Le bassin de l’homme du Pléistocène supérieur de Liujiang, Sud de la Chine : taille du corps, forme du corps et encéphalisation

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L’anthropologie 114 (2010) 543–563 www.em-consulte.com

Article original

Le bassin de l’homme du Pléistocène supérieur de Liujiang, Sud de la Chine : taille du corps, forme du corps et encéphalisation The pelvis of Late Pleistocene hominin from Liujiang, South China: Its body size, body shape and encephalization Wu Liu a,*, Xiujie Wu a, Steven L. Wang b,c, Haijun Li d a

Key Laboratory of Evolutionary Systematics of Vertebrates, Institute of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology, Chinese Academy of Sciences, Beijing 100044, Chine b City University of New York - The Graduate Center, 365 Fifth Avenue, New York, NY 10016, États-Unis c The New York Consortium in Evolutionary Primatology (NYCEP), City University of New York, New York, États-Unis d Minzu University of China, Beijing 100081, Chine Disponible sur Internet le 5 novembre 2010

Résumé L’assemblage de l’homme du Pléistocène supérieur de Liujiang, Sud de la Chine, comprend un crâne assez bien conservé, un os coxal droit, un sacrum complet et d’autres éléments postcrâniens, appartenant tous à un seul et même individu. Cette découverte hors du commun nous offre l’opportunité unique et singulière d’appréhender les proportions corporelles et la capacité crânienne relative (coefficient d’encéphalisation [EQ]) de cet hominidé du Pléistocène supérieur ainsi que la morphologie de son bassin. En utilisant l’os iliaque droit et son image miroir pour le côté gauche, le bassin de ce fossile a fait l’objet d’une reconstitution. Son analyse montre que l’homme de Liujiang présente un bassin de morphologie moderne particulièrement gracile. En effet, toutes les dimensions du bassin sont plus petites que celles mesurées sur les autres hominidés pléistocènes. De plus, les caractères typiques des fossiles du Pléistocène moyen et supérieur, néandertaliens compris, ne peuvent être identifiés sur le bassin de Liujiang. Par contre, les caractères métriques et non-métriques observés sur ce dernier sont proches des populations plus récentes considérées comprenant les collections modernes de sujets chinois de la province du Guangxi du sud de la Chine. Le coefficient d’encéphalisation (EQ) vient confirmer cette observation avec une valeur de 5754 pour Liujiang qui est plus proche de Minatogawa 2 et des populations modernes de Chine que des hominidés du Pléistocène moyen et supérieur. Les proportions corporelles de Liujiang, c’est-à-dire le rapport de hauteur

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (W. Liu). 0003-5521/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anthro.2010.10.001

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sur la largeur du corps, sont typiques des populations adaptées au climat chaud. Sur la base de ces résultats, mettant en évidence l’aspect moderne des caractères anatomiques de l’homme de Liujiang, nous pouvons supposer que ce spécimen relève d’un âge géologique plus récent. D’un autre côté, cette « modernité » renvoie également au fort degré de variation qui se manifeste parmi les hominidés du Pléistocène supérieur de l’Asie orientale. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Liujiang ; Bassin ; Forme du corps ; Encéphalisation ; Pléistocène supérieur

Abstract The Late Pleistocene hominin fossil assemblage from Liujiang, South China include a fairly wellpreserved cranium, a right os coxa, a complete sacrum, and other postcranial elements all belonging to a single individual. This rare discovery offers us a unique and singular opportunity in understanding this Late Pleistocene hominin’s body proportion and relative cranial capacity (encephalization quotient [EQ]), and also pelvic morphology. Using the available right innominate and its mirror-imaged left side, we reconstruct Liujiang hominin’s pelvis. Our analysis of the pelvis indicates that the Liujiang hominin has a very gracile and modern-like pelvic morphology. Indeed, all of the pelvic dimensions are smaller than those of other Pleistocene hominins. Moreover, the pelvic characteristics typical of Middle and Late Pleistocene hominins including Neanderthals cannot be identified in the Liujiang pelvis. In contrast, both Liujiang’s metric and non-metric features indicate affinities to more recent human populations including our modern Chinese collections from Guangxi of south China. Further support of this assessment comes from the EQ value of 5.754 for Liujiang which is closer to Minatogawa 2 and modern Chinese populations than to Middle and Late Pleistocene fossil hominins. Our analysis of body shape shows that Liujiang has body proportion (i.e. body height relative to body breadth) typical of warm-adapted populations. Based on these findings, we reason that the modern physical characteristics of Liujiang may allude to a more recent geological age. Alternatively, its morphological ‘‘modernity’’ could also point to a much higher degree of skeletal variation within Late Pleistocene hominins in East Asia. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Liujiang; Pelvis; Body shape; Encephalization; Late Pleistocene

1. Introduction En 1958, un crâne d’hominidé fossile et quelques os postcrâniens ont été découverts dans une grotte calcaire de la région de Liujiang, région autonome du Guangxi Zhuang, dans le sud de la Chine (Fig. 1). Les fossiles assez bien conservés comprennent un crâne presque complet, un os coxal droit, plusieurs vertèbres en articulation et deux fragments de diaphyse fémorale. Depuis la découverte de ces spécimens et après la première étude réalisée par Wu Rukang (Woo, 1959), d’autres investigations ont été menées sur les fossiles d’hominidés, la chronologie et les faunes de mammifères (voir ci-dessous). En dépit de ces travaux, il y a toujours des incertitudes quant à différents aspects de l’homme de Liujiang. 2. L’âge géologique de l’homme de Liujiang L’âge géologique du site de Liujiang a été discuté depuis sa découverte du fait de l’incertitude quant à sa provenance exacte. En première approche, l’association des mammifères Ailuropoda– Stegodon dans la faune suggère une attribution chronologique au Pléistocène supérieur (Huang, 1979 ; Woo, 1959). Les études chronométriques réalisées ensuite ont produit des résultats

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Fig. 1. Carte de la Chine montrant la position géographique du site de l’homme fossile de Liujiang. Map of China showing the location of Liujiang hominin fossil site.

discordants allant de plus de 40 000 à 2900 ans par la méthode du C14 à 67 000 et 139 000 à 111 000 ans par la méthode des séries de l’Uranium, respectivement alpha (Yuan et al., 1986) et TIMS sur de nouvelles études stratigraphiques (Shen et al., 2002). 3. Les investigations sur les fossiles de l’homme de Liujiang Au niveau du crâne, toutes les dents sont conservées sauf les troisièmes molaires supérieures droite et gauche. La région maxillaire est cassée à gauche au niveau de la troisième molaire tandis que cette dernière, à droite, est congénitalement absente (Liu et Zeng, 1996). Parmi les dents supérieures conservées, à gauche, les couronnes de l’incisive centrale et celle de la première molaire sont cassées (Fig. 2). En utilisant le degré d’usure des dents, l’âge au décès de Liujiang a pu être estimé. Les surfaces occlusales sont bien usées, ne laissant que très peu d’émail et faisant apparaître la dentine. Ce degré d’usure, correspondant à la phase G et H du standard défini par White et Folkens (2005), suggère un âge supérieur à 35–40 ans. Dans son étude initiale, Woo (1959) a attribué l’homme fossile de Liujiang à un individu masculin. Bien qu’une possible attribution à un individu féminin ait été proposée par Howells (1977), des études plus récentes corroborent la première estimation sexuelle (Rosenberg, 2002 ; Wu, 1997). Du bassin, seuls l’os coxal droit et le sacrum sont conservés (Fig. 2). L’os coxal est presque complet. Cependant, la partie médiale de la branche pubienne supérieure, la branche pubienne inférieure et la symphyse pubienne manquent. Le sacrum est complet et bien conservé. Les quatre vertèbres lombaires (L2–L5) sont juxtaposées et maintenues ensemble par la matrice et L5 est fusionnée avec le sacrum. Toutes présentent un léger déplacement vers le côté droit. De ce fait, L5 obstrue la majorité de la partie supérieure de la surface alaire du sacrum (Fig. 2(D)).

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Fig. 2. Les fossiles d’hominidés découverts à Liujiang, sud de la Chine (A : crâne ; B : os coxal droit ; C : vertèbres encore en connexion ; D : sacrum fusionné avec les quatre dernières vertèbres lombaires ; E, F : fragments de diaphyse fémorale). The hominin fossils found in Liujiang, South China (A: cranium; B: right os coaxa; C: articulated vertebrae; D: sacrum fused with lower lumbar vertebrae; E: femoral shaft fragments and F: femoral shaft fragments).

Tous les éléments du squelette trouvés dans la grotte de Liujiang présentent la même coloration et il n’y a pas de double (voir Fig. 2). Woo (1959) a proposé que cela puisse indiquer qu’il ne s’agit que d’un seul et même individu. Récemment, nous avons réexaminé les ossements de l’homme de Liujiang conservés à l’Institute of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology (IVPP) et nous avons trouvé que les surfaces de contact des os tels que les vertèbres, le sacrum et l’os coxal droit s’articulaient parfaitement. Dans la première étude, Woo (1959) indiquait que l’homme de Liujiang conservait des caractères primitifs du Pléistocène supérieur de même que des traits mongoloïdes modernes. Sur cette base, il a considéré l’homme de Liujiang comme un proto-Mongoloïde (pour un avis contraire voir Brown, 1998). Cependant, notre étude récente amène à des conclusions différentes. Notre analyse comparée de la morphologie crânienne de Liujiang avec des populations modernes

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(N = 114) de différentes régions de la Chine suggère en effet que l’homme de Liujiang est plus proche de ces dernières que des hominidés du Pléistocène supérieur. De plus, d’autres études récentes affirment que des caractères plus souvent observés dans la lignée néandertalienne peuvent être identifiés sur les crânes d’hominidés fossiles chinois suggérant des flux géniques entre les hominidés du Pléistocène moyen et supérieur en Chine et les Néandertaliens en Europe (Wu, 1998, 2004). Parmi les caractères néandertaliens identifiés chez les hominidés chinois, le chignon occipital a été observé sur le crâne de Liujiang (Wu, 1998, 2004). Même si la séquence stratigraphique et la datation exacte de l’homme fossile de Liujiang sont débattues, il représente un des hominidés du Pléistocène les plus complets et les mieux conservés de l’Asie orientale qui apporte des informations importantes sur la question de l’évolution de l’homme au Pléistocène supérieur et de l’origine de l’homme moderne dans cette partie du monde. L’âge géologique mis à part, les discussions sur l’homme de Liujiang sont concentrées sur sa morphologie, son caractère primitif et la présence de caractères spécifiques de certaines populations, notamment néandertaliennes. Le matériel postcrânien de l’homme de Liujiang nous permet d’explorer ces questions. L’étude de la taille et de la forme du corps et du degré d’encéphalisation s’avère également très utile. Par ces approches, développées dans la présente étude, le statut évolutif, l’environnement, le climat et l’adaptation de l’homme de Liujiang peuvent être appréhendés. 4. Objectif de la présente étude Comme rappelé précédemment, tous les fossiles de Liujiang appartiennent à un seul individu. Une telle association des restes crâniens et postcrâniens du même individu est rare. Le fossile juvénile de Nariokotome (KNM-WT 15000) au Kenya daté de 1,6 million d’années mis à part, seules deux localités du Pléistocène moyen et supérieur ont livré les restes crâniens et postcrâniens d’individus adultes. L’une est Tabun au Mont Carmel dans le nord d’Israël, daté de 122 000 ans. L’autre est Jinniushan au nord-est de la Chine, daté de 260 000 ans (Rosenberg et al., 2006). Cependant, le bassin du spécimen de Tabun 1 n’est pas complètement conservé de telle sorte qu’il n’est pas possible d’estimer directement ses dimensions corporelles tandis que sur le fossile de Jinniushan, seul l’os coxal gauche est conservé et, comme le sacrum manque, il n’est pas possible de reconstituer le bassin. À l’inverse, les fossiles de Liujiang sont les seuls du Pléistocène supérieur en Asie orientale à présenter les restes crâniens et postcrâniens d’un même individu. Au lieu de devoir utiliser des estimations basées sur les valeurs moyennes d’un échantillon réalisées à partir de restes crâniens et postcrâniens de différents individus, l’homme de Liujiang, notamment du fait de son état de conservation, offre la possibilité, unique et singulière, d’apprécier la forme et la taille du corps et la capacité crânienne relative (c’est-à-dire, EQ) des hominidés du Pléistocène supérieur. Dans cette étude, nous présentons la dernière reconstitution du bassin de Liujiang, qui est aussi la plus complète, ainsi qu’une comparaison morphologique et métrique et une interprétation de l’hominidé de Liujiang. 5. Échantillons de comparaison Comme nous l’avons déjà signalé, les controverses concernant l’homme de Liujiang ont en partie porté sur sa parenté morphologique avec Néandertal et sur la manifestation morphologique d’une adaptation à son environnement. De ce fait, le matériel de comparaison choisi comprend les hominidés du Pléistocène moyen et supérieur ainsi que des collections de chinois modernes.

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6. Hominidés pléistocènes L’échantillon de comparaison des hominidés fossiles comprend Jinniushan, Atapuerca SH et quelques Néandertaliens (Kébara 2). Les informations relatives à ces spécimens ont été relevées dans la littérature (Arsuaga et al., 1999 ; Rak et Arensburg, 1987 ; Rosenberg et al., 2006). 7. Les collections de chinois modernes Les collections modernes utilisées dans cette étude sont constituées de 49 Chinois modernes et de 33 individus datés de l’âge du Bronze conservés respectivement au Center for Frontier Archaeology, Jilin University, et l’Institute of Forensic Sciences, Ministry of Public Security of China. Des collections provenant du nord et du sud de la Chine ont été choisies afin de faire des comparaisons avec l’homme de Liujiang. Une information détaillée de ces collections est présentée dans le Tableau 1. 8. Morphologie de l’os coxal et du sacrum de l’homme de Liujiang Dans un premier temps, la morphologie de l’os coxal et du sacrum de Liujiang a été observée et comparée à celle des hominidés pléistocènes, d’une part, et des populations chinoises modernes, d’autre part. Notre étude montre que la majorité des caractères de l’os coxal et du sacrum de Liujiang ressemble aux populations modernes considérées tandis que les traits primitifs communément rencontrés sur les hominidés pléistocènes n’ont pas pu être observés sur ce fossile.

Tableau 1 Collections de Chinois modernes utilisées comme échantillons de comparaison dans la présente étude. Comparative samples of modern Chinese collections used in the present paper. Échantillons

Nombre de males

Nombre de femelles

Information sur l’échantillon

Chinois du sud Guangxi

24

15

Chaque squelette appartient à un individu et comprend le crâne, le bassin complet et les fémurs. Pour chaque spécimen, l’âge au décès, le sexe et la stature sont connus. Tous les mâles et la plupart des femelles ont été collectés dans la région autonome de Guangxi Zhuang. Quelques femelles ont été collectées dans les provinces du Yunnan et d’Anhui. Tous les spécimens sont des Chinois modernes

Chinois du nord Shandong

10



Chaque squelette appartient à un individu et comprend le crâne, le bassin complet et les fémurs. Pour chaque spécimen, l’âge au décès, le sexe et la stature sont connus. Tous les spécimens ont été collectés dans la province du Shandong représentant les résidants locaux modernes

Qinghai

19

14

Cet échantillon de Chinois modernes provient du site archéologique de Taojiazhai près de Xining, la capitale de la province de Qinghai. Le site de Taojiazhai est une zone de cimetière des dynasties des Hans de l’est et de Weijin (2100–2000 ans BP). Les fouilles du site de Taojiazhai (de 1980 à 2003) ont mis au jour de nombreux squelettes humains représentant plus de 300 individus. L’étude de la morphologie crânienne montre des affinités avec les populations asiatiques du nord-est. Parmi celles-ci, des bassins (avec la paire d’os coxal et le sacrum) ont été inclus dans l’étude

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9. L’ilium L’aile iliaque de l’homme de Liujiang est orientée plus sagittalement ; sur la surface médiale de l’aile iliaque, la fosse iliaque est peu profonde. La crête iliaque est faiblement marquée sans proéminence osseuse. Les quatre épines iliaques sont peu développées et sont alignées antéroinférieurement au lieu de former une courbe. L’échancrure entre les épines iliaques antérieures à ce niveau est peu profonde et forme un angle obtus (Fig. 2(B)). Sur la surface latérale, entre la partie supérieure de l’anneau acétabulaire et le tubercule iliaque, un pilier iliaque est faiblement développé, situé à environ un tiers de la distance entre les bords iliaques antérieur et postérieur. Tous ces caractères se retrouvent exprimés de la même façon dans les populations modernes chinoises. Des études antérieures (Rak et Arensburg, 1987 ; Rak, 1990 ; Arsuaga et al., 1999) ont mis en évidence un groupe de caractéristiques au niveau du bassin propres aux hominidés du Pléistocène moyen et supérieur (Néandertaliens compris). Cependant, aucun caractère des hominidés pléistocènes n’a été trouvé au cours de la présente étude. 10. Pubis et ischium La partie latérale de la branche pubienne supérieure de Liujiang est conservée sur environ 20 mm de long, ce qui nous permet d’en étudier la morphologie. Sur la surface préservée de la branche pubienne supérieure, la forme de la section et la hauteur à cet endroit peuvent être appréciés. La partie conservée de la branche pubienne supérieure de l’os coxal de Liujiang est épaisse supéro-inférieurement et de section presque ovale. Ces caractéristiques sont proches de celles des hommes modernes (Arsuaga et al., 1999 ; Rak, 1990). À l’inverse, les hominidés du Pléistocène moyen et les Néandertaliens présentent une branche pubienne supérieure extrêmement longue et mince (Fig. 3) avec une section variée en termes de taille et de forme (Fig. 4 et descriptions dans la section suivante). Par la forme courte et étroite de sa région ischiopubienne (et non pas allongée comme sur les hominidés pléistocènes), l’hominidé de Liujiang est proche des hommes modernes. Les hominidés pléistocènes présentent généralement une valeur forte pour l’indice ischio-pubien (correspondant à la longueur de la branche pubienne supérieure divisée par la distance entre le bord supérieur de la branche pubienne supérieure et le bord

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Fig. 3. Coupes de la branche pubienne supérieure de Liujiang, des hommes modernes et des hominidés fossiles du Pléistocène inférieur et moyen (modifié d’après Rak, 1990 et Arsuaga et al., 1999). Cross-sections of superior pubic rami (SPR) of Liujiang, modern humans and Middle and Late Pleistocene fossil hominins (modified after Rak, 1990 and Arsuaga et al., 1999).

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Fig. 4. Graphique bi-varié présentant la longueur et la hauteur de la branche pubienne (en mm) pour Liujiang, les femmes et les hommes des collections de Chinois modernes, les hominidés fossiles du Pléistocène moyen et supérieur (modifié d’après Rak, 1990). Scatter plot of pubic ramus length and height (mm) for Liujiang, modern males and females of Chinese, and Middle and Late Pleistocene fossil hominins (modified after Rak, 1990).

inférieur de la tubérosité ischiatique, appelé aussi la hauteur totale ischio-pubienne, Rak, 1990). Sur le spécimen de Liujiang, la longueur de la branche pubienne supérieure est de 59,5 mm et la hauteur du triangle ischio-pubien est de 83,2 mm, ce qui donne un indice de 71,5 %, avec un intervalle de confiance de 95 % entre 69,8 et 73,2, ce qui rentre dans la variation des hommes de la collection de Chinois modernes (65,2–81,1 %) (Tableau 2). Le sillon de l’obturateur interne sur le fossile de Liujiang est peu profond et situé juste sous l’épine ischiatique, séparé du tubercule ischiatique, selon une disposition identique à celle décrite par Rak (1990) chez l’homme moderne. De tous les spécimens modernes que nous avons observés provenant du nord comme du sud de la Chine, aucun bassin ne présentait un sillon de l’obturateur interne s’étendant jusqu’au tubercule ischiatique. Le sillon de l’obturateur interne des hominidés du Pléistocène moyen et supérieur, Néandertal compris, est très différent de Liujiang et des hommes modernes mentionnés ci-dessus (voir Tableau 3 pour les détails). 11. Sacrum Le sacrum de l’homme de Liujiang paraît très gracile et petit. Cependant, les comparaisons métriques avec les fossiles archaïques et les hommes modernes des collections chinoises indiquent que les proportions relatives du sacrum, de même que la courbure du sacrum de l’homme de Liujiang, appartiennent à la variation des hommes modernes et sont différentes des spécimens fossiles archaïques (Tableau 2). 12. Reconstitution du bassin de Liujiang Étant donné que les branches pubiennes supérieure et inférieure du spécimen de Liujiang sont partiellement manquantes et que seules la partie latérale de la branche pubienne supérieure et la

Tableau 2 Mesures et indices du bassin de Liujiang et comparaison avec les échantillons de populations modernes de Chine (en mm). Measurements and indices of Liujiang pelvis in comparison to modern Chinese samples. Mesures (mm) et indices

Liujiang

Chinois modernes (sud) Mâles

Chinois modernes (nord) Femelles

Mâles (Shandong)

Mâles (Taojiazhai)

Femelles (Taojiazhai)

Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle de confiance de confiance de confiance de confiance de confiance de confiance à 95 % à 95 % à 95 % à 95 % à 95 % à 95 % 222,0

215,9–228,1 259,4

253,3–265,5 255,2

246,2–264,2 267,7

254,3–281,1 274,1

26\ ,7–286,5 269,6

260,5–278,7

106,5 82,0 87,0

103,6–109,4 114,0 78,8–85,2 84,4 83,8–90,2 103,2

111,1–116,9 123,3 8\,2–87,6 103,3 100,0–106,4 120,3

117,7–128,9 120,2 98,8–107,8 9\,9 113,2–127,4 108,5

115,6–124,8 122,5 85,9–97,9 93,6 10\,0–116,0 109,5

118,1–126,9 132,1 86,7–100,5 107,7 100,7–118,3 124,7

126,0–138,2 102,7–112,7 1 18,4–13\,0

Mesures ante´ro-poste´rieures Détroit supérieur Détroit moyen Détroit inférieur

99,5 128,5 111,5

96,6–102,4 106,6 125,3–13\,7 12\,4 107,7–115,3 10\,9

103,7–109,5 114,0 118,2–124,6 129,7 98,1–105,7 11\,8

108,8–119,2 109,6 124,1–135,3 134,2 107,9–115,7 115,1

103,6–115,6 109,9 130,3–138,1 135,8 110,5–119,7 110,6

106,2–113,6 115,9 127,7–143,9 145,4 104,8–116,4 121,8

110,5–121,3 139,8–15\,0 117,0–126,6

Indice de forme (%) Détroit supérieur Détroit moyen Détroit inférieur

93,4 156,7 128,2

90,0–96,8 93,9 150,8–150,8 144,8 123,7–132,7 99,2

90,5–97,3 92,5 138,9–150,7 126,0 94,7–103,7 93,9

89,7–95,3 91,3 120,5–131,5 147,2 88,0–99,8 107,4

86,8–95,8 89,9 136,9–157,5 145,9 97,0–117,8 10\,0

85,7–94,1 88,1 136,4–155,4 135,8 89,9–112,1 97,6

83,8–92,4 128,5–143,1 92,2–103,0

Circonfe´rences Détroit supérieur Détroit moyen Détroit inférieur

330,5 296,0 326,0

322,8–338,2 369,5 289,2–302,8 281,3 315,9–336,1 357,9

36\,8–377,2 380,7 274,5–288,1 318,5 347,8–368,0 384,8

367,6–393,8 38\,9 306,6–330,4 31\,9 371,6–398,0 384

367,5–396,3 389,3 299,3–324,5 308,8 362,2–405,8 380,9

377,5–401,1 407,1 292,4–325,2 342,3 363,3–398,5 403,2

391,1–423,1 331,1–353,5 383,5–422,9

102,5

99,8–105,2 113,6

110,9–116,3 117,6

112,9–122,3 116,6

111,9–121,3 118,6

113,1–124,1 125,7

120,7–130,7

115,0

111,6–118,4 134,8

131,4–138,2 138,0

132,7–143,3 137,7

132,0–143,4 141,3

135,8–146,8 149,5

141,7–157,3

89,1

87,7–90,5

84,3

82,9–85,7

85,2

83,6–86,8

84,7

82,7–86,7

84,0

81,0–87,0

84,2

82,7–85,7

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Linea Terminalis Longueur de la corde iléo-pectinée Longueur de la courbure iléo-pectinée Indice de longueur iléo-pectinée (%)

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Diame`tres transverses Largeur bi-iliaque (largeur maximum du bassin) Détroit supérieur Détroit moyen Détroit inférieur

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Tableau 2 (Suite) Mesures (mm) et indices

Liujiang

Chinois modernes (sud) Mâles

Chinois modernes (nord) Femelles

Mâles (Shandong)

Mâles (Taojiazhai)

Femelles (Taojiazhai)

Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle Moyennes Intervalle de confiance de confiance de confiance de confiance de confiance de confiance à 95 % à 95 % à 95 % à 95 % à 95 % à 95 %

Autres Indice du canal pelvien Profondeur du vrai bassin Angle sous–pubien (˚) Largeur bi–iliaque/largeur du Bassin supérieur Évasement de l’aile iliaque (˚) Longueur du pubis Longueur de la branche pubienne supérieure Hauteur de la branche pubienne supérieure Longueur de l’ischium (hauteur) Indice ischio–pubien Distance entre la branche pubienne et la tubérosité ischiatique Indice de forme ischiopubienne

100,5 92,5 107,0 75,4 86,5

98,7–102,3 89,7–95,3 103,9–110,1 72,7–78,1 85,4–87,6

99,8 99,5 109,2 64,4 91,2

98,0–101,6 96,7–102,3 106,1–112,3 61,7–67,1 90,1–92,3

104,8 97,3 105,8 76,3 91,9

100,6–109,0 106,5 92,0–102,6 106,4 100,7–110,9 117 70,0–82,6 66,8 89,7–94,1 91

102,4–110,6 101,0–111,8 110,9–123,1 63,6–70,0 89,6–92,4

106,5 104,2 116,3 63,5 89,3

101,9–111,1 98,7–109,7 111,0–121,6 58,7–68,3 86,5–92,1

109,8 101,4 113,3 71,3 89,8

106,1–113,5 95,8–107,0 109,4–117,2 68,7–73,9 87,0–92,6

81,7 111,5 54 2,08

78,1–85,3 108,4–114,6 51,9–56,1 2,04–2,12

90,8 125,9 68,3 2,3

87,2–94,4 122,8–129,0 66,2–70,4 2,3–2,3

97,8 117,2 93,7 2,1

92,6–103,0 113,7–120,7 89,8–97,6 2,1–2,1

90,2 129,5 65,4 2,2

85,3–95,1 125,0–134,0 61,1–69,7 2,1–2,3

89,3 129,4 70,5 2,24

83,3–95,3 122,2–136,6 65,9–75,1 2,17–2,31

94,6 121,8 92,1 2,05

90,5–98,7 116,2–127,4 86,7–97,5 1,98–2,12

25,1 79,5 59,5

23,5–26,7 76,8–82,2 57,4–6\,6

38,6 86,0 70,0

37,0–40,2 83,3–88,7 68,0–72,0

34,7 93,7 74,7

32,6–36,8 89,9–97,5 71,6–77,8

36,1 95,6 74,2

30,9–41,3 92,0–99,2 70,7–77,7

39,2 85,4 68,6

35,7–42,7 80,6–90,2 64,0–73,2

38,3 89,7 69,8

35,7–40,9 85,4–94,0 65,9–73,7

12,5

1\,8–13,2

13,8

13,1–14,5

13,1

11,9–14,3

14,7

13,5–15,9

16,5

15,1–17,9

14,8

13,5–16,1

74,2 80,2 83,2

72,4–76,0 78,2–82,2 81,5–84,9

83,2 84,1 91,5

81,4–85,0 82,1–86,1 89,9–93,1

75,3 99,2 86,8

72,3–78,3 83,6 97,2–101,2 88,9 83,4–90,2 95,7

81,9–85,3 84,2–93,6 92,9–98,5

103,1 82,4 99,9

99,6–106,6 93,2 78,7–86,1 96,4 96,2–103,6 90,0

90,4–96,0 92,5–100,3 86,8–93,2

71,5

69,8–73,2

76,5

74,8–78,2

86,0

84,2–87,8

74,1–81,1

68,7

65,2–72,2

73,4–82,0

77,6

77,7

W. Liu et al. / L’anthropologie 114 (2010) 543–563

Sacrum Largeur Longueur de la corde Longueur de la courbure Angle du sacrum (˚) Indice de courbure

W. Liu et al. / L’anthropologie 114 (2010) 543–563

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Tableau 3 Morphologie du sacrum et des os coxaux de l’homme de Liujiang et des échantillons de comparaison. Os coax and sacrum morphology of Liujiang hominin and comparative samples. Liujiang et Chinois modernes

Hominidés du Pléistocène moyen et supérieur

Ilium

La crête iliaque est faiblement développée sans proéminence osseuse marquée. Le tubercule iliaque est également peu développé avec une épaisseur maximum de 15,5 mm sur Liujiang. Les deux tubercules iliaques antérieur-inférieur et antérieur-supérieur sont graciles et le premier forme une ligne droite plutôt qu’une courbe. Le pilier iliaque est peu développé. La lame iliaque postérieure est orientée plus sagittalement. Il n’y a pas d’épine iliaque antéro-supérieure dirigée médialement ni d’épine iliaque antéro-inférieure concave latéralement. L’acétabulum est situé en position antérieure et l’anneau acétabulaire n’est pas très prononcé. Il n’y a pas de capsule acétabulaire clairement développée

Ils présentent une lame iliaque postérieure orientée coronalement, une épine iliaque antéro-supérieure allongée et développée médialement, une épine iliaque antéro-inférieure prononcée et concave latéralement, une encoche profonde entre les épines et une capsule supra-acétabulaire vaste. Les 4 épines iliaques (antéro-supérieure, antéroinférieure, postéro-supérieure, postéro-inférieure) sont toutes très robustes. La région iliaques présente une épine iliaque antéro-supérieure bien développée qui est déviée médialement, un pilier iliaque puissant, des tubercules iliaques épais (sur le bassin no 1 de Atapuerca-SH, l’épaisseur du tubercule gauche est de 31,9 mm et celle du droit : 27,1 mm). L’épine iliaque antéro-inférieure est robuste et de forme sigmoïde, le plafond acétabulaire se prolonge comme une capsule et le sillon supra-acétabulaire est bien marqué. Le pilier iliaque est en position plus antérieure

Pubis et ischium

La branche pubienne supérieure est courte, épaisse et de section ovale

La branche pubienne supérieure est relativement longue et fine. Sa face supérieure est concave médiolatéralement et une crête pectinée très saillante est présente

Région ischio-pubienne sacrum

Le sillon de l’obturateur interne sépare l’épine et le tubercule de l’ischion

Le sillon de l’obturateur interne est situé plus haut. Développé au niveau de la tubérosité ischiatique, il creuse une partie substantielle de cette surface

partie inférieure de la branche pubienne inférieure sont conservées, le travail principal de la reconstitution du bassin de Liujiang a été d’estimer la longueur de la branche pubienne supérieure. Les données métriques de l’os coxal et du sacrum de Liujiang (Tableau 2) montrent que presque toutes ses dimensions sont inférieures aux moyennes des populations chinoises modernes et que certaines d’entre elles sont même plus petites que les valeurs les plus basses des 95 % d’intervalle de confiance. Ces informations suggèrent que la longueur de la branche pubienne supérieure de Liujiang devait être également plus petite que les moyennes des populations chinoises modernes. De ce fait, ces valeurs ne pouvaient être utilisées pour la reconstitution. Pour résoudre ce problème, nous avons vérifié les mesures de l’os coxal des individus masculins des collections de Chinois modernes et découvert que les trois populations présentaient les mêmes proportions entre la longueur de la branche pubienne supérieure et les autres mesures de l’os coxal. Par exemple, les indices ischio-pubien de forme et de taille dans les trois collections masculines sont très semblables et nettement différents des individus féminins (voir Tableau 2). Forts de ces observations, la longueur de la branche pubienne supérieure de Liujiang a été estimée à 59,5 mm en conservant le rapport proportionnel entre les deux indices et en considérant le point à la mi-longueur depuis le promontoire sacré. En utilisant comme estimation pour l’écart-type de cette valeur, celui de la collection masculine du sud de la Chine pour la longueur de la branche pubienne supérieure, nous arrivons à un intervalle de confiance de

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Fig. 5. Le bassin de Liujiang reconstitué (A : vue supérieure ; B : vue antérieure). The reconstructed Liujiang pelvis (A: superior view; B: ventral view).

95 % avec des valeurs allant de 57,4 à 61,6 mm (soit 59,5  2,1). Une fois la longueur de la branche pubienne supérieure établie, nous avons suivi la direction de la branche pubienne inférieure qui est cassée afin de la reconstituer. La forme exacte de la symphyse pubienne du spécimen de Liujiang n’est pas connue. Nous avons utilisé la forme de la symphyse pubienne des individus mâles des collections modernes considérées pour la reconstituer. En suivant la méthode décrite ci-dessus, l’os coxal droit de l’homme de Liujiang a été reconstitué. Par symétrie, l’os coxal gauche a été reconstitué. Étant donné la présence, sur le vivant, de cartilages au niveau de l’articulation entre la surface auriculaire et la symphyse pubienne, une tablette en plastique épaisse de 2 mm a été placée à chaque articulation puis le bassin reconstitué a été réarticulé (Fig. 5). Même si la technique de reconstitution utilisée laisse des incertitudes, les branches pubiennes inférieure et supérieure sont suffisamment conservées pour garantir que les proportions établies s’inscrivent bien dans les marges de variation normale telles qu’indiquées plus haut. 13. Morphologie du bassin de Liujiang après reconstitution Le bassin reconstitué de Liujiang offre l’opportunité d’étudier sa morphologie générale et notamment la taille et la forme de l’ensemble du bassin. Les paragraphes suivants décrivent les caractères métriques et morphologiques du bassin de Liujiang. 14. Caractères métriques généraux et comparaisons morphologiques Le Tableau 2 présente l’ensemble des mesures prises sur le bassin de Liujiang et sur celui des individus de l’échantillon moderne et fossile (valeurs moyennes et à 95 % de l’intervalle de confiance). La largeur maximum du bassin (largeur bi-iliaque) de Liujiang est seulement de 222 mm. Cette valeur est bien inférieure à celles relevées sur les hominidés du Pléistocène moyen et supérieur tels qu’Atapuerca-SH, Kebara 2 et Jinniushan et aux moyennes des collections modernes du nord et du sud de la Chine. La largeur bi-iliaque de Liujiang est même plus petite que 95 % de l’intervalle de confiance de la variation des Chinois modernes. De même, les indices de forme, réalisés à partir des diamètres antéropostérieur (A–P) et transverse (M–L) indiquant la forme de la cavité pelvienne à différents niveaux (détroit supérieur, moyen et inférieur), sont très différents entre Liujiang et l’échantillon fossile de comparaison mais assez proches de ceux des

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hommes modernes. Cette observation est valable pour d’autres mesures et indices du bassin de Liujiang. 15. La forme et la taille de la cavité pelvienne de Liujiang Le détroit supérieur du bassin de Liujiang est de forme triangulaire (Fig. 5) ce qui est différent du bassin arrondi voire en forme de cœur des individus féminins actuels. Au niveau du détroit supérieur du bassin de Liujiang, alors que le diamètre M–L est plus grand que le diamètre A–P, ils sont proches au point que l’indice (A–P/M–L*100) atteint 93,4 %. Cette valeur est distincte des hominidés du Pléistocène moyen et supérieur (voir Tableau 2 pour les détails). Pour apprécier plus en détail la forme du détroit supérieur du bassin, l’indice de courbure iléo-pectinée à partir des longueurs de la corde et de la courbe iléo-pectinée en suivant la ligne arquée. Cet indice, d’une valeur de 89,1 % sur le spécimen de Liujiang, est proche des Chinois modernes et différent du fossile de Jinniushan (73 % selon Rosenberg et al., 2006). Au niveau des détroits moyen et inférieur du bassin de Liujiang, les dimensions antéropostérieures (A–P) augmentent (atteignant leur maximum au niveau médian) et deviennent supérieures aux diamètres transversaux (M–L) avec des indices de 156,7 et 128,2 % respectivement. Cette conformation avec un élargissement antéropostérieur du bassin, surtout au niveau du détroit moyen, est commune à Liujiang et aux hommes modernes. L’indice du canal pelvien est calculé à partir des diamètres transversaux à l’entrée et à la sortie (outlet/inlet *100). La différence de taille pour cet indice parmi les hominidés du Pléistocène moyen et supérieur, le spécimen de Liujiang compris, est à noter. Des études antérieures ont montré un évasement latéral prononcé de l’aile iliaque sur les bassins des fossiles d’Atapuerca-SH et Kebara 2. Rak et Arensburg, 1987 ont utilisé la largeur bi-iliaque (largeur maximale du bassin), la largeur bi-acétabulaire et la hauteur de l’ilium pour calculer l’angle d’évasement de l’os iliaque et pour calculer l’évasement latéral de l’os iliaque par rapport au plan sagittal. Ils ont obtenu un angle de 33,98C pour Kebara 2. Dans la présente étude, l’angle calculé à partir de ces 3 mesures est de 25,18 pour Liujiang. De plus, un indice a été utilisé (largeur bi-iliaque/diamètre transverse du détroit supérieur) pour exprimer le degré d’évasement latéral de l’os iliaque. L’indice pour le bassin de Liujiang est de 2,08, ce qui est plus faible qu’Atapuerca-SH (2,46) et Kebara 2 (2,20). De ce fait, l’angle tout autant que l’indice d’évasement de l’os iliaque montrent que l’angle d’évasement latéral de l’os iliaque est relativement moins prononcé sur le spécimen de Liujiang comparé aux hominidés fossiles du Tableau 2. Mais dans les populations modernes du nord et du sud de la Chine, ces deux variables indiquent un évasement latéral prononcé de l’os iliaque. 16. L’angle sous-pubien de l’homme de Liujiang Alors que l’essentiel de la branche pubienne supérieure et inférieure de l’homme de Liujiang est manquant, l’ensemble de la tubérosité ischiatique, la partie en connexion avec la branche pubienne inférieure et la portion latérale de la branche pubienne supérieure sont conservés. Ce qui est préservé de la tubérosité ischiatique et la branche pubienne inférieure adjacente déterminent la direction générale de l’angle sous-pubien. De plus, comme mentionné dans le paragraphe sur la reconstitution, la longueur estimée de la branche pubienne supérieure doit être fiable. Nous sommes donc sûrs de la valeur de l’angle sous-pubien mesuré sur le bassin reconstitué de l’homme de Liujiang qui s’élève à 548 soit de 51,9 à 56,18 avec 95 % d’intervalle

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de confiance. Cette valeur est faible, inférieure à celle de 95 % de l’intervalle de confiance des trois collections de Chinois modernes mâles. Dans cette étude, les marges de variation pour les collections chinoises de mâles et de femelles avec 95 % d’intervalle de confiance sont respectivement de 61,1 à 75,18 et 86,7 à 97,68 (Tableau 2), ce qui indique que les individus féminins présentent généralement des valeurs plus élevées pour l’angle sous-pubien que les sujets masculins. En outre, comme l’ischium droit de Liujiang est bien conservé, l’angle de la grande échancrure ischiatique peut être mesuré directement. Il s’élève à 688 et est comparable, au niveau de la forme, aux individus masculins modernes (voir Fig. 2(B)). Les sujets féminins ont en général une échancrure ischiatique beaucoup plus large (Walker, 2005). 17. La taille de la branche pubienne supérieure de l’homme de Liujiang Sur le bassin reconstitué de l’homme de Liujiang, la longueur de la branche pubienne supérieure s’élève à 59,5 mm (soit 57,4 à 61,6 mm avec 95 % d’intervalle de confiance). Cette valeur, avec celle de la hauteur de la branche pubienne supérieure, placent Liujiang parmi la variation des populations chinoises modernes et plus proches des individus masculins de ces collections (voir Fig. 4 et Tableau 2 pour le détail). 18. Taille du corps, forme du corps et encéphalisation Pour estimer la forme du corps de l’homme de Liujiang, nous nous sommes basés sur la largeur pelvienne (largeur bi-iliaque) et la stature pour apprécier la largeur du tronc et la hauteur du corps respectivement. Les proportions corporelles (c’est-à-dire la hauteur du corps relativement à sa largeur) peuvent ensuite être calculées en utilisant la largeur bi-iliaque sur l’indice de stature. 19. Stature de l’homme de Liujiang Pour la stature de l’homme de Liujiang, plusieurs estimations sont disponibles allant de 145 à 158 cm (Coon, 1976 ; Wolpoff, 1999 ; Wu et al., 1984). Deux fragments de fémur sont conservés parmi les fossiles de Liujiang. Le plus long correspond à une diaphyse droite. Wu et al. (1984) ont estimé la longueur totale de ce fragment à 406 mm. C’est la seule valeur publiée pour la longueur estimée du fémur de Liujiang. Sur cette base, Wu et al. ont évalué la stature à 156,69  3,9 cm. Dans la présente étude, les fragments de fémur de Liujiang ont été réexaminés. Sur le plus long (Fig. 2(E)), la ligne glutéale (tubérosité), la ligne âpre et le foramen nourricier ont été identifiés. De ce fait, nous sommes sûrs qu’il s’agit d’une moitié supérieure de fémur droit approchant le petit trochanter. La longueur de ce fragment est de 215,8 mm. À l’aide de la méthode établie par Steele et McKern (Steele, 1970 ; Steele et McKern, 1969), nous avons estimé la longueur totale du fémur de Liujiang à 415,5  14,8 mm. Cette valeur est supérieure à celle proposée par Wu et al. d’environ 10 mm. Mais cette dernière avait été évaluée à l’œil nu et juste en tenant compte des proportions générales des fémurs. C’est pourquoi, il n’y a pas d’explication sur la manière dont ils ont estimé la longueur du fémur de Liujiang ni de marge de variation proposée. Même si la présente estimation est basée sur des équations qui n’ont pas été élaborées sur des populations chinoises, elle repose sur des données réelles et doit être plus fiable. À partir de la longueur fémorale estimée, trois équations différentes (Chen, 1998 ; Mo, 1983 ; Wang et al., 1979) ont été utilisées pour estimer la stature de Liujiang. Chacune a été établie à partir de collections chinoises. La moyenne des trois valeurs (voir Tableau 4 pour les détails) est de 159,2  3,9 cm estimant la stature de l’homme de Liujiang entre 155,3 et 163,1 cm.

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Tableau 4 Estimations de la stature de l’homme de Liujiang (en cm). The statures estimated for the Liujiang hominin (in cm). Equations et auteurs

Collections anthropologiques utilisées

Statures estimées

Stature = 63,80 + 2,26x Longueur fémorale maximum  4,72 (Mo, 1983)

Chinois modernes du Guangxi

157,7  4,7

Stature = 54,69 + 2,52x Longueur fémorale maximum  3,59 (Wang et al., 1979)

Chinois modernes de Chongqing

159,4  3,6

Stature = 63,564 + 2,33x Longueur fémorale maximum  3,298 (Chen, 1998)

Chinois modernes

160,4  3,3

Wu et al. (1984) ont cité à tort l’équation de Mo comme étant : « Stature = 81,58 + 1,85x longueur fémorale maximum  3,74 ».

20. Forme du corps de l’homme de Liujiang Avec une stature de 159,2 cm et une largeur bi-iliaque de 22,2 cm, l’indice bi-iliaque largeur/ stature calculé est de 0,140 (avec une marge de variation allant de 0,132 à 0,147) pour l’homme de Liujiang. Comparé aux hominidés pléistocènes variés géographiquement et aux hommes modernes de l’échantillon (voir Tableau 5), l’indice de forme corporelle de Liujiang est proche des sujets masculins modernes de Chine du sud (0,155–0,162) et des hommes modernes d’Afrique (0,148–0,174) mais plus faible que celui de Jinniushan (0,204), de Kebara 2 (0,178) et des hommes modernes d’Europe (0,160–0,188). Il faut noter que les hominidés du Pléistocène supérieur de Minatogawa 2 et 3 (Okinawa, Japon) présentent également un indice de forme corporelle similaire à celui de Liujiang (soit 0,160 et 0,166 respectivement, calculés dans la présente étude sur la base de Suzuki et Hanihara, 1982). Cette analyse comparative suggère donc que l’homme de Liujiang avait un tronc relativement étroit et une large surface corporelle. 21. Masse corporelle de l’homme de Liujiang Dans cette étude, la masse corporelle de l’homme de Liujiang a été estimée par deux méthodes différentes :  en utilisant le diamètre de la tête fémorale ;  ainsi que l’indice stature/largeur bi-iliaque (Auerbach et Ruff, 2004 ; Grine et al., 1995 ; McHenry, 1992 ; Ruff et al., 1997). Comme la tête fémorale n’est pas conservée sur le fossile de Liujiang, le diamètre de la tête fémorale a été estimé à partir de la hauteur acétabulaire en suivant l’équation de régression suivante : diamètre de la tête fémorale = 0,9877  hauteur acétabulaire – 8,39 (r = 0,95, SEE = 0,3) établi par Erik Trinkaus (voir Rosenberg et al., 2006). La hauteur acétabulaire sur l’os coxal de Liujiang est de 49,5 mm, ce qui donne une estimation pour le diamètre de la tête fémorale de 40,5 mm et de 39,9–41,1 mm avec un intervalle de confiance de 95 %. Ensuite, l’utilisation de trois équations de régression (Auerbach et Ruff, 2004 ; Grine et al., 1995 ; McHenry, 1992) a produit les valeurs suivantes : 50,5, 50,8 et 55,4 kg respectivement. Dans un second temps, une combinaison de la stature estimée et de la largeur bi-iliaque a été utilisée (Ruff et al., 1997). Avec une stature de 159,2 cm et une largeur bi-iliaque de 22,2 cm pour

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Tableau 5 Taille et forme du corps et coefficient d’encéphalisation (EQ) pour les hominidés fossiles et les hommes modernes. A l’exception des spécimens de Liujiang et de Zhoukoudian Upper Cave (des collections de l’IVPP, mesurées pour cette étude), les autres données ont été collectées dans Ruffand Walker (1993) ; Ruff et al. (1997) ; Suzuki et Hanihara (1982). Body size, body shape and encephalization quotients (EQ) for fossil hominins and modern humans (Except for Liujiang and Zhoukoudian Upper Cave (collected at the IVPP for this study), all other data are cited from Ruff and Walker (1993); Ruff et al. (1997); Suzuki and Hanihara (1982)). Echantillons

Liujiang Estimations Intervalle de confiance 95 % Jinniushan Upper Cave 101 Upper Cave 102 Upper Cave 103 Dali Minnatogawa 1 Minnatogawa 2 Minnatogawa 3 Minnatogawa 4 Kebara 2 Skhul/Qafzeh Paléolithique supérieur récent Paléolithique supérieur ancien Homo sapiens archaïques récents Homo sp. Hominidés du Pléistocène supérieur ancien Hominidés du Pléistocène moyen récent Hominidés du Pléistocène moyen moyen Hominidés de la fin du Pléistocène inférieur au début du Pléistocène moyen Hominidés du Pléistocène Hominidés du Pléistocène inférieur Hommes modernes (moyennes) Hommes modernes (Afrique) Hommes modernes (Europe) Hommes vivant en hautes latitudes Hommes modernes de Chine du Sud Moyennes des mâles Intervalle de confiance de 95 % Moyennes des femelles Intervalle de confiance de 95 % Hommes modernes de Chine du Nord Moyennes des mâles Intervalle de confiance de 95 %

Stature (cm)

Masse corporelle (kg)

Largeur bi-iliaque (cm)

Largeur bi-iliaque/ Stature

Capacité crânienne (cc)

Coefficient d’encéphalisation

159,2  3,9 155,3–163,1

50,2 47,3–53,1

22,2 21,6–22,8

0,140 0,132–0,147

1402

5,754

168 170,2 166,1 162,7

78,6 95,1 60,5 75,0 45,65 64,4 45,7 48,9 45,6 82,3 66,6  7,0 62,9  7,6

34,4

0,204

1330 1500 1380 1300

23,2 24,7

0,160 0,166

1390 1170

4,150 3,780 4,917 3,942 5,30 4,722 5,188

1090

4,852

31,8

0,187 1501  45 1466  35

5,369  0,166 5,479  0,352

66,6  7,5

1517  30

5,467  0,449

76,0  5,8

1489  45

4,984  0,467

67,7  7,6

1354  41

4,682

65,6  12,3

1186  32

4,198

71,2  11,3

1090  38

3,770

58,0  7,4

856  52

3,400

61,8  8,9 58,2  7,1

914  45 1349

3,064 5,288

155 145 149 146 170

137–175 156–176

23,1–26,3 27,4–29,8

0,148–0,174 0,160–0,188

61,2  6,7

5,349  0,555

163,7 162,0–165,4 155,9 153,1–158,4

62,0 59,8–64,2 54,7 51,6–57,8

25,9 25,3–26,6 25,5 24,6–26,4

0,159 0,155–0,162 0,164 0,160–0,168

1420,8 1374,4–1467,3 1264,3 1211,0–1317,6

5,321 5,109–5,533 5,246 4,866–5,625

165,1 161,6–168,7

66,3 62,7–69,8

267,7 253,6–281,8

0,162 0,154–0,170

1488,0 1413,9–1562,1

5,275 5,077–5,473

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Tableau 6 Estimations de la masse corporelle de l’homme de Liujiang (en kg). The estimations of body mass for the Liujiang hominin (in kg). Source

Tête fémorale (FH) Masse corporelle (BM) calcul des estimations Auerbach et Ruff (2004) McHenry (1992) Grine et al. (1995) Stature/Largeur bi-iliaque (ST/BI) estimation de la masse corporelle Ruff et al. (1997)

Équations

Estimation du poids corporel 5 (en kg) et intervalle de confiance de 95 %

BM = (2,741  FM - 54,9)  90 (mâles) BM = 2,239  FM - 39,9 (mâles et femelles) BM = 2,268  FM - 36,5 (mâles et femelles)

50,5 (49,0,3–52,0) 50,8 (49,4–52,1) 55,4 (53,9–56,7)

BM = 0,373  ST + 3,033  BI-82,5 (mâles)

44,2 (37,0–51,4)

Liujiang, la valeur de masse corporelle obtenue est de 44,2 kg. Enfin, la moyenne de ces 4 valeurs a été calculée. Elle s’élève à 50,2 kg soit de 47,3 à 53,1 kg pour 95 % d’intervalle de confiance. Le Tableau 6 présente le détail des estimations de masse corporelles de l’homme de Liujiang. Comme dans le Tableau 5, la valeur de la masse corporelle de Liujiang est proche de celles des Chinois modernes (62,0, 54,7 et 66,3 kg pour respectivement : les individus masculins du sud de la Chine, les individus féminins du sud de la Chine et les individus masculins du nord de la Chine). La masse corporelle de Liujiang est également proche des moyennes de l’homme moderne (58,2  7,1 kg). 22. Encéphalisation de l’homme de Liujiang En plus de la forme et des proportions corporelles, l’association de restes crâniens et postcrâniens du fossile de Liujiang offre une opportunité supplémentaire pour examiner la relation entre la taille du corps et la capacité crânienne chez cet individu du Pléistocène supérieur. Nous avons calculé le EQ de Liujiang telle une mesure de sa capacité crânienne relative. Pour la capacité crânienne, l’un d’entre nous (Wu Xiujie) a produit une reconstruction de l’endocrâne de Liujiang et estimé son volume à 1402 cm3 par déplacement du volume d’eau. Pour déterminer le EQ de Liujiang, nous avons d’abord calculé sa masse cérébrale en utilisant une équation (Ruff et al., 1997) : [la masse cérébrale = 1,147  la capacité crânienne0,976] et obtenu un résultat de 1266,1 g. La valeur de l’EQ de Liujiang peut être évaluée à partir de la masse corporelle de 50,2 kg et de l’équation de Martin (1981) : [EQ = masse cérébrale/ (11,22  masse corporelle0,76)]. Ainsi, l’EQ de Liujiang est de 5,75. Cette valeur est très proche des moyennes des Chinois modernes (5,25–5,32) calculées à partir de trois collections étudiées (comprenant respectivement : des individus masculins du sud, des individus féminins du sud et des individus masculins du nord) pour lesquels chaque individu présente une association de restes crâniens et postcrâniens. L’EQ de Liujiang est aussi très proche de la moyenne des fossiles de Qafzeh/Skhul (Ruff et al., 1997), Minatogawa (1, 2 et 4) et les hommes modernes. Il est plus élevé que les valeurs d’EQ des hominidés du Pléistocène moyen et supérieur de Chine (voir Tableau 5).

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23. Discussion La distinction morphologique entre les hominidés du Pléistocène supérieur et les groupes d’hommes modernes est un des sujets majeurs de la paléontologie humaine (Lahr et Foley, 1998). Dans la présente étude, les analyses du bassin reconstitué de l’homme de Liujiang ont permis d’examiner la modernité de ce dernier à partir de ses restes postcrâniens. À ce jour, la majorité des bassins découverts datent du Pléistocène moyen et supérieur. L’étude de ce matériel a mis en évidence une série de caractères synapomorphiques. Nos analyses sur le bassin de Liujiang montrent l’absence de ces derniers ou leur expression conforme à la variation connue chez l’homme moderne. Ces résultats corroborent les observations réalisées sur le crâne et contribuent à prouver la morphologie moderne de l’homme de Liujiang (Liu et al., 2006). Des études sur le spécimen Kebara 2 et d’autres néandertaliens suggèrent que ces fossiles présentent des caractères spécifiques propres (Rak, 1990 ; Rak et Arensburg, 1987). Cependant, des chercheurs (Wu, 1998, 2004) ont argumenté que, au niveau du crâne, des caractères décrits comme néandertaliens pouvaient être identifiés sur des fossiles chinois du Pléistocène moyen (Maba) laissant entendre un possible flux génique entre les hominidés du Pléistocène moyensupérieur en Chine et les néandertaliens en Europe. Le « chignon occipital » observé sur le crâne de Liujiang fait partie de ceux-là. Au niveau du bassin, nous n’avons pas pu mettre en évidence de traits métriques ou non-métriques sur Liujiang qui soient liés à Néandertal. Ruff (2002) a montré que la morphologie et les proportions du corps humain (hauteur du corps relativement à sa largeur et proportions des membres) pouvaient être corrélées avec le climat. La variable utilisée dans cette étude (largeur bi-iliaque/indice de stature) pour comparer l’échantillon moderne et fossile correspond bien à la situation latitudinale des sites. En d’autres termes, les spécimens présentant des valeurs faibles pour cet indice (Liujiang, Minatogawa 2 et 3, hommes modernes d’Afrique et d’Asie) proviennent généralement de zones au climat chaud et humide (ou régions tropicales) alors que ceux dont l’indice est plus élevé (Jinniushan) proviennent de régions plus froides (latitudes nordiques). Nous pouvons déduire de cela, ainsi que des données sur la stature, le poids du corps et la largeur du tronc (largeur biiliaque), que l’homme de Liujiang avait probablement un corps mince avec une surface corporelle plus étendue que les spécimens de climat chaud. Dans cette étude, la moyenne des indices largeur bi-iliaque/stature calculés sur les collections de squelettes modernes de Chine du sud sont de 0,159 (avec une variation allant de 0,155 à 0,162) et 0,164 (de 0,160 à 0,168) pour les individus masculins et féminins, respectivement. Les valeurs de ces indices sont proches de celles de Liujiang et des populations mentionnées ci-dessus provenant de zones chaudes et humides. Il faut noter que pour les hommes modernes de la Chine du nord les valeurs de la moyenne et de la variation de l’indice sont de 0,162 et de 0,154 à 0,170, ce qui est plus proche des valeurs des hommes des régions chaudes que de celles de populations de climat froid. La Fig. 6, modifiée d’après Ruff (1994), présente la distribution de Liujiang, des populations humaines récentes et des hominidés fossiles, dans un graphique bi-varié considérant la largeur bi-iliaque relativement à l’indice de la stature et la stature. Les trois lignes pointillées délimitent les aires de distribution de (de bas en haut) de la largeur bi-iliaque d’une valeur de 23, 27 et 30 cm respectivement. La distribution des populations humaines récentes est généralement corrélée avec les régions géographiques, c’est-à-dire que les populations vivant dans les milieux les plus froids ont une largeur bi-iliaque plus importante. Les hominidés fossiles suivent également le même schéma : les spécimens de Liujiang et de Minatogawa ont une largeur bi-iliaque plus petite que 30 cm alors que ceux de Jinniushan et de Kebara 2 ont des bassins plus larges (quelque soit le dimorphisme sexuel), proches des populations d’Europe et du nord de l’Asie. Les Chinois du sud (hommes et

[()TD$FIG]

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Fig. 6. Graphique bi-varié présentant la largeur bi-iliaque/indice de stature et la stature en cm pour Liujiang, des populations récentes et une série d’hominidés fossiles (modifié d’après Ruff, 1994). Scatter plot of bi-iliac breadth/stature index and stature (cm) for Liujiang, recent human populations, and selected fossils hominins (modified after Ruff, 1994).

femmes du Guangxi) et du nord (Shandong) sont proches des hommes modernes d’Afrique dans la Fig. 6. Enfin, l’augmentation de la taille du cerveau est un des événements les plus importants et les plus spectaculaires de l’évolution humaine. Cependant, la taille absolue du cerveau (la capacité crânienne) ne donne qu’une faible indication du développement du cerveau du fait de recouvrement dans les valeurs des capacités crâniennes des hominidés du Pléistocène et des hommes modernes et parce que la capacité crânienne absolue est liée à la taille du corps. De ce fait, cette variable a peu d’utilité dans une analyse comparative. Pour cette raison, c’est la capacité crânienne relative ou le EQ qui a été préférés (Rightmire, 2004). Même si la taille relative du cerveau est soumise à l’influence de la masse corporelle, des études antérieures ont montré que les variations d’EQ pouvaient fournir une image biologique plus précise que celles de la capacité crânienne absolue au cours de l’évolution humaine. De plus, les valeurs d’EQ calculées avec différentes méthodes produisent les mêmes résultats (Ruff, 2002 ; Ruff et al., 1997). Comme nous l’avons vu, la valeur d’EQ pour le spécimen de Liujiang est de 5,754, ce qui est semblable à celle des hommes du Paléolithique supérieur et aux populations modernes (voir Tableau 5 ; Ruff et al., 1997). À l’inverse, cette valeur est plus élevée que celle des hommes de la grotte supérieure de Zhoukoudian qui datent de 34 000-29 000 ans (Wu et Poirrier, 1995). En fait, seul le spécimen de Minatogawa 2 et, de façon intéressante celui de Dali, présentent une valeur d’EQ proche de celle de Liujiang. Les moyennes pour les Chinois modernes des trois collections étudiées sont très semblables entre elles : 5,321, 5,246 et 5,275 pour les hommes du sud de la Chine, les femmes du sud de la Chine et les hommes du nord de la Chine respectivement. Les valeurs d’EQ pour un intervalle de confiance de 95 % (4,866–5,625) sont également proches (voir Tableau 5 pour le détail). Nos résultats indiquent donc que la valeur d’EQ de l’homme de Liujiang est proche de celle des Chinois modernes du nord comme du sud. Avec les multiples preuves morphologiques fournies, la modernité de l’homme de Liujiang est claire. La présente étude a montré que la morphologie de son bassin, ses proportions corporelles et sa capacité crânienne relative (EQ) ressemblent aux Chinois modernes et témoignent d’une

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adaptation à un climat chaud. C’est pourquoi nous ne pensons pas que les fossiles de Liujiang puissent provenir d’un niveau stratigraphique datant de plus de 100 000 ans. C’est ce que suggère la morphologie sur la base des tendances de l’évolution humaine telles qu’elles sont connues actuellement. De plus, nous sommes en désaccord avec le schéma évolutif suggéré (modèle multirégional) qui repose sur d’anciennes données géochronologiques (datations par les séries de l’Uranium). Par contre, nous n’avons pas de doute sur la possible variabilité morphologique en Asie de l’est pendant le Pléistocène supérieur qui a pu être considérable mais n’a pas encore été appréhendée. C’est un axe de recherche passionnant que notre équipe poursuit maintenant. Remerciements Nous remercions le Professeur Wu Xinzhi pour ses suggestions constructives pour la réalisation de la reconstitution du bassin de Liujiang, le Dr. Amélie Vialet pour la traduction de cet article, le Dr. Timothy Weaver et le Dr. Karen Rosenberg pour les références proposées. Le bassin de Liujiang a été reconstitué par Monsieur Zhao Zhongyi de l’IVPP. Ce travail a été soutenu par le Knowledge Innovation Program of the Chinese Academy of Sciences (KZCX2YW-159), le National Natural Science Foundation of China (40772016, 40972017) et le International Cooperation Program of MST of China (2007DFB20330 et 2009DFB20580). Références Arsuaga, J.L., Lorenzo, C., Carretero, J.M., Gracia, A., Martinez, L., Garcia, N., Bermudez de Castro, J.M., Carbonell, E., 1999. A complete human pelvis from the Middle Pleistocene of Spain. Nature 399, 255–258. Auerbach, B.M., Ruff, C.B., 2004. Human body mass estimation : a comparison of ‘‘morphometric’’ and ‘‘mechanical’’ methods. American Journal of Physical Anthropology 125, 331–342. Brown, P., 1998. The first Mongolids? : Another look at Upper Cave 101, Liujiang and Minatogawa 1. Acta Anthropologica Sinica 17, 255–275. Chen, S. (Ed.), 1998. Forensic Anthropology, People’ Medical Publishing House, Beijing. Coon, C.S., 1976. The Origin of Race. Alfred A. Knopf, New York. Grine, F.E., Jungers, W.L., Tobias, P.V., Pearson, O.M., 1995. Fossil Homo femur from Berg Aukas, northern Namibia. American Journal of Physical Anthropology 26, 67–78. Howells, W.W., 1977. Hominid fossils. In: Howells, W.W., Tsuchitani, P.J. (Eds.), Paleoanthropology in the People’s Republic of China. Committee on Scholarly Communication with the People’s Republic of China, Report 4, National Academy of Sciences, Washington, D.C, pp. 66–78. Huang, W.B., 1979. On the age of the cave - faunas of South China. Vertebrata PalAsiatica 17, 327–343. Lahr, M., Foley, R., 1998. Towards a theory of modern human origins : geography, demography, and diversity in recent human evolution. Yearbook of Physical Anthropology 41, 137–176. Liu, W., Wu, X.J., Wang, S., 2006. Some Problems for the Late Pleistocene human cranium found in Liujiang of South China based on morphological analysis. Acta Anthropologica Sinica 25, 177–194. Liu, W., Zeng, X.L., 1996. The degeneration of third molars and its significance to human evolution. Acta Anthropologica Sinica 15, 185–199. Martin, R., 1981. Relative brain size and basal metabolic rate in terrestrial vertebrates. Nature 293, 57–60. McHenry, H., 1992. Body size and proportions in early hominids. American Journal of Physical Anthropology 87, 407– 431. Mo, S., 1983. Estimation by long bones of Chinese male adults in south China. Acta Anthropologica Sinica 2, 80–85. Rak, Y., 1990. On the differences between two pelves of Mousterian context from the Qafzeh and Kebara caves, Israel. American Journal of Physical Anthropology 81, 323–332. Rak, Y., Arensburg, B., 1987. Kebara 2 Neanderthal pelvis: first look at a complete inlet. American Journal of Physical Anthropology 73, 227–231. Rightmire, G.P., 2004. Brain size and encephalization in Early to Mid-Pleistocene Homo. American Journal of Physical Anthropology 124, 109–123.

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