L’ANTIBIOGRAMME ET SON INTERPRÉTATION PHÉNOTYPIQUE EN 2012
Résistances naturelles et acquises aux `-lactamines chez les entérobactéries : comment les identifier en pratique quotidienne ? Frédéric Robina,*, Lucie Gibolda, Richard Bonneta
RÉSUMÉ Les β-lactamines antibiotiques restent des molécules essentielles à la prise en charge des infections dues aux entérobactéries. L’identification des mécanismes de résistance naturelle et acquise est essentielle à l’analyse de l’antibiogramme des souches d’entérobactérie. La complexité de cette analyse s’est accrue avec l’émergence de nouveaux mécanismes de résistance comme la production de carbapénèmase ou l’isolement d’espèces environnementales rarement observées en bactériologie clinique. Le présent article résume les phénotypes de résistance naturelle des principales entérobactéries aux β-lactamines ainsi que les principaux mécanismes de résistance acquise. Sont également présentés les principaux tests phénotypiques de détection des mécanismes de résistance majeurs (β-lactamase à spectre étendu et carbapénèmase), et un exemple d’algorithme de lecture de l’antibiogramme. β-lactamines – β-lactamase – résistance – Enterobacteriaceae.
1. Introduction Les β-lactamines demeurent à l’heure actuelle les molécules les plus utilisées dans le traitement des infections dues aux entérobactéries. Cette large utilisation est principalement liée à leur faible toxicité et à leur pouvoir bactéricide. Cependant, les entérobactéries hébergent naturellement et ont acquis des résistances limitant leur activité. Ces résistances sont liées à un défaut d’accu-
a Laboratoire de bactériologie Centre national de référence de la résistance aux antibiotiques Laboratoire associé BLSE/céphalosporinase Centre hospitalier universitaire de Clermont-Ferrand 58, rue Montalembert 63003 Clermont-Ferrand cedex et équipe M2iSH - INSERM U1071- INRA USC2018 Clermont Université – Université d’Auvergne 28, place Henri-Dunant 63000 Clermont-Ferrand
* Correspondance
[email protected] article reçu le 31 mai, accepté le 5 juin 2012. © 2012 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
SUMMARY Intrinsic or acquired resistant to β-lactams in Enterobacteriaceae: How to identify them in clinical practice? β-lactams antibiotics are the main molecules for treatment of infections caused by Enterobacteriaceae. The identification of natural and acquired resistance mechanisms is essential to analyze their susceptibility to these antibiotics. The complexity of this analysis has increased with the emergence of new resistance mechanisms such as production of carbapenemase or the isolation of environmental species rarely encountered in clinical bacteriology This article summarizes the natural and acquired resistance phenotypes of Enterobacteriaceae, the phenotypic detection tests of the major resistance mechanisms (extended spectrum β-lactamase and carbapenemase), and an example of a antibiogram reading algorithm. β-lactams – β-lactamase – resistance – Enterobacteriaceae.
mulation au contact de la cible (les PLP ou protéines liant les pénicillines) suite à une imperméabilité ou un efflux de l’antibiotique, à des modifications des PLP ou à la production d’enzymes inactivatrices appelées β-lactamases [1]. Ces mécanismes de résistance doivent être détectés à l’aide de l’antibiogramme, pour permettre l’utilisation de la molécule la plus efficace. Leur détection est parfois complexe car certains mécanismes de résistance naturels ou acquis peuvent être exprimés à bas niveau in vitro. Certains mécanismes nécessitent en outre la mise en place de mesures d’hygiène spécifiques (isolement contact, dépistage des sujets contact…) et font l’objet d’une surveillance nationale voire internationale à cause de leur haut potentiel de diffusion et leur spectre d’activité. Il convient donc de connaître les résistances naturelles de chaque espèce ou groupe d’espèces d’entérobactéries et de savoir identifier et interpréter les résistances acquises sur la base du phénotype de résistance observé à l’antibiogramme. Cette analyse phénotypique nécessite un antibiogramme comprenant un panel adapté
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445 //
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de β-lactamines permettant de détecter à la fois les résistances naturelles éventuelles spécifiques d’espèce, qu’il faudra corréler à l’identification biochimique, et les principales résistances acquises. Ce panel doit donc inclure idéalement une aminopénicilline (ampicilline ou amoxicilline), une carboxypénicilline (ticarcilline) et une uréidopénicilline (pipéracilline), seules et associées à un inhibiteur de β-lactamases, des céphalosporines de 1re génération (céfalotine), de 2e génération (céfuroxime), de 3 e génération (ceftazidime et céfotaxime ou ceftriaxone), de 4e génération (céfépime), l’aztréonam, une céphamycine (céfoxitine) et des carbapénèmes (imipénème et ertapénème).
48
Tableau I – Phénotype sauvage
Imperméabilité
Pénicillinase bas niveau
Aminopénicillines
S
S
R
Aminopénicillines + clavulanate
S
S
S/I
Carboxypénicillines
S
S
R
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S
S
Uréïdopénicillines
S
S
(S→I)/I/R
Uréïdopénicillines + tazobactam
S
S
S
Céphalosporines de 1re génération
S
I
S/I
Céphalosporines de 2e génération
S
I
S
2. Les phénotypes de résistance naturelle (tableaux I à VII)
Céfoxitine
S
I
S
Ceftazidime
S
S
S
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S
S
Le principal mécanisme de résistance des entérobactéries aux β-lactamines est la production de β-lactamases. Elle est observée naturellement dans la plupart des espèces. Ces enzymes naturelles sont des enzymes à sérine active appartenant soit à la classe A de la classification d’Ambler et sensibles in vitro à l’activité des inhibiteurs de β-lactamases utilisés en thérapeutique comme le clavulanate, le tazobactam et le sulbactam, soit à la classe C et résistantes à ces inhibiteurs. Ces β-lactamases, de même classe ou non, peuvent avoir des spectres hydrolytiques variables selon l’espèce bactérienne et des systèmes de régulation peuvent parfois contrôler leur expression. Enfin on observe dans quelques espèces la production naturelle de plusieurs β-lactamases. Tous ces paramètres expliquent la diversité des phénotypes de résistance naturelle observés chez les entérobactéries. Historiquement, quatre groupes d’entérobactéries avaient été définis sur la base du phénotype de résistance naturelle aux β-lactamines [2]. Depuis, la création de nouveaux groupes a été proposée suite à l’évolution de la taxonomie et des connaissances dans le domaine des β-lactamases [1]. Les différences entre certains groupes ne sont pas toujours identifiables sur la base de l’antibiogramme. Cependant, elles ont des conséquences sur l’analyse des phénotypes de résistance acquise. Ainsi, 7 groupes d’entérobactéries peuvent être différenciés.
Aztréonam
S
S
S
Céphalosporines de 4e génération
S
S
S
Test de synergie BLSE
-
-
-
Ertapénème
S
S
S
Imipénème
S
S
S
Test de synergie MBL
-
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
-
1
Le test de synergie BLSE peut être faussement positif. Des faux positifs peuvent être observés. 3 Le test de Hodge modifié n’est pas toujours positif avec les souches productrices de MBL. 2
Tableau II – Phénotype sauvage
Imperméabilité
Céphalosporinase
Aminopénicillines
S/I
S/I
R
Aminopénicillines + clavulanate
S/I
S/I
R
Carboxypénicillines
S
S
S
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S
S
Uréïdopénicillines
S
S
S
Uréïdopénicillines + tazobactam
S
S
S
re
Céphalosporines de 1 génération
S/I
I
R
Céphalosporines de 2e génération
S
I
S/I/R
2.1. Les groupes 0 et 1
Céfoxitine
S
I
S
Le groupe 0 inclut les entérobactéries ne possédant aucun gène codant pour une β-lactamase et donc naturellement sensibles à toutes les β-lactamines testées : le genre Salmonella et l’espèce Proteus mirabilis. Le groupe 1 (céphalosporinase constitutive de très bas niveau) inclut E. coli et le genre Shigella qui possèdent un gène ampC codant pour une céphalosporinase de la classe C d’Ambler donc résistante aux inhibiteurs. Elle est exprimée de manière constitutive à très bas niveau. Selon le niveau d’expression, le phénotype de résistance naturel varie entre une sensibilité à toutes les β-lactamines testées et une sensibilité intermédiaire aux céphalosporines de première génération et/ou aux aminopénicillines avec et sans inhibiteurs.
Ceftazidime
S
S
S
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S
S
Aztréonam
S
S
S
Céphalosporines de 4e génération
S
S
S
Test de synergie BLSE
-
-
-
Ertapénème
S
S
S
Imipénème
S
S
S
Test de synergie MBL
-
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
-
1
Le test de synergie BLSE peut être faussement positif. 2 Des faux positifs peuvent être observés. 3 Le test de Hodge modifié n’est pas toujours positif avec les souches productrices de MBL.
// REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445
L’ANTIBIOGRAMME ET SON INTERPRÉTATION PHÉNOTYPIQUE EN 2012
Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 0. Pénicillinase haut niveau
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (IRT)
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (OXA)
BLSE
Céphalosporinase
BLSE ou céphalosporinase + imperméabilité
Carbapénèmase (MBL)
Carbapénèmase (KPC)
Carbapénèmase (OXA-48)
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
S/I/R
R
S/I/R
R
I/R
R
R
(S→I)/I/R
R
R
I/R
R
R
R
R
I/R
S/I/R
R
S/I/R
I/R
S/I/R
R
I/R
R
R
(S→I)/I/R
R
R
I/R
R
I/R
R
R
S/I/R
S/I/R
R
S
I/R
S/I/R
I/R
I/R
R
I/R
S
I
R
R
R
R
R
I
S/I/R
S
S
R
R
R
R
R
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S(/I rare)
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S S(/I rare)
S
S
S(/I rare)
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
S
I/R
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S
S/I/R
I/R
I/R
S/I/R
-
-
+/-1
+
-
-
-
-
S
S
S
S
S
I/R
I/R
I/R
S/I/R
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I
-
-
-
-
-
-
+
-
-
-
-
-
-
-
+/- 2
+/-3
I/R
+
Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 1. Pénicillinase bas niveau
Pénicillinase haut niveau
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (IRT)
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (OXA)
BLSE
Céphalosporinase de haut niveau
BLSE ou céphalosporinase + imperméabilité
Carbapénèmase (MBL)
Carbapénèmase (KPC)
Carbapénèmase (OXA-48)
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
S/I
R
R
R
S/I/R
R
S/I/R
R
I/R
R
R
R
I/R
R
R
I/R
R
R
R
R
S
I/R
S/I/R
R
S/I/R
I/R
S/I/R
R
I/R
R
(S→I)/I/R
R
(S→I)/I/R
R
R
I/R
R
I/R
R
R
S
S/I/R
S/I/R
R
S
I/R
S/I/R
I/R
I/R
R
S/I
I/R
S/I
I
R
R
R
R
R
I
S
S/I/R
S
S
R
R
R
R
R
S
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S
S(/I rare)
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S
S
S
S/I
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S/I
S
S
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
S
I/R
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S
S/I/R
I/R
I/R
S/I/R
-
-
-
+ / -1
+
-
-
-
-
S
S
S
S
S
S
I/R
I/R
I/R
S/I/R
S
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I
-
-
-
-
-
-
-
+
-
-
+
+
-
-
-
-
-
-
+/-
2
+/-
3
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445 //
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2.2. Le groupe 2 Le groupe 2 (pénicillinase de bas niveau) inclut les espèces possédant une pénicillinase chromosomique constitutive exprimée à bas niveau (K. pneumoniae, K. oxytoca, Citrobacter koseri, Raoultella planticola, R. ornithinolytica, R. terrigena, Escherichia hermanii, C. gillenii). Le phénotype de résistance est caractérisé par une résistance aux aminopénicillines et aux carboxypénicillines. Elles apparaissent généralement sensibles in vitro aux uréidopénicillines, qu’il convient de corriger en intermédiaires, conformément aux règles de lecture interprétative [3].
Tableau III –
Aminopénicillines
Imperméabilité
Pénicillinase bas niveau
R
R
R
Aminopénicillines + clavulanate
S
S
S/I
Carboxypénicillines
R
R
R
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S
S
(S→I)/I/R
(S→I)/I/R
I/R
S
S
S
Uréïdopénicillines Uréïdopénicillines + tazobactam
2.3. Le groupe 3
Céphalosporines de 1 génération
S
I
S/I
Le groupe 3 (céphalosporinase inductible) comprend les espèces d’entérobactéries productrices de céphalosporinase AmpC, résistante aux inhibiteurs et inductible par les β-lactamines car régulée par un facteur de transcription AmpR. Les principales bactéries de ce groupe retrouvées en clinique humaine sont Enterobacter cloacae, E. aerogenes, E. asburiae, Serratia marcescens, C. freundii, C. braakii, C. youngae, Morganella morganii, Providencia rettgeri, P. stuartii, Hafnia alvei et Pantoea agglomerans. Le phénotype de résistance est marqué par une résistance aux aminopénicillines seules ou associées aux inhibiteurs et une résistance aux céphalosporines de 1re génération. Selon les espèces, il peut s’ajouter une résistance ou une sensibilité intermédiaire à la céfoxitine et au céfuroxime. Les espèces du genre Enterobacter et C. freundii (et apparentées) sont plus résistantes à la céfoxitine qu’au céfuroxime. S. marcescens et Morganella morganii sont plus résistantes au céfuroxime qu’à la céfoxitine. Les souches d’Hafnia alvei, Providencia et P. agglomerans sont généralement sensibles aux deux molécules. Par ailleurs, des images d’antagonisme peuvent être observées sur l’antibiogramme en diffusion entre les disques de la plupart des β-lactamines hydrolysées (les pénicillines, les céphalosporines de 2e et 3e génération) et des disques contenant des β-lactamines induisant fortement la production de la céphalosporinase comme l’imipénème, la céfoxitine ou le clavulanate. Enfin, certains isolats n’expriment pas ou faiblement leur résistance naturelle aux β-lactamines. Après validation de l’identification, une correction de l’antibiogramme est alors nécessaire afin de rapporter ces résistances naturelles [3].
Céphalosporines de 2e génération
S
I
S
2.4. Le groupe 4 Le groupe 4 (céphalosporinase inductible + enzyme sensible aux inhibiteurs) inclut les espèces Yersinia enterocolitica et Serratia fonticola. Ces deux espèces sont caractérisées par la production de deux enzymes : une céphalosporinase inductible de classe C donc résistante aux inhibiteurs et une enzyme sensible aux inhibiteurs [4, 5]. Cette dernière est chez Y. enterocolitica une pénicillinase chromosomique de bas niveau et chez S. fonticola une β-lactamase à spectre étendu (BLSE) chromosomique et inductible, qui hydrolyse les pénicillines et des céphalosporines. Les phénotypes de résistance induits par ces deux couples d’enzymes sont assez proches ; ils associent une résistance aux aminopénicillines, aux carboxypénicillines et aux céphalosporines de 1re génération. La résistance aux
50
Phénotype sauvage
re
Céfoxitine
S
I
S
Ceftazidime
S
S
S
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S
S
Aztréonam
S
S
S
e
Céphalosporines de 4 génération
S
S
S
Test de synergie BLSE
-
-
-
Ertapénème
S
S
S
Imipénème
S
S
S
Test de synergie MBL
-
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
-
1
Le test de synergie BLSE peut être faussement positif. 2 Des faux positifs peuvent être observés. 3 Le test de Hodge modifié n’est pas toujours positif avec les souches productrices de MBL.
Tableau IV – Phénotype sauvage
Pénicillinase Pénicillinase bas niveau haut niveau
Aminopénicillines
R
R
R
Aminopénicillines + clavulanate
R
R
R
Carboxypénicillines
S
R
R
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S
I/R
Uréïdopénicillines
S
(S→I)/I/R
R S/I/R
Uréïdopénicillines + tazobactam
S
S
Céphalosporines de 1re génération
R
R
R
Céphalosporines de 2e génération
S/I/R
S/I/R
S/I/R
Céfoxitine
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S
S
S(/I rare)
Ceftazidime Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S
S
Aztréonam
S
S
S
Céphalosporines de 4e génération
S
S
S
Test de synergie BLSE
-
-
-
Ertapénème
S
S
S
Imipénème
S
S
S
Test de synergie MBL
-
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
-
1 2
// REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445
Des faux positifs peuvent être observés. Le test de Hodge modifié n’est pas toujours positif avec les souches productrices de MBL.
L’ANTIBIOGRAMME ET SON INTERPRÉTATION PHÉNOTYPIQUE EN 2012
Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 2. Pénicillinase haut niveau
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (IRT)
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (OXA)
Hyper SHV (K. pneumoniae)
Hyper OXY (K. oxytoca)
BLSE
Céphalosporinase
BLSE ou céphalosporinase + imperméabilité
Carbapénèmase (MBL)
Carbapénèmase (KPC)
Carbapénèmase (OXA-48)
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
S/I/R
R
S/I/R
R
I/R
R
R
I/R
R
R
R
R
I/R
R
R
R
R
I/R
S/I/R
R
R
R
S/I/R
I/R
S/I/R
R
I/R
R
R
(S→I)/I/R
R
R
R
R
I/R
R
I/R
R
R
S/I/R
S/I/R
R
R
R
S
I/R
S/I/R
I/R
I/R
R
I/R
S/I
I
R
R
R
R
R
R
R
I
S/I/R
S
S
R
R
R
R
R
R
R
S
S
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S(/I rare)
S
S
I/R
S
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S
S
S(/I rare)
S
S/I/R
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S(/I rare)
S
S
S
S
I/R
S/I/R
I/R
S/I/R
S
I/R
S
S
S
S/I/R
S
S/I/R
S/I/R
S
S/I/R
I/R
I/R
S/I/R
-
-
+/-
+/-1
+/-1
+
-
-
-
-
S
S
S
S
S
S
S
I/R
I/R
I/R
S/I/R
S
S
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I
-
-
-
-
-
-
-
-
+
-
-
-
-
-
-
-
-
-
+/-2
+/-3
+
+
Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 3. Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (IRT)
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (OXA)
BLSE
Céphalosporinase
BLSE ou céphalosporinase + imperméabilité
Carbapénèmase (métallo enzyme)
R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
I/R
R
R
I/R
R
S/I/R
R
S/I/R
I/R
(S→I)/I/R
R
R
I/R
Carbapénèmase (KPC)
Carbapénèmase (OXA-48)
R
R
R
R
I/R
R
R
R
R
S/I/R
R
I/R
R
R
I/R
R
R
S/I/R
R
S
I/R
S/I/R
I/R
I/R
R
R
R
R
R
R
R
R
R
S/I/R
S/I/R
R
R
R
R
R
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I/R
I/R
I/R
S/I/R
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S
S
S(/I rare)
S/I/R
I/R
S/I/R
I/R
I/R
S(/I rare)
S
S
S/I/R
I/R
S/I/R
S
I/R
S
S
S/I/R
S/I/R
S
S/I/R
I/R
I/R
S/I/R
-
+/-
+
-
#NOM?
-
-
-
S
S
S
S
I/R
I/R
I/R
S/I/R
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S/I/R
S/I
-
-
-
-
-
+
-
-
-
-
-
-
+/-1
+/-2
I/R
+
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445 //
51
Tableau V – Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 4.
Aminopénicillines Aminopénicillines + clavulanate
Phénotype sauvage
BLSE
R
R
R(S→R)
R
Carboxypénicillines
R
R
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S/I/R
(S→I)/I/R
R
S
S
re
R
R
e
Uréïdopénicillines Uréïdopénicillines + tazobactam Céphalosporines de 1 génération Céphalosporines de 2 génération
S/R
R
Céfoxitine
S
S/I/R
Ceftazidime
S
S/I/R
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S/I/R
Aztréonam
S
S/I/R
S
S/I/R
e
Céphalosporines de 4 génération Test de synergie BLSE
-
+
Ertapénème
S
S
Imipénème
S
S
Test de synergie MBL
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
uréidopénicillines n’est généralement pas observée in vitro et une correction en intermédiaire s’avère nécessaire. S. fonticola est également souvent résistante au céfuroxime. Enfin la résistance aux associations aminopénicillines-inhibiteurs est généralement présente chez Y. enterocolitica, et plus rarement chez S. fonticola, à cause d’une faible expression de la céphalosporinase.
2.5. Les groupes 5 et 6 Le groupe 5 (céfuroximase inductible) rassemble les espèces produisant une enzyme chromosomique, sensible aux inhibiteurs, inductible et ayant un spectre d’activité hydrolytique proche de celui des BLSE. Ce groupe comprend P. vulgaris et P. penneri. Ils présentent naturellement une résistance aux aminopénicillines, aux céphalosporines de 1 re génération et au céfuroxime, ainsi qu’une sensibilité aux associations d’aminopénicillines et d’inhibiteurs. Le groupe 6 (BLSE de bas niveau/BLSE inductible) comprend d’une part des espèces environnementales (la plupart des espèces de Kluyvera comme K. ascorbata, K. cryocrescens, K. georgiana, Rahnella aquatilis et Erwinia perscinia) [6-10], rares en clinique humaine, qui produisent des BLSE de manière constitutive à bas niveau, et d’autre part des espèces de Citrobacter (C. amalonaticus, C. farmeri et C. sedlakii) qui produisent une BLSE inductible [11]. Ces espèces sont résistantes aux aminopénicillines, aux carboxypénicillines, aux céphalosporines de 1re génération et au céfuroxime. Elles sont sensibles aux
Tableau VI – Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 5. Phénotype sauvage
Pénicillinase bas niveau
Pénicillinase haut niveau
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (IRT)
Pénicillinase résistante aux inhibiteurs (OXA)
BLSE
Hyperproduction de l’enzyme chromosomique
Aminopénicillines
R
R
R
R
R
R
R
Aminopénicillines + clavulanate
S
R
R
R
R
S/I/R
S/I/R
Carboxypénicillines
S
R
R
(S→I)/I/R
R
R
R
Carboxypénicillines + clavulanate
S
S
I/R
S/I/R
R
S/I/R
S/I/R
Uréïdopénicillines
S
(S→I)/I/R
R
(S→I)/I/R
R
R
R
Uréïdopénicillines + tazobactam
S
S
S/I/R
S/I/R
R
S
S/I/R
re
R
R
R
R
R
R
R
e
Céphalosporines de 2 génération
R
R
R
R
R
R
R
Céfoxitine
S
S
S
S
S
S
S
Ceftazidime
S
S
S(/I rare)
S
S
S/I/R
S/I/R
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
S
S
S
S(/I rare)
S/I/R
R
Aztréonam
Céphalosporines de 1 génération
S
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
e
Céphalosporines de 4 génération
S
S
S
S
S/I/R
S/I/R
S/I/R
Test de synergie BLSE
-
-
-
-
+/-
+
+
Ertapénème
S
S
S
S
S
S
S
Imipénème
S
S
S
S
S
S
S
Test de synergie MBL
-
-
-
-
-
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
-
-
-
-
-
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L’ANTIBIOGRAMME ET SON INTERPRÉTATION PHÉNOTYPIQUE EN 2012
associations de pénicillines-inhibiteurs des β-lactamases. Elles restent habituellement sensibles aux uréïdopénicillines et aux céphalosporines de 3e génération. Cependant, pour les uréidopénicillines, l’activité enzymatique suggère, comme pour les espèces du groupe 2, une correction de sensible en intermédiaire. Les espèces de Citrobacter de ce groupe se différencient des espèces environnementales par la présence d’un système d’induction comme les entérobactéries des groupes 3, 4 et 5. Ainsi des images d’induction/antagonisme peuvent être observées comme évoqué précédemment.
niveau à la céfoxitine, associée ou non à une résistance de bas niveau aux céphalosporines de 1re et 2e génération, (ii) une résistance isolée aux céphalosporines de 4e génération chez des souches hyperproductrices de céphalosporinases et (iii) une résistance aux carbapénèmes chez des souches hyperproductrices de céphalosporinases ou de BLSE.
3.1.3. Hyperproduction de système d’efflux
3. Les phénotypes de résistance acquis (tableaux I à VII)
L’implication des systèmes d’efflux dans la résistance aux β-lactamines a été clairement identifiée dans plusieurs études en particulier chez K. pneumoniae. Cependant ce type de mécanisme touchant préférentiellement la céfoxitine et les C2G semble difficile à distinguer du point de vue phénotypique des résistances par modification des porines [13, 14].
3.1. Résistances non enzymatiques
3.2. Production de β-lactamases 3.2.1. Pénicillinase acquise
3.1.1.Modification de la cible Des modifications des PLP par mutation ont été impliquées dans la résistance aux β-lactamines. Une diminution de la production de la PLP1A a été associée à la résistance à l’imipénème et au mecillinam chez P. mirabilis. Ces mutations restent rares chez les entérobactéries [12].
3.1.2. Diminution de la perméabilité La modification ou la perte de porines est assez fréquente chez les entérobactéries. Trois phénotypes de résistance sont associés à ces modifications : (i) une résistance de bas
Tableau VII – Phénotypes de résistances naturelles et acquises pour les espèces du groupe 6.
Aminopénicillines Aminopénicillines + clavulanate Carboxypénicillines Carboxypénicillines + clavulanate Uréïdopénicillines
Phénotype sauvage
Hyperproduction de l’enzyme chromosomique
R
R
S
S/I/R
I/R
R
S
S/I/R
I/R
R
Uréïdopénicillines + tazobactam
S
S/I/R
Céphalosporines de 1re génération
R
R
Céphalosporines de 2e génération
R
R
Céfoxitine
S
S
Ceftazidime
S
S/I/R
Céfotaxime/Ceftriaxone
S
I/R
Aztréonam
S
I/R
e
Céphalosporines de 4 génération
S
S/I/R
Test de synergie BLSE
-
+
Ertapénème
S
S
Imipénème
S
S
Test de synergie MBL
-
-
Test de Hodge modifié
-
-
La production de pénicillinase acquise confère différents niveaux de résistance en fonction de la quantité d’enzyme produite. Le phénotype peut donc varier entre une résistance limitée aux amino et carboxypénicillines, qui nécessitera une interprétation des résultats des uréidopénicillines de sensible en intermédiaire [3], et une résistance à haut niveau à toutes les pénicillines associées ou non aux inhibiteurs de β-lactamases et aux céphalosporines de 1re génération, voire celles de 2e génération. Le phénotype d’expression faible est principalement observé chez les espèces de Proteae. Dans de rares cas, l’hyperproduction de pénicillinase engendre une diminution de sensibilité à la ceftazidime, associée à une résistance à toutes les pénicillines, seules ou associées aux inhibiteurs et aux céphalosporines de 1re et 2e génération. Ce dernier phénotype de résistance se distingue difficilement de celui conféré par les BLSE acquises.
3.2.2. Pénicillinase résistante aux inhibiteurs Les pénicillinases résistantes aux inhibiteurs sont principalement de type TEM (TRI). Elles confèrent généralement une résistance aux amino et carboxypénicillines seules ou en association avec les inhibiteurs. La résistance aux uréïdopénicillines est plus faible voire absente et l’association pipéracilline-tazobactam, bien que plus bactéricide, est généralement bactériostatique [15]. La correction des résultats sensibles des uréïdopénicillines en intermédiaires est réalisée comme précédemment. Les enzymes résistantes aux inhibiteurs de type OXA (β-lactamases de classe D) sont responsables d’un plus haut niveau de résistance incluant l’association pipéracilline-tazobactam, souvent une sensibilité intermédiaire aux céphalosporines de 1re génération (C1G) et parfois une résistance intermédiaire aux céphalosporines de 4e génération (C4G).
3.2.3. β-lactamase à spectre étendu
Les β-lactamases à spectre étendu (BLSE) sont des enzymes de classe A plasmidiques, qui présentent un potentiel de diffusion et une prévalence justifiant une surveillance épidémiologique. Elles confèrent une REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445 //
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résistance à toutes les pénicillines, aux céphalosporines de 1re et 2e génération et à au moins une céphalosporine de 3/4e génération (C3/4G) ou à l’aztréonam [16]. La sensibilité aux associations pénicillines-inhibiteurs de β-lactamases est souvent conservée. Cependant, le phénotype de résistance varie avec la nature de la BLSE produite et selon leur niveau de production. L’association pipéracilline-tazobactam est l’association pénicilline-inhibiteur la plus souvent active. La mise en évidence des BLSE repose sur la détection d’une synergie entre au moins une C3/4G ou l’aztréonam et le clavulanate. Cette détection peut être difficile chez les espèces du genre Proteus du fait d’une moindre production de ces enzymes.
3.2.4. Céphalosporinase de haut niveau L’hyperproduction d’un céphalosporinase confère une résistance à au moins une C3G. Une résistance est observée à toutes les pénicillines seules ou en association avec des inhibiteurs ainsi qu’à toutes les céphalosporines de 2e génération (C2G) et aux céphamycines (sauf H. alvei). Les C4G ne sont généralement pas touchées. Ce phénotype est principalement observé chez les entérobactéries du groupe 3 en cas de dérépression partielle ou totale du gène codant leur céphalosporinase naturelle. L’acquisition de céphalosporinases plasmidiques peut engendrer le même phénotype de résistance. Leur production est alors constitutive sauf pour les enzymes plasmidiques DHA ou CFE dont le gène plasmidique est associé au gène de régulation ampR. Des images d’antagonisme sont observées pour les souches produisant ces familles d’enzymes [17, 18]. Chez E. coli, la surexpression de la céphalosporinase varie entre deux extrêmes : une production comparable à celle observée chez les entérobactéries du groupe 3, avec une résistance aux aminopénicillines (seules ou en association avec les inhibiteurs) et aux C1G voire aux C2G, et une hyperproduction comparable à celle évoquée ci-dessus.
3.2.5. Hyperproduction d’enzymes chromosomiques (autre que les céphalosporinases de classe C) Chez certaines espèces du groupe 2 (K. oxytoca), du groupe 4 (S. fonticola) et chez toutes les espèces des groupes 5 et 6, l’hyperproduction de l’enzyme chromosomique par mutation du promoteur ou du système de régulation peut aboutir à des phénotypes proches voire identiques à ceux conférés par les BLSE plasmidiques sans présenter le même risque de diffusion épidémique. Dans le cas de K. oxytoca, on observe cependant un phénotype typique associant une résistance à toutes les pénicillines seules ou en association avec des inhibiteurs et une résistance prédominant à l’aztréonam, plus rarement aux céfotaxime et ceftriaxone et pratiquement jamais à la ceftazidime. Pour les autres espèces, le phénotype est difficile à distinguer de celui d’une BLSE plasmidique, mais ces dernières restent peu prévalentes dans ces espèces.
3.2.6. Carbapénèmase Trois familles principales de carbapénèmases sont retrouvées chez les entérobactéries [19].
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r Carbapénèmase de type OXA-48/OXA-181 (β-lactamase de classe D) Les carbapénèmases de type OXA sont actuellement les carbapénèmases les plus fréquentes en France. Elles sont principalement observées chez K. pneumoniae, E. coli et Enterobacter spp. Elles confèrent une résistance identique à celle provoquée par les autres enzymes OXA évoquées précédemment. Il s’ajoute une diminution de sensibilité aux carbapénèmes, principalement l’ertapénème (CMI ≥ 0,38 μg/ml). Des niveaux élevés de résistance sont observés en cas d’association avec d’autres mécanismes de résistance, notamment une baisse de la perméabilité. r Carbapénèmases métallo-enzyme ou MBL (β-lactamase de classe B) Les souches produisant les métallo-β-lactamases (VIM, IMP, NDM) sont intermédiaires ou résistantes à presque toutes les β-lactamines, y compris les céphamycines et les associations pénicillines-inhibiteurs, aux céphalosporines notamment la ceftazidime et à certains, voire tous les carbapénèmes, mais restent sensibles à l’aztréonam. Ces enzymes peuvent être mises en évidence par le biais de synergie entre des inhibiteurs chélatant les ions métalliques comme l’EDTA ou l’acide dipicolinique et les carbapénèmes ou la ceftazidime. r Carbapénèmase de type KPC et autres carbapénèmase de classe A Les carbapénèmases de type KPC confèrent une résistance à toutes les β-lactamines, y compris les céphamycines, et à certains, voire tous les carbapénèmes. Bien qu’appartenant aux β-lactamases de classe A, elles sont peu inhibées par les inhibiteurs traditionnels tel que le clavulanate, mais sont sensibles à l’action inhibitrice de certains acides boroniques qui sont parfois utilisés dans les tests de détection. D’autres carbapénèmases de classe A β (GES, IMI, Sme, NMC-A) engendrent une diminution de sensibilité aux carbapénèmes. Elles restent rares. Les carbapénèmases de type NMC-A (E. cloacae), Sme (S. marcescens) sont particulières car produites à partir de gènes chromosomiques acquis et inductibles. Leur niveau de production est faible et n’induit pas de résistance aux céphalosporines de 3e et 4e génération.
4. Les tests phénotypiques de détection des mécanismes de résistance À cause du haut risque de dissémination, il est recommandé de mettre en œuvre des techniques de dépistage phénotypiques et/ou moléculaires des BLSE et des carbapénèmases, afin de pouvoir mettre en œuvre les politiques de surveillance épidémiologique et les mesures d’isolement des patients porteurs.
4.1. Test de synergie pour la détection des BLSE Différents tests phénotypiques sont recommandés par le CA-SFM pour la détection des souches productrices de BLSE. Ils reposent sur la mise en évidence d’une
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synergie entre le clavulanate et des C3/4G, le céfotaxime, la ceftazidime et le céfépime [3]. Le test de synergie traditionnel avec des distances inter-disques pouvant varier entre 2 et 4 cm selon les espèces (4 pour les Proteus, 2 pour les espèces du groupe 3), peut être réalisé sur gélose contenant de la cloxacilline à 250 mg/L pour optimiser la détection des souches suspectes de produire également une céphalosporinase à haut niveau. Le CA-SFM recommande également le test des disques combinés. Ce test repose des disques contenant 30 μg de céfotaxime, ceftazidime ou céfépime seuls ou associés à 10 μg de clavulanate. Le test est positif si le diamètre d’inhibition augmente de 5 mm en présence d’inhibiteur. La détermination des CMI de ces trois molécules seules et présence de clavulanate peut également être utilisée, une diminution de trois dilutions de la CMI en présence de clavulanate signe la production de BLSE. Des tests basés sur la même logique ont été développés pour la plupart des systèmes automatisés (Vitek2, Phoenix, API). Il s’agit soit d’une comparaison directe de CMI comme recommandé par le CA-SFM mais avec des lectures plus rapides (API et Microscan), soit d’un test spécifique (Phoenix et Vitek2). Dans les conditions recommandées pour leur utilisation, leurs performances sont proches de celles des tests réalisés par diffusion en gélose [20-22]. Comme évoqué précédemment, la détection de BLSE faussement positive peut liée à l’hyperproduction de pénicillinases plasmidiques ou de certaines β-lactamases chromosomiques. Quatre phénotypes principaux peuvent être observés. r Un phénotype associant une résistance à toutes les pénicillines seules ou associées aux inhibiteurs, aux C1G, ainsi qu’au céfépime et parfois une diminution de sensibilité au céfotaxime ou à la ceftriaxone et de légères images de synergies entre ces molécules et le clavulanate peut être observé chez des souches productrices d’enzymes de type OXA-1. rUn phénotype associant une résistance à toutes les pénicillines seules ou associées aux inhibiteurs, aux C1G, C2G ainsi qu’à l’aztréonam et parfois au céfépime et au céfotaxime, avec des images de synergie entre ces molécules et le clavulanate peut être observé chez des souches de K. oxytoca hyper-produisant leur enzyme chromosomique. rUn phénotype associant une résistance à toutes les pénicillines seules ou associées aux inhibiteurs, aux C1G, C2G ainsi qu’à la ceftazidime, avec un test de synergie faiblement positif entre la ceftazidime et le clavulanate peut être observé, de façon exceptionnelle, chez des souches hyperproduisant une pénicillinase (plasmidique ou chromosomique). r Un phénotype typique de la production d’une BLSE peut être observé chez S. fonticola et dans les espèces des groupes 5 et 6 en cas d’hyperproduction de leur BLSE chromosomique. Dans les deux premiers cas, les caractéristiques atypiques de ces phénotypes (résistance préférentielle respective au céfépime et à l’aztréonam) peuvent permettre
Figure 1 – Test de Hodge modifié.
Souche testée : K. pneumoniae productrice d’OXA-48. T+ : K. pneumoniae ATCC BAA-1705. T- : K. pneumoniae ATCC BAA-1706 Souche indicatrice : E. coli ATCC 25922. Disque d’ertapénème 30 μg + 750 μg cloxacilline.
l’identification du mécanisme, alors que dans les deux cas suivants le phénotype ne permet pas toujours d’identifier de façon certaine le mécanisme en cause.
4.2. Test de détection des carbapénèmases Différents tests phénotypiques permettent de suspecter la production de carbapénèmases. Cependant, il est important de noter leur manque de sensibilité et de spécificité. Aussi, les tests moléculaires restent la référence dans le domaine et sont indispensables pour confirmer leur présence. Le test phénotypique le plus connu est le test de Hodge modifié. La production de carbapénèmase est objectivée par une déformation de la zone d’inhibition autour d’un disque d’ertapénème (ETP) de la souche de référence E. coli ATCC 25922 le long d’une strie réalisés avec les souches étudiées (figure 1). Il est important d’inclure un témoin positif (T+, K. pneumoniae ATCC BAA-1705) et négatif (T-, K. pneumoniae ATCC BAA-1706). Ce test est le seul permettant d’objectiver la production de carbapénèmases de type OXA. Cependant, il est parfois faussement positif pour les souches ayant un défaut d’accumulation des carbapénèmes associé à la production de céphalosporinases et/ou de BLSE [3, 23]. La réalisation du test de Hodge modifié en ajoutant de la cloxacilline sur le disque d’ertapénème (déposer 10 μl d’une solution aqueuse à 75 mg/ml de cloxacilline) permet d’éliminer les faux-positifs liés à l’hyperproduction d’une céphalosporinase [3]. Le test de
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Hodge modifié est parfois faussement négatif, notamment avec les souches productrices de carbapénèmases de type NDM-1. L’ajout de ZnSO4 (100 μg/ml) dans le milieu permet d’augmenter très notablement la sensibilité du test dans ce cas [24]. Un test d’inhibition par des inhibiteurs spécifiques des métallo-carbapénèmases (EDTA ou acide dipicolinique) comme décrit ci-dessous est également utile dans ce cas [25, 26]. Une alternative au test de Hodge modifié, qui est de lecture difficile, est le test développé par ROSCO basé sur l’utilisation de disques contenant du méropénème associé ou non à des inhibiteurs de β-lactamases (la cloxacilline – inhibiteur de céphalosporinases –, acide dipicolinique ou EDTA – inhibiteur des métallo-β-lactamases et acide boronique – inhibiteur des carbapénèmases KPC). Il permet d’identifier les souches productrices de métallo-β-lactamases et de KPC et de les différencier des souches associant imperméabilité et hyperproduction de céphalosporinase. Il ne permet pas la détection des carbapénèmases de type OXA car son algorithme ne permet pas la distinction avec les souches associant imperméabilité et production de BLSE [25]. Il existe également plusieurs tests commerciaux permettant la détection spécifique des souches produisant des métallo-β-lactamases, ils sont basés sur le principe de la synergie entre des carbapénèmes et l’action d’agent chélatant l’ion Zn2+ responsable de l’activité de ces enzymes. Il s’agit de tests de type disque combiné comme pour les BLSE ou de bandelettes imprégnées permettant la comparaison des CMI en présence et absence de l’inhibiteur. Les carbapénèmes les plus utilisés sont l’imipénème et l’ertapénème et l’inhibiteur est le plus souvent l’EDTA [26]. Par ailleurs, il existe un certain nombre de techniques « maison » utilisant ce type de synergie pour détecter la production de ces enzymes. Enfin, plus récemment, des techniques basées sur la technologie MALDI TOF, de plus en plus utilisée en identification bactérienne, ont été testées et semblent être une voie d’avenir intéressante pour la détection de carbapénèmases [27, 28].
5. Lecture interprétative de l’antibiogramme Depuis les recommandations du CA-SFM de 2011, les règles de lecture interprétative de l’antibiogramme se rapportant aux BLSE et aux céphalosporinases hyperproduites ont été modifiées. Auparavant, les résultats sensibles des C3/4G et de l’aztréonam étaient corrigés en intermédiaire si la production d’une BLSE était détectée. La même règle s’appliquait pour les C3G et l’aztréonam dans le cas des souches surexprimant une céphalosporinase. Pour les souches de K. oxytoca suspectes d’hyperproduire leur β-lactamase chromosomique, une correction était recommandée pour les seules molécules (C3G, C4G et/ou aztréonam) permettant d’observer une image de synergie avec le clavulanate. Ces recommandations s’inscrivaient dans une logique de précaution visant à promouvoir l’utilisation des carbapénèmes pour le traitement des infections
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causées par des entérobactéries productrices de BLSE ou de céphalosporinases hyproduites. Cependant, les échecs thérapeutiques rapportés avec les C3G dans ces situations étaient principalement observés pour des CMI ≥ 2 mg/L [29]. Ces données, confortées par des études pharmacocinétiques et pharmacodynamiques [30], et l’émergence des carbapénèmases justifient un abandon de ces règles interprétatives au profit d’un abaissement des valeurs critiques (2-4 mg/L) et de la détermination des CMI. En effet, il est recommandé maintenant de déterminer les CMI des C3/4G ou de l’aztréonam en cas d’utilisation thérapeutique, principalement pour les infections situées en dehors du tractus urinaire, afin de pouvoir adapter la posologie. La place de ces CMI dans la mise en place du traitement est en dehors de l’objectif de cet article et ce domaine a fait l’objet d’une revue [30]. Au final, seules perdurent les corrections correspondant aux résistances naturelles peu ou pas exprimées et celles concernant les expressions à bas niveau d’enzyme active sur les pénicillines (pénicillinase sensible ou résistante aux inhibiteurs, BLSE), qui ont été évoquées précédemment. Pour les souches productrices de carbapénèmases, il n’existe pas actuellement de règles interprétatives recommandées. Cependant, des données pharmacologiques suggèrent que les valeurs critiques actuellement utilisées en Europe sont surestimées. Il convient de vérifier la sensibilité des souches productrices en déterminant la CMI et de les utiliser avec prudence.
6. Conclusion L’analyse de l’antibiogramme est une étape nécessaire et indispensable à l’expertise en matière de résistance aux antibiotiques. Elle permet de confirmer l’identification bactérienne et d’identifier les principaux mécanismes de résistance acquise qui peuvent nécessiter soit une correction de l’antibiogramme brut soit une prise en charge spécifique du patient en termes d’hygiène hospitalière (isolement contact, réalisation de prélèvements de portage chez des sujets contacts). Afin de bien reconnaître ces mécanismes, il est donc essentiel de connaître les résistances naturelles et acquises afin de permettre une lecture interprétative optimale des résultats phénotypiques de l’antibiogramme. L’identification des mécanismes de résistance aux β-lactamines peut être facilitée par l’utilisation d’une démarche systématique d’étude des résultats de l’antibiogramme. Il est important, lors de l’étude d’un antibiogramme, d’identifier les résistances naturelles, puis de considérer les différentes résistances acquises afin d’identifier les résistances faisant suspecter des mécanismes importants comme la production de BLSE, de carbapénèmase ou de céphalosporinase plasmidique pour lesquels des tests de confirmation seront nécessaires. Un exemple de démarche vous est présenté dans la figure 2. Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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L’ANTIBIOGRAMME ET SON INTERPRÉTATION PHÉNOTYPIQUE EN 2012
Figure 2 – Exemple d’algorithme de lecture de l’antibiogramme.
Abréviations : Hodge : test de Hodge modifié, MBL : test de synergie MBL, HCase : hyperproduction de céphalosporinase chromosomique, Case : céphalosporinase, CAZ : ceftazidime, CTX : céfotaxime, ATM : aztréonam, FEP : céfépime. 1 2 3
Des faux positifs peuvent parfois être observés. Le test de Hodge modifié n’est pas toujours positif avec les souches productrices de MBL. Les souches hyperproduisant des oxacillinases ou des enzymes de type OXY peuvent avoir des tests de synergie faussement positifs.
REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE-OCTOBRE 2012 - N° 445 //
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