Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278
Article original
Optimisation de la prescription de la vancomycine : étude prospective observationnelle dans un centre hospitalo-universitaire parisien Optimized clinical use of vancomycin, a prospective observational study in a Paris teaching hospital F. Taieb a,b , A. Le Monnier a , E. Bille a , F. Lanternier b,c , F. Mechai b,c , F. Ribadeau-Dumas b,c , E. Maenulein b,d , C. Forge b,d , O. Corriol d , X. Nassif a,b , O. Lortholary b,c , J.-R. Zahar a,∗,b a
Service de microbiologie – hygiène hospitalière, université Paris Descartes, CHU Necker–Enfants-Malades, AP–HP, France b Université Paris Descartes, CHU Necker–Enfants-Malades, AP–HP, équipe mobile d’infectiologie, France c Centre d’infectiologie Necker-Pasteur, service des maladies infectieuses et tropicales, université Paris Descartes, CHU Necker–Enfants-Malades, AP–HP, France d Université Paris Descartes, CHU Necker–Enfants-Malades, AP–HP, pharmacie hospitalière, France Rec¸u le 16 f´evrier 2009 ; accepté le 28 octobre 2009 Disponible sur Internet le 1 d´ecembre 2009
Résumé Introduction. – Malgré la disponibilité de nouveaux antistaphylococciques, la vancomycine antibiotique lentement bactéricide, de mode d’action temps dépendant, reste le traitement de référence des infections à staphylocoques résistant à la méticilline. Toutefois, les données pharmacocinétiques, notamment dans certaines populations à risque et l’émergence de souches de moindre sensibilité exigent une rigueur dans l’administration et le suivi de la prescription. Patients et méthode. – Dans ce travail prospectif réalisé dans un centre hospitalo-universitaire parisien accueillant des enfants et des adultes, nous avons évalué (i) les modalités d’administration de la vancomycine et (ii) les concentrations plasmatiques obtenus lors du suivi thérapeutique. Résultats. – La vancomycine était administrée de fac¸on discontinue dans 83 % des cas (97/102) et à une dose supérieure ou égale à 30 mg/kg par 24 heures dans 67 % des cas (68/102), la posologie moyenne était de 31 mg/kg par 24 heures. Les concentrations plasmatiques de vancomycine obtenues étaient supérieures ou égales à 15 mg/L dans 36 % des cas (36/102) et à 20 mg/L dans 18 % des cas (18/102), cela pendant toute la durée du traitement. De même, malgré des modalités d’administration conformes aux recommandations (posologies supérieure ou égales à 30 mg/kg par 24 heures, trois injections quotidiennes ou plus), seules 40 % des concentrations plasmatiques étaient supérieures à 15 mg/L pendant toute la durée du suivi. Conclusion. – La vancomycine reste mal administrée. L’absence de recommandations nationales et la méconnaissance de l’épidémiologie de la résistance sont probablement à l’origine de ce phénomène. Cela souligne la contribution possible d’une équipe mobile d’infectiologie au sein des hôpitaux. © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Glycopeptides ; Taux résiduel ; Pharmacocinétique ; Vancomycine
Abstract Introduction. – Vancomycin is still the cornerstone of antibiotic therapy for patients with suspected or proven invasive methicillin resistant Staphylococcus aureus infections. However, clinical and pharmacodynamic studies underline that appropriate doses depend on the infection site, the patient’s weight, his renal function, and the bacterial susceptibility. Objective and method. – In this prospective study made in a Paris teaching hospital, our two goals were to describe the modalities of infusion and serum concentration obtained during therapy, in our pediatrics and adults population.
∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (J.-R. Zahar).
0399-077X/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2009.10.004
274
F. Taieb et al. / Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278
Results. – In our hospital, vancomycin was administered every eight hours in 83 % (97/102) of the cases and the doses used were 30 mg/kg per day in 67 % of cases (68/102). Serum trough levels reached 15 mcg/ml and 20 mcg/ml in 36 % and 18 % of cases respectively. Moreover, despite adequate doses, trough levels of 15 mcg/ml were obtained in only 40 % of cases. Conclusion. – Vancomycin infusion use could be optimized, by defining optimal serum concentrations and monitoring made by a mobile team of infectious diseases specialists. © 2009 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Glycopeptides; Serum concentration; Pharmacokinetics; Vancomycin
1. Introduction
2. Méthodes
Malgré la disponibilité de nouvelles molécules, la vancomycine reste à ce jour le traitement de référence des infections à Staphylococcus aureus ou à Staphylocoques à coagulase négative résistants à la méticilline [1]. Au vu de l’évolution de la résistance aux glycopeptides de Staphylococcus aureus [1,2] et des données pharmacocinétiques de cet antibiotique obtenues dans des groupes de populations à risque [3], une rigueur dans sa prescription et le suivi des modalités de son administration semblent nécessaires. En effet, l’activité bactéricide de la vancomycine, dans certaines infections est lente, temps-dépendante et survient entre 24 et 48 heures après le début de la perfusion [2]. De même, la diffusion tissulaire de la vancomycine est modeste [4,5] et le rapport des concentrations tissulaires sur plasmatiques varient selon les tissus de 15 à 30 % [6–8]. Enfin, la variabilité pharmacocinétique interindividuelle ne permet pas de prédire la posologie nécessaire pour obtenir une concentration adaptée [9]. Ainsi, les échecs thérapeutiques liés à l’utilisation de cette molécule ne sont pas rares, y compris lorsqu’il s’agit de souches sensibles [10]. En effet, l’obtention de concentrations plasmatiques efficaces semble plus difficile dans certaines situations tels que les neutropénies fébriles [11], les brûlés, les patients suivis pour mucoviscidose ou syndrome de Lyell. Dans ce contexte, le suivi thérapeutique des concentrations plasmatiques de vancomycine est indispensable pour l’optimisation du traitement et la maîtrise des infections des staphylocoques résistants à la méticilline. Toutefois, les intérêts du dosage plasmatique et du suivi des concentrations résiduelles restent discutés dans la littérature anglo-saxonne [12,13]. De même, alors que les recommandations initiales étaient l’obtention de taux plasmatiques entre 5 et 10 mg/L, l’augmentation de la fréquence des résistances au sein des staphylocoques dorés a modifié les recommandations des experts préconisant des taux résiduels de 20 à 30 mg/L, en fonction des indications, cela permettant d’atteindre huit fois la concentration critique inférieure (CMI) des glycopeptides. Néanmoins, il n’existe pas à ce jour de recommandations officielles franc¸aises quant à la nécessité d’obtenir de tels taux résiduels. En raison de son activité temps-dépendante, la concentration résiduelle plasmatique semble être le paramètre le mieux corrélé au succès thérapeutique [14]. Dans le cadre de la mise en place d’un programme de maîtrise de la prescription antibiotique sur l’hôpital Necker–Enfants-Malades, nous avons souhaité évaluer : (i) les modalités de prescription de la vancomycine et (ii) les concentrations plasmatiques obtenues.
Étude observationnelle prospective, incluant tous les patients recevant de la vancomycine en injectable dans un centre hospitalo-universitaire de 665 lits accueillant des patients adultes et pédiatriques, possédant deux services d’hématologie et quatre unités de soins intensifs... Toute nouvelle prescription était à l’origine d’une enquête au lit du malade, d’un suivi des modalités de prescription et des dosages effectués entre j2 et j10. Les données générales recueillies incluaient l’âge du patient, le motif d’hospitalisation et la présence ou non d’une immunodépression définie par une corticothérapie supérieure à 1 mg/kg par jour depuis plus d’un mois, une neutropénie (moins de 1000 polynucléaires neutrophiles par millilitre), la présence d’une pathologie tumorale en cours de traitement par chimiothérapie ou radiothérapie ou encore la réalisation récente d’une greffe d’organe solide ou d’une allo ou autogreffe de moelle (de moins de 30 jours). L’existence d’une insuffisance rénale était définie par une clairance à la créatinine inférieure à 60 mL/min. Afin de mieux comprendre la qualité de la prescription, nous avons évalué cette dernière dans des situations spécifiques. Les prescriptions ont été évaluées : • chez les patients neutropéniques ; • en cas d’infection à cocci Gram positif (streptocoque, entérocoque, staphylocoque) quelles que soit les données de l’antibiogramme ; • dans les infections à staphylocoques quelles que soit les données de l’antibiogramme et enfin, dans les infections microbiologiquement justifiées, définies comme les infections documentées à coques à Gram positif dont l’antibiogramme mettait en évidence une résistance à la méticilline (staphylocoques) ou à l’amoxicilline (entérocoques). Une prescription était considérée comme : • cliniquement documentée, lorsqu’il existait un foyer clinique en l’absence de toute documentation microbiologique ; • microbiologiquement documentée lorsqu’une bactérie et son antibiogramme étaient disponibles. Les caractéristiques du prescripteur étaient renseignées : les chefs de clinique-assistants ou les internes étaient considérés comme des juniors alors que les praticiens hospitaliers ou hospitalo-universitaires étaient considérés comme des seniors. Les modalités d’administration de la vancomycine (continue ou discontinue) et les doses journalières étaient systématiquement
F. Taieb et al. / Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278 Tableau 1 Données démographiques des 117 prescriptions curatives. Demographic data for the 117 prescriptions for curative purpose. (%) Prescriptions curatives Pédiatriques/Adultes Âge moyen Insuffisance rénale Neutropéniques Foyers cliniques identifiés Infections liées au cathéter Infection cutanée Pneumonies Infections du site opératoire Infections digestives Autres foyers Sepsis sévère non documenté
117 (98) 48 (41)/69 (59) 31 + 27 ans 29 (24) 35 (29) 72 (62) 31 (26) 10 (8) 08 (6) 07 (5) 05 (4) 11 (15) 09 (8)
renseignées. Les doses considérées comme adéquates étaient celles de 30 mg/kg par 24 heures et de 15 mg/kg pour la dose de charge en cas de perfusion continue. Un recueil de suivi des concentrations plasmatiques a été effectué pendant les dix jours suivant l’initialisation de la prescription. Le critère principal d’adéquation des modalités d’administration retenu dans ce travail était l’obtention de concentrations plasmatiques résiduelles et de concentrations en plateau supérieures ou égales à 15 et/ou 20 mg/L et cela quelles que soient les modalités d’administration. L’analyse statistique a été effectuée à l’aide du logiciel Epi Info version 6 ; CDC d’Atlanta. Les données ont été exprimées en termes de moyenne ± écart-type. L’analyse comparative a été effectuée par le test de 2 de Fisher. L’intervalle de confiance (IC) à 95 % de l’odd ratio (OR) a été obtenu par la méthode de Cornfield.
275
prescriptions documentées à coques à Gram positif, seules 25 (58 %) étaient microbiologiquement justifiées. 3.1. Modalités d’administration Soixante-douze (71 %) prescriptions étaient effectuées par un médecin junior. La posologie quotidienne moyenne administrée dans notre population était de 31 mg/kg ± 17. Seuls 68 (58 %) patients recevaient une dose quotidienne minimale de 30 mg/kg par 24 heures. L’administration de vancomycine était sous forme continue dans 20 cas (17 %) et sous forme discontinue dans 97 cas (83 %). Parmi les 20 patients recevant la vancomycine en continue, seuls sept avaient rec¸u une dose de charge (i.e, 15 mg/kg en bolus sur une heure). Parmi les 97 patients recevant de la vancomycine sous forme discontinue, 75 (77 %) recevaient une administration pluriquotidienne (trois fois ou plus). Parmi les 88 patients (82 %) recevant la vancomycine sous forme discontinue, 68/88 (77 %) recevaient une administration pluriquotidienne (trois fois ou plus) et 55/88 (62 %) recevaient une dose quotidienne d’au moins 30 mg/kg. Comparativement à la population de l’étude, les modalités de prescription de la vancomycine ainsi que les doses moyennes administrées, en cas d’insuffisance rénale, n’étaient pas significativement différentes. Toutefois, la posologie administrée et la fréquence d’administration chez les insuffisants rénaux étaient significativement différentes comparativement à la population générale. Chez les insuffisants rénaux, la vancomycine était plus fréquemment administrée en une ou deux injections journalières (p < 0,0001) et la dose moyenne quotidienne était significativement inférieure à celle de la population générale (de 19 mg/kg ± 12 versus 37 mg/kg ± 17) (p < 0,0001). 3.2. Résultats des dosages
3. Résultats Des 117 prescriptions curatives observées (Tableau 1), 44 % (52/117) étaient documentées et 66 % (65/117) probabilistes. Les bactéries en cause dans les 52 prescriptions documentées étaient des coques à Gram positif dans 43 cas (83 %) (20 staphylocoques à coagulase négative, cinq Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, huit Staphylococcus aureus sensibles à la méticilline, sept Enterococcus spp, deux Streptococcus sp et un Streptococcus pneumoniae). Parmi les
Des 117 prescriptions curatives, 15 (13 %) prescriptions n’ont pas bénéficié de dosage plasmatique. Il s’agissait de 15 prescriptions pédiatriques, probabilistes pour la majeure partie d’entre elles, d’une durée moyenne d’administration de sept jours ± 6,5 (Tableau 2). Parmi les 102 (87 %) prescriptions qui ont bénéficié d’un dosage plasmatique, 75 (74 %) atteignaient une concentration de 15 mg/L au moins une fois pendant le suivi et seulement 36 (31 %) maintenaient ces concentrations plasmatiques pendant
Tableau 2 Analyse comparative des patients ayant ou non bénéficié d’un dosage plasmatique. Comparative analysis of patients with or without assessed serum concentration. Variables
Dosage 102 patients
Sans dosage 15 patients
p
Durée moyenne d’administration (jours) Secteur pédiatrique Prescripteur junior Sans documentation Cliniquement documentée Microbiologiquement documentée Microbiologiquement justifiée
7,8 + 6,9 32 % 37 % 57 % 43 % 62 % 24 %
4,8 + 3,8 100 % 53 % 87 % 93 % 53 % 40 %
0,06 < 0,0001 0,46 0,78 0,03 0,88 0,2
276
F. Taieb et al. / Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278
Tableau 3 Concentrations plasmatiques résiduelles obtenues dans les populations spécifiques. Trough levels obtained in specific populations. Populations étudiées
> 15 mg/L une fois pendant le suivi (%)
> 20 mg/L une fois pendant le suivi (%)
> 15 mg/L pendant tout le suivi (%)
> 20 mg/L pendant tout le suivi (%)
Neutropéniques Infections à coques Gram positif Infections à staphylocoque Infections microbiologiquement justifiées
27 (79) 15 (65) 9 (53) 12 (70)
16 (47) 7 (30) 5 (29) 5 (29)
9 (26) 7 (30) 4 (23) 5 (29)
5 (15) 3 (13) 1 (6) 2 (12)
toute la durée du traitement. Une concentration plasmatique supérieure à 20 mg/L était atteinte au moins une fois pendant le traitement dans 52 % des cas (53/102) et maintenue pendant toute la durée du traitement dans 18 % des cas (18/102). Le délai moyen d’obtention d’une concentration plasmatique supérieure à 15 mg/L était de quatre jours et de 7,8 jours pour une concentration de 20 mg/L. En excluant les patients insuffisants rénaux, les résultats étaient identiques à la population totale. 4. Discussion Notre objectif dans ce travail était d’évaluer les modalités d’administration de la vancomycine dans notre établissement et les concentrations sériques obtenues lors du suivi thérapeutique. Les résultats de notre audit révèlent une proportion élevée de prescriptions probabilistes (56 %) nettement supérieures aux données préalablement publiées en France [15]. Ce résultat peut s’expliquer par le nombre de patients immunodéprimés et neutropéniques inclus dans ce travail, reflet du recrutement de notre groupe hospitalier. Toutefois, l’objectif de ce travail n’était pas d’évaluer les indications de la prescription mais la qualité de son administration. Nous avons été surpris de noter que, malgré une administration correcte de vancomycine (posologie quotidienne supérieure à 30 mg/kg en trois ou quatre injections), seule 24 % des prescriptions permettaient d’obtenir une concentration plasmatique supérieure ou égale à 15 mg/L pendant toute la durée du traitement. Nombreuses sont les situations cliniques dans lesquelles, les paramètres pharmacocinétiques sont modifiés. Ainsi, Chang et al. avaient [16] mis en évidence, la nécessité d’administrer en onco hématologie pédiatrique dans plus de 75 % des cas des doses supérieure à 60 mg/kg par 24 heures afin d’obtenir des concentrations plasmatiques moyenne de 6,2 mg/l,. De même, Fernández de Gatta et al. ont mis en évidence une augmentation chez les patients neutropéniques de la clairance totale de la vancomycine et des volumes de distribution, comparativement aux patients de réanimation [17]. Enfin, Lortholary et al. avaient préalablement mis en évidence une augmentation de l’élimination de la teicoplanine chez les patients neutropéniques [18]. Par ailleurs, dans ce travail, quelle que soit la population étudiée, seules 30 % des prescriptions étaient adéquates au vu des critères choisis. Ces résultats confortent les données de la littérature qui suggèrent que, malgré des modalités d’administration et des posologies respectées de glycopeptides, la concentration plasmatique obtenue est inférieure au niveau cible dans plus d’un tiers des cas [19]. Ces données
soulignent la variabilité pharmacocinétique interindividuelle et l’intérêt du monitorage des concentrations plasmatiques, notamment dans les infections profondes (méningite, endocardite, ostéite) ou sur terrains particuliers (insuffisants rénaux, patients de réanimation ou neutropénique). Nous avons été surpris de la faible adéquation des modalités de prescriptions quel que soit le terrain. Même si la majorité des prescriptions était probabiliste, l’obtention de concentration plasmatique efficace ne semblait pas plus fréquente chez les patients traités pour une infection documentée que lorsqu’il s’agissait d’infections survenant sur terrains fragilisés tels que les patients neutropéniques. Dans ces cas particuliers, les cliniciens ne semblent pas prendre en compte les variations pharmacocinétiques (augmentation des volumes de distribution) [20,21], qui nécessitent souvent une rigueur dans le choix de la dose d’antibiotique et des modalités d’administration. Les posologies et les modalités d’administration de la vancomycine chez ces patients n’étaient pas significativement différentes que dans le reste de la population. L’analyse des concentrations plasmatiques dans des populations spécifiques révèle, alors même que le terrain (neutropénie, choc septique, dermatose diffuse) ou le germe isolé (Staphylococcus aureus) justifient une rigueur dans la gestion des prescriptions, que les concentrations plasmatiques nécessaires pour l’obtention d’une efficacité microbiologique n’étaient pas plus fréquemment atteintes que dans la population générale (Tableaux 2 et 3). Si plus de 85 % des patients recevaient la vancomycine en au moins trois injections quotidiennes, de 31 à 53 % des patients selon les populations étudiées, recevaient des doses quotidiennes en milligramme par kilogramme inférieures à celles des recommandations (30 mg/kg par 24 heures). Enfin, sur l’ensemble de notre population recevant une dose quotidienne de plus de 30 mg/kg et des modalités d’administration acceptables (au moins trois perfusions quotidiennes), seuls 40 % des patients obtenaient une concentration plasmatique de plus de 15 mg/L pendant toute la durée du suivi. Par ailleurs, ce travail nous a permis de souligner que 13 % des prescriptions de vancomycine n’étaient pas évaluées par le suivi des taux plasmatiques. Ces résultats corroborent certaines données de la littérature. Dans un travail effectué dans un hôpital général [19], les auteurs notaient que les dosages sériques n’étaient pas réalisés dans 30 % des prescriptions. De même, certains auteurs anglo-saxons discutent l’intérêt des dosages sériques, alors même que l’obtention d’une concentration plasmatique efficace semble être un objectif essentiel dans le suivi des infections nécessitant l’administration des glycopeptides.
F. Taieb et al. / Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278
277
Tableau 4 Modalités d’administration dans des populations spécifiques (sans IRA et ayant bénéficié d’un dosage). Modalities of administration in specific populations (patients without acute renal failure). Populations étudiées
n
Posologie journalière > 30 mg/kg n (%)
Posologie moyenne en mg/kg par 24 heures
Rythme d’administration > 3 fois par 24 heures* (%)
Neutropéniques Infections à Coques Gram positif Infections à staphylocoque Infections microbiologiquement justifiées
34 23 17 17
16 (47) 6 (35) 9 (53) 10 (59)
31,4 ± 7,8 39,2 ± 29,27 33,7 ± 15,13 35,11 ± 17,36
29 (97) 15 (88) 10 (91) 12 (86)
En effet, en raison de l’activité temps-dépendante de la vancomycine, la concentration plasmatique résiduelle semble être le paramètre le mieux corrélé au succès thérapeutique (Tableau 4). Enfin, si la concentration plasmatique résiduelle recherchée était supérieure ou égale à 15 mg/L, seules 72 % des prescriptions atteignaient ce seuil au moins une fois pendant la durée du traitement et ce chiffre descendait à 48 % si le seuil était fixé à 20 mg/L. Plus inquiétant encore, ces chiffres descendaient à 33 % et 17 % si les seuils de 15 et 20 mg/L devaient être dépassés pendant toute la durée du traitement. Ces données rejoignent celles publiées par Levent et al. [19]. L’importance des concentrations plasmatiques dans l’efficacité thérapeutique a été soulignée par de nombreuses études. Nombreux sont les auteurs qui décrivent des échecs cliniques liés à l’obtention de taux résiduels inférieurs à 12 mg/L [22]. Certains auteurs ont noté une efficacité moindre de la vancomycine en cas de souches ayant des concentration minimale inhibitrice (CMI) de 1 à 2 mg/L. Dans un travail effectué sur 30 souches de Staphylococcus aureus, Sakoulas et al. avaient mis en évidence une efficacité de 55,6 % en cas de CMI inférieure à 0,5 mg/L à la vancomycine et de 9,5 % en cas de CMI entre 1 et 2 mg/L [23]. Plus récemment, Soriano et al., dans un étude prospective incluant 414 épisodes de bactériémies à Staphylococcus aureus résistant à la méticilline, ont souligné les risques liés à l’utilisation de la vancomycine pour traiter des souches avec des CMI supérieur à 1 mg/L. L’analyse multivariée montrait que la mortalité était significativement associée aux souches possédant une CMI supérieure à 1 mg/L avec des concentrations plasmatiques obtenues de vancomycine supérieures à 10 g/ml [24]. Nombreux sont les experts qui ont insisté sur l’importance des concentrations plasmatiques dans la guérison des infections documentées ou non documentées. La concentration plasmatique initialement recommandée était de 5 à 10 mg/L. Toutefois, plusieurs arguments sont en faveur de l’obtention de concentrations plasmatiques plus élevées : • le risque élevé d’émergence de souches heterovisa [25] ; • l’émergence de souches avec des CMI proches des seuils critiques [26] et la notion d’échecs cliniques [27] ; • la faible diffusion des glycopeptides. En effet, dans le poumon, l’endocarde et les méninges, les concentrations obtenues correspondent à 10–30 % de celles observées dans le sérum [28]. La plupart des auteurs estiment, afin d’obtenir une efficacité thérapeutique, qu’il faudrait atteindre des concentrations plasmatiques de quatre à plus
de huit fois la CMI du germe selon les sites à traiter. Les objectifs à atteindre [9] seraient de 20–25 ou de 30 mg/L dans les infections sévères et de 10–15 ou 15–20 mg/L en cas d’administration discontinue. Enfin, rares sont les cliniciens de notre établissement qui administrent la vancomycine en continue (17 %) et seuls 20 % d’entre eux administrent une dose de charge alors même que deux études menées en France [29,30] ont suggéré l’intérêt de la dose de charge et de l’administration en continue dans l’obtention plus rapide des taux plasmatiques efficaces. En conclusion, 50 ans après sa commercialisation, la vancomycine reste mal administrée. L’augmentation du nombre de souches avec des CMI élevées, la lente bactéricidie, la mauvaise diffusion tissulaire et la méconnaissance des cliniciens dans la gestion de la prescription des glycopeptides posent la question de la pertinence de l’utilisation de cette molécule dans les infections à Staphylococcus aureus, notamment depuis que nous disposons de molécules possédant de meilleurs paramètres pharmacocinétiques et d’administration plus facile [31]. Toutefois, le caractère bactériostatique des nouvelles molécules disponibles et l’émergence de résistance décrites dans la littérature doit nous inciter à un effort pédagogique auprès des cliniciens afin d’améliorer l’utilisation des glycopeptides. Références [1] Shorr AF. Epidemiology of staphylococcal resistance. Clin Infect Dis 2007;45(Suppl 3):S171–6. [2] Small PM, Chambers HF. Vancomycin for Staphylococcus aureus endocarditis in intravenous drug users. Antimicrob Agents Chemother 1990;34:1227–31. [3] Craig WA. Pharmacokinetic/pharmacodynamic parameters: rationale for antibacterial dosing of mice and men. Clin Infect Dis 1998;26:1–10. [4] Graziani AL, Lawson LA, Gibson GA, Steinberg MA, MacGregor RR. Vancomycin concentrations in infected and non infected human bone. Antimicrob Agents Chemother 1988;32:1320. [5] Daschner FD, Kropec A. Glycopeptides in the treatment of staphylococcal infections. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 1995;14(Suppl 1):S12–7. [6] Matzke GR, Zhanel GG, Guay DR. Clinical pharmacokinetics of vancomycin. Clin Pharmacokinet 1986;11:257–82. [7] Albanèse J, Léone M, Bruguerolle B, Ayem ML, Lacarelle B, Martin C. Cerebrospinal fluid penetration and pharmacokinetics of vancomycin administered by continuous infusion to mechanically ventilated patients in an intensive care unit. Antimicrob Agents Chemother 2000;44:1356–8. [8] Lamer C, de Beco V, Soler P, Calvat S, Fagon JY, Dombret MC, Farinotti R, Chastre J, Gibert C. Analysis of vancomycin entry into pulmonary lining fluid by bronchoalveolar lavage in critically ill patients. Antimicrob Agents Chemother 1993;37:281–6. [9] Bingen E, Mariani-Kurkdjian P, Nebbad B. Optimal vancomycin serum level in Staphylococcus aureus infections? Med Mal Infect 2006;36:439–42.
278
F. Taieb et al. / Médecine et maladies infectieuses 40 (2010) 273–278
[10] Moise PA, Schentag JJ. Vancomycin treatment failures in Staphylococcus aureus lower respiratory tract infections. Int J Antimicrob Agents 2000;16(Suppl 1):S31–4. [11] Lortholary O, Lefort A, Tod M, Chomat AM, Darras-Joly C, Cordonnier C. Club de réflexion sur les infections en oncohématologie. Pharmacodynamics and pharmacokinetics of antibacterial drugs in the management of febrile neutropenia. Lancet Infect Dis 2008;8:612–20. [12] Cunha BA, Mohan SS, Hamid N, McDermott BP, Daniels P. Costineffectiveness of serum vancomycin levels. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2007;26:509–11. [13] Lee P, DiPersio D, Jerome RN, Wheeler AP. Approaching and analyzing a large literature on vancomycin monitoring and pharmacokinetics. J Med Libr Assoc 2007;95:374–80. [14] Howden BP, Ward PB, Charles PG, Korman TM, Fuller A, du Cros P, Grabsch EA, Roberts SA, Robson J, Read K, Bak N, Hurley J, Johnson PD, Morris AJ, Mayall BC, Grayson ML. Treatment outcomes for serious infections caused by methicillin-resistant Staphylococcus aureus with reduced vancomycin susceptibility. Clin Infect Dis 2004;38:521–8. [15] Thuong M, Shortgen F, Zazempa V, Girou E, Soussy CJ, Brun-Buisson C. Appropriate use of restricted antimicrobial agents in hospitals: the importance of empirical therapy and assisted re-evaluation. J Antimicrob Chemother 2000;46:501–8. [16] Chang D, Liem L, Malogolowkin M. A prospective study of vancomycin pharmacokinetics and dosage requirements in pediatric cancer patients. Pediatr Infect Dis J 1994;13:969–74. [17] Fernández de Gatta MM, Fruns I, Hernández JM, Caballero D, San Miguel JF, Martínez Lanao J, Domínguez-Gil Hurlé A. Vancomycin pharmacokinetics and dosage requirements in hematologic malignancies. Clin Pharm 1993;12:515–20. [18] Lortholary O, Tod M, Rizzo N, Padoin C, Biard O, Casassus P, Guillevin L, Petitjean O. Population pharmacokinetic study of teicoplanin in severely neutropenic patients. Antimicrob Agents Chemother 1996;40:1242–7. [19] Levent T, Lambiotte F, Vasseur M, De Zorzi S, Gosteau L, Paradis P. Prospective assessment of glycopeptides prescriptions in a general hospital. Med Mal Infect 2005;35:411–6. [20] Mohammedi I, Descloux E, Argaud L, Le Scanff J, Robert D. Loading dose of vancomycin in critically ill patients: 15 mg/kg is a better choice than 500 mg. Int J Antimicrob Agents 2006;27:259–62.
[21] Leader WG, Chandler MH, Castiglia M. Pharmacokinetic optimisation of vancomycin therapy. Clin Pharmacokinet 1995;28:327–42. [22] Mulhern JG, Braden GL, O’Shea MH, Madden RL, Lipkowitz GS, Germain MJ. Trough serum vancomycin levels predict the relapse of Gram-positive peritonitis in peritoneal dialysis patients. Am J Kidney Dis 1995;25: 611–5. [23] Sakoulas G, Moise-Broder PA, Schentag J, Forrest A, Moellering Jr RC, Eliopoulos GM. Relationship of MIC and bactericidal activity to efficacy of vancomycin for treatment of methicillin-resistant Staphylococcus aureus bacteremia. J Clin Microbiol 2004;42:2398–402. [24] Soriano A, Marco F, Martínez JA, Pisos E, Almela M, Dimova VP, Alamo D, Ortega M, Lopez J, Mensa J. Influence of vancomycin minimum inhibitory concentration on the treatment of methicillin-resistant Staphylococcus aureus bacteremia. Clin Infect Dis 2008;46:193–200. [25] Guerin F, Buu-Hoï A, Mainardi JL, Kac G, Colardelle N, Vaupré S, Gutmann L, Podglajen I. Outbreak of methicillin-resistant Staphylococcus aureus with reduced susceptibility to glycopeptides in a Parisian hospital. J Clin Microbiol 2000;38:2985–8. [26] Charles PG, Ward PB, Johnson PD, Howden BP, Grayson ML. Clinical features associated with bacteremia due to heterogeneous vancomycin-intermediate Staphylococcus aureus. Clin Infect Dis 2004;38: 448–51. [27] Hidayat LK, Hsu DI, Quist R, Shriner KA, Wong-Beringer A. High-dose vancomycin therapy for methicillin-resistant Staphylococcus aureus infections: efficacy and toxicity. Arch Intern Med 2006;166:2138–44. [28] Brun-Buisson C. Do glycopeptides remain the preferred treatment of nosocomial infections from multidrug resistant Staphylococcus? Med Mal Infect 2004;34(Suppl 2):S184–7. [29] Kitzis MD, Goldstein FW. Monitoring of vancomycin serum levels for the treatment of staphylococcal infections. Clin Microbiol Infect 2006;12(1):92–6. [30] Wysocki M, Delatour F, Faurisson F, Rauss A, Pean Y, Misset B, Thomas F, Timsit JF, Similowski T, Mentec H, Mier L, Dreyfuss D. Continuous versus intermittent infusion of vancomycin in severe Staphylococcal infections: prospective multicenter randomized study. Antimicrob Agents Chemother 2001;45:2460–1. [31] Deresinski S. Vancomycin: does it still have a role as an antistaphylococcal agent? Expert Rev Anti Infect Ther 2007;5:393–401.