Ne pas confondre malades et maladies

Ne pas confondre malades et maladies

en ligne sur / on line on Presse Med. 2006; 35: 1680–1681 © 2006 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés. Éditorial www.masson.fr/revues/pm Ne pa...

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Presse Med. 2006; 35: 1680–1681 © 2006 Elsevier Masson SAS Tous droits réservés.

Éditorial

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Ne pas confondre malades et maladies Gérard Lorette Université François-Rabelais, Service de Dermatologie, CHU Trousseau, Tours (37)

Correspondance : Gérard Lorette, Université François-Rabelais, Service de Dermatologie, CHU Trousseau, 37044 Tours Cedex. [email protected]

L

a nature ne produit pas des maladies toutes faites. Il y a des agents pathogènes qui agissent sur des individus plus ou moins réceptifs et produisent des manifestations variées. Les maladies sont des concepts fabriqués à partir de ces manifestations dans un but d’explication et de mémorisation. Mais ce que nous rencontrons tous les jours ce sont des malades, c’est plus intéressant mais aussi beaucoup plus complexe.

Les maladies sont des concepts Les maladies résultent presque toujours de faits observés. Ceux-ci sont peu spécifiques : fièvre, érythème, douleurs articulaires, anémie, etc. Un travail de synthèse et de classification permet d’établir des tableaux plus ou moins précis : ce sont les maladies. Cette organisation des connaissances est très ancienne, elle a même sans doute toujours existé à partir du moment ou les hommes ont eu conscience d’être malades. Ce n’est qu’ensuite qu’un substratum physiopathologique a été introduit quand il a pu être trouvé. La maladie est donc un regroupement avec en général une forme typique et des formes cliniques plus ou moins nombreuses. Le concept de syndrome n’apporte pas de clarification supplémentaire. C’est tantôt un regroupement de symptômes, tantôt une maladie sans cause connue ; mais quand une cause est reconnue secondairement c’est souvent le terme de syndrome qui continue à être utilisé [1].

La définition des maladies n’est pas toujours précise

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Souvent, les aspects cliniques existant chez nos patients différent beaucoup des stéréotypes, même si on y ajoute de nombreuses formes cliniques. Les malades ont souvent plusieurs maladies, ils prennent plusieurs médicaments, ils ont des terrains génétiques différents, ils subissent des modifications physiologiques liées à l’âge, etc. Des syndromes cliniques semblables peuvent être causés par des agents infectieux, des anticorps ou des mutations géniques différents. A l’inverse une même cause, infectieuse par exemple, peut produire des aspects cliniques très tome 35 > n°1-12 > novembre 2006 > cahier 2 doi: 10.1016/j.lpm.2006.10.006

Les critères des maladies évoluent au fil du temps Les maladies ont une vie limitée dans le temps, certaines disparaissent alors que d’autres apparaissent, certaines se segmentent. Par exemple au 19e siècle le terme « pemphigus » caractérisait les maladies bulleuses, puis au fur et à mesure des avancées scientifiques on a séparé les formes infectieuses (« pemphigus épidémique ») et les formes idiopathiques selon des caractères cliniques puis selon le niveau de décollement épidermique en histologie, c’est ainsi que sont apparus le « pemphigus malin », la « pemphigoïde » à grosses bulles, la « dermatite herpétiforme » à petites bulles…puis les subdivisions ont continué avec la mise en évidence d’anticorps en immunofluorescence puis par immunomarquages, une nouvelle entité le « pemphigus paranéoplasique » est même apparue il y a quelques années. Il en est de même dans le domaine des maladies éruptives infantiles, certaines ont disparu, on s’aperçoit que les aspects cliniques hier « typiques » sont dus en fait à des virus différents et qu’il n’y a pas de signes pathognomoniques

Trop s’attacher à la maladie peut bloquer la réflexion En pratique le concept de maladie s’il est une étape indispensable à la connaissance risque d’être une gène si on ne sait pas oublier rapidement la maladie pour s’intéresser au malade. Pendant longtemps l’enseignement de la médecine a été fondé sur les maladies, on apprenait les signes de la typhoïde, de l’érythème noueux ou de l’œdème aigu du poumon. L’étudiant devait savoir réciter les différents signes cliniques de telle ou telle maladie, la liste des examens complémentaires à pratiquer,

tome 35 > n°1-12 > novembre 2006 > cahier 2

la liste des traitements à mettre en œuvre. Jusqu’à une période récente les examens de fin d’année, le concours de l’internat reposaient sur ce principe d’apprentissage. Les jeunes médecins se plaignaient ensuite que la réalité de leur pratique était différente de ce qu’ils avaient appris à la faculté. Les épreuves classantes nationales (ECN) qui ont remplacé l’internat ont pris en compte cette réalité et les étudiants sont interrogés maintenant sur des cas plus complexes, éventuellement multidisciplinaires, plus proches de la réalité. Il est d’ailleurs conseillé aux rédacteurs de questions pour les ECN de partir de véritables observations pour rédiger les dossiers et les questions. Se contenter du savoir sur les maladies c’est risquer des simplifications abusives, c’est risquer de ne pas reconnaître les faits inhabituels ou nouveaux. Il faut donc apprendre les maladies puis prendre du recul. Les maladies ne doivent jamais cacher la réalité des malades, les médecins doivent refuser le confort du diagnostic « évident » et remettre sans cesse en cause leurs avis. Leur attention doit toujours rester en alerte. S’interroger cela veut dire aussi se garder de toute affirmation non démontrée et comme toujours continuer à travailler. L’article consacré dans ce numéro à la fibromyalgie et à sa place par rapport aux syndromes douloureux inexpliqués [3] nous rappelle opportunément que le concept de maladie ou de syndrome ne doit pas bloquer la réflexion ni l’interrompre. La fibromyalgie est un cadre particulièrement intéressant : depuis la fin des années 1980 on a classé sous cette étiquette des malades qui souffrent, qui sont vus le plus souvent par des rhumatologues, mais qui n’ont pas d’atteinte articulaire. La cause demeure inconnue mais ces malades ont des concentrations augmentées de substance P dans le liquide céphalorachidien. Il n’existe pourtant pas d’examen complémentaire permettant d’affirmer le diagnostic. Les signes cliniques sont variés mais centrés autour de la fatigue et de la douleur. Les traitements utilisés sont multiples [4]. On comprend le caractère pratique d’avoir regroupé ces malades sous une même étiquette « fibromyalgie », mais on comprend aussi combien ceci risque d’être réducteur en masquant la diversité des malades. Il ne s’agit pas dans la mise au point que nous publions dans ce numéro [3] d’opposer rhumatologues et psychiatres mais plutôt de continuer à réfléchir sur le sens de cet ensemble de symptômes.

Références 1 2

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Churchill’s Medical Dictionary. New York: Churchill Livingstone; 1989 (2120 p). Roguedas AM, Machet L, Fontès V. Lorette g. Dermatite atopique: quels sont les critères diagnostiques utilises dans la littérature médicale. Ann Dermatol Venereol. 2004; 131: 161-4. El-Hage W, Lamy C, Goupille P, Gaillard P, Camus V. Fibromyalgies : une maladie du traumatisme psychique? Presse Med; 2006. Leventhal LJ. Management of fibromyalgia. Ann Intern Med. 1999; 131: 850-8.

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différents. Les moyens d’investigation ont aussi changé l’aspect des maladies en permettant des diagnostics plus précoces : Trousseau faisait le diagnostic de péricardite par percussion du thorax ce qui indiquait un volume de liquide conséquent, maintenant une sérosité minime est mise en évidence par échographie cardiaque chez des malades peu symptomatiques. Dans d’autres situations la clinique est si complexe ou imprécise que l’on doit recourir à des scores pour tenter d’établir un diagnostic. Malgré un nom commun de maladie lupique, quelle relation existe-t-il entre un lupus érythémateux aigu disséminé avec une éruption du visage, une atteinte rénale, un taux élevé d’anticorps anti ADN et un lupus subaigu avec une éruption annulaire du tronc, sans atteinte systémique, sans anticorps anti ADN mais avec des anticorps anti SSA ? Ceci sans entrer plus dans le détail des panniculites lupiques ou des connectivites intriquées. La définition des maladies est suffisamment imprécise pour que dans les études scientifiques on soit obligé de dire parmi les critères possibles d’une maladie lesquels on a utilisé. Un article étudiant les critères diagnostiques utilisés pendant une période déterminée pour caractériser la dermatite atopique dans les études publiées nous a montré que cette maladie a été affirmée sur des critères très différents et qu’il est improbable qu’elles aient porté sur les mêmes types de malades [2].

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