Reproduction humaine : Qu’en savons-nous au juste?

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ÉDITORIAL ÉDITORIAL Reproduction humaine : Qu’en savons-nous au juste? Timothy Rowe, MB BS, FRCSC, FRCOG Rédacteur en chef ne chose étrange s’est pr...

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Reproduction humaine : Qu’en savons-nous au juste? Timothy Rowe, MB BS, FRCSC, FRCOG Rédacteur en chef

ne chose étrange s’est produite lorsqu’on m’a demandé de donner une conférence à un groupe d’étudiants des cycles supérieurs ne détenant pas de qualifications scientifiques particulières. Le sujet dont je devais traiter était la « reproduction humaine » et l’animateur m’a suggéré de structurer ma conférence de façon à ce qu’« un auditeur avisé des chaînes radio de la CBC » puisse la comprendre.

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Après avoir écouté les chaînes Radio 1 et Radio 2 de la CBC (il existe même une chaîne Radio 3 sur Internet—le saviez-vous?) pendant toute une fin de semaine, j’ai commencé à planifier une conférence traitant des fondements essentiels de la reproduction humaine à l’intention de jeunes adultes intelligents, mais relativement peu renseignés sur le sujet. C’est à ce moment que j’ai eu une embarrassante prise de conscience (la « chose étrange » susmentionnée…) : la physiologie de la reproduction humaine recèle toujours un grand nombre d’inconnues. Certes, nous nous débrouillons plutôt bien pour ce qui est de la pathophysiologie; lorsqu’une patiente nous demande de rectifier une situation manifestement incongrue, nous y parvenons en fait avec grande habileté. La plupart des interventions chirurgicales en obstétrique-gynécologie en témoignent. Cependant, lorsque l’on tente d’expliquer les raisons qui sous-tendent la nature de la situation d’origine obtenue à nouveau par rectification (ou les raisons pour lesquelles la reproduction fonctionne comme elle le fait), un énorme défi en vient à poindre à l’horizon. Heureusement, les participants à la conférence ont fait preuve d’assez de sollicitude pour ne pas remettre en question les fondements exposés (ou peut-être ont-ils été à même de comprendre, avec grande perspicacité, que j’aurais alors été dans l’impossibilité de leur répondre quoi que ce soit). Quoi qu’il en soit, ma conscience fait de la surchauffe depuis ce temps et j’estime qu’il est indispensable pour nous tous de réfléchir à cette problématique lorsque nous en venons à prétendre que nous maîtrisons notre domaine de J Obstet Gynaecol Can, vol. 32, n° 1, 2010, p. 13–14

compétence… il en va de notre salut! Certaines des questions ainsi soulevées ne peuvent être solutionnées que d’un point de vue téléologique (comme, par exemple, « Pourquoi la gestation humaine dure-t-elle neuf mois? »), tandis que d’autres ne peuvent l’être qu’en ayant recours à l’analogie et à la recherche indirecte (comme, par exemple, « Comment le zygote humain se fixe-t-il à l’endomètre, au juste? ») en raison des problèmes éthiques associés à l’exploration directe. Cependant, certaines autres questions sont formulées depuis des siècles et demeurent toujours sensiblement sans réponse. Bien que nos pratiques obstétricales reposent sur le travail et l’accouchement, les mécanismes qui sous-tendent le déclenchement de la parturition demeurent obscurs1. La suppression de l’activité de la progestérone semble jouer un rôle crucial2, mais comment en vient-elle à se manifester? Les données les plus récentes semblent pointer vers le rôle de l’hormone de libération de la corticotrophine et ses effets sur l’activité des œstrogènes et de la progestérone3. Quoi qu’il en soit, si nous ne parvenons pas même à formuler une explication globale pouvant nous satisfaire nous-mêmes, comment pouvons-nous penser pouvoir répondre aux questions de personnes intelligentes, mais n’étant pas rompues aux aspects scientifiques de la médecine. Les obstétriciens ne sont toutefois pas les seuls membres de notre discipline dont le chemin est parsemé d’embûches. Le dogme défendu par les endocrinologues génésiques compte également de graves lacunes, particulièrement en ce qui concerne l’apparition de la périménopause et le déclin et la disparition du potentiel génésique. Mêmes les interprétations téléologiques n’expliquent pas tout. Nous pouvons comprendre l’importance évolutionniste du déclin du potentiel génésique avec l’âge (les mères doivent être en santé et le demeurer jusqu’à ce que leur progéniture devienne indépendante), mais quel avantage la perte de la production de progestérone et d’estradiol ovariens (lorsque cesse l’ovulation à la ménopause) procure-t-elle du point de vue de l’évolution? Les hommes ne connaissent pas une JANUARY JOGC JANVIER 2010 l

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telle perte abrupte de la fonction gonadique. Le rapport qui, en 2004, a indiqué que les ovaires de souris juvéniles et adultes contenaient des cellules germinales actives sur le plan mitotique4 (qui, en théorie, étaient en mesure de se transformer en ovocytes) a laissé entendre qu’il pourrait s’agir là d’un faux pas de l’évolution. Maintenant, cette théorie est devenue réalité grâce à la création d’ovocytes fonctionnels à partir d’une lignée germinale de cellules souches issue d’ovaires murins néonataux (et, par la suite, à la fécondation et à la création d’une progéniture)5. Voilà donc une découverte emballante, soit, mais il n’en demeure pas moins que ces données ne s’appliquent qu’aux souris pour l’instant. Nous sommes encore loin de pouvoir affirmer que les ovaires humains renferment le même potentiel de création postnatale d’ovocytes et de renversement du déclin de la fertilité avec l’âge. Il est souvent déchirant d’avoir à expliquer cette perte de la fonction génésique aux femmes affectées, sans pouvoir leur fournir une raison ou leur offrir une stratégie thérapeutique. Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne la compréhension de la physiologie de la reproduction, les endocrinologues génésiques ont énormément profité de l’évolution de la fécondation in vitro, laquelle a permis l’observation et la manipulation du processus de fécondation.

qui mènent au cancer de l’ovaire, nous serons en mesure de nous centrer plus intensément sur la compréhension du risque individuel de cancer (par opposition avec les risques populationnels) et sur l’élaboration de stratégies individuelles visant la minimisation de ce risque. N’allez surtout pas croire que j’entretiens une quelconque animosité à l’endroit des oncologues en raison de la chance qu’ils ont de détenir plus de réponses que leurs collègues obs.-gyn. œuvrant dans d’autres domaines de spécialité (pas à haute voix , du moins…).

Parmi les spécialistes de l’obstétrique-gynécologie, les oncologues sont réellement ceux qui sont les plus privilégiés au chapitre de la détention de réponses. Par définition, ils font face à un processus pathologique (le cancer) et, en gros, nous nous attendons à ce qu’ils puissent prendre cette pathologie en charge et non pas nécessairement à ce qu’ils puissent nous expliquer les raisons qui ont mené à son apparition; cependant, ils détiennent une fois de plus, à ce chapitre, un avantage du fait de la quantité et du degré de sophistication des efforts de recherche visant l’identification des carcinogènes et des processus carcinogènes. Avec le temps, lorsque nous parviendrons à maîtriser les conséquences du VPH en ce qui a trait au cancer du col utérin et les multiples influences

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Malgré la teneur des propos qui précèdent, je ne veux pas donner l’impression que nous avons plus de questions que de réponses. Ma préparation en vue de cette conférence (et la conférence elle-même) m’a permis de me remémorer que nos connaissances en matière de reproduction humaine sont en fait plutôt remarquables. Prenez le temps de songer à une question fondamentale au sujet de la grossesse ou du cycle menstruel; vous serez alors rassuré de constater la richesse des connaissances dont vous disposez déjà. De notre côté, nous déploierons tous les efforts possibles pour nous assurer que la lecture de chacun des numéros du JOGC vous permettra d’enrichir encore plus vos connaissances.

1. Mendelson CR. « Mini-review: fetal-maternal hormonal signalling in pregnancy and labor », Mol Endocrinol, vol. 23, 2009, p. 947–54. 2. Zakar T, Hertelendy F. « Progesterone withdrawal: key to parturition », Am J Obstet Gynaecol, vol. 196, 2007, p. 289–96. 3. Smith R, Smith JI, Shen X, Engel PJ, Bowman ME, McGrath SA et coll. « Patterns of plasma corticotropin-releasing hormone, progesterone, estradiol, and estriol change and the onset of human labor », J Clin Endocrinol Metab, vol. 94, 2009, p. 2066–74. 4. Johnson J, Canning J, Kaneko T, Pru JK, Tilly JL. « Germline stem cells and follicular renewal in the postnatal mammalian ovary », Nature, vol. 428, 2004, p. 145–50. 5. Zou K, Yuan Z, Yang Z, Luo H, Sun K, Zhou L et coll. « Production of offspring from a germline stem cell line derived from neonatal ovaries », Nat Cell Biol, vol. 11, 2009, p. 631–6.