Quelle est la place du médecin du travail dans la prévention des infections nosocomiales ?

Quelle est la place du médecin du travail dans la prévention des infections nosocomiales ?

Éditorial Quelle est la place du médecin du travail dans la prévention des infections nosocomiales ? J.F. Gehanno1 D.A. Abitboul2 1. Service de médec...

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Éditorial

Quelle est la place du médecin du travail dans la prévention des infections nosocomiales ? J.F. Gehanno1 D.A. Abitboul2 1. Service de médecine du travail et de pathologie professionnelle, CHU Rouen 2. Service de médecine du travail, CHU Bichat-ClaudeBernard.

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es médecins du travail des établissements de santé sont régulièrement confrontés à la question du risque nosocomial induit par les soignants. La gestion de ces questions s’opère souvent en partenariat avec les praticiens des équipes opérationnelles d’hygiène et permet, en général, d’obtenir des résultats satisfaisants, pour l’ensemble des parties. Néanmoins, de telles situations posent de réels problèmes en terme de missions respectives des différents acteurs, d’une part et des moyens disponibles, d’autre part. L’esprit de la loi de 1946 fondatrice de la médecine du travail est précisé par l’article L241-2 du code du travail qui indique que le rôle des médecins du travail est « exclusivement préventif » et « consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail, notamment en surveillant les conditions d’hygiène du travail, les risques de contagion et l’état de santé des travailleurs ». Une interprétation stricte de ce texte conduit à considérer que la protection des patients (pour le milieu de soin) ne rentre pas stricto sensu dans les missions des médecins du travail et qu’il ne doit donc pas prendre en compte ce paramètre dans le type de suivi qu’il propose aux soignants, dans les examens complémentaires qu’il prescrit et dans les avis d’aptitude qu’il délivre. Cette interprétation se heurte à des éléments réglementaires et des questions plus pratiques d’optimisation de la prise en charge. Dans la fonction publique hospitalière, la surveillance de personnels a été codifiée par le décret du 16 août 1985 qui précise que tout agent doit bénéficier, avant sa prise de fonction, d’un examen médical effectué par le médecin du travail,

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qui a pour objet, entre autres, de « rechercher si l’agent n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour son futur entourage » (art. R 242-15 du code du travail). Cet entourage peut être entendu de façon large, incluant les collègues de travail et les patients pris en charge par l’agent ou au contact de l’agent. Toutefois, pour les personnels de santé travaillant dans le secteur privé, les textes applicables apparaissent plus restrictifs. En effet, l’article R241-48 du code du travail indique que « l’examen médical a pour but "…de rechercher si le salarié n’est pas atteint d’une affection dangereuse pour les autres travailleurs… », ce qui peut être perçu comme excluant un entourage plus large comme les patients ou le public. Néanmoins, en cas d’application manichéenne de cette dichotomie de mission, la gestion pratique des situations rencontrées au quotidien peut alors devenir, au mieux, complexe, voire absurde. En effet, dans la très grande majorité des cas, le soignant potentiellement contaminant exerçant au contact des patients est également au contact d’autres travailleurs. Le risque de contamination de ces deux populations est réel, bien que la gravité de l’affection ne soit pas toujours du même ordre. Distinguer ces deux populations en termes d’objectifs de prévention est inopérant en pratique et pourrait conduire à faire répéter par deux médecins différents, un médecin du travail et un généraliste ou un praticien de l’établissement où travaille le soignant, les mêmes examens cliniques et paracliniques. Outre le caractère ubuesque de la situation, des questions relatives à l’optimisation des doses de rayonnements reçus par de multiples radiographies de thorax prescrites en doublons, dans le cas pratique de la tuberculose, Arch Mal Prof Env 2006

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ne manqueraient pas de se poser. De plus, seul le médecin du travail connaît les dossiers médicaux des membres du personnel et possède une légitimité pour interroger un sujet sur ses antécédents médicaux, sur les pathologies en cours ou sur une éventuelle grossesse, dans la perspective d’un acte vaccinal, d’une proposition thérapeutique ou d’une prescription de radiographie. Par ailleurs, le médecin du travail garantit un respect du secret médical vis-à-vis des informations fournies par le soignant. Enfin, seul le médecin du travail dispose de la possibilité de demander à l’employeur des aménagements de poste, des restrictions d’activité ou des réorientations temporaires, sans lui donner d’éléments médicaux pour justifier son avis. Ceci est spécifié par l’article L 241-10-1 du code du travail qui stipule que « le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l’âge, à la résistance physique ou à l’état de santé physique et mentale des travailleurs » mais surtout que « le chef d’entreprise est tenu de prendre en considération ces propositions ». Enfin il est utile de rappeler que la nouvelle loi de santé publique du 9 août 2004 impose aux services de santé au travail de participer aux actions de santé publique spécifiquement en cas de risque de contagion.

Plusieurs exemples pratiques peuvent être pris à l’appui de ces réflexions Le dépistage de la tuberculose L’avis récent (30 septembre 2005) du Comité technique des vaccinations et du Conseil supérieur d’hygiène publique de France relatif à la vaccination par le vaccin BCG, et au renforcement des moyens de la lutte antituberculeuse en France, soulève un certain nombre de questions relatives à la place des médecins du travail dans la prévention des infections nosocomiales. Cet avis prévoit le dépistage systématique de la tuberculose contagieuse avant l’embauche et annuellement chez toute personne immunodéprimée ou originaire d’un pays de forte endémie tuberculeuse, en France depuis moins de 10 ans, amenée à travailler régulièrement au contact direct d’enfants de moins de 15 ans. On retrouve dans cette population des personnels de PMI mais également un grand nombre de salariés d’établissements de soins ou médico-sociaux, de statut public ou privé. 604

L’objectif premier de cet avis est la prévention de la contamination des enfants par les adultes. Dans cette perspective, quel médecin pourrait être amené à dépister cette pathologie chez les salariés et, éventuellement, à informer l’employeur de l’inaptitude du sujet pour qu’il puisse souscrire à son objectif de ne pas laisser des enfants contaminés par un membre de son personnel ? L’exclusion à l’embauche et à l’occasion d’examens annuels des travailleurs potentiellement contagieux est discriminatoire. Néanmoins, la création par la loi du 3 février 2005 de l’article L. 122-45-4 dans le code du travail, qui dispose que « les différences de traitement fondées sur l’inaptitude constatée par le médecin du travail (…) en raison de l’état de santé ou du handicap ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectives, nécessaires et appropriées » pose clairement le rôle et la responsabilité du médecin du travail dans cette procédure. Tout avis posé par un autre médecin et transmis à l’employeur constituerait donc une forme de discrimination et une violation du secret professionnel (sanctionnées toutes deux par les articles 225-3 et 226-13 du code pénal). Il convient par ailleurs de rappeler que, en cas de dépistage positif en cours de carrière, seul l’avis d’inaptitude posé par le médecin du travail, assorti de recommandations permet de protéger l’emploi du salarié/patient. L’objectif du dépistage de la tuberculose dans cet avis est de protéger les enfants de moins de 15 ans en contact direct avec un travailleur potentiellement contagieux. Néanmoins, dans la très grande majorité des cas, le sujet potentiellement contaminant, exerçant au contact d’enfants de moins de 15 ans, est également au contact d’autres travailleurs. Le risque de contamination de ces deux populations est réel et le médecin ne peut faire abstraction d’une de ces deux populations dans sa prise de décision. À ce stade, la question du financement des radiographies peut émerger. En effet, l’employeur doit prendre en charge, d’après le code du travail, uniquement les examens prescrits par les médecins du travail pour la détermination de l’aptitude ou le dépistage des pathologies d’origine professionnelle. On peut néanmoins penser que tout employeur dûment informé de l’intérêt de protéger ses clients serait tout à fait prêt à le faire vu l’impact négatif pour lui, notamment financier, qu’aurait la contamination d’enfants pris en charge par ses salariés.

La coqueluche et les tout-petits Le second exemple est celui de la coqueluche, qui mérite d’être évoqué en raison de la recrudescence de Arch Mal Prof Env 2006

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cette pathologie et des nombreux cas d’atteintes des personnels relevés dans divers hôpitaux en France au cours de l’hiver 2004-2005. Les conséquences d’une exposition au bacille de la coqueluche peuvent être graves, voire létales, chez des nourrissons non immunisés, alors qu’elles ne sont qu’exceptionnellement problématiques pour un adulte sain, situation courante des personnels soignants. Prononcer une éviction professionnelle pour un soignant atteint de cette affection répondra aux objectifs de protections des autres travailleurs, mais surtout à ceux de protection des patients. Bien que restant dans les missions du médecin du travail, l’objectif premier de son intervention en terme de prévention portera plus sur les enfants que sur les autres travailleurs. Que faire d’un soignant contaminé, tant que le traitement antibiotique n’a pas permis l’éradication du germe et la non-contagiosité du soignant ? Le port d’un masque s’impose, à l’évidence, lors du contact avec les enfants et avec les membres du personnel. Une éviction du soignant en contact avec les patients les plus fragiles peut se discuter, mais son objectif sera clairement orienté vers la prévention des atteintes des patients et non des membres du personnel. Une telle éviction, peut être réalisée par le médecin du travail via une proposition de changement de poste ou peut résulter d’un arrêt de travail. Cette dernière hypothèse, la plus probable si c’est un médecin généraliste ou un praticien de l’hôpital du soignant qui prend en charge la situation pose un problème éthique. En effet, elle revient à interdire à un individu de travailler, alors qu’il est en bonne santé (ce qui est le cas de la plupart des patients coquelucheux adultes) et de le priver du même coup d’une partie de ses revenus. S’il est titulaire de la fonction publique hospitalière, sa coqueluche pourra bénéficier d’une reconnaissance en maladie contractée en service, s’il en fait la demande mais sans garantie de succès ; il ne subira aucune perte de salaire ni de prime d’assiduité. Si cet individu dépend du régime général de la Sécurité sociale, il ne bénéficiera que des indemnités journalières et subira trois jours de carence sur un arrêt d’une durée de cinq jours.

Les vaccinations altruistes Le cas des vaccinations altruistes peut être également envisagé avec profit. Ces vaccinations ont pour objectif principal, sinon exclusif, de protéger les patients. La vaccination contre la coqueluche peut entrer dans cette catégorie mais nous avons vu qu’elle couvre aussi un risque professionnel. Le cas de la vaccination grippale des soignants est, a contrario, emblématique. Cette vaccination, après avoir été longtemps recommandée Arch Mal Prof Env 2006

par le calendrier vaccinal pour les soignants a été rendue obligatoire pour cette population par la loi de finances de la Sécurité sociale pour 2006 (JO du 20 décembre 2005). Cette obligation vaccinale pose de nombreux problèmes aux médecins chargés de l’appliquer. Le premier, et non des moindres, est que le vaccin est indisponible (car non fabriqué) approximativement de janvier à octobre. Ceci peut bien sûr poser problème en cas d’embauche pendant cette période. Le second est que l’article précise que « une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l’exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe ». La réflexion doit donc porter sur la réalité de l’exposition des soignants. Cette exposition n’est en pratique pas supérieure à celle de la population générale et l’on peut considérer que les soignants ne sont pas spécifiquement exposés et donc ne subissent pas cette obligation vaccinale. Le même type de raisonnement est d’ailleurs applicable au tétanos et à la poliomyélite. Le médecin du travail doit-il pour autant s’exclure de la pratique de ces vaccins pour les soignants ? La réponse est complexe mais probablement négative. En effet, le médecin du travail est le seul à pouvoir apprécier finement le rapport bénéfice risque d’une vaccination, puisqu’il est le seul praticien à être, par essence, détenteur des informations médicales des membres du personnel et dans le même temps soumis au secret médical pour ces informations. Pour autant, il semblerait logique que des vaccinations purement altruistes ne soient pas des vaccinations obligatoires pour les soignants.

Il n’y a pas que dans le domaine des pathologies infectieuses que la question de la place des médecins du travail dans la sécurité des patients se pose En effet, une infirmière présentant un trouble de la mémoire immédiate ou un syndrome dépressif marqué pouvant entraîner des erreurs majeures dans la réalisation des prescriptions sera habituellement prise en charge par le médecin du travail, s’il a connaissance de la pathologie et une proposition d’affectation sur un poste où de telles erreurs n’auront pas de conséquences sera alors envisagée, alors que le risque pour les autres travailleurs est nul. Ce type de situation est couramment rencontré et soulève, étonnamment, beaucoup moins de débat que celui concernant le risque infectieux alors qu’il est, par essence, identique. 605

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Le médecin du travail dispose donc des outils pour participer efficacement à la prévention des infections nosocomiales, incluant celles des personnels mais également celles des patients. Il est le seul à pouvoir, grâce à l’avis d’aptitude, proposer des adaptations ou des changements de postes sans que soit violé le secret professionnel ou qu’une discrimination soit exercée à l’encontre du travailleur. Pour autant, doit-il être chargé réglementairement de cette tâche ? Il apparaîtrait logique que l’interprétation du code du travail aille dans le sens d’une participation du médecin du travail à la prévention de

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l’ensemble des infections nosocomiales, pour ce qui concerne uniquement le cas des soignants infectés, avec toutefois deux réserves. La première est qu’il ne doit pas supporter seul la responsabilité de cette mission, et qu’il vient en appui des moyens humains existants, telles les équipes opérationnelles d’hygiène. La seconde est que, concernant la prévention des infections nosocomiales des patients, le soignant doit avoir le choix, en cas de nécessité d’examens complémentaires ou de vaccination « altruiste », de choisir son médecin.

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