Opinions des soignants des réanimations pédiatriques françaises sur l’application de la loi Léonetti

Opinions des soignants des réanimations pédiatriques françaises sur l’application de la loi Léonetti

Rec¸u le : 1er mars 2013 Accepte´ le : 23 octobre 2013 Disponible en ligne 4 de´cembre 2013 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect...

319KB Sizes 8 Downloads 36 Views

Rec¸u le : 1er mars 2013 Accepte´ le : 23 octobre 2013 Disponible en ligne 4 de´cembre 2013

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Me´moire original

Opinions des soignants des re´animations pe´diatriques franc¸aises sur l’application de la loi Le´onetti§ French law related to patient’s rights and end of life: Pediatric intensive care unit’s health professionals’ opinions L. de Saint Blanquata,*, R. Cremerb, C. Eliec, F. Lesagea, L. Dupica, P. Hubertd, pour le Groupe francophone de re´animation et urgences pe´diatriques (GFRUP) a Service de re´animation, CHU Necker-Enfants-Malades, 149, rue de Se`vres, 75743 Paris cedex 15, France b Service de re´animation pe´diatrique et espace e´thique hospitalier et universitaire, hoˆpital Jeanne-de-Flandre, centre hospitalier re´gional universitaire de Lille, 59037 Lille, France c De´partement biostatistique et informatique me´dicale, centre hospitalier universitaire Necker-Enfants-Malades, 149, rue de Se`vres, 75743 Paris cedex 15, France d Service de re´animation pe´diatrique, universite´ Paris V Descartes, chu Necker-EnfantsMalades, 149, rue de Se`vres, 75743 Paris cedex 15, France

Summary Introduction and objectives. To identify the knowledge of caregivers of pediatric intensive care units (PICUs) on the French law related to patients’ rights and end of life, their views on withholding/ withdrawing life-sustaining treatment (WWLST) decisions, and their feelings about how these decisions were made and implemented. Materials and methods. A multicenter survey in 24 French PICUs during the fourth trimester 2010. Results. One thousand three hundred and thirty-nine professional healthcare workers (1005 paramedics and 334 physicians) responded. Over 85% of caregivers had good knowledge of the WWLST decision-making processes required by law. More than 80% of caregivers accepted mechanical ventilation, hemodiafiltration, or hemodynamic support withdrawal or withholding. Nevertheless, the withdrawal of artificial nutrition and hydration generated reluctance or opposition for the majority of respondents. While paramedics’ participation in the decision-making process was deemed necessary by all caregivers, paramedics found more often than physicians that they were insufficiently involved. The quality of end-of-life care was judged very positively by caregivers. The answers on how WWLST was applied suggest very different interpretations of the law. Some caregivers respect the principles of

Re´sume´ Introduction et objectifs. Pre´ciser la connaissance des soignants de re´animation pe´diatrique (RP) sur la loi Le´onetti, connaıˆtre leurs opinions vis-a`-vis des de´cisions de limitation ou arreˆt des the´rapeutiques (LAT) et leur ressenti sur la fac¸on dont ces de´cisions ont e´te´ prises et applique´es. Mate´riel et me´thode. E´tude multicentrique par questionnaire durant le dernier trimestre 2010. Re´sultats. Mille cinq personnels parame´dicaux et 334 me´decins ont re´pondu. Plus de 85 % avaient une bonne connaissance des grands principes de la Loi. Plus de 80 % des soignants adhe´raient aux LAT lorsqu’elles concernaient une supple´ance respiratoire, he´modynamique ou re´nale. En revanche, l’arreˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielle e´tait re´cuse´ ou ge´ne´rait des re´ticences chez la majorite´ des re´pondants. Alors que la de´libe´ration colle´giale e´tait estime´e indispensable par l’ensemble des soignants, les personnels parame´dicaux trouvaient beaucoup plus souvent que les me´decins que leur implication re´elle e´tait insuffisante. La qualite´ des fins de vie e´tait juge´e tre`s favorablement par les soignants. Cependant, les re´ponses concernant les modalite´s d’application des LAT sugge`rent des interpre´tations tre`s diffe´rentes de la Loi : certains respectaient les principes des soins palliatifs tels qu’ils sont de´finis par le code de

§ Cette e´tude a be´ne´ficie´ d’une aide financie`re dans le cadre du Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC).Les re´sultats pre´liminaires ont e´te´ pre´sente´s sous forme de deux posters flash au Congre`s de la Socie´te´ de Re´animation de Langue Franc¸aise (SRLF) en janvier 2012 et d’une communication orale a` la session infirmie`res du congre`s de la SRLF en janvier 2013. * Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (L. de Saint Blanquat).

0929-693X/$ - see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.10.018 Archives de Pe´diatrie 2014;21:34-43

34

Loi Le´onetti

palliative care as stated in the public health code and 40% of doctors and 64% of caregivers consider it ‘‘acceptable’’ to hasten death if resulting from a collaborative decision-making process. Conclusion. This study is the first to show that caregivers of French PICUs have good knowledge of the French law concerning the end of life. Yet, there is still confusion about the limits of practice during the end-of-life period. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

sante´ publique, alors que 40 % des me´decins et 64 % des soignants jugeaient « acceptable » de provoquer un de´ce`s si la de´cision e´tait colle´giale. Conclusion. Cette e´tude est la premie`re a` montrer que les soignants des unite´s de RP franc¸aises ont une bonne connaissance de la loi Le´onetti. Il persiste cependant des divergences importantes sur les pratiques juge´es le´galement acceptables en fin de vie. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1. Introduction

2. Mate´riel et me´thodes

La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et a` la fin de vie, dite « loi Le´onetti », a ente´rine´ sous certaines conditions la possibilite´ de laisser mourir des patients incapables de de´cider par eux-meˆmes, tout en maintenant l’interdiction de faire mourir [1]. La loi a inscrit comme grands principes le droit pour tout patient de ne pas subir d’obstination de´raisonnable et d’acce´der a` des soins palliatifs. Un de´cret du 6 fe´vrier 2006 [2] a pre´cise´ les modalite´s de la proce´dure de´cisionnelle de limitation ou d’arreˆt des traitements (LAT), y introduisant plusieurs exigences :  la colle ´ gialite´, c’est-a`-dire une concertation entre les diffe´rents membres de l’e´quipe me´dicale et parame´dicale ;  l’avis motive ´ d’un me´decin appele´ en qualite´ de consultant exte´rieur a` l’e´quipe de re´animation, garant en quelque sorte de la qualite´ du processus de´cisionnel ;  le recueil de l’avis des titulaires de l’autorite ´ parentale, apre`s les avoir comple`tement informe´s du projet de soins propose´s ;  la notification dans le dossier me ´ dical de la de´cision prise et des principaux arguments qui l’ont justifie´e. Enfin, la loi a valide´ le principe du double effet des drogues, qui autorise le me´decin a` augmenter la se´dation-analge´sie pour soulager la souffrance du patient, meˆme si cette augmentation risque d’abre´ger sa vie [1,2]. En France, plusieurs e´tudes ont montre´ que plus de 40 % des de´ce`s survenant en re´animation pe´diatrique (RP) e´taient conse´cutifs a` une de´cision de LAT et que les modalite´s de prise de de´cisions s’ame´lioraient au fil du temps [3– 5]. En revanche, la connaissance que les personnels soignants de RP avaient de la loi du 22 avril 2005 et la perception qu’ils avaient de son application au quotidien n’ont pas e´te´ e´tudie´es. Nous avons donc entrepris une e´tude visant a` :  pre ´ ciser la connaissance que les soignants de RP avaient de la loi ;  connaı ˆtre leur opinion vis-a`-vis des de´cisions de LAT ;  connaı ˆtre leur ressenti vis-a`-vis de la fac¸on dont ces de´cisions e´taient prises et applique´es.

2.1. E´laboration du questionnaire En raison de l’absence d’outil, un groupe multidisciplinaire informel a e´labore´ une liste de 40 questions, apre`s avoir effectue´ une revue de la litte´rature. Toutes les questions e´taient ferme´es et la majorite´ d’entre elles comportait des re´ponses propose´es selon une e´chelle de Likert en 4 ou 5 points (par ex : tre`s insatisfait, insatisfait, satisfait, tre`s satisfait). Pour toutes les questions sauf deux, une seule re´ponse e´tait possible. Les questionnaires e´taient identiques pour les me´decins et les personnels parame´dicaux (PP), a` l’exception de trois questions. Deux questions supple´mentaires tre`s ge´ne´rales pre´cisaient l’anciennete´ de l’expe´rience en re´animation (< ou > 2 ans) et la confrontation pre´alable a` une situation de LAT.

2.2. Validation du questionnaire Les questionnaires ont e´te´ teste´s aupre`s de 7 me´decins et 36 PP d’une e´quipe de re´animation ne participant pas a` l’e´tude. La clarte´ de l’e´nonce´ et la compre´hension des questions ont e´te´ e´value´es et il a e´te´ ve´rifie´ que l’e´ventail complet des options de re´ponses e´tait utilise´. Ce test a abouti a` supprimer une question, a` modifier l’e´nonce´ de trois autres et a` modifier le nombre ou la formulation de plusieurs re´ponses propose´es. Le projet a e´te´ re´alise´ dans le cadre d’un projet hospitalier de recherche clinique national (AOM08179 – NI07014), dont le promoteur e´tait le de´partement de la recherche clinique et du de´veloppement de l’Assistance publique–Hoˆpitaux de Paris.

2.3. Participants a` l’e´tude Un re´sume´ du projet de l’e´tude a e´te´ envoye´ a` l’ensemble des chefs de services et cadres infirmiers de RP, a` partir de l’annuaire du groupe francophone de re´animation et urgences pe´diatriques (GFRUP). La fiche de re´ponse qui accompagnait cet envoi demandait quelques informations sur chaque unite´ (nombre de lits, chiffres d’activite´ 2009, nombre de me´decins et de PP y travaillant). Les soignants qui ont e´te´ sollicite´s pour

35

L. de Saint Blanquat et al.

participer a` l’e´tude e´taient les me´decins (internes et titulaires du titre de Docteur en me´decine) et les PP (cadres, infirmie`res, infirmie`res pue´ricultrices, aides soignants et auxiliaires de pue´riculture). La distribution et la re´cupe´ration des questionnaires ont e´te´ re´alise´es entre juillet et novembre 2010 par un me´decin et un membre du personnel infirmier pre´alablement de´signe´s. Une lettre accompagnait chaque questionnaire, rappelant les objectifs de l’e´tude, le caracte`re volontaire et individuel de la participation a` cette e´tude et insistait sur le respect de l’anonymat.

2.4. Traitement des donne´es et analyse statistique Les analyses statistiques ont e´te´ effectue´es a` l’aide du logiciel R (http://cran.r-project.org/). Les re´sultats sont exprime´s en pourcentages. Les re´ponses des me´decins et celles des PP ont e´te´ compare´es avec un test du Chi2. La diffe´rence a e´te´ conside´re´e comme significative lorsque « p » e´tait infe´rieur a` 0,05.

2.5. Comite´ e´thique Cette e´tude a rec¸u un avis favorable du comite´ d’e´thique pe´diatrique de l’hoˆpital Necker-Enfants-Malades le 6 octobre 2009. La Commission nationale de l’informatique et des liberte´s (CNIL) a e´galement rendu un avis favorable le 3 fe´vrier 2010.

3. Re´sultats 3.1. Caracte´ristiques des re´pondants Vingt-quatre unite´s de RP sur les 35 re´fe´rence´es par le GFRUP ont accepte´ de participer a` cette e´tude. Toutes e´taient situe´es dans des centres hospitaliers universitaires (CHU). Les questionnaires de 334 me´decins et de 1005 PP ont e´te´ analyse´s. Le taux de participation (calcule´ par rapport a` l’ensemble du personnel des unite´s participantes) a e´te´ respectivement de 87 % et 64 %. Parmi les me´decins, 57 % avaient plus de 2 ans d’expe´rience en re´animation, parmi les PP, 73 % travaillaient depuis plus de 2 ans en re´animation, ces deux chiffres e´taient significativement diffe´rents (p < 0,01). Hormis 2 me´decins et 54 PP, tous avaient e´te´ confronte´s professionnellement a` une situation de LAT.

3.2. Connaissance de la loi Le´onetti La quasi-totalite´ des soignants (99 % des me´decins et 93 % des PP) e´tait convaincue que la participation de l’e´quipe parame´dicale aux discussions de LAT e´tait indispensable ou ne´cessaire. Un pourcentage identique de me´decins et de PP (89 %) a de´clare´ que l’avis des parents devait eˆtre recherche´ et pris en compte dans les de´cisions de LAT, 97 % des re´pondants dans chaque cate´gorie savaient que les parents devaient eˆtre informe´s de la de´cision, mais seulement 62 % d’entre eux

36

Archives de Pe´diatrie 2014;21:34-43

pensaient qu’ils devaient l’eˆtre dans tous les de´tails (type de traitement arreˆte´, chronologie, mode ope´ratoire). L’intervention syste´matique d’un me´decin exte´rieur au service (consultant) dans le processus de´cisionnel de LAT e´tait juge´e favorablement par 45 % des me´decins et 29 % des PP (p < 0,001). Les principaux profils de consultants ayant e´merge´ e´taient soit un me´decin d’un autre service, re´animateur ou non, soit un me´decin de soins palliatifs ou membre d’un comite´ d’e´thique. Presque tous les me´decins (96 %) et une forte majorite´ de PP (83 %) (p < 0,01) e´taient d’accord pour augmenter la se´dation et l’analge´sie chez un patient en ventilation spontane´e en situation de soins palliatifs, meˆme si cette augmentation risquait de haˆter le de´ce`s. Les re´ponses concernant l’euthanasie (de´finie comme l’administration de me´dicaments avec l’intention de provoquer la mort), l’administration de curare avant l’arreˆt de la ventilation artificielle chez un malade correctement se´date´ et lorsque le malade pre´sente des gasps sont indique´es dans le tableau I.

3.3. Adhe´sion aux diffe´rentes formes de limitation ou arreˆt des the´rapeutiques Les diffe´rents types de LAT sur lesquels portaient les questions e´taient : la non-intubation, l’extubation, la limitation ou l’arreˆt de cate´cholamines, la limitation ou l’arreˆt d’une e´puration extra-re´nale et enfin l’arreˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielles. Les re´ponses sont indique´es dans le tableau II. Une proportion importante des me´decins (> 80 %) et des PP (> 70 %) acceptaient les LAT lorsqu’elles concernaient une supple´ance respiratoire, he´modynamique ou re´nale. En revanche, les taux d’acceptation d’arreˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielles e´taient beaucoup plus faibles que les pre´ce´dents. En effet, seulement 18 % des me´decins et 15 % des parame´dicaux le conside´raient comme acceptable. Pour 44 % des parame´dicaux et 31 % des me´decins, cet arreˆt de traitement e´tait totalement inenvisageable.

3.4. Ressenti de la participation des soignants aux proce´dures de´cisionnelles de limitation ou arreˆt des the´rapeutiques Les PP e´taient implique´s dans la re´flexion e´thique du service dans 88 % des cas selon les me´decins. Lorsque la question e´tait directement pose´e aux PP, 49 % se sentaient souvent, tre`s souvent ou toujours implique´s. Dans la pratique quotidienne, alors que les me´decins e´taient presque unanimes (92 %) a` de´clarer que les de´cisions de LAT e´taient prises apre`s de´libe´ration colle´giale incluant les PP, ces derniers e´taient nettement moins nombreux a` partager ce point de vue puisque 25 % d’entre eux ont de´clare´ ne pas participer a` la de´libe´ration colle´giale. Le ressenti de la qualite´ des informations dont disposait l’e´quipe parame´dicale lorsqu’une LAT e´tait discute´e et le ressenti de la prise en compte de l’avis des PP sont indique´s dans le tableau III.

Loi Le´onetti

Tableau I Opinions des soignants vis-a`-vis d’un de´ce`s provoque´. Me´decins Une de´cision d’administrer des me´dicaments avec l’intention de provoquer la mort d’un enfant vous paraıˆt elle Incompatible avec votre conception du soin Totalement inenvisageable car ille´gale Acceptable si la de´cision fait suite a` une re´flexion d’e´quipe Le´gale selon la loi Leonetti du 5 mars 2005 Eˆtes-vous favorable a` l’administration de curare avant d’arreˆter la ventilation me´canique chez un malade correctement se´date´ ? D’accord, tout a` fait d’accord Pas d’accord, pas du tout d’accord Ne sait pas Eˆtes-vous favorable a` l’administration de curares lorsque le malade pre´sente des gasps ? D’accord, tout a` fait d’accord Pas d’accord, pas du tout d’accord Ne sait pas

3.5. Communication avec les parents et qualite´ des fins de vie L’appre´ciation de la qualite´ de l’information donne´e aux parents dans le cadre d’une LAT et la communication avec eux sont indique´es dans le tableau IV. L’appre´ciation de l’analge´sie et de la se´dation administre´es en fin de vie et lors de l’arreˆt de la ventilation me´canique est re´sume´e dans le tableau V. Lors des retraits de traitements de supple´ance vitale comme la ventilation me´canique, 93 % des me´decins ont re´pondu qu’ils e´taient toujours ou souvent pre´sents au chevet du malade. Lorsque la question e´tait pose´e aux PP, 82 % d’entre eux e´taient d’accord avec cette proposition (p < 0,0001).

4. Discussion Les principaux re´sultats de cette e´tude sont les suivants :  la grande majorite ´ des 1339 soignants de RP (me´decins, infirmie`res ou aides-soignants) qui ont re´pondu a` cette enqueˆte nationale avait une bonne connaissance de la proce´dure de´cisionnelle de LAT exige´e par la loi ;  les soignants adhe ´ raient tre`s largement aux LAT concernant les supple´ances respiratoire, he´modynamique ou re´nale. En revanche, l’arreˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielles e´tait re´cuse´ ou ge´ne´rait des re´ticences chez une forte majorite´ d’entre eux ;  alors que la de ´ libe´ration colle´giale e´tait estime´e indispensable par l’ensemble des soignants, leur perception des pratiques e´tait tre`s diffe´rente : les PP trouvaient beaucoup plus souvent que les me´decins que leur implication y e´tait insuffisante ;  enfin, si la qualite ´ des fins de vie e´tait juge´e tre`s favorablement par les soignants, les re´ponses concernant

Parame´dicaux

Valeur de p p < 0,0001

23 35 40 1,5

12 12 64 12 p < 0,0001

10 73 16

31 47 22 p < 0,0001

10 63 17

47 31 22

les modalite´s d’application des LAT sugge`rent des interpre´tations tre`s diffe´rentes de la loi, certains respectant les principes des soins palliatifs tels qu’ils sont de´finis par le code de sante´ publique et la socie´te´ franc¸aise d’accompagnement et de soins palliatifs, d’autres jugeant « acceptable » de provoquer un de´ce`s s’il s’agissait d’une de´cision colle´giale.

4.1. Connaissance de la loi Cette e´tude multicentrique est a` notre connaissance la premie`re a` e´valuer ce que les soignants qui travaillent dans les unite´s de RP savent de la loi Le´onetti, cinq ans apre`s sa promulgation. Alors qu’une mauvaise connaissance de la loi par les soignants est souvent affirme´e [6,7], nos re´sultats montrent le contraire. La proce´dure exige´e par la loi pour pouvoir de´cider de limiter ou d’arreˆter des traitements de supple´ance vitale chez des malades mineurs ou inconscients paraıˆt connue de la grande majorite´ des soignants, qu’il s’agisse de la ne´cessite´ d’une re´union de concertation de l’e´quipe me´dicale et parame´dicale, de la ne´cessite´ de tenir compte de l’avis des parents et, une fois la de´cision prise, de les en informer. En revanche, l’obligation de participation d’un consultant e´tranger a` l’unite´ de re´animation est apparue moins bien connue ou moins bien accepte´e, notamment par les PP. Ce constat est cohe´rent avec les enqueˆtes de pratiques qui ont montre´ qu’en pe´diatrie un consultant tel qu’il est de´fini par le Conseil de l’Ordre [8] n’e´tait implique´ que dans la moitie´ des de´cisions de LAT [4]. Le principe du double effet, qui offre un cadre le´gal a` l’optimisation de la se´dationanalge´sie chez les patients en fin de vie, e´tait e´galement largement accepte´. Enfin, le caracte`re ille´gal de l’administration d’une substance le´tale e´tait bien connu, meˆme si 1,5 % des me´decins et 12 % des PP pensaient qu’un tel acte e´tait autorise´

37

Archives de Pe´diatrie 2014;21:34-43

L. de Saint Blanquat et al.

Tableau II Opinions des soignants paraıˆt des diffe´rentes LAT. Me´decins

Parame´dicaux

De´cider de ne pas intuber un malade alors que son e´tat le justifierait vous paraıˆt-il ? Acceptable si le patient ne retire aucun be´ne´fice de l’intubation Envisageable mais e´thiquement choquant Totalement inenvisageable en raison de la probable souffrance Totalement inenvisageable en raison du risque de de´ce`s rapide Totalement inenvisageable de principe

92 3,5 2 0,5 2

72 9 14 1 4

Lors d’une de´cision d’arreˆt de traitements, de´cider d’extuber un malade vous paraıˆt-il ? Acceptable parce que l’intubation prolonge inutilement l’agonie Envisageable mais e´thiquement choquant Totalement inenvisageable en raison de la probable souffrance Totalement inenvisageable en raison du risque de de´ce`s rapide Totalement inenvisageable de principe

81 11 4,5 0,5 3

72 11 13 1 3

Conside´rez-vous la limitation ou l’arreˆt des cate´cholamines comme une de´cision Acceptable parce que les cate´cholamines prolongent inutilement l’agonie Envisageable mais e´thiquement choquant Totalement inenvisageable en raison de la probable souffrance Totalement inenvisageable en raison du risque de de´ce`s rapide Totalement inenvisageable de principe

98 1 0 0 1

88 6,5 2,5 2 1

Valeur de p p < 0,0001

p < 0,0001

p < 0,0001

Conside´rez-vous la limitation ou l’arreˆt de l’e´puration extra-re´nale (EER) comme une de´cision Acceptable parce que l’EER prolongent inutilement l’agonie Envisageable mais e´thiquement choquant Totalement inenvisageable en raison du risque de de´ce`s rapide Totalement inenvisageable de principe

93 3 1 2

77 9,5 11 1,5

Conside´rez-vous l’arreˆt de la nutrition et hydratation comme une de´cision Acceptable parce qu’elles prolongent inutilement l’agonie Envisageable mais e´thiquement et/ou humainement choquant Totalement inenvisageable en raison de la probable souffrance Totalement inenvisageable de principe

18 51 14 17

15 41 23 21

p < 0,0001

p < 0,0001

LAT : limitation ou arreˆt des traitements.

par la loi. L’homoge´ne´ite´ des re´pondants – soignants travaillant en RP et par conse´quent re´gulie`rement confronte´s a` des de´cisions de LAT – explique probablement la bonne connaissance de la le´gislation que nous avons observe´e.

4.2. Adhe´sion des soignants aux diffe´rentes formes de limitation ou arreˆt des the´rapeutiques En re´animation les LAT les plus souvent discute´es concernent les traitements de supple´ance respiratoire, he´modynamique et re´nale. Nos re´sultats confirment ceux de plusieurs e´tudes europe´ennes ou nord-ame´ricaines, qui ont montre´ qu’il existait un large consensus des professionnels travaillant en re´animation vis-a`-vis de ces de´cisions de LAT [9,10]. Ils te´moignent de leur pre´occupation a` ne pas faire subir aux patients une obstination de´raisonnable. Au-dela` de ce constat global, notre enqueˆte permet de comparer l’opinion des me´decins et des PP ; elle a montre´ une adhe´sion des PP aux diffe´rents types de LAT significativement moins forte que celle des me´decins. Cette diffe´rence ne semble pas avoir e´te´ rapporte´e dans la

38

litte´rature. Notre enqueˆte permet e´galement de pre´ciser les motifs de refus ou de re´ticence vis-a`-vis de ces LAT. Moins de 10 % des me´decins et moins de 20 % des PP conside´raient l’absence d’intubation, l’extubation, la limitation ou l’arreˆt des cate´cholamines ou d’une e´puration extrare´nale comme « totalement inenvisageable ». Lorsqu’une telle position avait e´te´ exprime´e, un refus de principe ou un risque de de´ce`s rapide e´taient tre`s rarement des motifs invoque´s excepte´ dans le cas de l’e´puration extrare´nale. Pour LAT concernant une supple´ance respiratoire, une probable souffrance induite e´tait le plus souvent mise en avant, notamment par les PP. Pour la question portant sur l’arreˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielles, les re´ponses e´taient tre`s diffe´rentes. Moins d’un soignant sur cinq trouvait cette de´cision « acceptable sans restriction » et pre`s d’un tiers des me´decins et de la moitie´ des PP la jugeaient « totalement inenvisageable », soit par principe, soit en raison de la probable souffrance induite. Cette forte re´ticence appelle plusieurs remarques :  elle refle ` te une re´alite´ que tous les professionnels de sante´ qui travaillent en re´animation pe´diatrique ou

Loi Le´onetti

Tableau III Ressenti de la qualite´ des informations dont disposait l’e´quipe parame´dicale lorsqu’une LAT e´tait discute´e et de la prise en compte de l’avis des parame´dicaux. Me´decins Dans votre pratique, l’information dont dispose l’e´quipe parame´dicale concernant le malade pour lequel est discute´ une LAT est-elle ? Satisfaisante, tre`s satisfaisante Insatisfaisante, tre`s insatisfaisante Le point de vue des infirmie`res et des aides soignantes concernant une e´ventuelle LAT pour un malade dont elles s’occupent est-il pris en compte selon vous ? Tre`s souvent, toujours Souvent Parfois Jamais

Parame´dicaux

Valeur de p 0,06

77 23

71 29 p < 0,0001

43 34 22 1

18 22 40 20

LAT : limitation ou arreˆt des traitements.

ne´onatale connaissent bien, mais qui est ici, pour la premie`re fois a` notre connaissance, quantifie´e et sommairement motive´e (inenvisageable de principe ou en raison de la souffrance probable induite, acceptable mais e´thiquement ou humainement choquante) ;  elle souligne la divergence de point de vue entre les soignants et la majorite´ des « e´thiciens » ou des comite´s d’e´thique, pour lesquels la nutrition et l’hydratation artificielles sont des traitements qui peuvent eˆtre arreˆte´s comme les autres [1,11]. Pour de nombreux soignants, l’alimentation n’est pas un traitement comme les autres, elle fait partie des soins de base qui ne doivent jamais eˆtre arreˆte´s, au meˆme titre que des soins d’hygie`ne et de confort et cette conviction peut eˆtre a` l’origine d’incompre´hension, de de´saccord, de re´volte ou de souffrance morale qui ne sauraient eˆtre sous-estime´s [12]. La repre´sentation symbolique des aliments et de la nutrition, particulie`rement vis-a`vis d’un enfant, confe`re a` son retrait une charge e´motionnelle tre`s forte, tant pour les soignants que pour les parents ;

 si en France, l’arre ˆt de la nutrition et de l’hydratation artificielles chez le nouveau-ne´ et l’enfant reste peu applique´, cette possibilite´ est de plus en plus souvent discute´e dans les services depuis la promulgation de la loi Le´onetti, alors qu’elle ne l’e´tait jamais avant. C’est peut-eˆtre ce que traduit la re´ponse d’un me´decin sur 2 et de 41 % des PP, qui jugeaient cette possibilite´ « envisageable mais e´thiquement ou humainement choquante ». Il est probable que ce sujet, tre`s de´battu et fortement colore´ par les repre´sentations qu’en ont les soignants et les parents, be´ne´ficiera dans les prochaines anne´es d’un e´clairage nouveau apporte´ par des travaux concernant le ve´cu des parents et des soignants confronte´s a` ces situations [13].

4.3. Ressenti de la participation des soignants dans les proce´dures de´cisionnelles de limitation ou arreˆt des the´rapeutiques Dans le processus de´cisionnel de LAT, la participation des parame´dicaux a` la de´libe´ration colle´giale s’est progressivement impose´e comme une ne´cessite´. De´ja` en 2004, dans une

Tableau IV Appre´ciation de la qualite´ de l’information donne´e aux parents en cas de LAT et de la communication avec eux. Me´decins Dans votre pratique, trouvez-vous que les parents sont bien informe´s d’une de´cision de LAT ? Selon vous, cette information est Satisfaisante, tre`s satisfaisante Insatisfaisante, tre`s insatisfaisante

Parame´dicaux

Valeur de p p < 0,0001

88,5 7,5

82 18

Comment qualifiez-vous l’information donne´e aux parents sur l’e´tat de leur enfant et son pronostic ? Satisfaisante, tre`s satisfaisante Insuffisante, tre`s insuffisante

93 7

84,5 15,5

Dans votre service, diriez-vous de la communication avec les parents est Satisfaisante, tre`s satisfaisante Insatisfaisante, tre`s insatisfaisante

96 4

85 15

p < 0,0001

p < 0,0001

LAT : limitation ou arreˆt des traitements.

39

Archives de Pe´diatrie 2014;21:34-43

L. de Saint Blanquat et al.

Tableau V Perceptions de la qualite´ de l’analge´sie et de la se´dation en fin de vie. Me´decins Dans votre expe´rience, trouvez-vous que le ou les traitements antalgiques que rec¸oivent les enfants en fin de vie sont adapte´s ? D’accord, tout a` fait d’accord Pas du tout d’accord, pas d’accord Dans votre expe´rience, trouvez-vous que la se´dation et l’analge´sie administre´es en cas d’arreˆt des traitements tels que la ventilation me´canique sont adapte´es ? D’accord, tout a` fait d’accord Pas du tout d’accord, pas d’accord

enqueˆte europe´enne, pre`s de 80 % des re´animateurs franc¸ais, suisses et britanniques de´claraient inclure les infirmie`res dans les discussions de LAT [10]. En France depuis 2005, c’est a` la fois une exigence le´gale et une recommandation forte du GFRUP [1,14]. Les enqueˆtes de pratiques re´alise´es en France ont montre´ une nette progression de cette colle´gialite´ : en 2000 moins de la moitie´ (46 %) des infirmie`res participaient aux de´libe´rations colle´giales [3], en 2007 ce taux atteignait 88 % [4]. Dans notre e´tude, plus de 97 % des soignants se sont de´clare´s convaincus de la ne´cessite´ de cette colle´gialite´. Audela` de la pre´sence effective des PP a` la de´libe´ration colle´giale, le ve´cu de celle-ci diffe`re entre les me´decins et les PP. Deux e´tudes mene´es en re´animation adulte, l’une en France et l’autre au Danemark, ont trouve´ des re´sultats similaires : les me´decins (75 % a` 92 %) e´taient beaucoup plus nombreux a` juger que les infirmie`res e´taient implique´es dans les de´cisions de LAT que les inte´resse´es (43 % a` 59 %) [15,16]. Deux hypothe`ses pouvant expliquer cette diffe´rence ont e´te´ explore´es dans notre e´tude :  la qualite ´ e´ventuellement insuffisante des informations dont disposait l’e´quipe parame´dicale : celle-ci e´tait juge´e satisfaisante ou tre`s satisfaisante par une proportion sensiblement identique de me´decins et de PP ;  la non-prise en compte de l’avis des PP : effectivement 20 % d’entre eux pensaient que leur avis n’e´tait jamais pris en compte et 40 % parfois. L’opinion des me´decins e´tait tre`s diffe´rente puisque 77 % pensaient que l’avis des PP e´tait souvent, tre`s souvent ou toujours pris en compte. Cette diffe´rence a e´galement e´te´ observe´e dans une e´tude mene´e aux E´tats-Unis s’inte´ressant a` la qualite´ de la communication entre les me´decins et les infirmie`res, qui avait e´te´ juge´e bonne par 73 % des me´decins et par seulement 33 % des infirmie`res [17]. Une collaboration e´troite entre les me´decins et les PP est un indicateur reconnu de qualite´ des soins et ame´liore la satisfaction des soignants et des familles [18,19].

4.4. Communication avec les parents et qualite´ des fins de vie Si la loi franc¸aise dit bien qu’in fine c’est le me´decin qui de´cide et non les parents, les me´decins et les PP e´taient presque tous

40

Parame´dicaux

Valeur de p p < 0,001

96 % 4%

85 % 15 % p < 0,001

96 % 4%

86 % 14 %

d’accord sur l’importance de prendre en compte le point de vue des parents dans la de´libe´ration colle´giale et de les informer de la de´cision prise. Ceci confirme les enqueˆtes de pratique re´alise´es en France, puisqu’en 2001 seulement 18,7 % des parents e´taient informe´s de la de´cision de LAT alors qu’a` partir de 2006 cette proportion e´tait de 87 % a` 100 % [4,5]. L’ensemble des soignants e´tait cependant plus re´ticent a` propos de la ne´cessite´ d’informer les parents des de´tails des modalite´s de l’arreˆt des traitements. Si on peut envisager que les informations donne´es aux parents sur la mise en œuvre de la de´cision ne soient pas exhaustives, il est recommande´ qu’elles aient e´te´ discute´es au cours de la de´libe´ration colle´giale et il est exige´ qu’elles soient inscrites dans le dossier me´dical du patient [1]. La qualite´ de la communication entre les parents et l’e´quipe soignante a e´te´ juge´e satisfaisante par une grande majorite´ des soignants. Il en a e´te´ de meˆme pour la qualite´ de prise en charge des enfants en fin de vie, en termes de se´dationanalge´sie ou d’accompagnement. Ces e´le´ments sont ge´ne´ralement reconnus comme des indicateurs pertinents de la qualite´ des soins. Notre e´tude ne permet pas de connaıˆtre le ve´cu des parents, mais un travail re´cent, concernant deux unite´s de RP franc¸aises, a rapporte´ un niveau de satisfaction e´leve´ des parents vis-a`-vis de la communication avec l’e´quipe soignante [20].

4.5. Euthanasie et curares Les re´ponses aux deux questions qui portaient sur l’administration de me´dicaments avec intention de provoquer la mort interpellent. En effet, pre`s de la moitie´ des me´decins et les deux tiers des PP jugeaient acceptable un acte d’euthanasie de`s lors que la de´cision e´tait colle´giale et, a` la question de l’administration de curare avant l’arreˆt de la ventilation artificielle, un quart des me´decins et plus de la moitie´ des PP ont re´pondu qu’ils e´taient d’accord. Ces re´sultats ne semblent pas pouvoir eˆtre explique´s par une mauvaise compre´hension des questions. En effet, pour la premie`re question, le terme d’euthanasie pouvant eˆtre interpre´te´ de manie`re varie´e, nous avions pris soin de privile´gier une re´daction explicite : « Une de´cision d’administrer des me´dicaments avec l’intention de

Loi Le´onetti

provoquer la mort d’un enfant vous paraıˆt-elle. . . ». Quant a` la seconde question concernant le curare, nous avions pris soin de pre´ciser la situation particulie`re de l’injection de curare avant d’arreˆter la ventilation me´canique (« Eˆtes-vous favorable a` l’administration de curares avant d’arreˆter la ventilation artificielle chez un malade correctement se´date´ ? »), acte qui, pour les diffe´rentes socie´te´s savantes « n’est jamais justifiable et est juridiquement qualifiable d’homicide volontaire » et se re´fe`re donc directement a` un acte d’euthanasie [1,21]. Nous avions e´galement individualise´ une situation tre`s diffe´rente : celle d’un malade pre´sentant des gasps, circonstance dans laquelle pre`s d’un parame´dical sur deux e´tait favorable a` l’administration de curare. Le recours au curare a` titre compassionnel chez des patients bien se´date´s et chez lesquels les gasps se prolongent a e´te´ de´fendu par certains auteurs [22–24]. Ceux-ci mettent en avant que l’accompagnement de fin de vie doit rechercher non seulement le confort du malade, mais aussi s’efforcer de supprimer les causes e´vitables de de´tresse et de souffrance de l’entourage. Ce dilemme entre euthanasie et soins palliatifs en phase terminale invite a` une discussion ouverte et empathique entre les soignants et l’entourage. En premie`re analyse, les re´ponses a` ces deux questions portant sur l’intention de provoquer la mort apparaissent souvent en contradiction avec les exigences le´gales et les recommandations des socie´te´s savantes puisque si « laisser mourir » des patients incapables de de´cider par et pour euxmeˆmes est de´sormais acceptable sous certaines conditions, l’interdiction de « faire mourir » a e´te´ clairement maintenue. Cependant, plusieurs e´le´ments invitent a` eˆtre prudent dans l’interpre´tation de nos re´sultats. D’une part, il s’agit de re´sultats de´claratifs. Or, plusieurs travaux ont montre´ qu’il existait fre´quemment une confusion dans l’esprit des me´decins et plus encore des PP entre soulager et faire mourir, confusion probablement entretenue par l’utilisation errone´e des termes d’euthanasie passive et d’euthanasie active. Ainsi, des me´decins ont de´clare´ avoir eu l’intention de provoquer ou d’acce´le´rer la mort de malades, alors que l’analyse des dossiers montrait que cela e´tait improbable et qu’il s’agissait d’une se´dation-analge´sie a` vise´e palliative en fin de vie, dont l’indication et les modalite´s n’e´taient pas discutables. A` l’inverse, dans d’autres cas, l’analyse des observations sugge´rait que le de´ce`s avait e´te´ provoque´ ou acce´le´re´, alors que les me´decins niaient avoir eu cette intention [25,26]. D’autre part, les quelques donne´es dont on dispose concernant les pratiques effectivement re´alise´es montrent que les actes euthanasiques sont tre`s rares. Sur ce sujet tre`s sensible, une enqueˆte multicentrique franc¸aise, qui relevait prospectivement les informations pour tous les de´ce`s conse´cutifs a` des LAT, a seulement permis d’affirmer que si une injection de me´dicament visant a` provoquer la mort avait e´te´ effectue´e, c’e´tait dans moins de 12,5 % des de´ce`s conse´cutifs a` des LAT [27]. La proportion re´elle est peut-eˆtre beaucoup plus faible,

mais reste inconnue car un taux de 12,5 % de re´ponses positives a e´te´ force´ au hasard dans la base de donne´es afin de garantir un anonymat complet aux investigateurs. Ceci est confirme´ par les re´sultats de l’enqueˆte re´cente sur les de´cisions me´dicales en fin de vie en France chez l’adulte dans laquelle les actes d’euthanasie repre´sentaient 0,2 % des de´ce`s [28]. De`s lors, faut-il voir dans nos re´sultats une absence comple`te de changement par rapport aux de´clarations des ne´onatalogistes franc¸ais en 2000 [29] dont 73 % avouaient transgresser la loi et re´aliser des « arreˆts de vie », alors qu’ils e´taient seulement 2 a` 4 % dans le reste de l’Europe (Sue`de, Espagne, Allemagne et Angleterre) ? Ou bien, au contraire, faut-il y voir une adhe´sion a` la loi Le´onetti « dont l’esprit justifie pleinement une se´dation profonde et terminale visant a` acce´le´rer la survenue de la mort » comme le soutenait le rapport Sicard en de´cembre 2012 « car ce serait une sorte d’acharnement que de laisser mourir ou de laisser vivre sans proposer la possibilite´ d’une telle se´dation ». Les re´ponses collige´es dans notre e´tude sont aussi en ade´quation avec le rapport Sicard lorsqu’il souligne que « de telles de´cisions doivent toujours eˆtre e´claire´es par une discussion colle´giale et eˆtre accomplies par un me´decin » [7].

4.6. Limites de l’e´tude Cette e´tude pre´sente un certain nombre des limites. La premie`re vient du type d’enqueˆte : le recours a` des questions ferme´es limite les possibilite´s de re´ponses a` celles qui ont e´te´ pre´vues par les investigateurs et supprime tout apport nouveau de la part des re´pondeurs, contrairement a` une e´tude qualitative. La seconde limite tient au fait que les re´ponses ont e´te´ obtenues sur la base du volontariat, comme dans la plupart des e´tudes de ce type. Elles ne sont donc pas le reflet d’un e´chantillon repre´sentatif de l’ensemble des re´animations pe´diatriques. Cependant, la large proportion d’unite´s ayant accepte´ de participer (24/35) et les taux de re´ponses tre`s e´leve´s des professionnels de ces unite´s (87 % des me´decins et 64 % des PP) sugge`rent que ces re´sultats sont ge´ne´ralisables a` l’ensemble des unite´s de RP franc¸aises. La troisie`me limite est plus importante. Afin de respecter l’anonymat demande´ par la CNIL, nous n’avons pu recueillir comme nous l’aurions souhaite´ un certain nombre de caracte´ristiques telles que l’aˆge, le sexe, l’anciennete´ dans la profession ou la cate´gorie professionnelle (cadre infirmier, infirmie`re ou pue´ricultrice, aide-soignant et auxiliaire de pue´riculture). Nous avons e´te´ contraints de regrouper l’ensemble des cate´gories professionnelles sous le vocable « personnels parame´dicaux ». Or, une enqueˆte re´cente mene´e en France en re´animation d’adultes a clairement montre´ des re´ponses tre`s diffe´rentes des infirmie`res et des aides-soignantes concernant leur implication dans la de´libe´ration colle´giale en vue de LAT (70 % des infirmie`res se disaient implique´es versus 26 % des aides-soignants) [30].

41

Archives de Pe´diatrie 2014;21:34-43

L. de Saint Blanquat et al.

Ces re´sultats sugge`rent que les e´carts importants constate´s entre me´decins et PP auraient e´te´ plus faibles si nous avions pu comparer le ressenti des me´decins a` celui des infirmie`res et des cadres infirmiers, plutoˆt qu’a` celui de l’ensemble des PP. L’interpre´tation de nos re´sultats et leur comparaison avec d’autres e´tudes n’impliquant que des infirmie`res doivent donc eˆtre prudentes.

5. Conclusion Notre e´tude apporte plusieurs e´le´ments tre`s positifs cinq ans apre`s la promulgation de la loi Le´onetti : la bonne connaissance que les soignants ont des proce´dures de´cisionnelles de LAT, l’importance reconnue par tous de la de´libe´ration colle´giale, la qualite´ de la communication avec les parents, telle qu’elle est perc¸ue par les PP, sont autant de re´sultats satisfaisants. Nos re´sultats indiquent e´galement au moins deux aspects qui me´ritent d’eˆtre ame´liore´s au niveau de l’organisation et de la communication au sein des e´quipes :  un recours plus fre ´ quent au consultant afin de mieux respecter les exigences le´gales des LAT ;  compte tenu des diffe ´ rences importantes d’appre´ciation entre me´decins et PP, la recherche des moyens permettant de mieux de´libe´rer colle´gialement et de mieux prendre en compte les points de vue des PP pour parvenir a` une vraie relation de partenariat entre les diffe´rentes cate´gories professionnelles. Enfin et surtout, les re´sultats de notre e´tude invitent a` approfondir la re´flexion e´thique dans les services de RP dans au moins trois domaines :  les motifs de refus ou les re ´ ticences vis-a`-vis de certains types de LAT, notamment l’arreˆt de l’hydratation et de la nutrition artificielles ;  les limites d’une conception proce ´ durale de l’e´thique, la colle´gialite´ ne pouvant suffire a` rendre une de´cision moralement ou e´thiquement acceptable ;  les modalite ´ s d’application des LAT pour lesquelles le recours au principe du double effet ou a` des actes motive´s par la compassion ne peuvent e´luder une re´flexion me´thodique et rigoureuse sur nos pratiques.

pe´diatrique, hoˆpital Nord, Marseille ; Dr S Pelluau, re´animation ˆ pital des Enfants ; Dr pe´diatrique polyvalente, CHU de Toulouse, ho Guibert, re´animation pe´diatrique, hoˆpital Armand-Trousseau, Paris ; Dr Cantagrel, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, CHU Clocheville, Tours ; Dr Desprez, re´animation pe´diatrique, hoˆpital de Hautepierre, ˆ pital Strasbourg ; Dr Blanc, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, ho Charles-Nicolle, Rouen ; Dr Be´tre´mieux, re´animation pe´diatrique, CHU de Rennes, hoˆpital Sud ; Dr Noizet Yvernau, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, institut Alix-de-Champagne, CHU de Reims ; Dr Dauger, re´animation pe´diatrique, hoˆpital Robert-Debre´, Paris ; Dr Baraton, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, hoˆpital me`re-enfant Faı¨encerie, CHU de Nantes ; Dr Milesi, re´animation pe´diatrique et ˆ pital A-de-Villeneuve, Montpellier ; Dr Vernaz, ne´onatale, ho re´animation pe´diatrique et ne´onatale, CHU Timone enfants ; Dr Bordet, re´animation pe´diatrique, hoˆpital me`re-enfants, Bron ; Dr Mokhtari, re´animation pe´diatrique, hoˆpital Kremlin-Biceˆtre ; Dr Gayot, unite´ de surveillance continue, Grenoble ; Dr Rubinsztajn, ˆ pital Raymond-Poincare´, Garches ; Dr re´animation pe´diatrique, ho Dabudyk, re´animation pe´diatrique, hoˆpital d’enfants, Dijon ; Dr Bentaoui, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, CHU d’Estaing, Clermont-Ferrand ; Dr Villedieu, re´animation pe´diatrique, CHU de Caen ; Dr Dobrzynski, re´animation pe´diatrique, CHU Morvan, Brest ; ˆ pital des Enfants Pellegrin, Dr Brissaud, re´animation pe´diatrique, ho Bordeaux ; Dr Guillermet, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, centre hospitalier Saint-Jacques, Besanc¸on ; Dr Cremer, re´animation pe´diatrique, hoˆpital Jeanne-de-Flandre, Lille ; Pr Hubert, re´animation pe´diatrique et ne´onatale, hoˆpital Necker-Enfants-Malades, Paris.

Annexe 1. Mate´riels comple´mentaires Les mate´riels comple´mentaires accompagnant la version en ligne de cet article sont disponibles sur http://www.sciencedirect.com et http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.10.018.

Re´fe´rences [1] [2]

[3]

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article. Remerciements Nous remercions Vale´rie Jolaine (chef de projet) et E´lodie Henry (technicienne d’e´tudes cliniques) de l’unite´ de recherche clinique Necker Cochin, Paris, centre pour leur aide pre´cieuse. Les donne´es ont e´te´ collecte´es dans les centres hospitaliers suivants. Les investigateurs e´taient les suivants : Dr R Vialet, re´animation

42

[4]

[5]

[6]

Loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades en fin de vie. JORF 2005;95:7089. De´cret no 2006-120 du 6 fe´vrier 2006 relatif a` la proce´dure colle´giale pre´vue par la loi no 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et a` la fin de la vie et modifiant le Code de la sante´ publique. JORF 2006;32:1974. Devictor DJ, Nguyen DT, Groupe Francophone de Re´animation et d’Urgences Pe´diatriques. Forgoing life-sustaining treatments : how the decision is made in French pediatric intensive care units. Crit Care Med 2001;29:1356–9. Cremer R, Hubert P, Grandbastien B, et al. Prevalence of questioning regarding life-sustaining treatment and time utilisation by forgoing treatment in francophone PICUs. Intensive Care Med 2011;37:1648–55. Devictor DJ, Latour JM. Forgoing life support: how the decision is made in European pediatric intensive care units. Intensive Care Med 2011;37:1881–7. Lalanna BR, Gautier-Plaindoux SR, Planchet Barraud PH, et al. La loi Le´onetti: une loi me´diatise´e ? Connaissance et application dans un e´tablissement hospitalier. Ann Fr Anesth Reanim 2008;27(Suppl. 1):216–7.

Loi Le´onetti [7] [8]

[9]

[10]

[11]

[12]

[13]

[14]

[15]

[16]

[17]

[18]

Rapport Sicart: http://www.elysee.fr/assets/pdf/Rapport-dela-commission-de-reflexion-sur-la-fin-de-vie-en-France.pdf. Conseil de l’Ordre des me´decins. Commentaires sur l’article 37 du Code de de´ontologie me´dicale. Disponible en ligne sur http://www. conseil-national. medecin. fr/article/article-37soulagement-des-souffrances-limitation-ou-arret-des-traitements-261. Consulte´ en janvier 2011. Solomon MZ, Sellers DE, Heller KS, et al. New and lingering controversies in pediatric end of-life care. Pediatrics 2005;116: 872–83. Yaguchi A, Truog RD, Curtis JR, et al. International differences in end-of-life attitudes in the intensive care unit: results of a survey. Arch Intern Med 2005;165(1970):5. American Academy of Pediatrics Committee on Bioethics. Guidelines on foregoing life-sustaining medical treatment. Pediatrics 1994;93:532–6. Del Rio MI, Shand B, Bonati P, et al. Hydration and nutrition at the end of life: a systematic review of emotional impact, perceptions, and decision-making among patients, family, and health care staff. Psychooncology 2012;21:913–21. Hellmann J, Williams C, Ives-Baine L, et al. Withdrawal of artificial nutrition and hydration in the Neonatal Intensive Care Unit: parental perspectives. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2013;98:F21–5. Hubert P, Canoui P, Cremer R, et al. Limitations et arreˆt de traitements actifs en re´animation pe´diatrique: recommandations du GFRUP. Arch Pediatr 2005;12:1501–8. Ferrand E, Lemaire F, Regnier B, et al. Discrepancies between perceptions by physicians and nursing staff of intensive care unit end-of-life decisions. Am J Respir Crit Care Med 2003;167: 1310–5. Jensen HI, Ammentorp J, Erlandsen M, et al. Withholding or withdrawing therapy in intensive care units: an analysis of collaboration among healthcare professionals. Intensive Care Med 2011;37:1696–705. Thomas EJ, Sexton JB, Helmreich RL. Discrepant attitudes about teamwork among critical care nurses and physicians. Crit Care Med 2003;31:956–9. Azoulay E, Pochard F, Chevret S, et al. Meeting the needs of intensive care unit patient families: a multicenter study. Am J Respir Crit Care Med 2001;163:135–9.

[19]

[20]

[21]

[22] [23]

[24]

[25] [26]

[27]

[28]

[29]

[30]

Piers RD, Azoulay E, Ricou B, et al. Perceptions of appropriateness of care among European and Israeli intensive care unit nurses and physicians. JAMA 2011;306:2694–703. Carnevale FA, Canoui P, Cremer R, et al. Parental involvement in treatment decisions regarding their critically ill child: a comparative study of France and Quebec. Pediatr Crit Care Med 2007;8:337–42. Commission d’e´thique de la SRLF Les limitations et arreˆts de the´rapeutique(s) active(s) en re´animation adulte. Recommandations de la Socie´te´ de Re´animation de Langue Franc¸aise. Reanim Urg 2002;11:442–9. Perkin RM, Resnik DB. The agony of agonal respiration: is the last gasp necessary? J Med Ethics 2002;28:164–9. McHaffie HE, Lyon AJ, Fowlie PW. Lingering death after treatment withdrawal in the neonatal intensive care unit. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2001;85:F8–12. Verhagen AA, Dorscheidt JH, Engels B, et al. Analgesics, sedatives and neuromuscular blockers as part of end-of-life decisions in Dutch NICUs. Arch Dis Child Fetal Neonatal Ed 2009;94:F434–8. Truog R. End of life care: is euthanasia the answer? Intensive Care Med 2006;32:6–8. Provoost V, Cools F, Bilsen J, et al. The used of drugs with a lifeshortening effect in end of life care in neonates and infants. Intensive Care Med 2006;32:133–9. Cremer R, Hubert P, Dauger S, et al. Limitations et arreˆt des traitements en re´animation pe´diatrique : re´sultats d’une e´tude multicentrique de 18 mois. Reanimation 2009;18 Suppl.:115–6. Pennec S, Monnier A, Pontone S, et al. End-of-life medical decisions in France: a death certificate follow-up survey 5 years after the 2005 Act of Parliament on Patients’s Rights and End of Life. BMC Palliat Care 2012;11:11–25. Cuttini M, Nadai M, Kaminski M, et al. End-of-life decisions in neonatal intensive care: physicians’ self-reported practices in seven European countries. EURONIC Study Group. Lancet 2000;355:2112–8. Vinatier I. Communication personnelle a` propos de l’enqueˆte de la commission du congre`s infirmier de la SRLF sur les Limitations et Arreˆt des Traitements (LAT) en Re´animation : (janv ier 2012) 24 -http://www.srlf.org/rc/org/srlf/htm/Article/ 2011/20110825-130345043/src/htm_fullText/fr/20120120_CCI_ enqueˆte_Limitations_et_arreˆts_des_the´rapeutiques.ppt.

43