Annales Me´dico-Psychologiques 169 (2011) 571–577
Communication
Le Zouave Jacob ou la thaumaturgie par le magne´tisme Zouave Jacob or thaumaturgy by magnetism J.-J. Lefre`re a,*,b, P. Berche c a b c
Institut national de la transfusion sanguine, 6, rue Alexandre-Cabanel, 75015 Paris, France Laboratoire d’he´matologie, CHU d’Amiens, 80000 Amiens, France Faculte´ de me´decine Paris-Descartes, 15, rue de l’E´cole-de-me´decine, 75015 Paris, France
I N F O A R T I C L E
R E´ S U M E´
Historique de l’article : Disponible sur Internet le 11 octobre 2011
Sous le Second Empire, un soldat nomme´ Jacob (1828–1913) attira les foules a` Paris en re´alisant de pre´tendues gue´risons miraculeuses. Il suscita un engouement extraordinaire et exerc¸a comme gue´risseur toute sa vie. Il proce´dait par une sorte de psycho-hypnothe´rapie de groupe, qui pre´figurait les me´thodes des e´vange´listes de notre temps. Sa carrie`re et sa biographie sont ici retrace´es, en meˆme temps qu’est de´peinte la manie`re dont il agissait sur sa cliente`le pour la persuader de la gue´rison. ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.
Mots cle´s : Cre´dulite´ Hypnose Magne´tisme
A B S T R A C T
Keywords: Credulity Hypnosis Magnetism
During the Second Empire in France (1828–1913), a soldier called Jacob drew Parisian crowds by performing so-called miraculous cures. The craze that he created allowed to live from his ‘‘miracles’’ all of his life. He performed a kind of group hypno-therapy, which prefigures the methods used by today’s evangelists. His career and biography are depicted here, and an attempt at explaining how he was able convince his patients they were cured. ß 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Le « Zouave Jacob » ? Quelle e´trange appellation ! La poste´rite´ a quelque peu oublie´ ce personnage, mais sa ce´le´brite´ a e´te´ conside´rable dans les dernie`res anne´es du Second Empire. Aujourd’hui, des zouaves de cette e´poque de´ja` lointaine, on ne connaıˆt plus gue`re que celui du pont de l’Alma. Le Zouave Jacob fut pourtant l’un des plus fameux « gue´risseurs » de son sie`cle, un « faiseur de miracles », un « thaumaturge », comme le qualifient quelques dictionnaires biographiques d’autrefois. Henry Auguste Jacob est ne´ le 6 mars 1828 a` Saint-Martin-desChamps, dans la Saoˆne-et-Loire. Apre`s des de´buts obscurs, il s’engage tre`s jeune dans l’arme´e et rejoint, apre`s quelques anne´es dans divers corps, le re´giment des zouaves de la Garde impe´riale a` Paris, ou` il est troisie`me trombone de la musique du re´giment. Ses premiers pas de gue´risseur se situent vers 1865. Comment s’est-il de´couvert ce « don » ? Il pre´tendra qu’un jour de revue, une petite fille s’e´tant blesse´e en tombant devant lui, il l’a releve´e et prise dans ses bras, et, lui ayant dit qu’elle e´tait gue´rie, a vu l’enfant reprendre son chemin en souriant. Ce jour-la`, le « Zouave Jacob » –
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-J. Lefre`re). 0003-4487/$ – see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2011.08.001
telle est l’appellation sous laquelle il va devenir ce´le`bre – a trouve´ sa vocation. Dans le camp de Chaˆlons ou` stationne son re´giment, le bruit se re´pand un jour qu’un soldat a la capacite´ de re´aliser de ve´ritables miracles : ses camarades viennent le trouver lorsqu’ils sont souffrants et repartent en parfaite sante´, en assurant qu’ils doivent ce re´tablissement a` une me´dication extraordinaire : l’autorite´ physique et morale que Jacob semble exercer sur eux. En quelques jours, ce dernier obtient de tels re´sultats que la rumeur quitte le camp et se propage dans la re´gion, puis dans tout le pays : un zouave gue´rit des malades en se contentant de les fixer dans les yeux et de leur affirmer avec force qu’ils sont remis. En peu de temps, l’affluence devient telle que le zouave ne peut plus recevoir ses visiteurs sur place : la foule qui pie´tine chaque jour autour de sa tente apparaissant incompatible avec la discipline, l’autorite´ militaire lui interdit de recevoir ses patients dans l’enceinte du camp. Il ouvre alors une sorte de cabinet de consultation dans un hoˆtel champenois ou` il exerce pendant ses permissions. Mais cette fois encore, sa hie´rarchie doit se´vir, comme ˆ t : « Ce zouave, un il en est fait e´tat dans Le Petit Journal du 7 aou simple musicien, est, depuis trois mois, le he´ros du camp et des environs. C’est un petit homme maigre, brun, aux yeux profonde´ment enfonce´s dans l’orbite [. . .]. On raconte de lui des choses
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incroyables, et je suis bien force´ de ne vous parler que de ce que l’on ˆ , par ordre supe´rieur, raconte, car, depuis plusieurs jours, il a du interrompre les se´ances publiques qu’il donnait a` l’hoˆtel de la Meuse. On venait de dix lieues a` la ronde ; il recevait vingt-cinq a` trente malades a` la fois, et a` sa voix, a` sa vue, a` son toucher, dit-on du moins, subitement les sourds entendaient, les muets parlaient, les boiteux s’en allaient, be´quilles sous le bras. » Quelques mois passent. L’e´motion s’est calme´e, Jacob ne fait plus parler de lui. Mais ses exploits de Chaˆlons ne sont rien en comparaison de l’immense curiosite´ qu’il va soulever, et de la popularite´ bruyante dont il va jouir, lorsque son re´giment vient prendre ses quartiers en re´gion parisienne. Soudain, au printemps de 1867, le bruit court dans la capitale qu’un zouave en garnison a` Versailles gue´rit de nombreux malades par le seul exercice de son magne´tisme. On lui attribue – le mot est imme´diatement prononce´ – des « miracles ». Il exerce dans une vaste pie`ce sise au premier e´tage de la maison du 80, rue de la Roquette, dont le proprie´taire, un certain Dufayet, me´tallurgiste fortune´, e´tait alle´ le trouver a` Chaˆlons pour lui demander de gue´rir sa fille unique : apre`s avoir rencontre´ le zouave, la jeune malade a recouvre´ la sante´ dans des conditions qui ont e´merveille´ le pe`re et les te´moins du fait. Plein d’enthousiasme et de reconnaissance, Dufayet a mis sa demeure a` la disposition du gue´risseur, et ses ouvriers au service de ses consultants, notamment pour aider les infirmes a` monter a` l’e´tage. Un jour par semaine, le zouave vient donc de Versailles et rec¸oit des impotents, des e´clope´s et des malades, par groupes de dix a` vingt. Il passe devant chacun et lui demande : « Qu’est-ce que vous avez ? J’ai des douleurs dans le bras », ou : « J’ai la jambe engourdie », ou : « Je souffre du coˆte´ gauche. » Veˆtu de son bel uniforme rouge, le zouave regarde longuement chaque sujet et lui dit avec brusquerie : « Allez vousen, vous eˆtes gue´ri. » Un peu e´tonne´ par une cure si prompte, le patient n’ose pas dire non, tant ce personnage au regard fascinateur est intimidant. Alors, tout ragaillardi par la confiance et l’espoir, il se sent mieux et s’en va. Devant ce soulagement – sans doute momentane´ mais spectaculaire –, la foule qui attend dans la rue crie chaque fois au prodige. Le retentissement est e´norme. La rue de la Roquette connaıˆt une affluence de malades plus ou moins abandonne´s par la me´decine, avec des sce`nes qui tiennent autant de la cour des Miracles que des convulsionnaires de Saint-Me´dard. La rumeur prend des proportions inouı¨es. Tous les journaux parlent des e´ve´nements surnaturels survenant du coˆte´ de la Bastille. En peu de jours, la France entie`re en est instruite, et la nouvelle passe les frontie`res : la presse des pays les plus e´loigne´s consacre des colonnes a` l’affaire. Le succe`s du zouave est phe´nome´nal, les malades viennent parfois de tre`s loin, meˆme de l’e´tranger, pour le consulter. En quelques semaines, il attire plus de monde que Lourdes en une anne´e ; il est vrai que les premie`res apparitions bigourdanes de la Vierge ne datent que de 1858. Des journalistes font e´videmment le rapprochement entre les « miracles » de la rue de la Roquette et ceux de la grotte de Massabielle. Apre`s une berge`re illettre´e et simplette, pourquoi pas un zouave joueur de trombone ? Les voies de Dieu passent pour eˆtre impe´ne´trables. Le 5 septembre, le zouave obtient de son colonel une permission d’un mois. Il faut dire qu’il dispose de quelques hauts grade´s parmi ses patients. Sur l’un d’eux, pourtant, il ne produit pas de merveilles. Car le mare´chal Forey lui a fait demander de se de´placer dans sa re´sidence de Bourg-la-Reine : le vainqueur de Puebla – et commandant du camp de Chaˆlons depuis quelques mois ! – est he´miple´gique du coˆte´ gauche. Deux aides de camp sont venus que´rir le zouave, mais celui-ci a de´cline´ l’invitation avec cet argument, que rapportera la presse : « Je ne me de´range pas, on vient me consulter, mais il ne m’est pas permis d’aller gue´rir au dehors. Il y aurait la` une infraction a` la loi sur la me´decine, pour laquelle je pourrais eˆtre inquie´te´. » Jacob a persiste´ dans son refus
malgre´ l’insistance des deux e´missaires, qui sont repartis bredouilles. Arrive´s chez leur supe´rieur, ils sont tombe´s sur le mare´chal Canrobert en visite et lui ont fait part de l’insucce`s de leur de´marche : « Je vais vous l’amener, moi, a de´clare´ Canrobert a` Forey, et avant deux heures. » Deux heures apre`s, en effet, le zouave est a` Bourg-la-Reine. A` sa demande, Forey est descendu dans le jardin, sur une civie`re porte´e par des gens de maison, et Jacob demande qu’on le laisse seul avec lui. Quelques instants plus tard, l’entourage du mare´chal le voit faire quelques pas dans une alle´e, s’appuyant d’une main sur l’e´paule du zouave, se soutenant d’une canne de l’autre : « Comme ils atteignaient le perron, les assistants, de´ja` e´merveille´s, virent le mare´chal Forey s’arreˆter tout a` coup et serrer dans ses bras la teˆte de Jacob, qu’il embrassa avec effusion ; puis, comme Sixte-Quint au Vatican, jeter sa canne en l’air, pardessus les arbres, et gravir les marches d’un pied alerte, comme un e´colier en re´cre´ation. » Tel est le re´cit publie´ dans La Petite Presse. Mais le lendemain, le capitaine Bidot, un des aides de camp de Forey, adresse a` ce journal, avec l’assentiment de son supe´rieur, cette rectification qui vient quelque peu briser le charme : « Votre journal a publie´, dans son ˆ t, une historiette tre`s gaie et tre`s amusante, j’en nume´ro du 24 aou conviens, mais qui a le tort d’eˆtre pre´sente´e comme le re´cit d’un fait re´el [. . .]. Le mare´chal marche de´ja` depuis trois mois, appuye´ d’un coˆte´ sur une canne, et de l’autre faiblement soutenu a` l’e´paule par un domestique qui n’est la` que comme pre´caution [. . .]. Le mare´chal marchait ainsi dans son jardin lorsque Jacob lui fut pre´sente´. Sans autre pre´ambule que le salut d’usage dans l’arme´e, le zouave de´gagea le mare´chal, malgre´ sa re´sistance premie`re, d’abord de son domestique, dont il prit la place et les fonctions de soutien, puis de sa canne, et contraignit alors le malade a` faire usage, pour se soutenir, de toutes les forces dont sont susceptibles ses membres affaiblis. Appelant a` lui toute l’e´nergie dont est ˆ t faire ainsi, sans le capable sa puissante volonte´, le mare´chal pu secours de sa canne, mais en tre´buchant, en pliant souvent sur luimeˆme, une trentaine de pas, et, brise´ de fatigue par ces douloureux efforts, il s’assit e´puise´ sur un fauteuil. Ce fut la` toute la se´ance, ce fut la` tout le re´sultat obtenu. Ce qu’a fait le Zouave Jacob, c’est d’enlever au mare´chal ses moyens de soutien, et le forcer, tout en se tenant pre`s de lui en cas d’accident, a` lutter contre une chute pendant un court instant, car quelques pas pe´niblement effectue´s pour maintenir l’e´quilibre toujours chancelant ne peuvent s’appeler une marche. Apre`s le de´part du zouave, le mare´chal reprenait prudemment et sagement sa canne et son domestique, qui, s’ils n’ont pas le me´rite du merveilleux, ont celui, beaucoup plus profitable, de la se´curite´, en cette circonstance, au moins. » Les partisans du zouave diront qu’un vieux grade´ e´tait trop habitue´ a` commander pour se laisser intimider par un simple soldat et se soumettre a` son autorite´. Quant a` Jacob, qui ne se pre´tend nullement infaillible, il commente ses e´checs le plus simplement du monde : ignorant la source de son « pouvoir », il ne saurait expliquer les raisons de ses insucce`s, qu’il affirme ne pas eˆtre de son fait. Il laisse entendre qu’il n’y a rien de miraculeux ni de surnaturel dans les gue´risons qu’il obtient, qu’il est simplement doue´ d’une « puissance fluidique » inde´pendante de sa volonte´, et qui se manifeste avec plus ou moins d’e´nergie selon les circonstances et le milieu ou` il se trouve : le fluide qu’il de´gage gue´rit certaines maladies chez certaines personnes, sans qu’il en sache lui-meˆme le pourquoi et le comment. Autrement dit, il existerait, selon lui, un don de gue´rison comme il existe un don pour la musique ou un don pour le dessin. Les te´moignages sur l’efficacite´ du zouave n’en ont pas moins la faveur de la presse. Dans une lettre publie´e dans Le Petit Journal, le comte de Chateauvillard raconte qu’il a e´te´ gue´ri de sa paralysie, se´ance tenante et a` son grand e´tonnement, par le zouave : « Il fit le tour des malades, disant a` chacun sa maladie ; puis, sans les
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Fig. 1. Le Zouave Jacob. Gravure.
toucher, il dit aux paralytiques : Levez-vous ! et les paralytiques se leve`rent ; j’e´tais du nombre et je le fis sans effort. » Au meˆme moment, un certain Auguste Hardy publie une monographie intitule´e Les Miracles de la rue de la Roquette. Histoire merveilleuse du zouave gue´risseur, illustre´e par une gravure repre´sentant le zouave debout, le bras e´tendu en un geste dominateur, et de´versant a` profusion son fluide bienfaisant sur la foule des infirmes prosterne´s a` ses pieds. Suit, en un style dithyrambique, le re´cit des miracles re´alise´s (Fig. 1 et 2). Dans les premiers temps, la presse accorde presque unanimement un grand prestige au zouave vis-a`-vis duquel elle ne montre curieusement ni incre´dulite´ ni scepticisme. Les prouesses du soldat gue´risseur auront e´te´ un des grands e´ve´nements me´diatiques de l’anne´e 1867. Dans le meˆme temps, Paris pre´sente, en une gigantesque Exposition universelle, divers spe´cimens du ge´nie humain dans les arts, les sciences et les industries. Paradoxale cohabitation, dans une meˆme ville, des manifestations de l’obscurantisme et de celles du progre`s ! Certes, quelques voix s’e´le`vent pour protester. Les autorite´s me´dicales contestent la re´alite´ du pouvoir de Jacob. Que le zouave ne va-t-il ope´rer ses miracles dans un hoˆpital sous les yeux de praticiens compe´tents, a` meˆme d’appre´cier l’authenticite´ de ses « gue´risons » ? C’est qu’il craint trop le de´menti des hommes de science ! Un docteur Simplice cherche ainsi a` de´noncer l’imposture ˆ t 1867 : « Ou le Zouave Jacob n’est dans L’Union me´dicale du 24 aou qu’un mystificateur, et alors il semble que cette mystification a dure´ assez longtemps ; ou il emploie adroitement quelques moyens the´rapeutiques qui, par hasard et de temps a` autre, peuvent produire de bons re´sultats, et alors il faut envoyer le Zouave Jacob a` l’Acade´mie de me´decine devant la commission des reme`des secrets ou nouveaux ; ou bien le Zouave Jacob produit, en effet, des miracles, et, dans ce cas, il faut inviter l’archeveˆque de
Fig. 2. Le Zouave Jacob vu par Andre´ Gill.
Paris, et les grands vicaires, et les chanoines, et les cure´s du dioce`se a` venir constater ces miracles, et a` faire toutes les informations prescrites par le rituel. S’il y a plaisanterie, il importe d’y mettre un terme ; s’il y a miracle, qu’on le dise ; dans tous les cas, il y a exercice ille´gal de la me´decine, et la loi ne peut eˆtre plus longtemps et aussi impune´ment viole´e. » La presse spirite, elle, est naturellement – et litte´ralement – aux anges. La presse religieuse, a` l’oppose´, condamne le pre´tendu thaumaturge, s’indignant de voir conside´rer ses gue´risons comme miraculeuses. On comprend que l’E´glise se soit e´mue : en plein Paris du Second Empire, un inconnu renouvelle les prodiges de l’E´vangile. Une partie de la population se demande si le zouave ne serait pas doue´ d’un pouvoir surnaturel, de qui il le tiendrait, et si l’e´poque ne serait pas revenue au temps des miracles. Quelques chroniqueurs avancent que Jacob est juif – « presumably a Jew », lit-on dans The Utah Magazine du 18 janvier 1868 (la re´putation du gue´risseur sera alle´e jusque-la` !) –, Juif comme Je´sus, car le paralle`le est e´videmment fait devant cette foule qui assie`ge et idolaˆtre le zouave, comme jadis celle qui suivait le Christ en Galile´e. De la` a` penser que Jacob est le Sauveur re´incarne´, il n’y a plus tre`s loin. Si certains esprits admettent ces gue´risons spectaculaires comme l’effet d’une loi de nature inconnue, s’exerc¸ant a` travers un individu doue´ d’une puissance magne´tique intense – le magne´tisme rencontre alors une cre´dulite´ extraordinaire –, d’autres le voient comme un « fascinateur naı¨f qui croit a` la coope´ration des esprits ». Car les proce´de´s du zouave se rapportent nettement au spiritisme. Ne lui arrive-t-il pas de tomber en « vision extatique » et de percevoir le « fluide des esprits blancs » qui produit ses gue´risons ? Lorsqu’il se recueille et prie pour les
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Fig. 3. Le Zouave Jacob. Portrait paru dans Le Petit Journal du 24 octobre 1913.
malades re´unis chez lui, il affirme voir des esprits venus l’assister et s’associant a` son action. En fait, comme la plupart des me´diums, une fois en pre´sence de son « patient », il agit intuitivement, presque inconsciemment, ce qu’il signalera d’ailleurs lui-meˆme dans son livre Les Pense´es du Zouave Jacob. On ne saura jamais s’il eut la ferme croyance d’eˆtre re´ellement pourvu d’un pouvoir surnaturel agissant sur la physiologie et l’organisme de ses semblables, ou s’il n’a e´te´ qu’un charlatan usant et abusant de la cre´dulite´ publique. Les tenants de cette dernie`re hypothe`se souhaitent l’incarce´ration du zouave comme imposteur, mais sans la solliciter publiquement, comprenant que ce serait lui accorder ce qui lui manque encore pour passer pour saint : devenir un martyr. Paradoxalement, ce sont les enthousiastes qui vont faire plus de tort au zouave que les incre´dules. Car l’encombrement qui se produit chaque jour rue de la Roquette est devenu tel que les boutiquiers du quartier de la Bastille finissent par porter plainte : ils veulent faire de´guerpir ce bienfaiteur de l’Humanite´ qui trouble leur tranquillite´ et fait du tort a` leur commerce. Il faut dire que, de`s les premiers « miracles », il a e´te´ ne´cessaire d’organiser un service d’ordre pour canaliser le long ruban des infirmes et des malades venus que´mander l’aide du nouvel Esculape, dans son temple de cette rue de la Roquette qui conduit aussi au Pe`re-Lachaise. Les habitants du quartier font grief au zouave du flot des patients qui viennent a` lui, entre mille et deux mille par jour. Il leur fait dire que ce n’est pas lui qui les incite a` venir, et qu’il ne les a pas convoque´s par des annonces. En fin de compte, bien que le Faubourg SaintAntoine et la place de la Bastille en aient vu (et en verront sans doute) bien d’autres, la police ordonne a` Jacob de suspendre ses se´ances, tandis que l’autorite´ militaire, lasse de voir un de ses zouaves de´laisser son trombone pour jouer les gue´risseurs dans le
Fig. 4. La tombe du Zouave Jacob.
civil, le rappelle a` son poste de Versailles. Pour e´viter l’arrestation, Jacob obtempe`re. Un matin, les visiteurs attendent en vain devant sa porte : le gue´risseur est parti sans crier gare. En 1868, il n’est plus du tout question du zouave, qui a disparu de l’horizon. A` peine si un journal demande ce qu’il est advenu de « cet homme e´trange qui [. . .] a eu le don d’e´motionner pendant trois jours Paris et la France entie`re, et de faire accourir sur son passage une multitude de boiteux et de mare´chaux de France, dont plusieurs, lorsque les plaisanteries ont commence´, ont pre´tendu n’avoir jamais bouge´ de chez eux. . . ». En re´alite´, Jacob n’a pas de´finitivement disparu. En octobre 1868, il a de´missionne´ de l’arme´e et s’est installe´, en compagnie de son pe`re – qui lui sert de portier, d’assistant et de caissier – dans une maison de Passy, ou` il a repris ses se´ances, suspendues sur ordre l’anne´e pre´ce´dente. Il va ainsi jouer les gue´risseurs jusqu’a` la fin de sa vie. La presse ne lui accordera plus gue`re d’attention, sauf quand il aura des ennuis avec la justice. En 1883, a` l’occasion d’un proce`s, un journal imprimera : « Tout le monde le croyait mort », montrant que l’on ne passe pas impune´ment de la gloire mondiale a` une simple notorie´te´ de quartier. Le second semestre de 1871 voit le zouave e´tabli dans une salle de la rue du Faubourg-du-Temple. Un peu plus tard, le voila` dans un cabinet de consultation a` Saint-Ouen. Le local ne de´semplit pas, sans recre´er cependant l’affluence incontroˆlable de la rue de la Roquette. Par la suite, il occupera un petit pavillon de l’avenue Mac-Mahon, puis, au tournant du sie`cle, une petite maison a` Auteuil. Jusqu’a` la fin de sa vie, de nombreux visiteurs viendront s’en remettre a` lui du soin de les de´livrer de leurs maux,
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et son antichambre sera toujours bonde´e aux heures de consultation, avec une bonne centaine de patients par jour. Depuis le camp de Chaˆlons et l’he´roı¨que saison du coˆte´ de la Bastille, Jacob a eu le temps de perfectionner la mise en sce`ne de son ce´re´monial, que divers te´moignages permettent de reconstituer. Glissons-nous, spectateurs muets, dans la salle de consultation, quoique le zouave n’admette, en sa pre´sence, personne qui ne soit re´ellement malade ou infirme : ceux qui se pre´sentaient autrefois devant la maison de la rue de la Roquette mus par la seule curiosite´ e´taient condamne´s a` pie´tiner sans fin dans la salle d’attente. Pas de public, pas de te´moins inutiles : Jacob appliquera toujours cette re`gle. La dimension du local a toujours de´termine´, dans la pratique du gue´risseur, le nombre de malades rec¸us par se´ance : dix, vingt, parfois trente. Ceux-ci sont installe´s sur des bancs de bois par le pe`re de Jacob, qui leur a confisque´ leurs be´quilles ou leurs cannes, entassant celles-ci dans un coin, derrie`re la porte. Ils attendent, sages et silencieux, fige´s dans l’attitude de recueillement que leur inspire l’aspect myste´rieux de l’endroit. Jacob ne fait son entre´e que lorsque la salle est pleine. Si certains sont en train de papoter a` voix basse, il leur commande sans me´nagement de se taire, usant du langage de corps de garde qui lui est habituel : « Silence ! Ceux qui parlent, je les fous a` la porte ! » Pour ses miracles en chambre, Jacob proce`de par une sorte de psycho-hypnothe´rapie de groupe, qui pre´figure les me´thodes des e´vange´listes de notre temps : la gue´rison par persuasion autoritaire. Dans l’espace que les bancs laissent vide, il se tient debout, teˆte nue, dans un costume de circonstance : depuis son de´part de l’arme´e, il ne porte e´videmment plus son uniforme de zouave, mais arbore un e´trange veˆtement qui ne manque pas de caracte`re : c’est une sorte de burnous blanc descendant jusqu’aux genoux et auquel est attache´, comme a` une robe de moine, un grand capuchon. Ses pieds sont nus dans des sandales a` brides. Il garde les mains jointes. L’ensemble lui donne vaguement une allure de derviche. De son ancien emploi, il a garde´ l’allure militaire. La teˆte est chenue, avec une expression e´nergique, une barbe en pointe, une chevelure grisonnante he´risse´e et rejete´e en arrie`re, des traits virils et accentue´s, et surtout un regard vif, inquisiteur, de´rangeant. Jacob semble me´diter intense´ment. Au bout d’une dizaine de minutes de silence et d’immobilite´ ge´ne´rale, il invoque l’esprit de Krishna : « Gue´ris-les, si tu veux. Moi, pauvre interme´diaire, je me soumets a` ta volonte´ ! » Il a, a` cet instant, les yeux mi-clos, et son visage prend une expression mystique. Puis il commence a` s’adresser aux malades, s’inte´resse a` chacun d’eux, l’interroge rarement, mais lui de´clare ce qu’il e´prouve : son pe`re a e´videmment eu soin de l’informer de chaque cas, et la pause de me´ditation silencieuse lui a permis d’observer chacun a` son insu. Si le thaumaturge n’a pas de baquet comme son pre´de´cesseur Mesmer, il n’a non plus ni le caracte`re, ni les allures, ni le langage des saints de l’imagerie populaire. Il exerce son talent dans les conditions les plus prosaı¨ques, jouant avec la brusquerie et meˆme la rudesse de ses propos. Par le pouvoir de ses yeux, de sa gestuelle et de sa parole – roulement d’yeux et quasi-immobilite´ –, il impressionne ses clients, voire les e´pouvante par des regards furibonds, auxquels il adjoint, a` l’occasion, des e´pithe`tes sale´es. Il sait bien que pour une large part, sa re´ussite est lie´e a` son autorite´ et a` son assurance, a` la vertu des mots consolateurs : un thaumaturge est avant tout un the´rapeute de la parole. La foi du malade en sa gue´rison fait le reste : « Vous allez mieux ! – Oui, je vais mieux. » Parfois, le patient est un peu malmene´ : le zouave le prend aux e´paules, le fixe d’un air dominateur, le secoue fortement et lui lance avec conviction : « Tu es gue´ri. » Car l’ancien zouave a le tutoiement facile, meˆme si ses malades, toujours re´ve´rencieux, lui donnent tous du « Monsieur Jacob » et boivent ses paroles : « C’est toi qui e´tais si malade ? Ah ! les jambes ! Elles sont gue´ries ? – Oui, monsieur Jacob ! » « Pendant trois ans, j’ai eu des ne´vralgies. C’est
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passe´. Maintenant, j’ai mal aux pieds. – Tu marches trop. Fais ce que je te dis et tu gue´riras. » D’autres fois, au grand e´tonnement du sujet, Jacob lui cite les me´dications qu’il a prises : « Vous vous eˆtes fait empoisonner avec de l’opium et de l’aconit, et vous vous eˆtes nourri de porc sale´ et de viandes saignantes. – Oui, Monsieur ! – Taisez-vous, je n’ai pas besoin que vous me le disiez, puisque je le sens ! » La spe´cialite´ du zouave reste la paralysie, pour laquelle sa me´thode ne manque pas de simplicite´. Ayant prive´ le patient de ses be´quilles – parfait conditionnement pour fragiliser un paralytique plus habitue´ a` eˆtre assiste´ et secouru –, il le de´visage avec intensite´ et lui commande, de la manie`re la plus pe´remptoire qui soit, de faire quelques pas : « Marchez ! Je vous ordonne de marcher ! » Dans ce domaine des paralysies « nerveuses » connu pour ses « gue´risons miraculeuses » toujours spectaculaires, il est incontestable qu’il est arrive´ a` Jacob d’obtenir quelques re´sultats. Pour la plupart, les consultants sont des femmes du peuple qui e´talent, sur leurs genoux, les linges que le fluide du zouave doit impressionner. Ce dernier s’arreˆte devant l’une d’elles et la fixe : « Ou` souffrez-vous ? – Au bras. – Vous ne souffrez pas ? – Non, je ne souffre plus », re´pond la patiente charme´e de recevoir du fluide a` pleines brasse´es. Une vieille grogne : « Ce sont mes boyaux qui me cuisent ». Le zouave lui secoue le ventre a` pleines mains. Bientoˆt, elle s’e´crie : « C¸a va mieux, je suis gue´rie ! – Quand je vous le disais ! », re´pond-il. Lorsque Jacob juge que son fluide a suffisamment rayonne´, les visiteurs ont droit a` une petite home´lie avant d’eˆtre conge´die´s. C’est souvent un petit sermon sur l’hygie`ne, toujours e´nonce´ en termes accessibles a` tous. La tempe´rance leur est vivement recommande´e : de l’eau, pas de viande de boucherie ni de charcuterie, pas de lait (« surtout pas de lait, c¸a fait du fromage sur l’estomac »), beaucoup de farineux, des le´gumes, presque pas de vin mais de l’eau, filtre´e ou bouillie, manger tre`s peu le soir, du cafe´ une fois le dimanche, jamais de bie`re. Pour finir, un petit topo destine´ aux dames : ne jamais faire de mise`re aux hommes, bien les recevoir, meˆme s’ils rentrent le soir en ayant bu un verre de trop, leur faire de´sirer et aimer le foyer. Pendant ce discours, Jacob a enfin de´croise´ les mains et accompagne son propos d’un geste enveloppant, presque caˆlin : « Mes amis, vous voila` gue´ris ou bien pre`s de l’eˆtre ; que ceux qui se sentiront plus mal se re´jouissent, c’est la re´action, et la gue´rison est proche. Maintenant, e´coutezmoi bien [. . .]. Les me´decins et les pharmaciens sont venus avec leurs drogues qui vous ont rendus malades. Cet avertissement ne vous a pas suffi, les chirurgiens ont accouru avec leur coutelas pour vous couper les membres, vous ouvrir le ventre et finalement vous gue´rir a` jamais de tous vos maux avec quatre planches de sapin. Vous voila` pre´venus. » C’est fini, chacun se le`ve. Certains vont re´cupe´rer la petite bouteille qu’ils ont de´pose´e en arrivant sur la chemine´e : elle est a` pre´sent tout impre´gne´e de ce fluide qu’ils vont pouvoir emporter a` la maison pour profiter encore de l’effet gue´risseur du zouave. Ceux qui veulent remercier avant de partir se voient rabroue´s. Jacob leur re´pond, tre`s militairement, qu’il n’a que faire de marques de gratitude et les pousse dehors : « Vos remerciements, c’est a` la Providence qu’il faut les adresser. » La plupart des malades laissent une obole au pe`re de leur bienfaiteur. C’est la tradition. Les implorateurs, de toute manie`re, sont ge´ne´ralement de petites gens n’ayant pas les moyens de payer bien cher l’illusoire gue´rison qu’ils viennent chercher aupre`s de cette manie`re de sorcier qu’accre´dite une re´putation quasi le´gendaire. L’ex-zouave ne re´clame en effet jamais d’honoraires et fait savoir qu’il exerce son don gratuitement. Il ne re´dige e´videmment jamais d’ordonnance – il en serait bien incapable – ni ne prescrit la moindre potion, ce qui lui e´vitera a` plusieurs reprises d’eˆtre condamne´ pour exercice ille´gal de la me´decine, ou lui vaudra de ne re´colter que des peines le´ge`res : difficile de coincer pour
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charlatanisme un homme qui ne demande rien pour ses soins, qui ne veut pas meˆme de remerciements : aucune loi n’interdit de gue´rir les gens en les regardant. Son action en faveur de l’Humanite´ en souffrance, rien qu’en l’affirmant soulage´e ou gue´rie, n’en aura pas moins procure´ a` Jacob, pendant presque un demi-sie`cle, bon souper et bon gıˆte. Car s’il ne prend rien pour prix de son intervention, il ne refuse pas les cadeaux qu’une cliente`le reconnaissante se sent oblige´e de lui faire, discre`tement et par un interme´diaire. Il tire aussi de notables revenus de la vente de sa photographie – un franc –, ainsi que de quelques confe´rences et des imprime´s qui paraissent sous sa signature [2,3,5–7]. Lui-meˆme est presque illettre´, mais il sait trouver des plumes de´voue´es. En 1868, l’anne´e qui suit ses performances de la rue de la Roquette, il publie une monographie intitule´e Les Pense´es du Zouave Jacob, pre´ce´de´es de sa prie`re et de la manie`re de gue´rir soi-meˆme ceux qui souffrent : un pathos mystique ou` les phrases e´chevele´es ne manquent pas. L’anne´e 1868 voit encore paraıˆtre L’Hygie`ne naturelle, par le Zouave Jacob, ou l’Art de conserver sa sante´ et de se gue´rir soi-meˆme. Il y aura aussi, en 1906, un Almanach the´urgique du Zouave Jacob, the´urge gue´risseur, qui fait commencer l’anne´e, au me´pris des calculs astronomiques, au premier jour du printemps et remplace hardiment les saints du calendrier par les bienfaiteurs de l’Humanite´. En plusieurs occasions, Jacob doit comparaıˆtre pour exercice ille´gal de la me´decine, en vertu de l’article 35 de la loi du 19 ventoˆse an XI [8]. Son affaire la plus de´licate est le proce`s que lui intente, en 1883, une vieille femme qui s’est confie´e a` lui pour une ankylose du coude gauche : il lui a pris le bras pour juger de sa mobilite´, mais a` peine l’a-t-il tire´ en arrie`re qu’un craquement s’est fait entendre. Les chirurgiens de l’hoˆpital Lariboisie`re, de´signe´s comme experts par le tribunal, concluent que le zouave est bien responsable de la fracture. Jacob, qui se passe ge´ne´ralement d’avocat dans ses proce`s, assure sa propre de´fense et atteste qu’il a seulement touche´ le bras et l’e´paule de sa patiente : constatant une fracture pre´existante, il lui aurait conseille´ de consulter un me´decin. La Justice l’ayant reconnu coupable de blessure par imprudence et d’exercice ille´gal de la me´decine, Jacob est condamne´ a` six jours de prison, a` une amende de six cents francs et a` cinq cents francs de dommages inte´reˆts. En 1909 – il est alors aˆge´ de 81 ans –, le zouave comparaıˆt une dernie`re fois devant la Dixie`me Chambre correctionnelle, sur une nouvelle plainte du Syndicat des me´decins du de´partement. Il est acquitte´. En fait, chaque fois, ces proce`s lui ont redonne´ du lustre et un regain de popularite´. Ils lui ont surtout procure´ de nouveaux patients (Fig. 3). Son propre fluide n’a pas permis au zouave de vivre e´ternellement. Il a cesse´ d’en e´mettre le 23 octobre 1913, a` 85 ans [1,4]. Il aura garde´ des fide`les jusqu’au bout, conservant assez de cre´dit aupre`s d’eux pour que se constituaˆt une petite chapelle. Sa tombe au cimetie`re de Gentilly (Fig. 4), situe´e dans la bien nomme´e alle´e
du Sommet, est aujourd’hui surmonte´e par son buste en bronze, qui se dresse sur fond des tours du XIIIe arrondissement, entre le boulevard circulaire et le stade Charle´ty. La ste`le porte cette mention : Iesus Christna, Re´dempteur des Indous (INRI, en abre´ge´ !). Pre`s d’un sie`cle apre`s sa disparition, le zouave fait l’objet d’un culte discret : sa tombe est toujours orne´e de fleurs par des visiteurs qui en attendent peut-eˆtre une hypothe´tique gue´rison – le fluide a` travers le marbre, en une consultation post mortem ? Quelques plaques fune´raires (« Ses malades reconnaissants ») attestent que le zouave avait encore, ces dernie`res de´cennies, quelques adeptes. Telle est l’histoire du Zouave Jacob, de gue´rissante me´moire, qui sut jouer du trombone comme de la cre´dulite´ populaire. Il a sa place dans cet univers bizarre des hypnotiseurs, des magne´tiseurs et des me´diums qui ont fascine´ toute une e´poque. Il apparaıˆt aujourd’hui qu’il agissait par la suggestion, proce´de´ encore inconnu dans le temps ou` il ope´rait. Lourdes continue de recevoir chaque anne´e des centaines de milliers de visiteurs. Ne s’e´tant mis dans le giron d’aucune E´glise, Jacob ne suscite plus une telle ferveur. Pourtant, on ne saura jamais qui, de Bernadette Soubirous ou du zouave de la rue de la Roquette, aura obtenu le plus de « gue´risons miraculeuses ». Beaucoup de be´quilles abandonne´es e´taient accroche´es, comme autant de trophe´es, dans l’antichambre du zouave. Il y en a e´galement un certain nombre, de nos jours, dans la grotte de Massabielle. ˆ ts De´claration d’inte´re Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.
Re´fe´rences [1] Biographie du Zouave Jacob. « Clarte´s nouvelles »; 1er mars 1936. [2] Charlatanisme de la me´decine, son ignorance et ses dangers, de´voile´s par le Zouave Jacob, appuye´s par les assertions des ce´le´brite´s me´dicales et scientifiques depuis Hippocrate jusqu’a` Claude Bernard. Chez l’auteur; 1877. [3] Confe´rences sur les erreurs et les dangers des enseignants et pratiques des sectes sacerdotales, me´dicales, magne´tiques et hypnotiques, par le Zouave Jacob, d’apre`s les te´moignages e´crits des plus grandes ce´le´brite´s : Hippocrate, Sydenham, Magendie, le me´decin trappiste de Breyne, Broussais, Trousseau, Bichat. Chez l’auteur; 1887. [4] Le Zouave Jacob. L’« e´cho du merveilleux »; 1er novembre 1913. [5] Les Pense´es du Zouave Jacob, pre´ce´de´es de sa prie`re et de la manie`re de gue´rir soi-meˆme ceux qui souffrent. Paris; 1868. [6] L’Hygie`ne naturelle, par le Zouave Jacob, ou l’art de conserver sa sante´ et de se gue´rir soi-meˆme. Paris : imprimerie de Alcan-Le´vy; 1868. [7] Poisons et contrepoisons, de´voile´s par le Zouave Jacob. Paris: imprimerie de Alcan-Le´vy; 1871. [8] Police correctionnelle. Proce`s du Zouave Jacob. Charlatanisme, ignorance, impuissance et agonie des corporations me´dicales, publie´s par le Zouave Jacob. Bureau de la re´daction de la Revue the´urgique; 1891.
Discussion Pr B. Lafont – Je remercie l’intervenant pour la qualite´ et l’inte´reˆt de sa communication. Connaıˆt-on le de´roulement de sa carrie`re militaire et si ses campagnes sont la re´ve´lation de son « don » ? Pr M. Laxenaire – Je tenais a` signaler que l’histoire du Zouave Jacob s’inscrit dans l’histoire plus large de l’hypnose au XIXe sie`cle. Depuis Mesmer et en passant par l’abbe´ de Faria et le marquis de Puyse´gur, les foules e´taient fascine´es par les phe´nome`nes de suggestion et d’hypnose. Ce qu’accomplissait le zouave rue de la Roquette n’e´tait gue`re diffe´rent de ce que faisait le Dr Lie´bault a`
Nancy. Dans son cabinet, rue Bellevue, se pressait e´galement une foule nombreuse avide d’eˆtre soulage´e de ses troubles. Le phe´nome`ne s’est poursuivi jusqu’a` la guerre de 1914, et Bernheim lui a donne´ ses titres de noblesse scientifique en insistant sur la dimension suggestive du phe´nome`ne. Dr J.-P. Luaute´ – Vous dites que le phe´nome`ne s’est arreˆte´ en 1913, je voudrais a` ce sujet vous demander si le Zouave Jacob avait d’autres dons, en particulier s’il pratiquait la voyance ? Parce que, au sujet de la voyance, le phe´nome`ne ne s’est pas arreˆte´ en 1913 ;
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il y a meˆme une page entie`re dans un grand quotidien qui re´habilite plus ou moins la voyance. Re´ponse du rapporteur – Le Zouave Jacob s’est engage´ dans l’arme´e vers 16 ans et a servi successivement au Septie`me Hussards en Afrique, au Dix-huitie`me de Ligne, au Seizie`me d’Artillerie, au Troisie`me Lanciers, enfin aux Zouaves de la Garde impe´riale a` Paris, ou` il e´tait troisie`me trombone de la musique du re´giment. Il a fait les campagnes d’Alge´rie et de Crime´e, dont il portait les me´dailles. Voila` pour sa carrie`re militaire. Toutefois, la gloire ne lui est pas venue sur les champs de bataille. Sa notorie´te´ est ne´e d’une activite´ qui n’a rien de militaire : ce pre´tendu pouvoir de gue´rir les maux et les infirmite´s de ses contemporains. S’il a de´couvert ce « don » alors qu’il e´tait soldat, et si ses premiers patients ont e´te´ des militaires, on ne peut pas dire que l’arme´e ait aide´ sa carrie`re de thaumaturge. Au contraire, des restrictions lui ont e´te´ rapidement impose´es, et il a quitte´ l’uniforme pour exercer librement.
DOI de l’article original : 10.1016/j.amp.2011.08.001 0003-4487/$ – see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.amp.2011.08.002
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Sur la deuxie`me remarque, que j’approuve tout a` fait, on peut aussi se demander si l’utilisation pre´tendument the´rapeutique de ces phe´nome`nes de suggestion et d’hypnose n’a pas eu d’autres prolongements dans le temps. Je pense en particulier a` ces pre´dicateurs e´vange´listes qui pullulent de nos jours aux E´tats-Unis et dont les prestations sont parfois retransmises sur des chaıˆnes de te´le´vision locales. Enfin, quant a` la troisie`me question, le Zouave Jacob n’a jamais, a` ma connaissance du moins, pre´tendu a` l’exercice de la voyance. Son e´poque avait de´ja` eu la fameuse Henriette Coue´don, qui exerc¸a dans les anne´es 1890 et dont le grand titre de gloire fut d’avoir annonce´, en vers dicte´s par l’archange Gabriel – je n’invente rien – l’incendie du Bazar de la Charite´, ou`, le 4 mai 1897, flamba une partie de l’aristocratie fe´minine de la capitale. Notre zouave, lui, s’est contente´ de persuader des gens simples qu’ils e´taient gue´ris. De mauvais esprits soutiendront que des zouaves de cet acabit exercent encore aujourd’hui, mais faut-il les croire. . .