Polluants environnementaux et troubles de la reproduction masculine : les phtalates au cœur du débat

Polluants environnementaux et troubles de la reproduction masculine : les phtalates au cœur du débat

Cahiers de nutrition et de diététique (2011) 46, 75—81 TOXICOLOGIE Polluants environnementaux et troubles de la reproduction masculine : les phtalat...

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Cahiers de nutrition et de diététique (2011) 46, 75—81

TOXICOLOGIE

Polluants environnementaux et troubles de la reproduction masculine : les phtalates au cœur du débat Environmental pollutants and male fertility: The case for phtalates Virginie Rouiller-Fabre a,∗,b,c,d,e, Vincent Muczynski a,b,c,d,e, Charlotte Lécureuil a,b,c,d,e, Gabriel Livera a,b,c,d,e, Delphine Moison a,b,c,d,e, René Frydman f, René Habert a,b,c,d,e a

Unité mixte de recherche de cellules souches et irradiation, laboratoire de différenciation des gonades, CEA—DSV/iRCM/SCSR, route du Panorama, 92265 Fontenay-aux-Roses, France b Inserm U 967, unité mixte de recherche, route du Panorama, 92265 Fontenay-aux-Roses, France c CEA, DSV/IRCM/SCSR/LDRG, 92265 Fontenay-aux-Roses, France d Inserm, unité 566, 92265 Fontenay-aux-Roses, France e Laboratoire de différenciation des gonades, université Paris-Diderot-Paris, 7, route du Panorama, 92265 Fontenay-aux-Roses, France f Service de gynécologie-obstérique, hôpital Antoine-Béclère, 157, rue de la Porte de Trivaux, 92141 Clamart, France Rec ¸u le 24 janvier 2011 ; accepté le 14 f´ evrier 2011 Disponible sur Internet le 22 mars 2011

MOTS CLÉS Testicule ; Cellules germinales ; Testostérone ; Phtalate ; Développement ; Homme



Résumé Le testicule assure deux grandes fonctions : la production des cellules sexuelles mâles et la production des stéroïdes sexuels. Ces deux fonctions s’établissent durant la vie fœtale et cette ontogenèse est fondamentale puisqu’elle conditionne la fertilité de l’individu à l’âge adulte et la masculinisation des organes génitaux internes et externes. Notre laboratoire s’intéresse depuis de nombreuses années à l’ontogenèse de ces deux fonctions chez les rongeurs. Depuis 2003, en collaboration avec le service de gynécologie obstétrique du professeur R. Frydman de l’hôpital A. Béclère, nous avons développé une étude chez l’homme. Nous nous sommes intéressés aux perturbations que peut subir le testicule fœtal humain au cours du premier trimestre de la grossesse, période clef pour la différenciation testiculaire. Cette étude est née dans un contexte où les anomalies de la fonction reproductrice masculine sont en constante augmentation tout comme la concentration des polluants, notamment les perturbateurs endocriniens dans l’environnement. Nous avons donc décidé de rechercher les effets d’un type particulier de perturbateurs endocriniens, les phtalates, sur le développement du testicule fœtal humain, en utilisant le modèle de culture organotypique que nous

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Rouiller-Fabre).

0007-9960/$ — see front matter © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.cnd.2011.02.006

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V. Rouiller-Fabre et al. avons développé chez l’humain. Contrairement à ce qui a été clairement montré chez le rat, le mono(éthylhexyl)-phtalate (MEHP), métabolite actif du principal phtalate rencontré dans l’environnement, n’affecte pas la stéroïdogenèse. En revanche, il exerce un effet délétère sur les cellules germinales mâles. Notre étude est la première étude expérimentale montrant un effet négatif des phtalates sur la reproduction humaine. À travers une approche plus moléculaire, nous visons désormais à comprendre les mécanismes d’action impliqués. © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Testis; Germ cells; Testosterone; Phthalate; Testicular development; Human

Summary Two major functions are assumed by the testis: the production of male gametes (i.e. spermatozoa), and the production of steroid hormones. Those two functions are established during fetal life and are essentials for the adult fertility and the masculinization of the internal tract and genitalia. For many years, our laboratory has been interested in the ontogeny of those two functions in rodents and since 2003, in collaboration with Gynecology and Obstetrics service of Professor R. Frydman in A. Béclère hospital, we have studied them in human. The first aim of this work was to improve the global knowledge of the human fetal testis development by using both our experimental data and the literature. Then we focused on the different defects that can occur during the fetal testis development. Indeed, male reproductive abnormalities have been steadily increasing since the last decades and are thought to be related to the concomitant increase of the concentration of contaminants and particularly of endocrine disruptors in the environment. Thus, we decided to study the effect of endocrine disruptors on human fetal testis, and more particularly the effect of phthalates, by using an organ culture system developed for human. In contrast to the data obtained in rat, mono (ethylhexyl)-phthalate (MEHP), an active metabolite of the most widespread phthalate in the environment, does not disturb the steroidogenic function. On the other hand, it has a negative effect on the male germ cells number. This study is the first experimental demonstration of a negative effect of phthalates directly on human reproductive functions. Using a molecular approach, our aim is now to understand the mechanisms of phthalate’s action. © 2011 Société franc ¸aise de nutrition. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Le testicule assure deux grandes fonctions : la gamétogenèse et la stéroïdogenèse (Fig. 1). La gamétogenèse correspond à la mise en place et au développement des cellules germinales pendant la vie fœtale et néonatale et à la spermatogenèse qui s’instaure après la puberté et aboutit à la production de spermatozoïdes. La stéroïdogenèse correspond quant à elle à la synthèse et à la sécrétion des hormones stéroïdes, la principale étant la testostérone. Cette hormone est responsable de la masculinisation chez le fœtus, de l’établissement et du maintien des caractères sexuels secondaires mâles et de la spermatogenèse chez l’adulte. Cette double fonction correspond à une organisation anatomique en deux compartiments fonctionnels : • le tissu interstitiel, conjonctif vascularisé, contenant les cellules de Leydig responsables de la production de testostérone ; • les tubes séminifères, de nature épithéliale, avasculaires, contenant les cellules germinales et les cellules de Sertoli qui servent de support à la spermatogenèse. Ces deux fonctions s’établissent durant la vie fœtale (Fig. 1). Cette ontogenèse est fondamentale puisque c’est du nombre et de la qualité des cellules germinales qui se mettent en place pendant la période fœtale que dépend, en partie, la fertilité de l’individu à l’âge adulte [1,2], et c’est la production de testostérone qui assure la masculinisation des organes génitaux internes et externes (Fig. 1) [3]. Notre laboratoire s’intéresse depuis de nombreuses années à l’ontogenèse de ces deux fonctions ainsi qu’à leurs régulations et/ou perturbations potentielles. La gamétoge-

Figure 1. Ontogenèse des deux fonctions testiculaires pendant la vie fœtale. En encadré, immunorévélation de l’hormone anti müllérienne (AMH) sur une coupe de testicule fœtal humain de 8 SG.

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Phytoestrogènes y g (Genistein)

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Hypothèses:

Produits pharmaceutiques (Diethylstilbestrol; Ethinyl oestradiol Produits industriels (Dioxines et Furanes) Produits industriels: Plastifiants (Phtalates, Bisphenol A)

Ces altérations correspondraient à différents symptômes d’un même syndrome

Exposition à des polluants environnementaux

Origine fœtale de ces altérations

Produits industriels: Métaux lourds (Cadmium) Antioxydants alimentaires Pesticides (Insecticides, herbicides, fongicides)

Figure 2.

Quelques exemples de polluants environnementaux.

nèse et la stéroïdogenèse testiculaires ont été très étudiées chez les rongeurs et chez l’homme adulte. En revanche, leur mise en place pendant la vie fœtale reste très peu documentée chez l’homme. Depuis 2002, nous avons établi une collaboration avec le service de gynécologie obstétrique du professeur R. Frydman de l’hôpital A. Béclère, ce qui nous permet de prélever les testicules de fœtus âgés de six à 12 semaines post-conception (ou semaines de gestation, équivalent à huit à 14 semaines d’aménorrhée) issus d’interruption volontaire de grossesse (IVG). Cette période est une période clef de la différenciation testiculaire [4] et elle correspond également à une fenêtre de sensibilité aux polluants environnementaux particulièrement déterminante [5]. Notre travail est né de deux constats. Le premier réside dans le fait que nous sommes exposés de plus en plus dans notre environnement à des polluants chimiques dont la diversité et la concentration dans l’environnement augmentent régulièrement. Il s’agit entre autres de pesticides (insecticides, herbicides, fongicides), de produits pharmaceutiques, d’agents plastifiants (phtalates, bisphénol A), de produits industriels (dioxines, furanes) et de phytoœstrogènes (génistéine) présents essentiellement dans l’alimentation et plus accessoirement dans l’atmosphère (Fig. 2). Le deuxième constat est la constante augmentation depuis une cinquantaine d’années des anomalies de la fonction reproductrice masculine. Un nombre croissant d’études suggère que ces anomalies résulteraient de perturbations des fonctions testiculaires pendant la vie fœtale, notamment en raison d’une exposition accrue aux perturbateurs endocriniens (Fig. 3). Or des études suggèrent que ces anomalies résulteraient de perturbations des fonctions testiculaires pendant la vie fœtale, notamment en raison d’une exposition accrue aux perturbateurs endocriniens (PE) (Fig. 3). Nous avons donc décidé de tester cette hypothèse en étudiant les effets d’un type particulier de perturbateurs endocriniens, les phtalates. Cette étude a été réalisée à l’aide d’un modèle de culture organotypique que nous avions initialement mis au point chez les rongeurs et que nous avons adapté chez l’humain.

Le syndrome de TDS: Testicular dysgenesis syndrome

Figure 3. Le syndrome de dysgénésie testiculaire : les hypothèses actuellement admises [29].

La régulation de la mise en place des fonctions testiculaires : mise au point d’un modèle d’étude Historiquement, en utilisant le rat comme modèle, notre laboratoire a mis au point un système de culture organotypique original qui est utilisé depuis plusieurs années [6—8]. Les testicules fœtaux et néonataux sont déposés à la surface d’un filtre qui flotte sur le milieu de culture. La culture organotypique a été privilégiée dans notre laboratoire car elle permet de conserver l’architecture testiculaire et de maintenir les relations intercellulaires assurées par les contacts intermembranaires et par les facteurs locaux diffusibles. La force de ce système de culture se concrétise par le fait qu’il permet de reproduire le développement normal des cellules somatiques et germinales en utilisant un milieu de culture minimum, sans aucun facteur de signalisation exogène (sérum, hormone, facteur de croissance. . .). Chez le rat, l’évolution gonocytaire observée in vivo a été reproduite pendant plus de deux semaines alors que les cellules germinales sont connues pour être particulièrement fragiles in vitro [8]. Au cours des dernières années, nous avons transféré ce système chez la souris et l’homme (Fig. 4). Chaque espèce et chaque stade de développement nécessitent des précautions particulières mais actuellement cette technique est maîtrisée dans les trois espèces [8—10]. Ainsi, les effets de l’acide rétinoïque [9], des rayonnements ionisants [11] ; du cadmium [12] et de l’uranium [13] sur le développement du testicule fœtal humain ont été étudiés (Fig. 4). Elle nous a permis en utilisant les mêmes conditions expérimentales d’effectuer des études comparatives inter-espèces pertinentes de l’effet de différents régulateurs ou perturbateurs potentiels sur les fonctions testiculaires. Il ressort de ces études que le testicule fœtal humain présente une sensibilité plus importante que le testicule murin au cadmium et à l’uranium [12,13]. Il est à noter que, outre des impératifs éthiques évidents, la culture organotypique est une méthode particulièrement bien adaptée pour le fœtus humain car elle nécessite une faible quantité de matériel biologique. De plus, les modèles in vitro sont particulièrement intéressants car ils permettent d’étudier à la fois

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Figure 4.

V. Rouiller-Fabre et al.

Régulations et perturbations des fonctions testiculaires chez le fœtus humain.

les cinétiques d’action des agents toxiques (recherche des cibles primaires) et leurs relations effet-dose.

Perturbations du développement testiculaire Au cours des dernières décennies, les inquiétudes vis-à-vis des changements survenus dans l’environnement et de leurs conséquences possibles sur la fonction de reproduction masculine se sont amplifiées [14]. Plusieurs études ont démontré chez l’homme une baisse de la production et de la qualité spermatique au cours du temps [15,16]. En outre, l’incidence du cancer du testicule, qui est le cancer le plus fréquent chez l’homme jeune, a augmenté de fac ¸on régulière au cours des 20 dernières années dans tous les pays où des études ont été réalisées. Enfin, une augmentation de l’incidence de deux anomalies congénitales des organes génitaux externes a également

été rapportée : la cryptorchidie [17] et l’hypospadias [18]. En 1993, Sharpe et Skakkebaek ont émis l’hypothèse selon laquelle ces différentes altérations pourraient représenter différentes manifestations d’une même entité pathologique, le syndrome de dysgénésie testiculaire (TDS), syndrome qui aurait pour origine une altération du développement du testicule pendant la vie fœtale. Des arguments épidémiologiques, cliniques et expérimentaux convergent pour suggérer que le TDS résulterait d’effets délétères, pendant la vie fœtale, de polluants chimiques dont la diversité et la concentration dans l’environnement augmentent régulièrement (Fig. 3). Les principaux polluants chimiques incriminés sont les perturbateurs endocriniens à activité œstrogénique (xéno-œstrogènes) ou à effet antiandrogénique qui de par leur nature peuvent dérégler la balance œstrogène/androgène en jouant sur la quantité, la production et/ou l’action de ces hormones chez le male et ainsi perturber le développement testiculaire [19].

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Les phtalates en questions. . .

Effets des phtalates sur le testicule fœtal humain En utilisant notre modèle de culture organotypique, nous avons réalisé une analyse expérimentale directe de l’action du MEHP sur des testicules de fœtus humains âgés de sept à 12 semaines issus d’IVG. Nous avons testé les effets de plusieurs concentrations (10−4 à 10−6 M) à la fois sur la stéroïdogenèse et sur la gamétogenèse [23]. Quelque soit la dose utilisée, le MEHP ne modifie pas la production de testostérone. En revanche, à la dose de 10−4 M, il réduit le nombre de cellules germinales en augmentant leur apoptose, sans modifier leur prolifération (Fig. 5). Il est important de noter que cet effet pro-apoptotique est observé dès la concentration de 10−5 M (Fig. 5) qui est une concentration rencontrée dans certains fluides biologiques chez l’homme tels que le sang du cordon ombilical [24] et le lait maternel [22]. De plus, même à la concentration la plus forte utilisée cet effet n’est pas retrouvé dans les ovaires fœtaux humains ce qui suggère

Effets des phtalates sur le testicule fœtal humain

DEHP

MEHP

Di-(EthylHexyl)-Phthalate

Mono-(EthylHexyl)-Phthalate Control MEHP 10-6M MEHP 10-5M MEHP 10-4M

120 100 80 60 40 20 0

*

30 20 10 0

Cleaved caspase 3 positive germ cells (%)

140

BrdU positive germ cells (%)

Number of germ cells per testis (% of control)

Un certain nombre d’arguments sont en faveur d’un effet délétère d’une famille de perturbateurs endocriniens, les phtalates, sur la fonction de reproduction masculine. Les phtalates sont des composés très largement utilisés et dont la concentration dans le cordon ombilical peut atteindre 105 M [20]. Les phtalates sont des dérivés de l’acide phtalique. Le phtalate le plus important retrouvé dans l’environnement est le di(2-éthylhexyl) phtalate (DEHP), qui est officiellement classifié comme toxique pour les capacités reproductrices [20]. Il est métabolisé notamment en son monoester (MEHP) qui est le métabolite actif dans le testicule. Ces composés interviennent dans la fabrication et la composition d’un grand nombre de matériaux et produits tels que le chlorure de polyvinyle (PVC) et le polyéthylène tétraphtalate (PET). On les retrouve dans les jouets, les peintures industrielles, les adhésifs, les colles, l’encre, les revêtements de sols, les détergents, les solvants, les produits pharmaceutiques et cosmétiques, les emballages plastiques [20]. Les phtalates sont donc très répandus dans l’environnement et on peut également les trouver dans les aliments après leur migration à partir d’emballages. Des études d’épidémiologie récentes ont établi des corrélations entre le développement du testicule fœtal et l’exposition aux phtalates, aux concentrations environnementales dans l’espèce humaine. Ainsi des corrélations entre des niveaux élevés de phtalates dans les urines de la mère pendant la grossesse et une réduction de la masculinisation de l’enfant à la naissance ont été rapportées [21], de même qu’entre les concentrations de phtalates dans le lait maternel des premiers jours post-partum et différents indicateurs de la fonction des testicules des nourrissons [22]. En outre, de très nombreuses études expérimentales effectuées chez le rat ont montré que les mâles exposés in utero ou pendant leur vie périnatale à des PE à action œstrogénique (DES) ou à action anti-androgénique (dibutyl phtalate [DBP]) présentent des anomalies semblables à celles trouvées dans le TDS [14,20]. Jusqu’à présent, l’investigation des effets des perturbateurs endocriniens chez l’homme n’a été réalisée que par des recherches de corrélations au cours d’études épidémiologiques.

8 7 6 5 4 3 2 1 0

* *

Figure 5. Effets in vitro des phtalates sur les cellules germinales fœtales males humaines. Effets du MEHP (10-4 à 10-6 M) sur le nombre, la prolifération (incorporation de BrdU) et l’apoptose (immunorévélation de la caspase 3 clivée) des cellules germinales.

une sensibilité particulière des cellules germinales mâles humaines.

Les mécanismes d’action impliqués. . . Afin d’élucider la question des mécanismes d’action du MEHP, nous avons mis en place un protocole d’analyse d’expression de gènes à moyen débit en utilisant la méthode des plaques micro-fluidiques (Applied Biosystems) permettant l’analyse, par PCR temps réel ciblée, de l’expression d’un grand nombre de gènes d’une même famille (en l’occurrence la superfamille des récepteurs nucléaires), et ce beaucoup plus rapidement qu’une analyse par transcriptomique. En appliquant cette méthode sur nos échantillons de testicules fœtaux humains traités au MEHP, nous avons identifié trois acteurs au sein de la superfamille des récepteurs nucléaires fortement suspectés d’être les principales cibles des phtalates dans d’autres tissus. De même, nous avons montré par PCR temps réel ciblée, que l’expression de certains gènes cibles de ces récepteurs nucléaires, connus pour être impliqués dans le métabolisme lipidique notamment au niveau du foie, est modulée par un traitement aux phtalates (données non publiées). Ces résultats suggèrent un rôle potentiel du MEHP dans le métabolisme lipidique testiculaire ce qui, à l’heure actuelle, a été très peu décrit dans la littérature.

Encore de nombreuses questions en suspens. . . Notre étude était la première étude expérimentale montrant un effet négatif des phtalates sur la reproduction humaine. Le MEHP inhibe le développement de la lignée germinale fœtale humaine dans le sexe masculin. Un effet comparable a été observé in vitro dans des conditions expérimentales comparables chez le rat nouveau né [25] ainsi que sur le testicule fœtal [26]. De même, des travaux réalisés chez la souris dans notre équipe montrent un effet négatif du MEHP sur les cellules germinales mâles durant la vie fœtale [27] (Tableau 1).

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V. Rouiller-Fabre et al.

Tableau 1 Effets in vitro des phtalates dans différentes espèces. Les différents effets du MEHP sur la production de testostérone, les cellules germinales et les cellules de Sertoli sont rapportés chez l’homme, le rat et la souris dans le même modèle de culture organotypique. Testosterone

Cellules germinales

Espèces

Production

Nbre

Apopt

Gono multinucléés

Prolif

AMH

Humain Rat Souris

→ ↓ ↑↓→

↓ ↓ ↓

↑ ↑ ↑

0 ND ↑

→ → →

↓ ↓ ↓

Cependant, le lien entre des effets observés durant la vie fœtale et leurs conséquences sur la fertilité adulte reste à établir. Par ailleurs, dans notre étude chez l’humain, le MEHP n’affecte pas la production de testostérone alors que chez le rat, les phtalates sont reconnus comme étant des « antiandrogènes » de par leur capacité à diminuer la production de testostérone [16]. Il est important de noter que la plupart des études réalisées chez le rat ont été faites in vivo après gavage des mères gestantes. Toutefois les études effectuées avec le même modèle expérimental que le nôtre, montrent un effet inhibiteur du MEHP sur la production de testostérone par le testicule fœtal de rat [26]. De même, chez la souris, les effets sur la stéroidogenèse varient en fonction de l’âge et des conditions expérimentales [27]. Cela va dans le sens d’un effet « espèce spécifique » ce qui renforce l’intérêt des études effectuées directement sur le modèle humain. Par ailleurs, nous avons montré dans notre équipe qu’il existe des fenêtres de sensibilité du testicule aux stéroïdes et notamment aux œstrogènes pendant la vie fœtale et néonatale [28]. Il sera donc important de rechercher les effets des phtalates sur la stéroïdogenèse testiculaire à des stades plus tardifs du développement chez l’homme, d’autant plus que nos résultats ne coïncident pas avec les résultats des études épidémiologiques réalisées chez l’humain [21].

Conclusion Enfin, l’ensemble de nos données expérimentales met en évidence les effets délétères de doses de phtalates compatibles avec des doses susceptibles d’être rencontrées dans des fluides biologiques. La question de l’incidence directe de l’augmentation des phtalates dans l’environnement sur la reproduction masculine humaine reste donc posée même si certains auteurs estiment que les perturbateurs endocriniens n’atteignent pas dans l’organisme humain des concentrations nécessaires à la manifestation de leurs effets xéno-hormonaux. Cependant, du fait de leur caractère lipophile, ces molécules s’accumulent et leurs effets peuvent être amplifiés par les effets combinés de divers polluants. Le nombre grandissant d’arguments épidémiologiques et expérimentaux montrant un effet des phtalates sur les fonctions de reproduction masculine implique désormais d’essayer de comprendre leurs mécanismes d’action. En effet, le problème majeur de l’effet des mélanges ne pourra être résolu que lorsque le mécanisme d’action des différents grands types de polluants aura été mis à jour. La compréhension des mécanismes impliqués nécessite donc d’être approfondie.

Déclaration d’intérêts Les auteurs donnent aux éditeur des Cahiers de nutrition et de diététique l’assurance qu’ils déclarent ne pas avoir

Cellules Sertoli

de conflit d’intérêts vis a vis des travaux présentés dans le manuscrit intitulé « Polluants environmentaux et troubles de la reproduction masculine : les phtalates au coeur du débat ».

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