Annales Françaises d’Anesthésie et de Réanimation 22 (2003) 527–530 www.elsevier.com/locate/annfar
Club d’infectiologie
Mécanismes de résistance aux bêtalactamines de Pseudomonas aeruginosa Mechanism of resistance to betalactam antibiotics in Pseudomonas aeruginosa P. Nordmann * Hôpital de Bicêtre, 78, rue du Général-Leclerc, 94270 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France
Mots clés : Pseudomonas aeruginosa ; Bêtalactamine ; Antibiotique ; Résistance Keywords: Pseudomonas aeruginosa; Betalactams; Antibiotic; Resistance
L’une des règles admises pour l’antibiothérapie dans le traitement des infections à Pseudomonas aeruginosa est d’utiliser une association incluant une bêtalactamine et un autre antibiotique, le plus souvent aminoside ou quinolone. Les bêtalactamines sont la pierre angulaire de l’association. Cependant leur utilisation doit être adaptée aux mécanismes de résistance aux bêtalactamines de Pseudomonas aeruginosa. 1. Multiplicité des systèmes de résistance P. aeruginosa dispose pour contrer l’efficacité des bêtalactamines d’une quinzaine de systèmes connus à ce jour [1,2]. Il peut s’agir de systèmes d’imperméabilité ou d’efflux actif, éventuellement associés. Cependant les pompes d’efflux sont encore mal connues et leur importance clinique n’est pas clairement définie. De plus, ils ne sont pas encore accessibles à l’identification en routine de laboratoire. L’essentiel de l’exposé portera donc sur les mécanismes classiques de résistance non liée à une imperméabilité ou à un efflux. 2. Céphalosporinases naturelles Toutes les souches de P. aeruginosa disposent d’une céphalosporinase de type chromosomique et inductible, ce * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Nordmann). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0750-7658(03)00170-9
qui signifie que son expression peut être déréprimée. Cette céphalosporinase naturelle induit une résistance à l’amoxiciline, à l’acide clavulanique et aux céphalosporines de première et deuxième génération (C1G, C2G) — céfalotine et céfoxitine notamment. Les souches sauvages restent sensibles à la ticarcilline et la pipéracilline ; à la ceftazidime, la cefzulodine, le cefpirome, le céfépime ; à l’aztréonam et bien sûr à l’imipénème. Certaines souches peuvent être sensibles au céfotaxime mais elles sont le plus souvent intermédiaires, voire résistantes, en raison d’une imperméabilité relative du pyocyanique aux bêtalactamines, comparativement par exemple au colibacille.
3. Hyperproduction de céphalosporinases La résistance de P. aeruginosa par hyperproduction de céphalosporinases est connue de longue date. Elle résulte d’une dérépression permanente et stable du gène de la céphalosporinase, liée à une mutation d’un gène de régulation. Elle induit une résistance à toutes les bêtalactamines, à l’exception des carbapénèmes. Les niveaux de résistance aux C3G et C4G sont variables. Actuellement, selon les pays et les centres, l’hyperproduction de céphalosporinases est le fait de 7–15 % des souches. Elle est favorisée par l’utilisation des antibiotiques en monothérapie. Sur l’antibiogramme, la souche devient résistante ou intermédiaire à tous les antibiotiques précédemment cités, à l’exception des carbapénèmes.
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Fig. 1. Répartition mondiale des différents types de carbapénèmases produites par Pseudomonas aeruginosa.
4. Pénicillinases transférables de spectre restreint Par rapport aux souches sauvages, ces pénicillinases (ou oxacillinases) entraînent une résistance supplémentaire aux uréidopénicillines (pipéracilline, ticarcilline) et à la cefsulodine. Une sensibilité à l’association d’une uréidopénicilline et d’un inhibiteur (sulbactam ou acide clavulanique) est parfois, mais non constamment, préservée, car les inhibiteurs sont faiblement actifs sur ces pénicillinases, notamment la carbénicillinase de type 1 (PSE-1). La ceftazidime et l’imipénème restent actifs, mais le céfépime, le cefpirome ou l’aztréonam ne le sont qu’inconstamment. Selon les données de l’Observatoire national portant sur les 5 dernières années, 11 % des P. aeruginosa possèdent ces pénicillinases à spectre étroit (PSE), dont 90 % de PSE-1.
spectre de substrats mais ne sont pas liées génétiquement. Ce sont des enzymes redoutables, puisqu’elles induisent une résistance à toutes les bêtalactamines, à l’exception de l’imipénème [3]. Cette exception même est menacée par certaines BLSE, de type GES-2, dont le spectre s’étend à l’imipénème [4,5].
5. Bêtalactamases à spectre étendu
La prévalence exacte des souches productrices de BLSE serait faible en France. Cependant, il faut nuancer ce propos optimiste en soulignant que dans certains cas la production de BLSE n’est pas aisée à mettre en évidence sur un antibiogramme standard. La situation est beaucoup plus préoccupante dans certains pays, notamment en Turquie, sur le pourtour méditerranéen et en Asie du sud-est. La prévalence atteint 11 % en Turquie et jusqu’à 50 % en Thaïlande. La cause possible pourrait être la conjonction d’infrastructures hospitalières inadaptées, rendant difficile l’application des règles d’hygiène et d’une consommation large d’antibiotiques à des doses probablement sous optimales.
Les bêtalactamases dites à spectre étendu inhibées par l’acide clavulanique (BLSE) sont apparues plus récemment que les précédentes et restent au premier plan de l’actualité. Contrairement à ce que l’on avait pu croire, les BLSE ne sont pas l’apanage des entérobactéries. Il en existe plusieurs, produites par différents gènes ou familles de gènes : non seulement TEM et SHV, comme chez les entérobactéries, mais aussi PER-1, VEB-1, GES-1/2... Elles ont le même
En microbiologie clinique, on peut soupçonner l’existence d’une BLSE lorsque l’on constate une synergie entre la ceftazidime (ou le céfpirome, ou le céfépime) et un antibiotique contenant l’acide clavulanique. Cependant cela peut passer inaperçu car il existe un effet inoculum qui peut masquer la synergie. Certaines BLSE ont des propriétés supplémentaires. L’une d’entre elles a été reconnue en Afrique du Sud sur la
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Tableau 1 Phénotypes de résistance aux bêtalactamines et mécanismes de résistance Pénicillinase Ticarcilline Pipéracilline–tazobactam Ceftazidime Céfépime Imipénème
R I/S* S S S
Céphalosporinase hyperproduite R R I/R I S
BLSE
Carbapénémase
Efflux (oprM)
Perte de porine D2
R S* R R S
R R R R R
I S S I/S S
S S S S R
BLSE, bêtalactamase à spectre étendu ; * sensibilité in vitro.
constatation d’une synergie entre l’imipénème et l’association ticarcilline–acide clavulanique (Claventin®) [6]. C’est la première BLSE identifiée dont le spectre s’étende à l’imipénème. Elle est apparue dans le contexte d’une large utilisation de l’imipénème sans antibiogramme préalable. 6. Résistance non enzymatique à l’imipénème La perte de la porine D2 s’accompagne d’une résistance à l’imipénème et le plus souvent aux fluoroquinolones, alors que les autres bêtalactamines restent actives. Ce mécanisme est relativement fréquent, touchant de 15–20 % des souches en France [7].
tation de l’efflux actif [9]. L’efflux actif de type MexA– MexB–OprM induit une résistance ou une diminution de la sensibilité à la ticarcilline et à l’aztréonam, alors que la sensibilité à la pipéracilline et à la ceftazidime est conservée. Avec MexC–MexD–OprJ, c’est la sensibilité au cefpirome et au céfépime qui est diminuée ou abolie. MexE, MexF, OprN induisent en outre une résistance à l’imipénème.
9. Résumé des phénotypes de résistance Les différents phénotypes possibles sont résumés dans le Tableau 1, avec leur fréquence et les choix thérapeutiques qui en découlent.
7. Production de carbapénémases 10. Conclusion P. aeruginosa peut aussi produire des carbapénémases [8]. Ces enzymes diffèrent des BLSE : ce sont des métalloprotéines, chromosomiques ou plasmidiques. Elles sont de type IMP ou VIM. Les premières d’entre elles ont été décrites au Japon en 1990, à une époque où ce pays était le seul à disposer en thérapeutique de 3 carbapénèmes différents, ce qui a probablement créé une pression de sélection. Le pourcentage de souches productrices de carbapénémases atteignait dans ce pays 1,7 % en 1997, selon une enquête menée à l’échelon national. Selon des sources officieuses, il aurait atteint 4 % en 2001. Ces enzymes sont redoutables car elles induisent une résistance de haut niveau à toutes les bêtalactamines, à l’exception de l’aztréonam qui n’est pas un antipyocyanique majeur. Fait aggravant, il s’y associe une résistance croisée constante aux aminosides. En France, il a déjà été décrit une épidémie importante dans un hôpital à Marseille. Des souches ont également été isolées de façon sporadique à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches et au centre hospitalier universitaire de Nantes. C’est une question d’ores et déjà préoccupante et qui n’épargne aucun continent (Fig. 1). La détection des carbapénémases par les techniques bactériologiques de routine n’est pas aisée, ce qui augmente les difficultés de surveillance épidémiologique. 8. Mécanismes non enzymatiques La résistance de P. aeruginosa aux antibiotiques peut aussi résulter non pas d’une hydrolyse, mais d’une augmen-
Globalement, les niveaux de sensibilité du pyocyanique aux différents antibiotiques ont connu depuis une dizaine d’années en France une relative stabilité. À l’inverse, la diversité croissante des mécanismes de résistance mis en œuvre par cette bactérie est un sujet de préoccupation. Elle pourrait conduire à l’émergence de bactéries ayant accumulé dans leur génome les différentes résistances et devenues capables, comme cela s’est vu au Japon, de résister à toutes les bêtalactamines connues.
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