La Revue de médecine interne 30 (2009) 475–476
Éditorial
L’infection par le virus de l’immunodéficience humaine, 25 ans après Human immunodeficiency virus infection, 25 years later C. Goujard a,∗ , A. Lévy b , J.-F. Delfraissy a a
Service de médecine interne, hôpital Bicêtre, faculté de médecine, université Paris-11 Sud, 78, rue du Général-Leclerc, 94275 Le-Kremlin-Bicêtre cedex, France b Service de médecine interne, hôpital Béclère, faculté de médecine, université Paris-11 Sud, 157, rue de la Porte-de-Trivaux, 92141 Clamart cedex, France Disponible sur Internet le 5 avril 2009
Mots clés : VIH ; Sida Keywords: HIV; AIDS
Le Prix Nobel de médecine attribué en 2008 à deux chercheurs franc¸ais, les professeurs Montagnier et Barré-Sinoussi, a couronné la découverte de l’agent d’une mystérieuse maladie évoquée dans la revue du CDC d’Atlanta en juin 1981. En 1983, le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) était identifié à l’Institut Pasteur de Paris, puis aux États-Unis par R. Gallo. Les premiers tests de dépistage apparurent en 1985. À l’époque, le sida se lisait sur les visages, la discrimination était forte. De véritables hécatombes décimaient surtout les homosexuels et les toxicomanes dans les pays du Nord, les adultes jeunes et les enfants dans les pays du Sud. La reconnaissance de l’infection, tardive dans de nombreux pays, et l’absence initiale de thérapeutique expliquent la diffusion de l’épidémie qui restera un événement majeur du xxe siècle. En 25 ans, 25 millions de personnes dans le monde sont décédées du sida, 33 millions vivent actuellement avec le virus. Chaque année, trois millions de nouvelles personnes sont infectées et deux millions meurent encore [1]. Les pays du Sud, les plus pauvres, sont les plus touchés, mais les problèmes sont loin d’être résolus au Nord. En France, 35 000 décès sont survenus et, malgré les campagnes de prévention, le nombre de nouvelles contaminations reste stable autour de 5000 par an alors que la mortalité a baissé progressivement pour atteindre un taux de décès de 1,3 pour 100 patient-années. On estime maintenant entre 110 000 à 130 000 le nombre de personnes infectées dont 35 000 ignorent leur séropositivité [2]. Depuis 25 ans, dans ce contexte d’urgence scientifique fortement médiatisé, renforcé par l’activisme des associations de patients, nous avons assisté à une formidable avancée des
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Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Goujard).
connaissances, grâce à une recherche fondamentale et clinique extrêmement active et à une recherche en sciences humaines et sociales, soutenues par des organismes dédiés dont l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites (ANRS) en France. Les outils de surveillance de l’infection ont évolué avec la mesure de la charge virale et permis l’évaluation de l’extrême diversité virale entre les continents, entre les individus et à l’échelon individuel suite aux capacités de mutation du VIH. Les origines du VIH sont mieux connues et la paléovirologie démontre que les premières souches ont émergé en Afrique centrale au début du xxe siècle à partir d’un réservoir naturel simien. La pandémie du VIH aurait débuté dans les années 1960, pour ensuite s’étendre sur les cinq continents avec la mobilité des sujets infectés [3]. Cette diversité virale rend compte de l’échec de la mise au point d’un vaccin préventif. La physiopathologie du VIH est mieux connue, avec la reconnaissance de ses effets complexes sur le système immunitaire et d’une grande hétérogénéité de progression de l’infection. Les profils évolutifs des patients sont très variables, entre les « progresseurs rapides » évoluant vers un déficit immunitaire en quelques années, les « non-progresseurs » gardant un niveau de lymphocytes TCD4+ normal et les « contrôleurs » capables de limiter spontanément la réplication virale. Les mécanismes de défense antivirale reposent d’abord sur l’immunité innée, puis sur l’immunité cellulaire spécifique anti-VIH alors que la réponse humorale est souvent inefficace pour neutraliser le virus [4]. Cette défense antivirale fait intervenir des paramètres viraux, mais aussi des caractéristiques de l’hôte, abordés par des recherches génétiques et plus récemment génomiques. Les médicaments antirétroviraux, et surtout leurs associations, ont conduit à une modification radicale du pronostic des patients, passant d’une infection constamment mortelle en une
0248-8663/$ – see front matter © 2009 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.02.020
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dizaine d’années à une maladie chronique où l’espérance de vie rejoint celle des personnes non infectées, sous réserve d’une restauration immunitaire optimale et d’une adhésion thérapeutique soutenue [5,6]. Progressivement ont été développées des molécules plus faciles à prendre, mieux tolérées, et de nouvelles classes thérapeutiques permettent d’améliorer le pronostic à tous les stades de l’infection et de prévenir la transmission maternofœtale du VIH, voire sa transmission sexuelle [2]. En parallèle, la qualité de vie des patients a progressé. Néanmoins, la toxicité cumulée des antirétroviraux, le vieillissement des personnes vivant avec le VIH, les conséquences du VIH et ses interactions avec les processus inflammatoires, en particulier vasculaires et cérébraux, la diversité de la morbidité et de la mortalité observée rendent encore incertain le devenir des patients [2,7,8]. Cela justifie la poursuite d’une prise en charge multidisciplinaire associant cliniciens hospitaliers et de ville, en interface avec les chercheurs, d’une population extrêmement diversifiée, voire précaire, vis-à-vis de laquelle la discrimination persiste souvent. Les grands enjeux reposent maintenant sur : • l’éradication virale, jusqu’à maintenant jamais observée spontanément, ni sous traitement ; • l’étude de nouvelles actions de prévention utilisant les antirétroviraux et la recherche vaccinale ; • l’évaluation de nouvelles modalités rapides et « banalisées » de dépistage pour favoriser un traitement plus précoce. Au-delà, le rapport 2008 sur l’épidémie mondiale déclare que : « Le monde voit, enfin, des avancées réelles dans sa riposte au sida. Mais ce n’est qu’un début. Après 27 ans, l’épidémie de
sida continue de défier tous nos efforts. Le sida est un problème extrêmement complexe qui demande une réponse sans égal de la part de l’ensemble des secteurs de la société, dans le monde entier. Mais il est de plus en plus clair qu’avec la volonté et les ressources nécessaires, nous pouvons y parvenir » [2]. Ainsi, 25 ans après la découverte du VIH, l’espoir est enfin permis, mais la solidarité et la réduction des disparités Nord–Sud restent d’actualité, surtout dans le contexte socioéconomique actuel. Références [1] http://www.unaids.org. Onusida/08.25F / JC1510F [version franc¸aise, août 2008]. [2] Rapport 2008, sous la direction du Pr Patrick Yeni. Prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH. Recommandations du groupe d’experts. Paris : Flammarion Médecine-Sciences; 2008 [consultable sur http://www.sante.gouv.fr]. [3] Worobey M, Gemmel M, Teuwen DE, Haselkorn T, Kunstman K, Bunce M, et al. Direct evidence of extensive diversity of HIV-1 in Kinshasa by 1960. Nature 2008;455:661–4. [4] Lambotte O. Infection par le VIH et contrôle spontané de l’infection. Rev Med Interne 2007;28:203–5. [5] Lewden C, Chene G, Morlat P, Raffi F, Dupon M, Dellamonica P, et al. HIV-infected adults with a CD4 cell count greater than 500 cells/mm3 on long-term combination antiretroviral therapy reach same mortality rates as the general population. J Acquir Immune Defic Syndr 2007;46:72–7. [6] Chaix F, Goujard C. Actualités sur les traitements de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Rev Med Interne 2009;30:543–54. [7] Leclercq P, Blanc M. Anomalies métaboliques, lipodystrophie et risque cardiovasculaire chez les patients infectés par le VIH. Rev Prat 2006;56: 87–94. [8] Lewden C, May T, Rosenthal E, Burty C, Bonnet F, Costagliola D, et al. Changes in causes of death among adults infected by HIV between 2000 and 2005: The “Mortality 2000 and 2005” surveys. J Acquir Immune Defic Syndr 2008;48:590–8.