Ann Fr Anesth Réanim 2002 ; 21 : 295-8 © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765802005907/SCO
Cas clinique
Méningite grave à pneumocoque et allergie à la ceftriaxone S. Mérat*, J.M. Rousseau, M. Lerecouvreux, I. Vincenti-Rouquette, L. Brinquin Département d’anesthésie-réanimation, hôpital d’instruction des armées du Val de Grâce, 74, boulevard de Port Royal, 75005, Paris, France
RE´SUME´ Nous rapportons le cas d’un homme de 51 ans aux antécédents d’allergie à l’AugmentinT présentant une méningite grave à pneumocoque, traitée initialement par une association d’antibiotiques comprenant de la ceftriaxone. Après six jours de traitement une éruption cutanée apparaissait et le diagnostic d’allergie à la ceftriaxone était confirmé par le dosage des IgE spécifiques. Classiquement, le traitement des méningites à pneumocoque repose sur une association comprenant de la vancomycine et une céphalosporine de troisième génération. La possibilité d’une réaction croisée lors d’une allergie aux bêtalactamines doit conduire à discuter cette antibiothérapie. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS méningite / ceftriaxone / allergie
ABSTRACT Severe Streptococcus pneumoniae meningitis with ceftriaxone allergy. We report the case of a 51-year-old man with an allergy to amoxicillin/acid clavulanique who presented with Streptococcus pneumoniae meningitis. Initial treatment consisted of an association of antibiotics including ceftriaxone. Six days after treatment was initiated the patient developed skin reaction and the diagnosis of allergy to ceftriaxone was established by the dosage of specific IgE. Typically Streptococcus pneumoniae meningitis is treated with vancomycin and a third-generation cephalosporin. This association had to be modified because cross allergy to cephalosporins could have developed in this patient who had previously
Reçu le 12 juillet 2001 ; accepté le 10 novembre 2001. *Correspondance et tirés à part. Adresse e-mail :
[email protected] (S. Mérat).
reacted to penicillins. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS meningitis / ceftriaxone / allergy
L’antibiothérapie initiale d’une méningite grave à pneumocoque fait appel à l’association d’une bêtalactamine (céfotaxime ou ceftriaxone) et d’un glycopeptide [1-3]. Ce choix peut être discuté chez un patient allergique aux bêta-lactamines. En effet, bien que l’allergie aux céphalosporines de troisième génération (C3G) soit moins fréquente qu’avec les autres bêta-lactamines, il a été rapporté des réactions croisées parfois gravissimes [4]. Nous rapportons le cas d’un homme de 51 ans aux antécédents de choc anaphylactique à l’amoxicillineacide clavulanique (Augmentint) et qui a présenté une allergie à la ceftriaxone lors du traitement d’une méningite grave à pneumocoque. Cette observation pose le problème du choix de l’antibiotique lors du traitement d’une méningite à pneumocoque chez un patient allergique aux bêtalactamines. OBSERVATION Un homme de 51 ans a présenté à son domicile, de façon brutale, des convulsions fébriles puis un coma. Ces convulsions étaient survenues au repos, sans lien évident avec l’activité professionnelle ou l’habitus du patient. À l’arrivée des secours, il persistait un état tonicoclonique prédominant à l’hémicorps droit ; le score de Glasgow était évalué à 5. La température centrale
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était de 41 °C. Il existait une hypotension artérielle. L’état du patient nécessitait une intubation trachéale, une sédation et un remplissage vasculaire. À l’admission dans le service de réanimation le patient était apyrétique. On observait une insuffisance circulatoire avec des marbrures des membres inférieurs et une pression artérielle systolique comprise entre 80 et 100 mmHg sous 8 µg·kg–1·min–1 de dopamine, une insuffisance rénale oligo-anurique avec une créatinémie à 222 µmol·L–1, une rhabdomyolyse avec des CPK à 12 572 UI·L–1 et une atteinte hépatique avec cytolyse (ASAT à quatre fois la normale à la 24e heure) sans insuffisance hépatocellulaire. L’interrogatoire de l’entourage révélait un traumatisme crânien grave quatre ans auparavant avec un hématome sous-dural bilatéral, une fracture temporale gauche avec brèche ostéoméningée et rhinorrhée persistante, malgré une tentative de fermeture chirurgicale et nécessitant un traitement médical par acétazolamide (Diamoxt). L’état vaccinal concernant la vaccination anti-pneumococcique n’était pas connu. Le diagnostic de méningo-encéphalite évoqué par les antécédents et le tableau clinique était confirmé par une ponction lombaire qui mettait en évidence la présence de pneumocoques dans le liquide céphalorachidien (LCR). L’antibiogramme montrait secondairement un pneumocoque de sensibilité non diminuée à la pénicilline avec une CMI pour la pénicilline G < 0,06 mg·L–1 et pour la ceftriaxone < 0,5 mg·L–1. Par ailleurs, deux hémocultures revenaient positives à pneumocoque quelques heures après le début de la prise en charge. Une IRM affirmait la présence d’une sinusite sphénoïdale et d’un comblement des sinus frontaux, et montrait l’absence de thrombophlébite cérébrale. Un traitement antibiotique a été immédiatement débuté suivant les recommandations de la conférence de consensus [1] tout en sachant que ce patient était porteur d’une allergie aux bêta-lactamines avec la notion d’un choc anaphylactique à l’amoxicillineacide clavulanique. Notre choix s’est porté sur une association comprenant de la ceftriaxone à la dose initiale de 2 g administrée en perfusion deux fois par jour, les doses journalières ultérieures étant adaptées à la fonction rénale, et de la vancomycine à raison de 15 mg·kg–1·h–1 en dose de charge, puis 40 mg·kg–1·j–1 en perfusion continue adaptée aux concentrations résiduelles.
Après six jours d’antibiothérapie apparaissait une éruption cutanée, de type allergique non accompagnée de modifications hémodynamiques. L’insuffisance rénale ne semblait pas s’être majorée comme les autres défaillances viscérales. La ceftriaxone était alors remplacée par la fosfomycine, le LCR étant stérile sur la ponction lombaire de contrôle, réalisée devant l’absence d’amélioration de l’état clinique du patient. Des prélèvements sanguins ont permis de confirmer l’existence d’une allergie à la ceftriaxone : dosage des IgE spécifiques fortement positif, confirmé par un test d’inhibition positif. La concentration résiduelle plasmatique de ceftriaxone, plusieurs heures après la dernière injection, était également très élevée : 128 mg·L–1 (ce qui correspond à celle normalement observée une heure après une injection intraveineuse de 1 gramme). L’évolution de cette méningo-encéphalite paraissait dans un premier temps favorable avec le contrôle du choc septique et l’arrêt des amines à j5. La cytolyse, l’insuffisance hépatocellulaire (TP à 23 %, facteur V à 35 %) et l’insuffisance rénale étaient partiellement corrigées à j15 après hémodiafiltration continue puis hémodialyse conventionnelle. Les troubles de la coagulation ont cependant été à l’origine d’une hémorragie intracrânienne entraînant le décès à j18. DISCUSSION Le traitement de la méningite à pneumocoque repose en première intention sur l’amoxicilline, lorsque la souche a une sensibilité conservée. En cas de signe de gravité ou de sensibilité diminuée, l’association de céfotaxime ou de ceftriaxone avec de la vancomycine est proposée [1]. La survenue de signes de gravité (défaillance multiviscérale) dès la prise en charge de ce patient nous a conduit à choisir l’association ceftriaxone et vancomycine, bien que nous connaissions l’antécédent de choc anaphylactique à l’amoxicilline-acide clavulanique, et en l’absence de recommandations proposées par la conférence de consensus [1]. L’emploi de la ceftriaxone peut exposer le patient à des effets secondaires, le plus souvent à type de troubles gastro-intestinaux dans près de 4 % des cas. En effet à la différence des autres C3G, la ceftriaxone a une élimination urinaire mais également biliaire. Des réactions d’hypersensibilité liées à la ceftriaxone
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peuvent également survenir dans 1,6 % à 2,8 % des cas [5]. Il s’agit principalement de manifestations cutanées, prurit, fièvre, frissons et bronchospasme [6]. Les perturbations des examens sanguins sont plus fréquentes et ont pu concerner 19 % des patients sous ceftriaxone dont 14 % présentaient des anomalies hématologiques (hyperéosinophilie, leucopénie), 5 % des perturbations du bilan hépatique et 2 % de la fonction rénale [7]. L’âge et le mode d’administration en une ou plusieurs doses journalières ne semblent pas avoir d’influence sur la survenue de ces effets indésirables. Certains auteurs rapportent des cas d’hypersensibilité immédiate de type I à la ceftriaxone sans que des IgE spécifiques soient toujours mises en évidence [8-10]. Dans ces observations la ceftriaxone avait parfois déjà été utilisée plusieurs mois auparavant sans aucun effet secondaire. Le tableau clinique comporte presque toujours des signes cutanés importants suivis d’un choc allergique. L’origine allergique est ensuite confirmée par des tests biologiques qui montrent souvent des réactions croisées avec d’autres C3G ou d’autres bêta-lactamines. Dans notre observation les manifestations d’hypersensibilité se sont essentiellement manifestées par une éruption cutanée. Sur le plan de la fonction rénale, chez ce patient hémodiafiltré puis bénéficiant d’une épuration extrarénale séquentielle, l’insuffisance rénale s’est accentuée lors de l’épisode allergique, la créatinémie et l’urée sanguine ayant augmenté progressivement à partir du cinquième jour de façon contemporaine à l’apparition des signes cutanés. Cependant l’insuffisance rénale de ce patient est probablement multifactorielle, et on ne peut pas la rattacher uniquement à l’allergie à la ceftriaxone, d’autant plus que d’autres facteurs de risque de néphrotoxicité étaient présents comme l’administration de vancomycine. Trois principaux mécanismes peuvent expliquer cette insuffisance rénale : – une hypovolémie relative et/ou la répercussion du choc septique sur la fonction rénale ; – une atteinte rénale directe. On sait que 56 % des insuffisances rénales aiguës médicamenteuses sont dues à une nécrose tubulaire aiguë par accumulation de principes actifs [11]. Or le dosage de la concentration de ceftriaxone chez notre patient a montré que ce dernier était très élevé ;
– la survenue d’une néphropathie interstitielle aiguë d’origine immuno-allergique. Ceci a été démontré pour d’autres C3G dont la ceftazidime, mais pas pour la ceftriaxone [12]. Le choix d’une antibiothérapie appropriée chez un patient victime d’une méningite à pneumocoque et allergique aux bêta-lactamines n’est pas univoque. Les conséquences de l’allergie à la ceftriaxone ne semblent pas être la cause directe du décès de notre patient. Sa survenue a néanmoins pu compliquer l’évolution de cette pathologie infectieuse grave, ce qui nous a fait interrompre son administration pour la remplacer par un autre antibiotique actif sur le germe incriminé. Des auteurs ont proposé l’association vancomycine et rifampicine lors d’une méningite à pneumocoque ayant une CMI > 2 mg·L–1 aux C3G [2]. Il est permis de penser que dans notre cas de méningite grave à pneumocoque de sensibilité conservée cette association aurait été une alternative adéquate afin d’éviter l’emploi d’une C3G chez un patient allergique aux bêta-lactamines. CONCLUSION Le traitement des méningites à pneumocoque, en fonction de la sensibilité du germe et de la gravité du tableau clinique, est codifié et repose sur l’association entre des C3G et la vancomycine. En cas d’allergie aux bêta-lactamines, le choix d’une C3G est délicat du fait de la possibilité, même rare, d’une réaction croisée. Dans ce cas une autre association d’antibiotiques semble justifiée, comme l’association vancomycine et rifampicine. RE´ FE´ RENCES 1 Les méningites purulentes communautaires (texte long du consensus). 9e conférence de consensus en thérapeutique antiinfectieuse : les méningites purulentes communautaires. Méd Mal Infect 1996 ; 26 : 952-73. 2 Bruneel F, Wolff M. Méningites aiguës. Encycl Méd Chir (Elsevier, Paris). Neurologie, 17-160-C-10, 2000. 12 p. 3 Quagliarella VJ, Scheld WM. Treatment of bacterial meningitis. N Engl J Med 1997 ; 336 : 708-16. 4 Norrby SR. Side effects of cephalosporins. Drugs 1987 ; 34 (Suppl 2) : 105-20. 5 Havas L, Fernex M, Kissling M. Literature survey on the clinical efficacy and tolerance of ceftriaxone: an analysis of 3961 cases. In : Progress in therapy of bacterial infections. A new cephalosporin: ceftriaxone. Proceedings of a symposium. Amsterdam : Excerpta Medica 1983. p. 130-45. 6 Moskovitz BL. Clinical adverse effects during ceftriaxone therapy. Am J Med 1984 ; 77 : 84-8.
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