérimentateur demande de raconter ce qui va se passer. Nous avons repris quelques exemples de résolutions tirées des narratifs des enfants. Dans le Tableau 3, il est question de la scène du fantôme dans la chambre des enfants. L’expérimentateur raconte que l’enfant qui dormait dans sa chambre entend un bruit et voit un fantôme dans sa chambre alors que les parents sont au salon en train de suivre la télévision. Il demande à l’enfant de raconter ce qu’il va se passer. Les Tableaux 2 et 3 donnent les résolutions des enfants aux narratifs des histoires à compléter. Il s’agit de deux scènes où l’enfant est confronté à une situation nécessitant l’intervention de la figure d’attachement. Les résolutions à ces situations diffèrent selon la représentation d’attachement que l’enfant a intégré. Dans les représentations de désorganisation et insécurité, la résolution du problème est chargée d’une perturbation grave des représentations. C’est soit par une fin tragique (les parents s’enfuient et l’enfant est tué par le fantôme), un blocage (l’enfant ne donne aucune résolution), une fuite du problème (l’enfant rentre se coucher) que l’enfant résoud le problème qui se pose. Tandis que chez les enfants sécures, la résolution du problème est tout autre : l’enfant propose une solution avec ou sans les parents. Mais il fait preuve d’une représentation de soutien pour sortir de la difficulté qui lui est présentée : l’enfant court appeler les parents, il avertit la maman ou le papa, il est raccompagné par un des parents qui le rassure. Pour éclairer cette courte synthèse, nous présentons ci-après deux vignettes qui illustrent les propositions de résolution des

enfants dans des situations angoissantes. Le cas d’un enfant sécure, que nous avons appelé Sese et le cas d’un enfant désorganisé, que nous avons appelé Mimi. Les vignettes ont été élaborées à partir des données recueillies dans le cadre du test de l’attachement, l’ASCT, que nous venons de décrire, mais aussi à partir d’autres données de notre étude, non publiées dans cet article, notamment des données relatives au développement psychomoteur, des mesures anthropométriques et des données qualitatives d’observation ethnographique récoltées par le chercheur principal lors de sa présence sur le terrain5 . 3.1. Vignette clinique 1 : le cas de l’enfant sécure, Sese Sese cinq ans est un petit garc¸on jovial. À première vue, il nous surprend par sa spontanéité. Il vient à ma rencontre en fredonnant la chanson qu’il venait d’apprendre à l’école et me demande si je connais la chanson. À ma réponse négative, il se propose de me l’apprendre et pendant quelques minutes, j’ai eu droit à un cours de chant donné par Sese. Après cet interlude, je lui expliquais la raison de ma présence et lui donnais la consigne pour le test des histoires à compléter (ASCT). Il s’exécute à cœur joie et réalise un ASCT très intéressant ; il y participe avec tout son corps et reste aussi en contact avec moi durant le « testing ». Par moment, il me demande l’une ou l’autre chose dont il a besoin. Toutes les scènes sont jouées avec spontanéité et productivité. Cet enfant apparemment différent des autres m’a surpris par la richesse de sa production narrative dans les histoires à compléter. Son histoire me sera ensuite racontée par les responsables : le tout dernier d’une fratrie de trois, Sese est arrivé au centre avec sa 5

Florence Mbiya, données non publiées.

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Tableau 3 Exemples de types de résolutions aux représentations d’attachement chez les enfants abandonnés : problème 2 « un fantôme dans la chambre des enfants ». Scènes ASCT

Désorganisé (n = 20)

Insécure (n = 8) Évitant et ambivalent

Sécure (n = 14)

Scène du fantôme

Résolution

Résolution

Résolution

Il y a un fantôme dans la chambre des enfants

Les parents s’enfuient et l’enfant est tué par le fantôme Les parents se fâchent sur l’enfant qui a crié L’enfant s’enfuit et rentre dans son lit tout tremblant. Et les parents continuent de regarder la télévision L’enfant s’enfuit et va réveiller l’autre enfant qui dort et ils se cachent derrière le lit L’enfant ne réagit pas et demande de passer à l’histoire suivante

Enfants évitants

L’enfant court appeler les parents

L’enfant va chercher le papa et celui-ci lui dit : « on verra cela demain » L’enfant appelle Jésus qui vient chasser le fantôme

L’enfant crie au secours et les parents accourent Le papa entend l’enfant crier, il vient dans la chambre des enfants et demande ce qu’il se passe. Il chasse le fantôme L’enfant va chez le papa et lui parle du fantôme dans sa chambre. Le papa l’accompagne et ils se mettent à prier pour chasser le fantôme L’enfant retourne se coucher après s’être rassuré que le papa a chassé le fantôme L’enfant accourt avertir la maman. Celle-ci le raccompagne dans sa chambre et le remet au lit

Enfants ambivalents

L’enfant appelle la maman puis dément le fait qu’il y a un fantôme L’enfant reprend la scène en disant qu’il s’agissait d’un rêve

sœur et son frère. Leur maman a trouvé la mort alors que le petit n’avait que quelques mois. La famille de sa maman fâchée contre le papa qu’elle tenait pour responsable de la mort de leur fille n’a pas voulu s’occuper du bébé Sese. Finalement, le papa les emmènera tous au centre et confiera leur garde au responsable. Depuis lors, il n’a plus donné signe de vie. La grande sœur et le grand-frère de Sese ont tout de suite pris soin de leur frère. C’est surtout à la grande sœur que Sese est plus lié, il la considère comme étant sa maman, rôle que celle-ci accomplit tant bien que mal, malgré son jeune âge de 16 ans. Sese est convaincu que leur papa est en voyage et viendra les chercher un jour. Il a une bonne santé physique, joue beaucoup avec ses camarades et est très appliqué à l’école maternelle pour le plus grand plaisir de ses éducatrices. Les résultats du test ont révélé un attachement sécure. Les relations que l’enfant entretient avec sa sœur et son frère interviennent comme un facteur de résilience ou de médiateur des influences de ce milieu dépourvu d’un père et d’une mère. Nous voyons ici l’importance d’un tuteur de résilience [29] et d’une adresse personnalisée vis-à-vis de l’enfant pour lui donner des assises psychiques sécurisantes [30]. Dominique Charlier propose la notion de greffe psychique dans une équipe comme une parentalité symbolique, là où la fonction est déficitaire chez les parents [30]. Cette attitude, comme le décrit Sroufe [31], montre les possibilités d’un attachement sécure dans des conditions précaires si un lien sécure peut être assuré à un enfant.

3.2. Vignette clinique 2 : le cas de l’enfant désorganisé, Mimi Mimi, une fillette âgée de cinq ans, est une enfant abandonnée qui est arrivée au centre à l’âge de huit mois emmenée par son père, militaire et handicapé physique (blessure de guerre : une jambe amputée). Auparavant sa mère l’avait abandonnée à son père et s’en était allée à la recherche d’une vie meilleure que celle qu’elle menait avec son mari. Le père qui a confié sa garde au centre peu après l’abandon de Mimi par sa maman a disparu

aussi et n’a plus donné signe aux responsables de l’institution d’accueil de son enfant. Mimi est donc en institution depuis ses huit mois et n’a aucune nouvelle de ses parents. Dans son développement, elle a présenté un retard psychomoteur et un retard de langage, à entendre les soignants de l’institution. Selon l’organisation de la prise en charge des enfants en institution, les adultes ou soignants s’occupent de tous les enfants dans le groupe. Il n’y a pas une adresse personnalisée pour Mimi. L’enfant n’a pas non plus un lien particulier avec un adulte ou un autre enfant dans l’institution d’autant plus qu’elle est calme et ne pose aucun problème particulier. J’ai rec¸u Mimi, une petite fille toute calme, avec un visage sans expression et apparemment docile. Sans hésitation, elle avait accepté de faire le test que je lui proposais. Mais dès la première consigne, j’ai remarqué que le test des histoires à compléter la perturbait profondément. Elle est restée presque hébétée à la vue des figurines et après avoir écouté le début des histoires. Il a fallu beaucoup soutenir Mimi avant qu’elle ne dise un mot. Et là encore, ses paroles furent à peine audibles. À certains moments, elle ne jouait qu’avec le matériel sans narration. Dans les récits, la figurine « maman » est laissée seule dans un coin, par moment cachée à l’écart et, souvent, loin des autres membres de la famille. Comme si Mimi rejouait l’abandon de sa mère qui l’avait quittée à l’âge de huit mois. Elle le rejoue en la gardant bien à distance. À la scène du fantôme, elle ne manifeste pas d’émotion et réclame d’autres matériels. Cette scène qui met l’enfant dans une situation de recherche de protection auprès de ses parents ne réveille en Mimi aucun sentiment sinon l’évitement de la situation. Elle digresse en demandant une chaise au lieu de continuer l’histoire. Elle se met à bouger sur sa chaise, se retourne vers la porte. Cette scène a éveillé en Mimi une angoisse enfouie en elle. Se sachant « seule » au monde, elle réprime des situations où elle se verrait réclamer le secours des parents. Son attitude a clairement montré l’évitement de la situation angoissante. Demander une chaise, au lieu de faire face au danger qui lui était présenté était pour Mimi un moyen de se protéger contre les dangers.

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Aurait-elle déjà l’idée de se sauver ? Car son regard vers la porte à laquelle elle a le dos tourné est très expressif. La suite du déroulement des histoires à compléter fera remonter davantage à la surface une situation angoissante que l’enfant avait réussi jusque-là à dissimuler à travers un comportement et un caractère sans problèmes. La scène du départ réveille une profonde angoisse en elle. Après le départ des parents, elle regarde longuement les figurines enfants et suis des yeux la voiture des figurines parents. Elle reste inactive un moment puis se met à taper sur la chaise, regarde la grand-mère (dans la scène, il est prévu la présence d’une grand-mère qui garde les enfants en l’absence des parents), va chercher du regard où se trouvent les parents. Sans dire un mot, elle manie nerveusement les figurines enfants. Au retour des parents, elle sourit et dit que les enfants étaient restés en pleurs durant l’absence des parents. En revanche, elle fait repartir les enfants en laissant les parents. À la question de savoir pourquoi elle fait cela, elle répond « parce qu’ils étaient partis ». Mimi exprime un désir de venger les enfants que les parents avaient abandonnés. Sa joie de voir les parents revenir ne la rassure pas tout à fait car elle reste méfiante vis-à-vis de ces « fantômes » qui reviennent. Leur présence lui apportera-t-elle du bien ou encore du mal ? La scène suivante nous a révélé la confusion dans laquelle se trouvait Mimi. La disparition du chien « Milou » provoque une grande angoisse. Elle ne dit plus un mot, elle a un regard vide posé sur les figurines représentant les enfants. Pour finir, elle les endort jusqu’au retour du chien. Au retour du chien, une autre peur vraiment perceptible même par son attitude, « le chien va les mordre », déclare-t-elle. Elle se lève de la chaise, laisse tomber les figurines et veut quitter le lieu. Je la rattrape pour la calmer mais son cœur bat très fort et les larmes coulent silencieusement de ses yeux. Mimi s’apaisera peu à peu après avoir rec¸u mon réconfort. Je la rassurais en lui disant qu’il ne s’agissait que d’un jeu, qu’elle n’avait pas à craindre le chien qui était en plastique. Elle n’a pas souri du tout et a demandé de rejoindre les autres pour les jeux. L’analyse du narratif de l’enfant par le CCH a révélé un profil largement insécure marqué par un attachement désorganisé. Ce qui nous permet de déduire que l’angoisse et la dépression engendrées par sa situation n’ont peut être pas été prises en compte dans l’institution, d’autant plus que Mimi se présente comme une enfant docile. Ses points de réassurance semblent être plus les enfants dont elle suit les mouvements que les adultes qu’elle craint. Cette représentation dysfonctionnelle provient d’une difficulté pour Mimi, de trouver un point de réassurance ou une consolation auprès des figures d’attachement. Elle n’a pu se constituer une confiance de base au travers des interactions au sein de l’institution. 4. Discussion Cette étude a particulièrement montré que les qualités d’attachement chez les enfants élevés en institution étaient significativement différentes de celles des enfants qui vivent dans leur famille d’origine. Dans le groupe des enfants en famille, 66,7 %

étaient sécures contre seulement 33,3 % d’enfants sécures du groupe d’enfants abandonnés. D’un autre côté, ces résultats montrent que la proportion de sécurité du groupe des enfants abandonnés à Kinshasa est supérieure à celles qui ont été trouvées dans les études similaires ailleurs. Plusieurs études ont montré, en effet, que les enfants élevés dans les établissements sont à risque considérablement élevé, pour une variété de problèmes sociaux et comportementaux, y compris de perturbations de l’attachement [15]. En fait, les perturbations de l’attachement ont été centrales à la littérature sur les effets de l’institutionnalisation pendant plusieurs années et les résultats ont toujours indiqué un taux d’attachement sécure inférieur à 20 %. À ce sujet, Zeanah et al. ont trouvé que dans un groupe d’enfants institutionnalisés, le taux de sécurité était de 18,9 % [11]. Certaines études ont même évoqué le fait que les perturbations sérieuses de l’attachement sont plutôt la règle que l’exception chez les enfants élevés dans un contexte social de déprivation [32]. Des études variées [12,33–37] ont donné des résultats semblables, mettant un accent particulier sur les expériences particulières qu’ont eues les enfants dans les différents liens. Ce qui s’est produit pendant ou avant une période du développement de l’enfant peut avoir un impact sur la qualité de l’attachement que révèle l’enfant [38]. Ainsi, ces résultats révèlent l’existence d’une relation entre les qualités d’attachement chez l’enfant et son histoire personnelle avant et pendant sa vie en institution. 4.1. La sécurité Lorsqu’il y a un lien d’attachement sécure, l’enfant construit un modèle de celui qui l’élève comme digne de confiance, accessible et disponible et fort de cette relation de confiance, il construit aussi progressivement un modèle complémentaire de soi comme ayant de la valeur même dans les situations vulnérables [39]. « Dans cette ligne d’idée, la sécurité de l’attachement est définie comme un état de confiance quant à la disponibilité de la figure d’attachement ». Par conséquent, « la sécurité de l’attachement désigne le fait que la figure d’attachement est un support à partir duquel l’enfant peut explorer le monde avec confiance » [40]. Naturellement, dès que l’enfant a acquis la sécurité, il est capable de chercher dans l’environnement, d’explorer avec confiance le monde qui l’entoure et donc de se développer harmonieusement. Contrairement à ce qui a été trouvé à Bucarest [12], nous avons trouvé 33,3 % d’enfants avec représentations d’attachement sécure. Ce qui démontre que même dans ce milieu d’abandon, les enfants peuvent aussi avoir des bonnes représentations d’attachement. Qu’est-ce qui a joué dans l’histoire de chacun de ces enfants pour générer cette base de sécurité ? Avoir une telle proportion d’enfants sécures dans un milieu constitué d’enfants qui ont eu une histoire particulièrement difficile nous invite à voir de plus près ce qui a joué en leur faveur. La difficulté particulière à laquelle est rattachée l’histoire de ces enfants tient au contexte de leur abandon qui s’est révélé traumatisant pour chacun. Dans un article précédent, nous décrivions les circonstances dans lesquelles ces enfants sont arrivés en institution. Ils font partie de la population des enfants abandonnés,

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sans parents, sans famille. Pour certains, c’est le décès d’un des parents ou de tous les deux qui a provoqué l’abandon, d’autres ont été abandonnés à la naissance, dans la rue, à l’hôpital, sur le perron d’une église, dans la brousse [7]. En RDC, ce sont les parents eux-mêmes qui emmènent les enfants dans la rue ou en institution. La situation sociale et économique du pays a engendré des phénomènes d’émigration et l’impossibilité pour de nombreuses familles de subvenir aux besoins de leurs enfants. La mort d’un parent ou des deux parents, le divorce des parents, le chômage, la maladie sont autant de raisons qui provoquent l’abandon d’enfants. Quand ils arrivent en institution, c’est que la famille nucléaire n’a pas trouvé de famille d’accueil. L’entretien avec les responsable d’institution nous a montré que les parents lâchent les enfants et non qu’on les leur arrache [7]. Dans tous les cas, ces enfants après avoir été abandonnés sont confrontés à un vide profond. Abandonnés, ils n’ont pas toujours rec¸u ce dont le jeune enfant a besoin, à savoir : les soins et l’attention. Dans ces conditions, ils ont plongé dans une situation d’instabilité affective susceptible de provoquer en eux des troubles réactionnels d’attachement. Les résultats trouvés ont montré malgré tout un grand nombre d’enfants sécures, nous renvoyant ainsi à la notion de résilience. Car si ces enfants ont pu avoir une représentation d’attachement sécure, il est évident qu’ils ont rec¸u dans leur histoire de famille avant l’abandon, dans leurs capacités cognitives ou dans les relations au sein de l’institution, des liens qui ont constitué une base de sécurité. 4.2. Le soutien parental À travers les extraits de narratifs des histoires à compléter, nous avons trouvé que les enfants avec attachement sécure faisaient preuve d’une représentation positive d’un soutien parental. Cette représentation leur permet probablement de pouvoir s’appuyer sur le soutien, aussi précaire soit-il, qu’ils rencontrent à l’intérieur de l’institution. Il semble évident de penser que ces enfants ont trouvé un point d’appui dans leur entourage qui leur a servi de base de sécurité. La présence d’une relation résiliente, une sœur, un frère, un aîné du centre ou même un caregiver ou soignant plus proche, a pu constituer une véritable source de force pour transcender les traumatismes de séparation. D’autres enfants dans cette catégorie ont eu la chance de rencontrer par un « hasard signifiant » [29] une famille qui les a demandé en adoption. Ainsi, leur vie a positivement changé ; ils réapprennent à se créer des « bonnes stratégies » d’adaptation. Cela indique l’importance d’un facteur résilient dans le développement de l’attachement sécure. C’est également le résultat obtenu par Greet [41] dans sa recherche dans les familles victimes de l’extrême pauvreté : seule celle qui avait un support a pu s’en sortir. C’est dans ce sens que les expressions des narratifs d’enfants sécures, reprises dans les Tableaux 2 et 3, indiquent quelques points d’appuis imaginatifs qu’ils se sont construits. Ce sont des éléments qui prouvent qu’au fond, ces enfants ne sont pas forcément face à un vide. Ils ont une capacité de trouver un appui mental en cas de danger et peuvent ainsi résister à l’angoisse de séparation. En cas de danger en effet, l’enfant se trouve un

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moyen de contourner la difficulté. C’est comme si l’enfant se disait : « je n’ai personne, alors il faut éviter de se mettre en difficulté ». Ou quand il va recourir à l’adulte, il fait intervenir aussi une force supérieure, Dieu : « l’enfant prie », « les parents et l’enfant prient », « les parents rassurent et chassent le fantôme ». Ces résolutions positives nous font penser aux études de Pierrehumbert sur les narratifs et la sensibilité maternelle. À l’aide du complètement d’histoires, Pierrehumbert a réalisé des études mettant en lien la sensibilité maternelle et le narratif d’enfants. Ces études ont montré que la sensibilité et la capacité de la mère à répondre aux demandes de l’enfant étaient fortement associées au contenu positif de la narration avec les poupées (soutien parental, résolution positive des histoires, réaction à la séparation) [21,28]. Ces résultats ont illustré l’influence importante de la « sensibilité » maternelle sur la compétence narrative de l’enfant [21]. Cette étude nous a aussi permis de comprendre comment les expériences précoces pouvaient agir positivement sur les représentations d’attachement des enfants abandonnés. La vignette 1, portant sur le cas Sese, est une illustration de ce qu’un lien positif peut apporter dans le développement d’un enfant. Orphelin, placé en institution avec sa sœur et ses frères, cet enfant trouve sa base de sécurité dans le lien qu’il a noué avec sa sœur aînée. Celle-ci le rassure et le sécurise au point que l’enfant a un développement qui le démarque des autres enfants de son âge vivant dans les mêmes conditions que lui. La relation avec sa sœur aînée a permis à Sese de déployer les compétences nécessaires pour son développement. Nous devons aussi souligner le fait que les représentations d’attachement chez les enfants du groupe témoin se sont révélées proches de celles que l’on trouve dans la littérature sur la théorie de l’attachement. Les études menées sur des populations d’enfants en situation normale correspondent généralement à la répartition reprise par Pierrehumbert 66 % de sécurité, 22 % d’anxieux-évitants et 12 % d’anxieux-résistants [21]. Actuellement, plusieurs auteurs ont prouvé l’existence d’une quatrième catégorie appelée désorganisation qui se retrouve dans 15 % des cas dans la population générale [14]. 4.3. La désorganisation La désorganisation a souvent été vue comme un facteur prédictif des comportements qui marginalisent l’enfant. D’après certains résultats de recherches sur la désorganisation, les chercheurs pensent que les comportements d’attachement désorganisé « représentent des signes de défaillances du système relationnel d’attachement [42] ». Souvent le comportement de l’enfant envahit par la représentation de type désorganisé est empreint d’agressivité, de violence au point de perturber la vie sociale. En pareilles circonstances, l’enfant aura des difficultés d’adaptation sociale, surtout qu’il devient incapable de nouer des bonnes relations. Ses relations sont empreintes de provocation au point qu’il aura du mal à se faire accepter par les autres enfants. Van Ijzendoorn et al. avancent que « la maltraitance et les conduites extrêmement insensibles des donneurs de soins comptent parmi les plus importants précurseurs du

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développement d’insécurité et de désorganisation dans l’attachement des enfants [14] ». La « violence institutionnelle » dont sont victimes des millions d’enfants orphelins et abandonnés dans le monde [14] est pour ce fait l’une des causes de désorganisation de représentation de l’attachement chez l’enfant. L’étude de Van Ijzendoorn et al. laisse entendre qu’il « existe de multiples voies conduisant à l’attachement désorganisé et qu’elles sont toutes associées soit à de la maltraitance à l’égard des enfants de la part de parents violents, soit à de la négligence à leur endroit dans une famille ou un établissement à risque où règne l’anarchie » [14]. Ils affirment par là que les enfants exposés à des mauvais traitements ont un grand risque de développer un attachement désorganisé ; et que l’impact de soins en institution sur l’attachement est très accentué. Cette assertion a été bien étayée par la même équipe dans une population d’enfants institutionnalisés avec une répartition des profils d’attachement bien différente de la distribution normale. Ils ont trouvé que chez les enfants institutionnalisés, les proportions se présentaient de la manière suivante : sécurisé 17 %, évitant 5 %, ambivalent 5 % et désorganisé 73 %. D’autres études ont abondé dans le même sens, en s’accordant sur le fait que les enfants élevés dans le secteur résidentiel, sous l’influence des soins en groupe, sont susceptibles de développer un attachement désorganisé [12,14,26,42]. Selon ces études, on devrait s’attendre dans une population d’enfants institutionnalisés, à trouver un grand nombre d’enfants avec attachement désorganisé. Notre étude a révélé une proportion de 47,6 % de cas de désorganisation chez les enfants abandonnés vivant en institution résidentielle à Kinshasa. Certes, nous avons trouvé qu’il y avait un taux assez élevé d’enfants ayant un attachement désorganisé mais, comparé à ce que donne la littérature, ce taux est de loin inférieur au 73 % révélé par l’étude de Van Ijzendoorn et al. Malgré les conditions similaires de placement en milieu résidentiel, les résultats trouvés indiquent que l’espoir est permis de voir la qualité d’attachement des enfants s’améliorer dans la mesure où les institutions veilleront à soigner les liens enfants–caregivers. Cela nous fait souligner le fait que, pour améliorer la qualité d’attachement chez les enfants abandonnés à Kinshasa, les soignants ou adultes qui sont en contact permanent avec les enfants en institution (caregivers) devraient être attentifs à chacun et développer un lien particulier avec chaque enfant, évitant ainsi de les prendre en groupe indistinctement. La vignette 2, cas Mimi, nous montre à quel point la non prise en compte de l’angoisse et de la dépression engendrées par la situation d’abandon a empêché la construction d’une base de confiance au travers des interactions au sein de l’institution. Les adultes ne se rendent pas compte de l’isolement dans lequel est plongé l’enfant et du coup, sa souffrance leur échappe. L’enfant se crée une représentation dysfonctionnelle dans ses relations avec l’adulte. Cette représentation dysfonctionnelle provient d’une difficulté pour Mimi, de trouver un point de réassurance ou une consolation auprès de ses figures d’attachement. Elle n’a pu se constituer une confiance de base au travers des interactions au sein de l’institution. Nous sommes donc confrontés au défi majeur de proposer des dispositifs utiles pour garantir une prise en charge qui ne

nuise pas au développement des enfants institutionnalisés. Bien que nous ne soyons pas dans le cadre d’une psychothérapie, nous reprenons à notre compte la notion « d’alliance thérapeutique confiante, l’empathie et la sensibilité de la réponse » dont parle Moralès-Huet [43]. Il est important que s’établisse dans le cadre d’une prise en charge d’enfants abandonnés, une sorte d’alliance entre enfant et soignant qui permette de fournir à l’enfant suffisamment de sécurité qui favorise un développement harmonieux. 5. Limites de l’étude Seules deux institutions résidentielles ont été prises en compte pour cette étude. Les enfants âgés de quatre à sept ans, non scolarisés n’ont pas été sélectionnés dans l’échantillon. Cela limite la possibilité de généralisation des résultats. La réticence de certains responsables d’institution a réduit l’accès à certaines informations potentiellement utiles sur les enfants. 6. Conclusion Cette étude a particulièrement montré que les représentations d’attachement chez les enfants élevés en institution étaient significativement différentes de celles des enfants élevés dans leur famille d’origine. Dans le groupe d’enfants en famille, 66,7 % étaient sécures, ce qui correspond aux proportions décrites dans la littérature. Et 33,3 % du groupe d’enfants en institution ont révélé des représentations d’attachement sécure, proportion un peu plus élevée que celle trouvée ailleurs dans des groupes d’enfants en institution. Finalement, notre étude a révélé que malgré le traumatisme d’abandon et l’absence de parents dans ce milieu d’institution apparemment difficile, ce taux relativement élevé d’enfants sécures témoigne de l’existence de capacités de résiliences potentiellement élevées chez les enfants abandonnés de Kinshasa. Dans un article prochain, nous décrirons ces facteurs de résilience qui ont favorisé des représentations d’attachement sécure chez ces enfants. Questions d’éthique : cette recherche a été soumise au comité d’éthique de l’école de santé publique de l’université de Kinshasa et elle a été acceptée.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Les auteurs remercient les deux institutions qui ont accepté de participer à cette étude. Elles ont manifesté la volonté de voir leur pratique s’enrichir des résultats de cette étude en faveur des enfants dont elles ont la charge. Nous remercions le Fonds Marguerite-Marie de Lacroix pour le soutien financier accordé à la réalisation de la récolte des données sur terrain. Nous

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remercions également l’équipe de recherche du service de pédopsychiatrie des cliniques universitaires Saint-Luc (UCL) pour ses observations et critiques qui ont permis d’affiner cet article.

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