Archives de pédiatrie 14 (2007) 958–963 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/
Mémoire original
Quand les portes claquent, les doigts craquent ! When doors slam, fingers jam ! I. Claudeta,*, K. Toubala, C. Carneta, H. Rekhroukha, B. Zelmata, C. Debuissona, J.-P. Cahuzacb a
b
POSU pédiatrique, hôpital des Enfants, Toulouse, France Chirurgie orthopédique infantile, hôpital des Enfants, Toulouse, France Reçu le 28 septembre 2006 ; accepté le 15 mars 2007 Disponible sur internet le 17 avril 2007
Résumé Objectif. – Analyse épidémiologique des accidents de doigts coincés dans une porte admis dans une unité hospitalière universitaire d’urgences pédiatriques. Matériel et méthodes. – Étude prospective, descriptive, de cohorte du 6 septembre 2004 au 1er juillet 2005 incluant tout enfant admis pour un accident de doigt(s) coincé(s) dans une porte à fermeture mécanique. Étaient exclus les accidents engendrés par les portes à fermeture automatique, les portes de jouet, de réfrigérateur ; les familles refusant de participer à l’étude ou les familles reparties de l’unité avant avis médical. Les données recueillies comportaient des données démographiques, sur les circonstances de l’accident et sur la prise en charge des lésions. Résultats. – Trois cent quarante enfants totalisant 427 lésions digitales ont été inclus. La moyenne d’âge était de 5,5 ± 3,8 ans (extrêmes 4 mois à 15,5 ans). Le sex-ratio était égal à 1,2 avec une prédominance masculine. Les patients étaient issus d’une fratrie de 3 enfants ou plus dans 58 % des cas. Quatre-vingt-treize pour cent des familles se sont présentées dans les 2 heures suivant l’accident (n = 313) (délai moyen 99 ± 162 min, médiane 54 minutes). Le lieu de survenue de l’accident était principalement domestique (62 %, maison [64 %]). Les pièces impliquées étaient : la chambre (33 %), la salle de bains–toilettes (21 %). Dans 75 % des cas, un adulte était présent et responsable du traumatisme dans 25 % des accidents. Un autre enfant était en cause dans 44 % des cas. Le ou les doigts étaient coincés côté charnière de la porte dans 57 % des accidents. Aucun système bloque–porte n’était utilisé par 94 % des familles. Parmi les victimes, 20 % avaient plus de 1 doigt atteint ; la main droite et la main gauche étaient atteintes à part égale. Les doigts lésés étaient : le majeur (29 %) et l’annulaire (23 %). L’ongle était traumatisé dans 60 % des cas, une plaie (50 %) et/ou une fracture de P3 (12 %) étaient associées. Six enfants avaient une amputation partielle ou totale de P3, 2 enfants une atteinte du tendon extenseur, 1 enfant une rupture du ligament latéral externe. Le taux d’hospitalisation était de 3 %. La douleur post-traumatique était limitée aux 48 premières heures dans 64 % des cas. Les complications précoces comprenaient : 16 cas de surinfection localisée, 3 cas de nécrose pulpaire. Le coût total des soins hospitaliers facturés s’élevait à 71 500 euros, le coût moyen par enfant hospitalisé à 2100 euros, pour les autres enfants à 141 euros, le coût annuel estimé à 81 600 euros. Conclusion. – Responsable de lésions digitales qui peuvent être graves, de séquelles fonctionnelles ou inesthétiques, cette douloureuse expérience reste encore trop fréquente chez le jeune enfant pour un accident domestique qui pourrait être souvent évité grâce à l’acquisition de systèmes bloque–porte dont le coût reste abordable en comparaison avec celui engendré par une prise en charge hospitalière. © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract Aim. – Epidemiological analysis in a universitary paediatric emergency unit of children admitted after accidental injuries resulting from fingers crushed in a door.
* Auteur correspondant. Service des urgences pédiatriques, hôpital des Enfants, CHU de Toulouse, 330, avenue de Grande-Bretagne, TSA 70034, 31059 Toulouse, France. Adresse e-mail :
[email protected] (I. Claudet).
0929-693X/$ - see front matter © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.arcped.2007.03.019
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Material and Methods. – Prospective, descriptive cohort study from September 6th, 2004 to July 1st, 2005 included all children admitted for finger injuries crushed in a non-automatic door. Exclusions: included accidents due to automatic doors, toy’s or refrigerator doors, families who refused to participate to the study or families who had left the waiting area before medical examination. Collected data were patient and family characteristics, accident characteristics and its management. Results. – Three hundred and forty children affected by 427 digital lesions were included. The mean age was 5.5 ± 3.8 years (range 4 months 15.5 years). Male/female ratio was equal to 1.2: 1. Fifty-eight percent of patients belonged to families composed of 3 or more siblings. Ninetythree per cent of families came to hospital within the first 2 hours after the accident (mean delay 99 ± 162 min, median range 54 minutes). Location of the accident was: domestic (62%, at home (64%)), at school (17%). Locations within the home were: the bedroom (33%), bathroom and toilets (21%). An adult was present in 75% of cases and responsible for the trauma in 25% of accidents, another child in 44%. The finger or fingers were trapped on the hinge side in 57% of patients. No specific safeguard devices were used by 94% of families. Among victims, 20% had several crushed digits; left and right hand were injured with an equal frequency. The commonest involved digits were: the middle finger (29%), the ring finger (23%). The nail plate was damaged in 60% of digital lesions, associated with a wound (50%), a distal phalanx fracture (P3) (12%). Six children had a partial or complete amputation of P3, 2 children a lesion of the extensor tendon, 1 child had a rupture of the external lateral ligament. Three percent of children required an admission to the paediatric orthopaedic surgery unit. Post-traumatic pain was mainly limited to the first 48 h (64%). Early complications included: 16 cases of infected injuries, 3 cases of pulpar necrosis. The total cost of hospital care was 71 500 euros, the average cost for hospitalised patient equal to 2100 euros and for ambulatory cases equal to 141 euros; the annual cost was estimated at 81 600 euros. Conclusion. – Associated with potentially serious digital injuries, functional or inesthetic sequelae, this painful experience still remains too frequent in toddlers for a home accident that could be often prevented by the acquisition of specific protective doors devices and for a reasonable cost compared to the cost of hospital care. © 2007 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Accident domestique ; Doigts ; Urgences Keywords: Home accidents; Finger injuries; Child
De réputation faussement bénigne, suscitant peu d’intérêt, cet accident douloureux souvent domestique est très fréquent [1–10]. Il nécessite une prise en charge initiale soigneuse et rigoureuse. De sa qualité dépend le pronostic fonctionnel et esthétique. La littérature est pauvre sur l’épidémiologie de ces traumatismes chez l’enfant ou alors associée à des études plus larges sur les traumatismes de la main avec une limite d’âge supérieure variable ou des travaux spécifiquement orthopédiques. L’originalité de cette étude réside dans le lieu de recueil à partir d’une unité d’urgences pédiatriques hospitalière, dans l’analyse de critères épidémiologiques circonstanciels et familiaux, le coût du séjour hospitalier. 1. Matériel et méthodes Tout enfant, quel que soit l’âge, se présentant entre le 6 septembre 2004 au 1er juillet 2005 au POSU pédiatrique, pour motif de doigt(s) coincé(s) dans une porte à fermeture mécanique, était inclus dans l’étude. Étaient exclus les accidents engendrés par les portes à fermeture automatique, les portes de jouet, de réfrigérateur ; les familles refusant de participer à l’étude ou les familles reparties de l’unité avant avis médical. L’étude était prospective, les données recueillies à l’aide d’un questionnaire comportaient : des données démographiques (âge, sexe, origine géographique, fratrie, âge et profession des parents, type d’habitat [maison ou appartement]) ; des données sur l’accident (heure et lieu de survenue, circonstances, existence de système bloque–porte, côté de la porte impliqué [charnière ou serrure], existence d’un tiers en cause, mode et heure d’arrivée à l’hôpital) ; le bilan lésionnel clinique et radiologique ; le traitement ; la nécessité de soins infirmiers
à domicile ; le devenir. L’évaluation des complications précoces (entre j3 et j60) a été réalisée soit à l’occasion de consultations de suivi, soit par recueil téléphonique lorsque les familles n’avaient pas été reconvoquées ou ne s’étaient pas présentées à la consultation. Le coût du séjour hospitalier estimé était le coût facturé aux familles et mis à notre disposition par le gestionnaire de l’établissement. L’ensemble des résultats a été saisi et analysé à l’aide du logiciel Excel. 2. Résultats Durant la période étudiée, 361 enfants se sont présentés pour un accident type « doigt–porte » (ADP) représentant 34 % des traumatismes de la main et 3 % des urgences traumatiques sur la même période. Trois cent quarante enfants ont été inclus dans l’étude (16 familles perdues de vue, 2 refus de participer et 3 familles reparties avant avis médical), soit une exhaustivité de recueil supérieure à 94 %. La moyenne d’âge était égale à 5,5 ± 3,8 ans (extrême 4 mois à 15,5 ans), 55 % de la cohorte étant âgée de 1 à 5 ans. Le sex-ratio était égal à 1,2 avec une prédominance masculine. Cinquante-huit pour cent des patients étaient issus d’une fratrie de 3 enfants ou plus, 25 % d’une fratrie égale ou supérieure à 4 enfants. Les familles monoparentales (n = 54) représentaient 16 % de la population étudiée, l’âge moyen de la mère et du père était respectivement égal à 35 ± 7 ans et 37 ± 8 ans. Dans les familles de 4, 5, 6 enfants ou plus, la mère n’avait pas d’activité professionnelle respectivement dans 48, 56 et 70 % des cas. Comparée aux données disponibles de l’Insee pour le département de la Haute-Garonne, la proportion d’hommes en activité était plus élevée dans notre étude (68 d’actifs versus 56 % dans le
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département) ; les parents cadres, employés ou intermédiaires (catégories socioprofessionnelles Insee) étaient plus représentés que dans le département (63 versus 40 % en Haute-Garonne). Dans notre série, 70 % des familles habitaient une maison versus une moyenne départementale de 53 %. La majorité des familles était issue de la région Midi-Pyrénées (96 %) ou du département de la Haute-Garonne (93 %), elles avaient recours au service des urgences pédiatriques sans avoir consulté préalablement dans 96 % des cas, par véhicule personnel (90 %), entre 16 et 21 heures (47 %). Quatre-vingt-treize pour cent des familles se sont présentées dans les 2 heures suivant l’accident (n = 313) (délai moyen 99 ± 162 min, médiane 54 minutes). Un transport par ambulance ou par les pompiers était sollicité dans 48 % des accidents survenus en milieu scolaire. Le lieu de survenue de l’accident était : domestique (62 %, maison [64 %]), scolaire (17 %), lié à une portière de voiture (16 %). Après l’âge de 5 ans, la part scolaire des accidents augmentait progressivement pour atteindre 41 % après l’âge de 10 ans. Parmi les accidents domestiques (n = 211), 20 % étaient survenus en dehors du domicile parental. À l’intérieur de l’habitat, la répartition des différentes pièces impliquées est décrite dans le Tableau 1. Dans 75 % des cas, l’accident s’est produit en présence d’un adulte, lui-même responsable de la fermeture de la porte dans 25 % des cas. Un autre enfant était en cause dans 44 % des cas, la victime elle-même dans 23 % des situations. Le ou les doigts étaient coincés dans la charnière de la porte dans 57 % des accidents (70 % accidents domestiques), côté serrure dans 39 % des cas (75 % portière de voiture, 60 % accident portail ou portillons) et au-dessus ou en dessous de la porte dans le reste de la population. Aucun système bloque– porte n’était utilisé par 94 % des familles. Ces accidents ont été à l’origine de 427 lésions digitales, 20 % d’enfants avaient plus de 1 doigt atteint ; main droite ou main gauche était traumatisée à part égale indépendamment de la latéralisation. Les doigts longs étaient majoritairement impliqués : majeur 29 %, annulaire 23 %, index 17 %. Le Tableau 2 répertorie les différentes lésions diagnostiquées au niveau de la pulpe, de l’appareil unguéal ou de l’appareil ostéoarticulaire. L’ongle était traumatisé dans 60 % des cas ; une plaie (50 %) et/ou une fracture de P3 (12 %) associée(s). Six enfants avaient une amputation partielle ou totale de P3, 1 enfant une rupture du ligament latéral externe. La grande majorité a bénéficié d’une radiographie du (des) doigt(s) (93 %). Une réinsertion ou une couverture du Tableau 1 Répartition des pièces de l’habitat sièges de l’accident Pièce n = 246 Chambre 71 Toilettes 37 Salle à manger 19 Salle de bain 22 Entrée 15 Cuisine 16 Couloir 8 Portail 7 Garage 7 Autresa 44 a Portillon, atelier, véranda, terrasse, cellier, buanderie, card, salle de jeux.
Pourcentage 33 11 11 10 10 – – – – 18 cabane jardin, pla-
Tableau 2 Détails des 427 lésions observées Localisation anatomique Pulpe
Ongle
Os et tendons
a b
Type de lésions
n = 427 (%)
Aucune Plaies superficielles non suturées Plaies superficielles suturées Perte de substance Plaies profondes Amputation partielle Amputation totale P3a Aucune Hématome sous-unguéal Avulsion unguéale Totale Proximale Distale Latérale Plaies du lit unguéal Aucune Fracture P3 P2 P1 Luxation IPDb Appareil extenseur
287 (67) 50 (12) 72 (17) 4 (1) 8 (2) 5 (1) 1 228 (53) 58 (14) 141 (33) 46 82 8 5 21 (5) 340 (80) 87 (20) 83 1 3 1 2
P phalange. IPD interphalangienne proximale.
lit de l’ongle (35 %), une suture digitopulpaire (25,5 %), une perforation de l’ongle (6,5 %) complétaient cette prise en charge. Une antibiothérapie était prescrite pour des lésions avec plaie et/ou fracture ouverte (39 %). Le taux d’hospitalisation a été faible (3 %). Entre j8 et j60, l’évolution était appréciée par l’existence d’une douleur post-traumatique et/ou de complications précoces. Un suivi a été réalisé pour 87 % des patients, 43 familles ont été perdues de vue (13 %). La douleur post-traumatique, évaluée par l’interrogatoire des familles entre j8 et j60 et la notion de recours quotidien à des antalgiques, était limitée aux premières 48 heures dans 64 % des cas, persistait de j3 à j7 dans 20 % des cas et de j8 à j60 chez 11 % des enfants. Les complications précoces comprenaient : 16 cas de surinfection localisée (5,1 %), 3 cas de nécrose pulpaire imposant une amputation totale ou subtotale de P3. Cent trentequatre enfants ont bénéficié de soins infirmiers à domicile pour une durée moyenne de 22 jours ± 12 jours. Le coût total des soins hospitaliers facturé aux familles s’élevait, sur la période étudiée, à 71 500 euros soit un coût moyen par enfant hospitalisé de 2100 euros (extrême 605 à 5472 euros), pour les autres enfants, il est égal à 141 euros (extrême 46 à 183 euros) et un coût annuel estimé égal à 81 600 euros. 3. Commentaires Les traumatismes digitaux sont fréquents chez l’enfant [1– 10] ; un mécanisme de compression par écrasement est prépondérant avant l’âge de 6 ans et survient alors à domicile, le ou les doigts lésés très souvent à la fermeture d’une porte. Parmi les accidents domestiques répertoriés chez l’enfant grâce à l’enquête européenne EHLASS (European Home and Leisure Accident Surveillance System) et française EPAC (enquête per-
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manente sur les accidents de la vie courante) [1], 3 % sont liés à un écrasement dans une porte et concernent les doigts dans 2/3 des cas. Les publications spécifiques purement pédiatriques sont peu nombreuses, souvent issues de séries prises en charge en unité d’orthopédie infantile [2–6], rarement à partir du recrutement d’un service d’urgences pédiatriques [7,8], la répartition par tranche d’âge des différentes séries était rarement détaillée et la limite d’âge supérieure variait de 15 à 18 ans. L’incidence de ces traumatismes est fort probablement sous-estimée, certains accidents bénins étant traités en médecine libérale ou en clinique privée. Selon les études, la moyenne d’âge variait de 4 à 6 ans et 50 à 60 % des doigts coincés dans une porte concernaient des enfants âgés de moins de 5 ans [2–4,7,9]. Quel que soit l’âge, l’accident était domestique dans 60 à 75 % des cas [2,6,9,10]. Peu d’auteurs se sont intéressés à déterminer les pièces de l’habitat sièges de l’incident, le côté de la porte impliqué ou l’acteur intra- ou extrafamilial en cause dans la fermeture de la porte [10,11]. L’ensemble toilettes–salle de bain représentait 20 % des lieux de l’accident dans l’étude de Doraismy [11] et la salle à manger était le lieu principal (32 % des cas). Dans notre étude, la chambre de l’enfant était le lieu de prédilection (33 % des enfants) (Tableau 1). Cette différence pourrait s’expliquer d’une part par un recueil insuffisant des données (48 % versus 72 %) concernant le lieu de l’accident dans la série de Doraismy et Baig [10], d’autre part par un habitat britannique caractérisé par des chambres plus petites transformant la salle à manger en salle de jeux préférentielle. La présence d’un adulte était constatée dans 84 % des cas, lui-même responsable de la fermeture de la porte dans 25 à 35 % des accidents [10]. L’acteur de la fermeture était près de 1 fois sur 2 un autre enfant de la fratrie ou la victime elle-même (15 à 25 %) [10]. La typologie des familles de notre série (58 % famille ayant 3 enfants ou plus), l’habitat majoritairement en maison (plus de portes) et le recours aux urgences de 33 % de la population départementale des enfants âgées de moins de 5 ans pourraient expliquer l’incidence élevée des passages dans l’unité pour ces traumatismes (457 accidents doigt–porte répertoriés en 2005). Ce type d’accident ne semble pas lié à un faible niveau socioéconomique, 63 % des familles de notre population étant issu de catégories socioprofessionnelles cadres, employés ou intermédiaires (catégories Insee). Outre l’absence quasi systématique de système de prévention (94 % des habitations), un habitat en maison (70 %) et une fratrie nombreuse sont des éléments favorisants, un autre enfant étant responsable de la fermeture de la porte dans 44 % des situations. Le côté de la porte impliqué est surtout la charnière avant l’âge de 10 ans, la personne responsable de la fermeture de la porte n’ayant pas la visibilité du petit enfant situé derrière [11]. Main droite ou main gauche sont lésées sans différence significative chez l’enfant latéralisé ou non. L’atteinte de plusieurs doigts n’était pas rare et notée dans 7 à 15 % des séries [3,4,10], elle concernait les doigts longs (majeur, annulaire) dans 45 à 70 % des études [2–4]. Des 3 constituants digitaux, pulpe et ongle étaient préférentiellement traumatisés avec fracture associée dans 1/3 des cas localisée au niveau de P3. La présence de cartilage de croissance à la base de P3, ses rapports étroits avec la gaine du
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tendon fléchisseur et la souplesse des tissus engendrent des particularités lésionnelles propres à l’enfant [3,12]. L’erreur serait donc de sous-estimer la gravité potentielle de ces lésions [13]. Il existe des classifications lésionnelles, celle de Rosenthal rappelée par Ardouin et al. [3] est topographique, elle distingue 3 zones : proximale, médiane et distale de l’appareil pulpounguéal ; Evans et Bernadis [14] avaient proposé une classification très détaillée des atteintes de l’ongle, de la pulpe et de l’os, elles sont peu adaptées ou adaptables aux lésions rencontrées chez le jeune enfant avant 6 ans, la différence d’épaisseur et de souplesse de la tablette unguéale entre adulte et enfant expliquant le pourcentage élevé de sa luxation et une fréquence moindre d’hématomes sous-unguéaux [12]. L’hématome sous-unguéal traduit une plaie du lit de l’ongle. En l’absence d’autre lésion de la tablette ou de l’os, l’exploration systématique du lit unguéal par dépose et repose de l’ongle ne fait pas l’unanimité : certains la recommandent dans tous les cas [2,3] ; pour Poirier et Ardouin [12] si l’hématome occupe plus de 50 % de la surface visible de l’ongle ; pour Ljungberg et al. [4] si une fracture est associée à un hématome occupant plus de 50 % de la surface et Roser et Gellman [15] ne la conseillaient pas de façon systématique sur la seule présence de l’hématome quelle qu’en soit la taille et en l’absence d’autres lésions. Si la tablette unguéale est désinsérée, le pourcentage de lésions du lit unguéal est élevé (60 à 85 % des cas) [3,5]. L’avulsion unguéale totale varie selon les séries et le type d’unité lieu du recueil de données ; atteignant jusqu’à 44 % des patients dans les services d’orthopédie [3], elle est faible (inférieure à 5 %) dans les études réalisées à partir de dossiers d’urgences pédiatriques [4,7]. Dans notre série, le pourcentage élevé d’avulsion totale (33 %) pourrait être le témoin d’un biais de recrutement de lésions plus graves, biais lié au monopole de la structure sur la région et à celui de l’unité de chirurgie orthopédique infantile. Après avulsion unguéale, une nouvelle tablette repoussera dans un délai de 4 à 6 mois, d’abord irrégulière, le résultat clinique définitif ne saurait être apprécié avant 9 à 12 mois de recul [16]. Les fractures décollement épiphysaires de P3 et les fractures de la houppe résument la majorité des atteintes osseuses, les fractures transversales sont plus rares avant l’adolescence par mécanisme prépondérant d’écrasement avant cet âge. L’incidence de l’atteinte osseuse était comprise entre 20 et 30 % [2–4,7,10]. Les amputations partielles ou totales touchaient majoritairement P3, leur incidence était comprise entre 4 et 11 % des séries [4,7,10,17]. Le taux global de complications est de 11 à 25 % des cas [3], celui des complications infectieuses de 1 à 11 %. Les complications précoces comportent le risque : d’infection subunguéale (3–5 %) [2–4,8] ; d’ostéite ou ostéoarthrite (inférieur à 1 %) [3,4], de nécrose pulpaire (2 %) [3,4]. Une antibiothérapie prophylactique systématique devrait être réservée aux lésions les plus complexes [4], en cas de fracture associée pour Masquelet et Gilbert [18], mais elle n’a pas d’intérêt à être instaurée systématiquement, même en cas de fracture ouverte de P3 pour Stevenson [19]. Le taux d’hospitalisation, à partir des urgences pédiatriques, de ce type de patients est peu connu. Mc Gregor et Hiscox [7] ont rapporté un taux de 15 % d’hospitalisation dans une cohorte de 188 enfants. Ce taux plus faible dans
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Fig. 2. Exemple de dispositif de blocage de fermeture de porte. Fig. 1. Exemple de dispositif de couverture de charnière de porte.
notre étude (3 %) peut s’expliquer par l’accès facile à un chirurgien orthopédiste infantile 24 heures sur 24 pour les lésions les plus graves tandis que les évacuations d’hématome sousunguéal, l’exploration–suture du lit de l’ongle, le repositionnement de la tablette, une suture pulpodigitale et autre réduction de fracture peu déplacée de P3 sont réalisés par les médecins urgentistes de l’accueil traumatologique des urgences pédiatriques. Les complications sensitives et douloureuses sont peu ou mal évaluées chez l’enfant. Ljungberg et al. [4], dans une série de 455 enfants, mentionnaient des troubles de la sensibilité pulpaire et surtout à la pression parmi 8 % des patients. Dans notre population, l’évaluation de la douleur est certes méthodologiquement contestable mais on notait que 20 % des patients avaient encore besoin d’antalgiques entre j3 et j7 et 11 % des enfants entre j8 et j60 avec hyperesthésie résiduelle. Au même titre que d’autres accidents domestiques, la plupart de ces accidents pourrait être évités par l’utilisation de systèmes bloque– porte. Ces moyens de prévention plus ou moins sophistiqués ont été étudiés par Doraismy [11]. Ces différents systèmes comprennent des dispositifs de couverture de la charnière (système Securinotte Alnor® (Fig. 1) ou Finger Alert de Arte Viva®) n’entravant pas le fonctionnement normal de la porte, ils laissent la possibilité d’écrasement du côté opposé ; des dispositifs de blocage de fermeture de la porte : cale–porte (Babydan®, bébé d’abord®), amortisseurs en mousse (Pinpon®, bloque–porte Babysun®, Bambisol®, BabyWalz® (Fig. 2) à placer hors de portée de l’enfant ; des dispositifs de série où les portes sont munies d’un système en plastique déformable intracharnière sur toute sa longueur maintenant un espace de 40 à 50 mm pour les doigts en cas de fermeture (système danois). Le coût de ces différents matériels varie de 2 (amortisseurs en mousse) à 22 euros l’unité (Securinotte Alnor®). En France, le nombre moyen de pièces par habitation est égal à 3 pour un appartement et 5 pour une maison [20]. Nous avons étudié le coût que représenterait l’équipement des
pièces principales en cause dans ces accidents (chambres + salle de bain + toilettes + salle à manger + cuisine) pour un habitat de type T3 (6 portes) ou T5 (8 portes). Le coût moyen de l’installation de système antipince doigts est de 10 euros par porte selon le dispositif choisi soit un coût moyen égal à 50 euros pour un T3 et égal à 73 euros pour un T5 à opposer au coût moyen par enfant d’une prise en charge hospitalière égale à 210 euros quel que soit le devenir et de 140 euros en l’absence d’hospitalisation. Le coût de l’équipement reste assez élevé pour les ménages, son acquisition laissée à leur appréciation personnelle et il n’existe pas de réglementation à l’heure actuelle pour le constructeur dans la prévention de ce type d’accidents. La prévention ayant ses limites dans la réduction des accidents domestiques même en cas de distribution gracieuse de système protection [21], il serait intéressant en France pour les constructeurs d’axer leurs efforts sur des moyens de prévention passive (portes équipées de série en système bloque–porte) sur l’exemple de l’implication de la Grande-Bretagne [7,11], de l’Australie [22], du Danemark [11], de la Suède [6] ou des États-Unis [17] dans la prévention des accidents domestiques de l’enfant. Remerciements Nous remercions vivement Mme Claire Walker pour son aide à la traduction anglaise du résumé de ce travail. Références [1] Thélot B, Ricard C, Nectoux M. Guide de référence pour le recueil des données de l’Enquête permanente sur les accidents de la vie courante. Réseau EPAC, Institut de veille sanitaire, décembre 2004. http://www. invs.sante.fr/publications/2005/guide_epac/guide_epac.pdf. [2] Ingelfield CJ, D’Arcangelo M, Kohle PS. Injuries to the nail bed in childhood. J Hand Surg [Br] 1995;20:258–61. [3] Ardouin T, Poirier P, Rogez JM. Les traumatismes des extrémités digitales et de l’appareil unguéal chez l’enfant. À propos de 241 cas. Rev Chir Orthop Reparatrice Appar Mot 1997;83:330–4.
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