Rhétorique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative

Rhétorique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative

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G Model

YCPAC 1873 1–13 Critical Perspectives on Accounting xxx (2014) xxx–xxx

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Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative ¨ l[TD$FIRSNAME.] Q1 [TD$FIRSNAME]Jean-Noe a b

[TD$SURNAME]Chauvey[TD$SURNAME.] a,*, [TD$FIRSNAME]Ge´rald[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Naro[TD$SURNAME.] a, [TD$FIRSNAME]Ame´lie[TD$FIRSNAME.] [TD$SURNAME]Seignour[TD$SURNAME.] b

Universite´ Montpellier 1, Montpellier Recherche Management - Comptabilite´s et Socie´te´ Universite´ Montpellier 2, Montpellier Recherche Management

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : Rec¸u le 29 juin 2013 Rec¸u sous la forme re´vise´e le 25 aouˆt 2014 Accepte´ le 2 septembre 2014 Disponible sur Internet le xxx

La Global Reporting Initiative (GRI) est une organisation internationale qui a re´ussi a` imposer ses lignes directrices dans les pratiques de reporting socie´tal de la plupart des grandes entreprises mondiales. Le mode`le de performance globale qu’elle vise a` promouvoir est ve´hicule´ dans un discours qui repose sur le postulat d’une convergence entre les dimensions e´conomiques, sociales et environnementales du de´veloppement durable. Ce faisant, le discours de la GRI occulte les contradictions et conflits lie´es aux enjeux paradoxaux de ces dimensions et aux attentes diffe´rencie´es des parties prenantes. L’article repose sur l’hypothe`se selon laquelle les strate´gies discursives de la GRI participent a` l’instauration d’une vision mythifie´e de la performance globale qui vise a` masquer la dimension e´minemment politique et socialement construite de la responsabilite´ sociale de l’entreprise (RSE). Les fondements de l’entreprise et, au-dela`, du syste`me de re´gulation macro-e´conomique et socie´tal dans lequel elle s’inse`re, ne sont nullement questionne´s. Afin de mettre en lumie`re les strate´gies de persuasion contenues dans le discours de la GRI, visant a` naturaliser le concept de RSE et a` mythifier celui de performance globale, l’e´tude est fonde´e sur une analyse linguistique et rhe´torique des textes du re´fe´rentiel GRI. Celle-ci montre que, s’appuyant sur une pre´tendue rationalisation des e´nonce´s et sur le langage expert de la comptabilite´, le discours de la GRI proce`de d’une rhe´torique de l’e´vidence–et non de l’argumentable–qui interdit tout de´bat de´mocratique. ß 2014 Published by Elsevier Ltd.

Mots cle´s: Global Reporting Initiative Performance Globale (PG) Triple Bottom Line (TBL) Reporting Socie´tal Responsabilite´ socie´tale de l’entreprise (RSE)

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1. Introduction

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Une e´tude re´cente re´alise´e par KPMG indique que 95% des 250 plus grandes entreprises mondiales re´alisent un reporting socie´tal. 80% d’entre elles adopteraient les lignes directrices de la Global Reporting Initiative (GRI)1 qui s’est ainsi impose´e comme la premie`re re´fe´rence mondiale en matie`re de reporting socie´tal. Sans conteste, elle a joue´ et continue a` jouer un roˆle tre`s influent dans le de´veloppement a` grande e´chelle d’une approche du reporting socie´tal fonde´e sur la Triple Bottom Line (Gray, 2006). En cela, elle est emble´matique d’un courant dominant dans le domaine du reporting socie´tal consistant a`

* Auteurs correspondants. E-mail address: [email protected] (J.-N. Chauvey). 1 KPMG International Survey of Corporate Responsibility Reporting 2011 (http://www.kpmg.com/PT/pt/IssuesAndInsights/Documents/corporateresponsibility2011.pdf)

http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013 1045-2354/ß 2014 Published by Elsevier Ltd.

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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promouvoir l’ide´e selon laquelle les entreprises doivent rendre compte autant des conse´quences sociales et environnementales2 de leurs activite´s, que de leurs re´sultats financiers. Elle institue ainsi un mode`le de reporting fonde´ sur une repre´sentation « globale » de la performance, inte´grant performances e´conomiques, sociales et environnementales. En promouvant ce reporting ‘‘global’’, la GRI promeut, sans l’afficher clairement et sans le justifier, un ide´al de Performance Globale, fonde´ sur l’hypothe`se d’une convergence vertueuse entre les enjeux e´conomiques, sociaux et environnementaux et, au-dela`, entre les inte´reˆts des diffe´rentes parties prenantes. La GRI apparaıˆt ainsi comme une innovation manage´riale qui s’est largement diffuse´e au point d’imposer une norme internationale de reporting institutionnalisant une vision de la Responsabilite´ Socie´tale des Entreprises (RSE). Les recherches sur l’entrepreneuriat ou le travail institutionnels (Di Maggio, 1988; Suddaby & Greenwood, 2005; Lawrence & Suddaby, 2006), de meˆme que les travaux sur les modes manage´riales (Abrahamson, 1996; Kieser, 1997), ont montre´ le roˆle majeur de la rhe´torique et des mythes dans les processus d’institutionnalisation des innovations et des ide´es dont elles sont porteuses (Abrahamson, 1993; Kieser, 1997). A` l’instar de ces auteurs, nous conside´rons dans cet article que la Performance Globale telle qu’elle est ve´hicule´e par la GRI, rele`ve des discours et mythes manage´riaux contemporains en ce qu’elle propose un nouveau re´cit de la performance et, au-dela`, de l’entreprise. Barthes e´crivait en 1957 que le mythe est une parole de´politise´e qui e´vacue la qualite´ contingente, historique et socialement construite de ce qu’il tend a` signifier, afin de le restituer sous la clarte´ d’une nature par essence indiscutable. Ainsi, alors que la notion de responsabilite´ sociale de l’entreprise repose sur l’opposition de dimensions antithe´tiques - e´conomiques, sociales, environnementales–, l’existence potentielle de conflits et de contradictions entre ces dimensions est occulte´e dans le mythe fondateur de la Performance Globale (Gray, 2010). La the`se qui sous-tend cet article est qu’en tant que mode`le repre´sentatif d’une conception dominante du reporting socie´tal, la GRI participe au processus d’institutionnalisation d’un nouveau paradigme de l’entreprise qui tend a` de´nier toute dimension politique aux concepts de de´veloppement durable et de responsabilite´ sociale de l’entreprise. Les normes de reporting socie´tal, et tout particulie`rement celles de la GRI, sont e´labore´es par un re´seau d’experts et de repre´sentants du monde des affaires au sein duquel la profession comptable joue un roˆle central (Malsch, 2013). Ce re´seau promeut un discours expert qui emprunte au langage comptable son apparence de neutralite´ et de rationalite´. Fonde´es sur le mythe de la Performance Globale, ces normes tendent a` imposer une repre´sentation naturalise´e de la performance et, au-dela`, des finalite´s de l’entreprise. He´ritiers des travaux de Foucault dont l’objet est de de´construire les normes sociales et les me´canismes de pouvoir s’exerc¸ant au travers de pratiques pre´tendument neutres, divers courants critiques de la recherche en comptabilite´ se proposent aujourd’hui d’analyser les discours comptables dominants en de´voilant qu’ils ne doivent rien a` la nature des choses mais sont au contraire le fruit de luttes sociales dans un contexte historique3. Ils s’inscrivent dans l’approche linguistique - « linguistic turn » - adopte´e notamment par les courants post-structuralistes en sciences humaines et sociales qui, accordant une place centrale au langage, traitent les objets de recherche comme des textes en ayant recours aux me´thodes de l’analyse litte´raire, de la se´miotique ou de la linguistique4. C’est dans cette perspective que s’inscrit ce travail de recherche. A` partir d’une triple analyse linguistique des syste`mes e´nonciatif, re´fe´rentiel et argumentatif, il questionne les repre´sentations de la Performance Globale ainsi que les modes de justification ve´hicule´s par la GRI. Nous y discutons d’abord les fondements conceptuels du concept de PG en relevant qu’ils s’inscrivent dans un ide´al de synthe`se fonde´ sur un de´ni des conflits et paradoxes de la responsabilite´ sociale de l’entreprise (2). Apre`s avoir pre´sente´ le corpus et la me´thodologie de l’analyse du discours (3), nous analysons ensuite les strate´gies discursives de´ploye´es dans le chapitre « « Sustainability Reporting Guidelines » qui introduit la troisie`me version du rapport GRI sur son site Web5 en montrant que celui-ci ve´hicule un mythe moderne, pre´tendument rationnel: celui de la Performance Globale (4). Nous concluons sur une interrogation ge´ne´rale portant sur le roˆle et les modalite´s du reporting RSE dans une socie´te´ de´mocratique (5).

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2. Les fondements conceptuels du reporting socie´tal: vers le mythe de la performance globale

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Les fondements conceptuels du reporting socie´tal et les mode`les de RSE sur lesquels repose son instrumentation, semblent oriente´s vers la poursuite d’un ide´al de synthe`se, dont la notion de Performance Globale (PG) semble arche´typale (2.1). Du fait des conflits et contradictions durables qu’elle met en jeu, la RSE pre´sente cependant une nature fondamentalement paradoxale, nie´e par le mode`le de la PG (2.2). Les dimensions conflictuelles et politiques de la RSE sont en effet occulte´es au travers de strate´gies discursives qui, par la promotion de la PG, participent a` la construction d’un mythe manage´rial contemporain (2.3).

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2.1. De la Stakeholder Theory a` la Performance Globale: a` la poursuite d’un ide´al de synthe`se

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L’actuel de´veloppement de mode`les inte´gre´s de reporting et de mesure des performances est patent, tant sur un plan conceptuel que sur celui de l’instrumentation. Ces mode`les puisent leurs fondements conceptuels dans les cadres the´oriques

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Nous conside´rons les termes de Triple Bottom Line (TBL) et de Performance Globale (PG), comme synonymes. Pour une revue de la litte´rature voir notamment Macintosh (2002). 4 Ces recherches mobilisent alors plusieurs auteurs franc¸ais que l’on a coutume de classer parmi les penseurs de la « French theory » [Foucault (Miller et O’Leary, 1987; Hopwood, 1987), Derrida (Macintosh, 2002), Baudrillard (Macintosh et al., 2000), etc.], Barthes (Macintosh, 2002; Malsch et Gendron, 2009), etc. 5 Nous justifions le choix de ce corpus dans la partie 3 de cet article. 3

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d’une part de la Stakeholder Theory (SHT), d’autre part des the´ories de la Corporate Social Responsibility (CSR), qui donnent naissance aux concepts de Corporate Social Performance (CSP), et, plus re´cemment, de Triple Bottom Line (TBL). Dans tous les cas, il s’agit de de´velopper un concept synthe´tique, celui de Performance Globale, permettant d’inte´grer, dans un meˆme mode`le, des crite`res de performance e´conomiques, sociaux et environnementaux. Une caracte´ristique commune a` ces mode`les est de postuler de fac¸on implicite le caracte`re conciliable de ces dimensions et d’en occulter le caracte`re conflictuel et paradoxal. Il en est de meˆme des tentatives d’instrumentation auxquelles a donne´ lieu cette e´volution des repre´sentations de la performance. Face aux pressions institutionnelles et sociales, obe´issant tantoˆt aux contraintes de la le´gislation, tantoˆt a` des logiques de divulgation volontaire, des entreprises de plus en plus nombreuses s’engagent dans des pratiques de reporting socie´tal. Cette e´volution vers des mode`les inte´gre´s de performance fait e´cho a` l’e´mergence, durant les anne´es 1990 notamment, de mode`les normatifs multidimensionnels de mesure des performances fonde´s pre´cise´ment sur des repre´sentations de la performance qui mettent en avant les concepts d’inte´gration et d’e´quilibre (Ittner & Larcker, 1998).

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2.1.1. De la Stakeholder theory (SHT) a` la Corporate Social Performance La SHT s’oppose a` la ‘‘Stockholder Theory’’ en mettant en avant l’obligation pour les entreprises, d’agir dans l’inte´reˆt de l’ensemble des individus ou groupes d’individus pouvant affecter ou eˆtre affecte´s par la re´alisation des objectifs organisationnels (Freeman, 1984), et pas seulement dans l’inte´reˆt des seuls actionnaires. C’est en particulier le cas dans l’approche ‘‘normative’’ de la SHT qui affirme que « chacune des parties prenantes posse`de le droit d’eˆtre traite´e comme une fin en elle-meˆme, et non comme un moyen pour les fins d’autres parties prenantes » (Evan & Freeman, 1988). Cependant, si le principal apport de la SHT re´side dans l’e´largissement des finalite´s de la firme par la prise en compte des attentes diffe´rencie´es d’un ensemble e´tendu de parties prenantes, sa principale limite est d’ordre ope´rationnel. Mettre en avant l’e´galite´ des stakeholders et s’interdire d’e´tablir des priorite´s entre eux (Freeman, 1984) ne permet pas, en effet, de ge´rer l’opposition des inte´reˆts. A` l’inverse, accepter une hie´rarchie des parties prenantes (Donaldson & Preston, 1995; Etzioni, 1998), conduit a` de´fendre des modes de gestion en contradiction avec les fondements meˆmes de la SHT. Face a` cette contradiction, la SHT n’indique jamais comment les stakeholders peuvent eˆtre repre´sente´s ou comment distribuer le pouvoir de fac¸on a` assurer la protection des inte´reˆts de chacun (Ambler & Wilson, 1995). Elle ne re´ve`le donc pas la complexite´ induite par la coexistence de parties prenantes aux inte´reˆts divergents, ni les conflits qui les opposent. Deux approches de la SHT diffe`rent par la nature de leur argumentation. La premie`re, l’approche instrumentale, sugge`re une gestion ‘‘strate´gique’’ des stakeholders6 et s’inscrit dans la logique du « business case » (Carroll & Shabana, 2010) en conside´rant la satisfaction des stakeholders comme un moyen pour l’entreprise d’atteindre ses objectifs et de satisfaire ses actionnaires (Clarkson, 1995; Hill & Jones, 1992). La seconde, l’approche normative, affirme, a` l’inverse, que « chacune des parties prenantes posse`de le droit d’eˆtre traite´e comme une fin en elle-meˆme, et non comme un moyen pour les fins d’autres parties prenantes » (Evan et Freeman (1988). Cette approche conduit a` repenser la nature de l’entreprise qui apparaıˆt de`s lors comme un moyen de satisfaire les objectifs des diffe´rents stakeholders et de coordonner leurs inte´reˆts (Evan et Freeman, 1988). Bien que pertinente, elle paraıˆt toutefois incomple`te en raison de sa difficulte´ a` hie´rarchiser les priorite´s entre les stakeholders et a` de´terminer des crite`res de hie´rarchisation. S’appuyant sur la SHT, le courant Business and Society pose la question de la de´finition, puis de la mesure de la Corporate Social Performance (CSP) notamment a` partir des notions de Corporate Social Responsibility (CSR1, mettant en avant les obligations des entreprises envers la Socie´te´) et de Corporate Social Responsiveness (CSR2, centre´e sur les strate´gies de re´ponse adopte´es face aux pressions sociales). Le mode`le de Caroll (1979) fournit dans ce domaine une base conceptuelle, source de nombreux approfondissements, sinon de discussions, dans des recherches ulte´rieures (Wartick & Cochran, 1985; Wood, 1991; Clarkson, 1995; Mitnick, 1995; Wood & Jones, 1995). Cependant, de nombreux auteurs en rele`vent les faiblesses conceptuelles et empiriques (Clarkson, 1995; Wood, 1991; Wood & Jones, 1995), et notamment le fait qu’il ne propose pas de de´finition solide des concepts de CSP, CSR1 et CSR2. Ainsi, a` l’instar de la SHT, le courant Business and Society occulte les tensions et contradictions re´sultant de la divergence des attentes des parties prenantes, ainsi que les difficulte´s du management de celles-ci. Au contraire, ces travaux semblent fonde´s, mais de fac¸on implicite, sur l’hypothe`se d’une convergence possible entre les inte´reˆts des parties prenantes en pre´sence. Ils ouvrent ainsi la voie a` une conception e´quilibre´e, voire inte´gre´e de la performance.

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2.1.2. Triple Bottom Line (TBL) et Performance globale (PG): la queˆte de l’e´quilibre Les re´flexions sur les de´finitions de la CSP conduisent naturellement a` la question de sa mesure d’une part, et a` la fac¸on d’en rendre compte d’autre part (reporting). Les tentatives d’instrumentation de la mesure et du reporting de la CSP aupre`s d’un ensemble e´largi de parties prenantes reposent sur le concept de « Performance Globale » qui traduit l’ide´al d’un e´quilibre harmonieux entre performances e´conomique, sociale et environnementale. Cette notion de Performance Globale refle`te une conception europe´enne de la responsabilite´ sociale7. Elle peut eˆtre conside´re´e comme la de´clinaison du concept de de´veloppement durable a` l’e´chelle de

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.... « A concept whereby companies integrate social and environmental concerns in their business operations and in their interaction with their stakeholders on a voluntary basis ». Green Paper: Promoting a European framework for Corporate Social Responsibility. COM 2001. 366. A renewed EU strategy 2011-14 for Corporate Social Responsibility. 7

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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l’entreprise (Capron & Quairel-Lanoizelee, 2006). Ce concept rejoint celui de la TBL ou mode`le du « Triple P » ou « People, Planet, Profit » (Elkington, 1997). Ces repre´sentations de la performance participent plus ge´ne´ralement de l’e´volution des mode`les normatifs de mesure des performances apparus dans les anne´es 1990 et fonde´s sur une repre´sentation multidimensionnelle de la performance et la de´finition de mesures non financie`res (Ittner & Larcker, 1998). Le Balanced Scorecard (Kaplan & Norton, 1996) est un exemple emble´matique8 de ces innovations. Ces mode`les de mesure et de repre´sentation de performance reposent sur un a priori normatif selon lequel les mesures traduisant les inte´reˆts des diverses parties prenantes devraient s’e´quilibrer entre elles et eˆtre inte´gre´es (Brignall & Modell, 2000). Les adjectifs « global », « e´quilibre´ » ou « inte´gre´ » renvoient ainsi a` l’ide´e d’une synthe`se harmonieuse et consensuelle qui masque la nature paradoxale de la CSR. On peut conside´rer que, loin d’eˆtre neutres et anodins, de tels adjectifs re´ve`lent la vision du monde que les concepteurs des mode`les de reporting socie´taux tendent, plus ou moins intentionnellement, a` promouvoir. Gray (2010, p 808) montre d’ailleurs que, meˆme dans les reporting inspire´s de la TBL reposant sur un e´quilibre entre les trois dimensions de la performance, les conflits entre un reporting socie´tal et la poursuite des inte´reˆts e´conomiques sont englobe´s (shrouded) et souvent occulte´s (obfuscated).

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2.2. Le de´ni des paradoxes de la RSE comme instrument de le´gitimite´

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2.2.1. La nature fondamentalement paradoxale de la RSE Les ide´aux de synthe`se et d’e´quilibre porte´s par les notions de PG et le mode`le de la TBL peuvent eˆtre interpre´te´s comme des formes de de´ni ou d’occultation du caracte`re paradoxal de la RSE. Ils correspondent en effet a` certaines formes de re´ponse a` des paradoxes manage´riaux mises en e´vidence par la litte´rature lorsque ceux-ci ne sont pas fondamentalement accepte´s et assume´s. La notion de paradoxe fait e´tymologiquement re´fe´rence a` une proposition contraire au sens commun (la doxa) et qui semble illogique car contenant des dimensions contradictoires qui apparaissent vraies simultane´ment. Dans un contexte manage´rial, une situation paradoxale peut par exemple correspondre a` une situation dans laquelle il est ne´cessaire de satisfaire deux objectifs oppose´s, sans qu’il soit possible de choisir entre eux, tout au moins pas de fac¸on durable (Smith & Lewis, 2011, Cameron & Quinn, 1988). La RSE apparaıˆt ainsi fondamentalement paradoxale et potentiellement conflictuelle pour au moins trois raisons qui font re´fe´rence aux trois conditions cumulatives de la de´finition des paradoxes propose´e par Poole & Van de Ven, 1989:

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- les entreprises ont a` prendre en compte de fac¸on simultane´e des objectifs contradictoires, les attentes et inte´reˆts des parties prenantes e´tant souvent oppose´s; - ces diffe´rentes composantes sont inter-relie´es, l’entreprise ne peut pas choisir de faire disparaıˆtre l’une ou l’autre des parties prenantes qui sont en ge´ne´ral, a` des titres divers, inhe´rentes a` sa propre existence; - cette situation de conflit est structurelle, a` la diffe´rence d’autres types de contradictions qui peuvent se re´soudre par un choix.

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2.2.2. Synthe`se, de´couplage et traitement des paradoxes de la RSE La litte´rature manage´riale qui e´tudie les paradoxes fait souvent re´fe´rence a` la typologie de Poole & Van de Ven, 1989 qui identifie 4 strate´gies ge´ne´riques de traitement des paradoxes. La premie`re strate´gie consiste a` accepter le paradoxe et a` apprendre a` vivre avec, sans chercher a` le re´soudre, et sans le nier. Cette position implique un relaˆchement des attentes de rationalite´ rassurante et simplificatrice et l’acceptation que les contradictions demeurent non re´solues (Clegg, Cuhna et Cuhna, 2002). Une des caracte´ristiques de cette strate´gie est qu’elle fait coexister les tensions en cherchant le moyen de re´pondre aux exigences divergentes de fac¸on paralle`le et durable. La seconde strate´gie consiste a` tenter de re´soudre la contradiction en conside´rant que chacun des deux termes de celle-ci concerne un niveau d’analyse diffe´rent, par exemple, une approche micro versus macro, ou encore, global versus individuel. La troisie`me strate´gie ge`re les contradictions en traitant chacun des termes a` des moments ou sur des horizons diffe´rents. Enfin, la quatrie`me strate´gie vise la synthe`se et consiste a` chercher une fac¸on d’accommoder les forces oppose´es dans une sorte de ‘‘voie du milieu’’, un concept qui englobe les deux termes oppose´s. Telle que pre´sente´e par Poole & Van de Ven, 1989, la strate´gie de l’acceptation reconnaıˆt l’existence du paradoxe et ne tente pas de le faire disparaıˆtre. A l’inverse, les trois autres strate´gies tentent de ‘‘re´soudre’’ le paradoxe et apparaissent ainsi comme une forme de de´ni de sa nature profonde, dans la mesure ou` elles tentent de faire disparaıˆtre sa caracte´ristique principale qui est l’imbrication durable des tensions contradictoires. La notion de PG, de par l’ide´al de synthe`se qu’elle vise a` promouvoir, peut relever de la quatrie`me strate´gie lorsqu’elle a pour effet de masquer les conflits et contradictions. Il existe e´galement un risque que les reporting e´tablis dans l’esprit de la TBL s’apparentent a` la deuxie`me ou a` la troisie`me strate´gie si les indicateurs de performance des trois domaines sont pre´sente´s de fac¸on dissocie´e sans e´tablir de lien entre eux et sans faire ressortir leurs oppositions. A` la suite des travaux de Meyer and Rowan, 1977 puis de Di Maggio & Powel, 1983, les pratiques des entreprises en matie`re de RSE ont souvent e´te´

8 Dans un article qui oppose une virulente critique a` la SHT, Jensen (2001) conside`re que le Balanced Scorecard repre´sente « l’e´quivalent manage´rial de la stakeholder theory » (Jensen, 2001, p. 17).

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analyse´es comme les instruments d’un ce´re´monial visant a` garantir leur le´gitimite´ au sein de leur champ institutionnel plutoˆt que comme des pratiques traduisant une volonte´ de divulgation d’informations vis a` vis des parties prenantes (Patten, 1991, Deegan, 2002, Cho & Patten, 2007). Les comportements ‘‘hypocrites’’ (Brunsson, 1989), ainsi que les pratiques de de´couplage des discours entre eux, ou des discours avec les actes, qui fondent cette strate´gie de le´gitimation, sont tout a` fait susceptibles d’exister en matie`re de reporting RSE. Les critiques et prolongements de la the´orie ne´o-institutionnelle (Abernethy & Chua, 1996; Oliver, 1991; Suchman, 1995; Weaver, Trevino, & Cochran, 1999), ont mis en e´vidence le fait que les entreprises ne se limitaient pas a` re´agir me´caniquement aux attentes de leur environnement institutionnels, mais pouvaient de´ployer diffe´rentes strate´gies pour conque´rir, maintenir, ou re´parer leur le´gitimite´ (Suchman, 1995). On pourrait alors s’interroger sur le roˆle d’un mode`le de reporting tel que celui de la GRI dans les strate´gies de communication et de divulgation d’informations socie´tales adopte´es par les entreprises. L’ide´al de synthe`se que ve´hicule le concept de PG, ou la possibilite´ de dissociation qui existe avec la TBL, pourraient en effet leur offrir, fort opportune´ment, une opportunite´ d’assurer leur le´gitimite´, sans avoir a` re´soudre la complexite´ de la gestion des paradoxes de la RSE. Les strate´gies discursives alors de´veloppe´es participeraient a` l’e´dification du mythe de la performance globale.

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2.3. Le discours sur la performance globale ou la construction d’un mythe manage´rial

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Les de´veloppements re´cents de la the´orie ne´o-institutionnelle sur l’entrepreneuriat ou le travail institutionnels (Di Maggio, 1988; Suddaby & Greenwood, 2005), de meˆme que les travaux sur les innovations manage´riales (Abrahamson, 1993; Kieser, 1997), de´crivent « the purposive actions of individuals and organizations aimed at creating, maintaining and disrupting institutions » (Lawrence & Suddaby, 2006, p. 215). Le recours a` la rhe´torique et aux mythes dans les me´canismes par lesquels les logiques institutionnelles prennent place, tandis que de nouvelles ide´es s’ancrent dans la socie´te´ comme « allant de soi », sont alors mis en lumie`re. Les strate´gies discursives et l’e´dification des mythes sont e´galement au cœur d’une recherche critique d’inspiration post structuraliste qui s’emploie a` de´construire les discours dont la comptabilite´ est porteuse (Macintosh, 2002). Ce « courant linguistique » (« linguistic turn »), mobilise notamment les travaux de Michel Foucault (1966, 1975, 1977), pour montrer qu’en tant que pratique sociale et institutionnelle (Hopwood & Miller, 1994), la comptabilite´, ses concepts, le langage et les discours dont elle est porteuse, s’inscrivent dans un e´piste´me`, c’est-a`-dire dans un ensemble reliant les discours, leurs relations et leurs controverses, a` une e´poque historique donne´e (Foucault, 1975). Ancre´e dans l’e´piste´me` de son temps, la PG constituerait l’un des mythes manage´riaux contemporains. Or, comme l’indique Barthes (1957): « Le mythe est une parole de´politise´e (. . .) En passant de l’histoire a` la nature le mythe fait une e´conomie: il abolit la complexite´ des actes humains, leur donne la simplicite´ des essences, il supprime toute dialectique, toute remonte´e au-dela` du visible imme´diat, il organise le monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde e´tale´ dans l’e´vidence, il fonde une clarte´ heureuse: les choses ont l’air de signifier toutes seules » (Barthes, 1957, p. 230-231). Pour Barthes (1957), l’une des fonctions sociales du mythe consiste pre´cise´ment a` assurer le maintien de l’ordre social: « Car la fin des mythes, c’est d’immobiliser le monde. Il faut que les mythes sugge`rent et miment une e´conomie universelle qui a fixe´ une fois pour toutes la hie´rarchie des possessions » (Barthes, 1957, p. 243). En cela, instaurant une « douce violence » a` travers la « clarte´ heureuse d’un monde sans contradiction » (Barthes, 1957), le mythe devient un instrument de domination symbolique: « Il ne sortait pas de cette ide´e sombre, que la vraie violence, c’est celle du cela-va-de-soi: ce qui est e´vident est violent, meˆme si cette e´vidence est repre´sente´e doucement. . . » (Barthes, 1957). Finalement, en occultant ainsi la nature e´minemment subjective et politique des questions relatives a` la RSE, le mythe de la PG proce`derait d’un me´canisme de re´ification, d’un « processus par lequel le monde social, qui est ine´luctablement subjectif, est pre´sente´ sous une forme objective. Ce voilement de la subjectivite´ contribue a` de´samorcer la dispute sociale et au-dela`, a` pre´server l’ordre social et la domination qui s’y exerce » (Bourguignon, 2005)9. En ramenant la complexite´ des proble´matiques de la valeur et de la performance a` des concepts englobant et synthe´tiques tels que celui de la PG ou en e´ludant tout questionnement sur le caracte`re polyse´mique et politique de ces concepts, comme de ceux relatifs a` la RSE, les mode`les de reporting socie´tal font de ces derniers de puissants mythes. Le mythe de la PG communique´ a` travers le reporting socie´tal apparaıˆt alors tout a` la fois comme le reflet et le me´dium d’une nouvelle doxa manage´riale10. Il apparaıˆt de`s lors inte´ressant d’e´tudier dans quelle mesure la GRI, a` travers ses strate´gies discursives et les rhe´toriques mobilise´es, contribue a` l’e´dification du mythe de la Performance globale et a` la de´politisation de la RSE fonde´e sur le de´ni de son caracte`re paradoxal et conflictuel.

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3. L’analyse du discours de la GRI: corpus et me´thodologie

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Apre`s avoir pre´sente´ le corpus sur lequel s’appuie notre e´tude des textes de la GRI (3.1), nous exposons le cadre conceptuel et la me´thodologie d’analyse de discours mobilise´s (3.2).

9 S’appuyant sur les travaux de Luka´cs (1959), Bourguignon (2005) en extrait quatre caracte´ristiques principales de la re´ification: « elle contient un glissement de la subjectivite´ vers l’objectivite´; qui a pour conse´quence de masquer la nature fondamentalement subjective du monde, et au-dela`, ses conflits potentiels; ce qui pre´vient la dispute sociale; afin, finalement, de pre´server l’ordre social » (Bourguignon, 2005). 10 Le sociologue franc¸ais Pierre Bourdieu de´finit la doxa comme « une foi pratique » (Bourdieu, 1980, p. 113), un « rapport de croyance imme´diate (. . .) qui nous porte a` accepter le monde comme allant de soi » (Bourdieu & Wacquant, 1992, p. 52).

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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3.1. Les textes de la GRI: au cœur d’un mode`le de re´gulation de type « soft law »

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3.1.1. Organisation et acteurs: culture anglo-saxonne et auto-le´gitimation Cre´e´e en 1997 par la CERES11 (Coalition for Environmentally Responsible Economies) en partenariat avec le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), la GRI est une organisation internationale, a` but non lucratif, dont la mission est de promouvoir le de´veloppement durable et de de´velopper, avec le concours d’entreprises, d’ONG, de syndicats ou d’organisations internationales, un re´fe´rentiel en matie`re de reporting RSE. Celui-ci propose aux organisations quelles qu’elles soient, une se´rie d’indicateurs ainsi qu’une de´marche leur permettant de rendre compte de leurs performances e´conomiques, environnementales et sociales et, plus pre´cise´ment, de pre´parer leurs rapports RSE a` partir d’un format standard. GRI comprend trois organes de gouvernance. Le Conseil d’administration, actuellement compose´ de 15 membres, a la responsabilite´ fiduciaire, financie`re et le´gale. Il constitue par ailleurs l’autorite´ de´cisionnelle finale en matie`re de lignes directrices, d’indicateurs et de plans d’action figurant dans le re´fe´rentiel GRI. Le Comite´ d’experts technique, constitue´ de 12 experts, a pour missions d’e´mettre des pre´conisations visant a` garantir la qualite´ et la cohe´rence du syste`me de reporting et de pratiquer une veille sur l’e´volution des normes internationales en matie`re de RSE. Quant au Conseil des parties prenantes, ses 48 membres conseillent le Conseil d’administration sur les sujets politiques et strate´giques et contribuent a` l’e´laboration du mode`le de reporting. Outre ces instances de gouvernance, La GRI comporte deux autres cate´gories d’acteurs. La premie`re est constitue´e par le re´seau des « parties prenantes organisationnelles » Ce sont les quelque 600 organisations provenant de plus de 60 pays qui ont recours au re´fe´rentiel propose´ par la GRI pour concevoir leur propre syste`me de reporting RSE. Leur contribution a` la GRI est double: collaborer a` la de´finition des strate´gies et indicateurs; participer a` son financement a` partir de cotisations annuelles dont le montant est calcule´ au prorata de leur chiffre d’affaires.12 La seconde cate´gorie d’acteurs est compose´e de sponsors - qu’il s’agisse d’organisations internationales, de gouvernements et de fondations publiques telles que la Commission europe´enne, le gouvernement australien, le ministe`re norve´gien des affaires e´trange`res, l’Agence de protection de l’environnement ame´ricaine, . . . ou de fondations et Q2 d’entreprises prive´es: les fondations Bill et Melinda Gates, Ford, Rockfeller Brothers, GM, Shell, BP, RBC financial group, Alcan, HP, Microsoft, Deloitte, Ernst & Young, KPMG. . . - qui proposent une aide financie`re ou logistique. Le syste`me GRI appelle une double remarque: - Comme l’e´crivent Capron & Quairel-Lanoizelee, 2003, bien que se voulant universel, il est fortement marque´ par une empreinte anglo-saxonne. En te´moignent le nombre de financeurs ame´ricains ainsi que la pre´dominance des membres d’origine anglo-saxonne dans ses conseils et comite´s. Il s’inscrit ainsi dans une approche de la re´gulation de type « soft law », fonde´e sur des initiatives volontaires qui e´vacuent les dimensions de pouvoir et de conflits. - Son mode de fonctionnement, fonde´ sur la participation des acteurs, c’est-a`-dire principalement de dirigeants d’entreprises, fait que ces derniers, tout a` la fois « le´gislateurs, policiers et juges, au me´pris de la plus e´le´mentaire se´paration des pouvoirs » (Delmas-Marty, 1998) se dotent eux-meˆmes, a` partir d’un processus d’auto-le´gitimation, des indicateurs sur lesquels ils sont e´value´s. Ils s’affranchissent ainsi de re`glementations plus strictes et des processus de´mocratiques, inte´grant notamment les contre-pouvoirs que pourraient imposer les pouvoirs publics.

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3.1.2. Le re´fe´rentiel GRI, un mode`le consensuel Depuis sa cre´ation, la GRI a de´veloppe´ quatre versions successives de ses lignes directrices, la dernie`re en date e´tant, depuis le 22 mai 2013, la version GRI G413. Cette dernie`re version propose un re´fe´rentiel d’indicateurs visant a` aider les organisations, qu’elles soient prive´es, publiques ou non-gouvernementales, a` e´valuer et a` rendre compte de leurs performances e´conomiques, environnementales et sociales. Elle comporte 79 indicateurs, dont 49 indicateurs de base et 30 indicateurs dits supple´mentaires re´partis en 7 domaines: e´conomie; environnement; droits de l’Homme; relations sociales et travail de´cent; responsabilite´ vis-a`-vis des produits et socie´te´. L’e´tude des strate´gies discursives du mode`le de reporting GRI et de la notion centrale de « performance » a e´te´ mene´e sur la troisie`me version du rapport GRI - appele´e GRI G3 - parue en 2006. En 2013, paraıˆt une quatrie`me version, toutefois celle-ci ne comporte plus le chapitre « Sustainability Reporting Guidelines », qui introduisait le re´fe´rentiel G3 en pre´sentant le syste`me de valeurs et de repre´sentations. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’e´tudier non pas la dernie`re mais l’avant-dernie`re version du rapport GRI. Notons toutefois que le fait que la version 4 ne comprenne plus d’introduction pre´sentant « l’esprit » GRI ne saurait eˆtre neutre. Cela pourrait par exemple signifier que les re´dacteurs des nouveaux textes conside`rent que ces principes sont de´sormais acquis par le lecteur et qu’il n’y a plus lieu de les proble´matiser et de les le´gitimer. Ils seraient ainsi de´sormais mis en « boıˆte noire » (Callon et Latour, 2006). Une autre explication serait au contraire a` rechercher dans l’apparition de profonds de´saccords, entre ses diffe´rentes parties prenantes, sur « l’esprit » de la GRI. La suppression de ce chapitre, permettrait alors d’e´luder tout objet de pole´mique. Mais il ne s’agit la` que d’hypothe`ses qui me´riteraient d’eˆtre soumises a` une e´tude plus approfondie.

11 Le CERES est une organisation base´e a` Boston regroupant des ONG environnementalistes, des investisseurs institutionnels, des gestionnaires de fonds e´thiques, des organisations syndicales et religieuses. 12 ... 13 Pendant une pe´riode transitoire de deux ans, les entreprises pourront encore utiliser la version G3, cre´e´e en 2006.

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Le reporting RSE mis en œuvre par les entreprises utilisatrices du mode`le GRI doit ainsi fournir trois ensembles d’informations sur la « strate´gie et le profil de l’entreprise », son « approche manage´riale » et ses « indicateurs de performances ». Ceux-ci, pre´sents dans le guidelines de la GRI, sont alors classe´s en plusieurs groupes: indicateurs e´conomiques, environnementaux, sociaux (« Labor practices and decent work Performance Indicators »; « Human right Performance Indicators »; « Society Performance Indicators »), auxquels la GRI rajoute des indicateurs portant sur la responsabilite´ du produit, en particulier vis-a`-vis des consommateurs (« customer health and safety »; « customer privacy »). Ainsi, la notion de « sustainability » telle qu’elle apparaıˆt dans le re´fe´rentiel de la GRI s’inscrit explicitement dans la logique de la TBL ou de la PG pre´sente´es dans la partie 2 de cet article: une dimension e´conomique (la profitabilite´ a` long terme); une dimension sociale (la justice sociale) et une dimension environnementale (la protection de l’environnement). Notons par ailleurs que le re´fe´rentiel GRI est fonde´ sur le principe d’une recherche de consensus entre les diffe´rents stakeholders, dans la droite ligne des approches conceptuelles de´crites plus haut, telles la Stakeholder Theory et la TBL:

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‘‘GRI believes that multi-stakeholder engagement is the best way to produce universally applicable reporting guidance that meets the needs of report makers and users. All elements of the Reporting Framework are created and improved using a consensus-seeking approach, and considering the widest possible range of stakeholder interests. Stakeholder input to the Framework comes from business, civil society, labor, accounting, investors, academics, governments and sustainability reporting practitioners’’ (Website of GRI).

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D’apre`s cette premie`re pre´sentation, le mode`le de reporting de la GRI, semble proposer une vision synthe´tique - globale ou inte´gre´e - de la performance et pre´supposer un consensus « naturel » entre les attentes des diffe´rentes parties prenantes. Il apparaıˆt ainsi ne´cessaire d’approfondir ces premie`res observations par une analyse discursive du re´fe´rentiel GRI dont l’enjeu est d’en de´construire les repre´sentations, pre´suppose´s et modes de justification.

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3.2. Cadre conceptuel et me´thodologie de l’analyse de discours

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L’objectif central du re´fe´rentiel GRI e´tant de proposer une me´thodologie de type universaliste visant a` une standardisation des rapports RSE, il nous semble important de de´construire les pre´suppose´s et repre´sentations du reporting socie´tal et in fine, de la RSE et de la notion de performance globale que celui-ci ve´hicule partout dans le monde. A` l’instar de Capron & QuairelLanoizelee, 2006, nous appre´hendons ce mode`le de reporting comme un outil de communication - et plus pre´cise´ment comme un texte argumentatif - permettant d’acculturer ses destinataires a` son ide´ologie dominante. C’est pourquoi nous en e´tudions e´galement les modes d’argumentation permettant d’en appre´hender le syste`me de le´gitimation. Nos analyses s’inscrivent dans une approche du langage et des discours et se situent dans un cadre de re´fe´rence qu’il convient dans un premier temps de pre´senter et d’expliciter. La plupart des spe´cialistes du langage14 conside`rent d’une part que le langage ne refle`te pas la « re´alite´ » mais cre´e une re´alite´, de´crite comme « un chantier en permanente construction » (Ghiglione, 1998) 15 ou « re´alite´ de second ordre » (Sfez, 1992), d’autre part que le fait meˆme de parler a` un destinataire vise a` modifier ses repre´sentations et comportements. Selon Bourdieu, « L’on peut agir sur le monde social en agissant sur la connaissance qu’ont les agents de ce monde. Cette action vise a` produire et a` imposer des repre´sentations du monde social qui soient capables d’agir sur ce monde en agissant sur la repre´sentation que s’en font les agents16 ». Ainsi, un discours ne de´crit pas une re´alite´ qui lui pre´existerait mais construit la repre´sentation de la re´alite´ que l’e´nonciateur souhaite faire partager par son allocutaire. De ce fait, la plupart des discours, notamment politiques, publicitaires et manage´riaux, sont conside´re´s comme des e´nonce´s argumentatifs, a` vise´e normative. Ces e´nonce´s argumentatifs regroupent trois principaux types de textes (Boissinot, 1992). Les textes a` tendance de´monstrative, pre´tendument logiques, comportent de nombreux connecteurs17 et proce´de´s de raisonnement tels l’induction, la de´duction, l’analogie. Tout en proposant une the`se, les textes a` tendance expositive masquent instances d’e´nonciation et proce´de´s de raisonnement sous un contenu « purement » informationnel. Enfin, les textes a` tendance dialogique fonctionnent comme un lieu de confrontation de the`ses et sont construits, de manie`re plus ou moins patente, sous la forme d’un dialogue18. Les re´fe´rentiels de reporting socie´tal en ge´ne´ral et celui de la GRI en particulier font avant tout partie des e´nonce´s argumentatifs expositifs. Leur strate´gie discursive repose principalement sur une naturalisation de leurs the`ses et une re´ification de leurs indicateurs dans le but de faire adhe´rer leurs destinataires a` une repre´sentation pre´tendument neutre et a-conflictuelle de la RSE. Les analyses de discours que nous de´veloppons s’inscrivent dans le double champ de la linguistique de l’e´nonciation et de l’analyse du syste`me d’argumentation. La linguistique de l’e´nonciation se caracte´rise par le rejet des postulats sur lesquels reposait la linguistique jusque dans les anne´es 1980, c’est a` dire par le double refus, d’une part de limiter l’e´tude de la langue a` une e´tude du code envisage´ « en soi »,

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Citons par exemple Adam, Bourdieu, Ducrot, Kerbrat-Orecchioni, respectivement, 2005, 1982, 1980, 1986 « L’homme communicant n’est pas le miroir re´fle´chissant d’une re´alite´, mais le constructeur incessant de ses re´alite´s (. . .) La re´alite´ sociale n’est pas une donne´e a` traduire en langue, mais un chantier en permanente construction. » Ghiglione, 1998, p.24 16 Bourdieu, 1982, p.195 17 Mais, car, parce que, afin que,... 18 « Argumenter, c’est, par fonction, re´pondre a` un (des) discours d’autrui. Meˆme si la parole de l’autre ne semble pas se faire entendre parce qu’elle est tactiquement re´duite au silence, elle existe virtuellement. » (Boissinot, 1992). 15

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en dehors de toute mise en œuvre, et d’autre part de privile´gier la fonction re´fe´rentielle du langage, perc¸u comme un simple moyen d’informer ou de dire le re´el (Ducrot, 1980; Kerbrat-Orecchioni, 1986). Il s’agit ainsi pour ces linguistes de tenir compte de l’ensemble du phe´nome`ne communicationnel, a` savoir la prise en charge de l’e´nonce´ par l’e´nonciateur. Il s’agit aussi, en se de´marquant d’une conception structuraliste de la langue perc¸ue comme un syste`me clos et re´sume´e dans le ce´le`bre aphorisme de Greimas19, de prendre en conside´ration le contexte dans lequel s’inscrit le discours. Quant a` l’analyse du syste`me argumentatif, son enjeu est d’identifier les the`ses en pre´sence dans un e´nonce´ ainsi que les modes d’argumentation employe´s par l’e´nonciateur. Ce champ d’investigation trouve ses fondements dans la rhe´torique antique. Aristote distinguait trois voies argumentatives dans « l’invention » c’est-a`-dire dans la phase de recherche des arguments (Robrieux, 1993): l’ethos qui de´signe les qualite´s dont est dote´ l’orateur; Le pathos qui de´note, l’ensemble des e´motions que le locuteur cherche a` provoquer chez ses interlocuteurs; Le logos qui repre´sente l’argumentation logique, s’adressant a` la raison et ayant pour finalite´ de prouver. A partir des e´le´ments pre´cite´s, voici, quatre propositions issues de nos choix e´piste´mologiques

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- Le discours a un objectif performatif: c’est un acte volontariste d’influence. Enoncer c’est vouloir agir sur autrui. - Le contexte est de´terminant pour comprendre un e´nonce´: les actes de langage doivent eˆtre resitue´s dans leurs contextes e´nonciatifs. - Un e´nonce´ ne de´crit un re´el qui lui pre´existe; il construit une repre´sentation du re´el. - Enfin, dernier point, de´terminant pour quiconque souhaite analyser un discours: un discours contient des marqueurs, des « traces » de sa vise´e persuasive que le chercheur peut identifier (Ducrot, 1980).

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Ces assertions se traduisent au plan me´thodologique par une triple analyse que nous mobilisons au cours de notre e´tude des strate´gies discursives mises en œuvre par la GRI:

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1. L’analyse du syste`me d’e´nonciation, c’est-a`-dire de la fac¸on dont l’e´metteur et le re´cepteur s’inscrivent dans l’e´nonce´. Nous privile´gions l’e´tude des pronoms personnels sujets, tout en e´tant conscients qu’un simple comptage des occurrences de ces marqueurs linguistiques ne peut permettre de qualifier un e´nonce´ d’ « objectif » ou de « subjectif »: le discours le plus subjectif peut se parer d’une apparence d’objectivite´, l’e´nonce´ e´tant alors pre´sente´ comme une de´monstration universellement pertinente et non comme un argumentaire assume´ par un sujet. 2. L’analyse du re´fe´rentiel du discours. Si produire un discours, c’est faire partager une repre´sentation, l’e´tude des champs se´mantiques, soit de l’ensemble des mots utilise´s pour caracte´riser une notion, une activite´, une personne, permet d’analyser les repre´sentations de l’e´metteur et/ou les repre´sentations qu’il souhaite « imposer » au destinataire. Analyser le champ se´mantique d’une notion, c’est relever dans un e´nonce´ tous les termes s’y rattachant. 3. L’analyse du circuit argumentatif repose sur l’e´tude de la nature des arguments (ethos, pathos ou logos) et de leur structure. L’analyse de cette structure permet de mettre en e´vidence la logique persuasive du discours. Les textes argumentatifs sont ge´ne´ralement construits sur le principe d’une confrontation entre une - ou des - the`se(s) propose´e(s) par l’auteur et une - ou des - the`se(s) refuse´e(s). Ce sche´ma peut eˆtre explicite - le discours se pre´sente clairement dans sa dimension dialogique - ou bien implicite, l’argumentation prenant alors les apparences d’une pre´sentation neutre ou d’une de´monstration logique.

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4. Les strate´gies discursives de la GRI ou l’e´dification du mythe de la Performance Globale

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Alors que la deuxie`me partie de cet article a montre´ que le concept et les pratiques de RSE s’inscrivaient au cœur de paradoxes et de contradictions, il semblerait que les syste`mes de reporting socie´tal dont celui, emble´matique, de la GRI, en occultent le caracte`re fondamentalement ambivalent. A partir d’une analyse communicationnelle et discursive du re´fe´rentiel GRI (version 3) et plus particulie`rement de l’analyse de la fonction re´fe´rentielle du discours, c’est-a`-dire des repre´sentations que celui-ci ve´hicule, cette quatrie`me a pour objectif de re´pondre aux questions suivantes: le re´fe´rentiel GRI inte`gre-t-il dans ses discours des dimensions antithe´tiques, ou est-il dans le de´ni voire dans la de´ne´gation de cette antinomie? Tente-t-il, tout en les reconnaissant, de de´passer de manie`re dialectique les oppositions qui fondent la RSE, ou les masque-t-il sous la strate´gie discursive de la synthe`se ou sous une « logique de l’e´vidence » (Breton & Proulx, 1993) visant a` naturaliser les concepts e´nonce´s et a` mythifier celui de Performance globale? Par ailleurs, afin de de´construire de fac¸on plus approfondie les modes de justification sur lesquels est fonde´ ce rapport, les syste`mes d’e´nonciation - c’est-a`-dire la fac¸on dont le locuteur s’implique (ou non) dans sa production et y implique (ou non) ses destinataires - et d’argumentation de ce document seront e´galement analyse´s (Garric & Le´glise, 2006). Par quelles strate´gies communicationnelles et discursives ce re´fe´rentiel RSE le´gitime-t-il sa posture? Se pre´sente-t-il comme un e´nonce´ « objectif » et purement informationnel, l’e´nonciateur ayant gomme´ toute marque d’adhe´sion ou de distance par rapport a` l’e´nonce´ ou, a contrario, comme un e´nonce´ « subjectif », le locuteur se pre´sentant alors comme source et garant de l’assertion? Ce sont les re´ponses a` ces questions que l’analyse des strate´gies discursives et des modes de le´gitimation mis en œuvre dans ce re´fe´rentiel vise a` apporter.

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« Hors du texte, point de salut. Rien que le texte et rien hors du texte » Greimas, A.J. (1974).

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Le re´fe´rentiel GRI G3 comprend sept chapitres. Six proposent des indicateurs e´conomiques, environnementaux, sociaux et socie´taux, le premier, intitule´ « Sustainability Reporting Guidelines », pre´sente le syste`me de valeurs et de repre´sentations sur lequel la GRI a fonde´ sa de´marche de reporting socie´tal. S’y de´veloppe une rhe´torique subtile visant a` faire adhe´rer le lecteur au discours propose´, principalement pre´sente´ comme neutre et objectif. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’analyser plus particulie`rement ce chapitre, en nous centrant tout d’abord sur la pre´sentation ge´ne´rale du document puis sur la pre´face, l’introduction ainsi que sur le paragraphe « Stakeholder Inclusiveness »20. C’est sur ce meˆme corpus que nous effectuons l’e´tude se´mantique du terme « performance », au cœur de notre question de recherche. Au cours de cette analyse, nous nous re´fe´rons aux divers indicateurs e´nonciatifs, re´fe´rentiels et argumentatifs pre´sente´s pre´ce´demment. Rappelons que l’objectif cle´ de cette analyse de discours est triple. Il s’agit d’une part de montrer que ce re´fe´rentiel est fonde´ sur le de´ni du caracte`re paradoxal et conflictuel de la RSE, de pre´senter d’autre part les strate´gies discursives permettant d’acculturer le lecteur a` cette repre´sentation de la RSE et en dernier lieu d’analyser la fac¸on dont le terme central de « performance » est utilise´ comme mythe moderne afin de naturaliser ou « neutraliser » le discours propose´.

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4.1. Positionnement et pacte d’e´criture

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Le rapport de la GRI - G3 - comporte une table des matie`res, une pre´face, un glossaire ainsi que, pre´sente´s selon les normes universitaires, des sche´mas, des notes de bas de pages et des re´fe´rences bibliographiques. Il adopte ainsi les crite`res d’un rapport d’expert - voire acade´mique - sobre et rigoureux, ve´hiculant de manie`re pe´dagogique, un certain « savoir » objectif. Ni les e´metteurs ni les destinataires du document ne sont situe´s et nomme´s. C’est dans cette illusion d’objectivite´ d’un document qui, jusque dans sa pre´sentation formelle, existe « en soi » que se situent les principales strate´gies communicationnelles et discursives du rapport GRI et plus particulie`rement de la force perlocutoire, c’est-a`-dire d’influence, d’un tel positionnement. Le titre meˆme du document « Sustainability Reporting Guidelines » pre´sente l’apparence de neutralite´ d’un re´fe´rentiel technique. Pourtant s’afficher comme « lignes directrices en matie`re de reporting socie´tal », proposer a` ses lecteurs une premie`re de couverture sur laquelle ne figurent, au centre de la page, que les deux lettres « RG » en majuscules blanches–qui signifie, a` condition d’en rechercher le sens, « Reporting Guidelines » - puis en dessous, dans une plus petite police de caracte`re, les termes « Sustainability Reporting Guidelines » alors que l’acronyme de l’e´metteur du document, « GRI », est pratiquement invisible, c’est se pre´senter comme « Le » re´fe´rentiel RSE unique et inconteste´, dans lequel toute instance d’e´nonciation est gomme´e. Le mode de justification de ce re´fe´rentiel repose ainsi sur ce positionnement de surplomb de celui qui e´dicte la norme, sans eˆtre nomme´ donc situe´. Ce re´fe´rentiel unique est en fait auto-re´fe´rentiel: il est lui-meˆme le garant de son existence. Sa le´gitimite´ repose ainsi tre`s largement sur sa propre construction discursive. Cette analyse va dans le sens de l’affirmation de Capron & QuairelLanoizelee, 2003 selon laquelle la cre´dibilite´ du mode`le de reporting de la GRI serait fonde´e sur un processus d’autole´gitimation. En te´moigne en premier lieu la pre´sence d’une pre´face qui a pour spe´cificite´ e´nonciative de n’eˆtre assume´e, ni par une tierce personne, ni par le l’auteur lui-meˆme. Or, une pre´face signe´e par une tierce personne, le plus souvent un expert ou un leader d’opinion, vise a` le´gitimer par des propos ge´ne´ralement laudateurs le document qu’elle introduit. Lorsqu’elle est signe´e par l’auteur lui-meˆme, elle a pour objectif de pre´senter, avec un certain recul, le propos, le positionnement ou l’argumentaire du locuteur, ce qui n’est pas ici le cas. En te´moigne en second lieu la pre´sence d’une partie intitule´e « Defining Report Content, Quality and Boundary » qui explicite le sens d’un certain nombre de notions relatives au reporting socie´tal, telles que « Stakeholder Inclusiveness », « Sustainability Context », « Comparability », « Accuracy », « Reliability », . . . Chaque terme est d’abord de´fini puis explique´ et enfin, a` l’instar de certains ouvrages a` finalite´ normative permettant au lecteur d’autocontroˆler son degre´ de compre´hension de ce qu’il a lu, un « test » comprenant 4/5 assertions est propose´ pour chaque terme. Chacune de ces assertions est classiquement pre´ce´de´e d’un petit carre´ a` cocher. Toutefois, la « mystification » est assume´e puisque tous les carre´s sont de´ja` coche´s, le « test » n’e´tant que la synthe`se des points cle´s que le lecteur se doit de retenir. Cet artifice affiche´ comme tel signifie tout d’abord que les de´finitions apporte´es par le re´fe´rentiel GRI sont « Les » de´finitions » et non de simples acceptions relatives et contingentes, ce d’autant que l’instance d’e´mission est syste´matiquement occulte´e. Tout comme dans le glossaire–voir infra–le rapport GRI cre´e son propre sociolecte, c’est-a`dire sa propre norme langagie`re. Cela signifie ensuite que ce rapport se pre´sente non pas comme un discours situe´, affichant des prises de position mais comme un document pe´dagogique, c’est-a`-dire un outil au service d’un savoir et d’une me´thodologie neutres, au-dessus de tout soupc¸on, qu’il convient aux destinataires engage´s en faveur de la RSE d’acque´rir, ce faux test fonctionnant alors comme un « effet de re´el » (Barthes, 1968). Cela lui confe`re un potentiel d’acculturation d’autant plus fort qu’il est insidieux.

446 447 448

4.1.1. La pre´face Conforme´ment a` ce que nous e´crivions dans la partie pre´ce´dente, la pre´face n’est pas signe´e, elle est e´crite a` la troisie`me personne du singulier ou au passif et ne comporte que deux indicateurs e´nonciatifs, l’adjectif possessif « our » que l’on

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Dans la partie intitule´e « Defining Report Content, Quality and Boundary ».

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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retrouve dans les deux syntagmes suivants: « the risks and threats to the sustainability of our social relations, environment and economies » et « the urgency and magnitude of the riks and threats to our «collective sustainability ». Dans les deux cas, « our » est pre´ce´de´ de termes relevant du champ lexical de la menace et qualifie « l’eˆtre humain » entendu selon une acception tre`s ge´ne´rique. L’e´nonce´ se pre´sente comme un article de fond de´montrant le bienfonde´ d’une « the`se » e´nonce´e explicitement dans l’intitule´ de cette pre´face: « Sustainable Development and the Transparency Imperative ». Cette pre´face, pre´sentant un argumentaire rigoureux, le´gitime´e de`s la premie`re phrase par une de´finition du De´veloppement durable propose´e en 1987 par le World Commission on Environment and Development, a pour principale voix argumentative (voir supra) le Logos. Elle comporte e´galement deux champs lexicaux antagonistes relevant du Pathos: le premier est celui de la pauvrete´ et de la menace qui pe`se sur notre « sustainability ». (« the continuing burden of poverty and hunger on millions of people’’; « alarming information »); le second, pre´sente´ comme virtuel, est celui du progre`s et du de´veloppement social de la plane`te qui pourrait exister a` condition que l’on pense et agisse autrement. Ainsi, la the`se de cette pre´face est la suivante: la globalisation de nos e´conomies cre´e des situations contraste´es de qualite´ de vie de certains et d’extreˆme pauvrete´ d’autres. Cette situation est risque´e et l’eˆtre humain est aujourd’hui confronte´ a` un de´fi qui suppose des « new and innovative choice and ways of thinking ». La GRI propose un outil centre´ sur l’articulation entre les logiques e´conomiques, sociales et environnementales et sur la collaboration des diverses parties prenantes permettant de relever ce de´fi. Dans ce premier discours auquel est confronte´ le lecteur du re´fe´rentiel RSE, les logiques e´conomiques, sociales et environnementales ne sont pas appre´hende´es comme antagonistes et/ou au cœur d’arbitrages. Les parties prenantes ne sont, quant a` elles, jamais nomme´es, ni de fac¸on exhaustive - « a diverse range of stakeholders, including business, labor, NGO, investors, accountancy, and others » ni de fac¸on personnalise´e. A l’exception notable des « investors », on ne parle pas d’acteurs a` meˆme de de´velopper des strate´gies - mais d’entite´s ou de notions de´sincarne´es, voire re´ifie´es (« business, labor, accountancy ») auxquelles on ne peut pas attribuer de buts ou de strate´gie explicite qui seraient susceptibles d’entrer en contradiction les unes avec les autres. C’est d’ailleurs le champ lexical du consensus qui est utilise´ pour qualifier ces « parties prenantes », ce qui masque l’existence potentielle d’inte´reˆts contradictoires (on compte une occurrence de « consensus », une de « collaboration » et deux de « consultations » en deux phrases). En outre, la GRI n’est jamais de´finie; on ne connaıˆt ni l’identite´, ni le statut de ses membres. Elle n’apparaıˆt qu’a` trois reprises, personnifie´e, comme sujet de l’e´nonce´: c’est elle qui peut permettre aux parties prenantes de communiquer entre eux, de penser autrement et de parvenir a` une prise en compte harmonieuse de la RSE. Enfin, le terme de « performance » n’est l’objet d’aucune de´finition ou explicitation.

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4.1.2. L’introduction du rapport, « Overview of Sustainability Reporting » Elle propose elle aussi un discours explicatif et pe´dagogique centre´ cette fois sur le dispositif de reporting socie´tal. Dans l’introduction du re´fe´rentiel, le reporting socie´tal est tout d’abord de´fini comme une pratique visant a` mesurer et mettre au jour la performance organisationnelle au regard du de´veloppement durable mais rien n’est dit sur l’identite´ ou le statut de(s) acteur(s) ou instance(s) qui mesure(nt) ce dispositif: le management seul? A quel niveau local/global? Les organisations syndicales? Des parties prenantes exte´rieures a` l’entreprise? Il apparaıˆt d’autre part, que la me´thode de reporting s’inscrit dans une approche consensuelle entre les diverses parties prenantes: ‘‘a process that seeks consensus through dialogue between stakeholders from business, the investor community, labor, civil society, accounting, academia, and others.’’ Cette me´thode repose enfin sur une repre´sentation e´quilibre´e et raisonnable de la performance durable: « A sustainability report provides a balanced and reasonable representation of the sustainability performance of the reporting organization, including both positive and negative contributions’’ Ce sont ainsi les qualite´s de « raison » et de tempe´rance qui permettent une approche consensuelle et harmonieuse entre les parties prenantes. Voici en effet la de´finition de ‘‘partie prenante’’ (Stakeholder) dans le glossaire du rapport: « Stakeholders are defined broadly as those groups or individuals: (a) that can reasonably21 be expected to be significantly affected by the organization’s activities, products, and/or services; or (b) whose actions can reasonably be expected to affect the ability of the organization to successflully implement its strategies and achieve its objectives.’’ Par ailleurs, dans le paragraphe intitule´ ‘‘Stakeholder Inclusiveness’’, on compte jusqu’a` six occurrences de ‘‘reasonable expectations and interests’’ associe´es a` ‘‘stakeholders’’. Or, que signifie eˆtre « raisonnablement affecte´ » ou avoir des «attentes raisonnables»? Qui en de´cide? Ces questions pourtant centrales sont absentes de l’argumentaire propose´. Il n’existe aucune vision en termes de domination et de rapports de force: la repre´sentation qui domine est celle d’une partie prenante - qui n’est jamais clairement de´finie - sense´e et tempe´re´e. De fait, les attentes des parties prenantes peuvent diverger mais, selon le document de la GRI cette opposition peut eˆtre re´solue par la raison et par une approche e´quilibre´e des proble`mes. « An organization may encounter conflicting views or differing expectations among its stakeholders, and will need to be able to explain how it balanced these in reaching its reporting decisions.’’ La repre´sentation de l’eˆtre humain et des rapports sociaux qui parcourt ces lignes est fonde´e sur l’ide´e de la raison et la bonne volonte´. Le pre´suppose´ est que les conflits peuvent eˆtre re´solus par la transparence, la rationalite´ et la « bonne volonte´ », c’est-a`-dire par des qualite´s qui proviennent d’une « nature » humaine. Pour renforcer cette ide´e, le paragraphe se termine par cette phrase: ‘‘Accountabilty strengthens trust between the reporting organization and its stakeholders. Trust, in turn, fortifies report credibility.’’ La double occurrence de « trust »

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C’est nous qui soulignons.

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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souligne l’ide´e que les conflits ne sont pas mus par des oppositions majeures entre stakeholders, par des inte´reˆts fondamentalement contradictoires ou par des enjeux de domination mais qu’ils peuvent eˆtre re´solus par une simple ouverture (d’esprit) des parties prenantes. La GRI occulte donc les paradoxes essentiels–au sens e´tymologique du terme–du de´veloppement durable et n’inscrit jamais son propos dans une approche politique qui supposerait que des arbitrages soient pris. Elle produit ainsi des discours consensuels fonde´s sur l’instrumentalisation de concepts tels celui de la « raison » ou de « l’e´quilibre ». C’est toutefois la notion de performance qui est au cœur de cette strate´gie discursive consensuelle et apolitique.

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4.2. La rhe´torique de la « performance »

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Montrons de fac¸on synthe´tique la fac¸on dont est utilise´, dans le corpus de textes de la GRI pre´ce´demment se´lectionne´, le terme « performance ». Il n’est jamais de´fini, ni dans l’argumentaire propose´ au lecteur, ni meˆme dans le glossaire. Suppose´e aller de soi, la performance est ainsi un e´le´ment majeur de la rhe´torique de l’e´vidence, qui fonde le syste`me de le´gitimation de la GRI. De`s la premie`re phrase de l’introduction du chapitre « Sustainability Reporting Guidelines », la « performance » est pre´sente´e comme centrale dans le dispositif GRI, consistant pre´cise´ment a` « mesurer, e´valuer et comparer » la performance d’une organisation (4 occurrences) en termes de de´veloppement durable. Toute une me´thode se construit ainsi autour d’une notion complexe et abstraite qui n’est jamais pre´cise´e mais ne´anmoins omnipre´sente. Dans l’introduction et dans la premie`re partie du chapitre « Sustainability Reporting Guidelines » - soit 14 pages - on compte environ cinquante occurrences de « performance ». Seize d’entre elles sont inte´gre´es dans l’expression tre`s floue de « performance de l’organisation ». A sept reprises, le terme de performance est utilise´ en soi, sans eˆtre qualifie´. Il est a` deux reprises suivi de « globale » et « inte´gre´e », sans que ces qualificatifs ne soient explicite´s. Par ailleurs, aucune des quatre occurrences de « performance e´conomique, environnementale et sociale » n’aborde la question d’une possible contradiction entre ces trois dimensions. Enfin, la performance est pre´sente´e comme consensuelle et rationnelle; elle s’appre´cie de fac¸on « fonde´e, raisonnable, e´quilibre´e et pertinente ». Or, a` l’instar de Mouffe, nous conside´rons que « la croyance en la possibilite´ d’une re´conciliation finale graˆce a` la raison empeˆche que l’on reconnaisse la possibilite´, toujours pre´sente, de l’antagonisme ». (2010). Au cœur d’une pense´e magique, fonctionnant de fac¸on incantatoire et parfois tautologique, le mythe de la performance permet d’occulter la question de l’existence de conflits re´els et/ou potentiels entre parties prenantes, c’est-a`-dire de de´nier a` la RSE sa dimension paradoxale.

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4.3. Une strate´gie discursive complexe

535 536

Le tableau suivant pre´sente une synthe`se des principaux re´sultats de l’analyse de discours GRI a` partir des triples indicateurs e´nonciatifs, re´fe´rentiels et argumentatifs.

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Indices e´nonciatifs Pronoms personnels et adjectifs possessifs

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Indices re´fe´rentiels champs se´mantiques

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Indices argumentatifs nature des arguments the`se en pre´sence

Titre et introduction

Instances d’e´nonciation gomme´es; textes e´crits a` la 38 personne du singulier ou au mode passif

Pre´face

2 occurrences de « our » apre`s une double occurrence de « the riks and threats » et devant « social relations, environment and economies » et « collective sustainability »

Pre´face Introduction

Pauvrete´ et risques De´veloppement social de la plane`te

Pre´face Introduction

Raison, tempe´rance et ouverture d’esprit Consensus Performance Pathos (la menace) ˆ s a` la globalisation en termes de De´veloppement The`se: risques et opportunite´s du Durable. De´fi qui suppose un changement de paradigme Re´ponse: RSE et reporting socie´tal GRI Logos (le progre`s) The`se: une approche consensuelle, rationnelle et e´quilibre´e de la RSE de la part de parties prenantes ouvertes et conscientes de leur responsabilite´ permettrait, avec l’aide du dispositif GRI, une articulation harmonieuse des logiques e´conomiques, sociales et environnementales.

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L’analyse discursive du re´fe´rentiel GRI a montre´ que, bien que celui-ci prenne parfois l’apparence d’un texte argumentatif dialogique affichant des valeurs humanistes, ses prises de positions e´thiques ne s’accompagnent jamais d’une vision politique des rapports sociaux. Ainsi, le « rapport d’expert » GRI, dont les positions ide´ologiques sont occulte´es, se pre´sente comme un e´nonce´ objectif, universellement pertinent, qui de´nie l’existence de tensions dans le champ de la RSE en ge´ne´ral et du reporting socie´tal en particulier. C’est cette pre´tendue objectivite´ qui lui permet de proposer et de le´gitimer le mythe « rationnel » de la performance globale.

Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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5. Conclusion

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A` l’analyse du discours de la GRI, il semblerait que l’acceptation innocente du discours doxique sur la Performance Globale re´side dans l’instillation d’une douce violence, arme´e dans un « gant de velours rhe´torique » (« rhetorical velvet glove », Covaleski, Dirsmith, & Rittenberg, 2003, p. 349). Produits d’une culture d’experts, les mode`les de reporting socie´taux, en taisant les conflits et contradictions inhe´rents a` la proble´matique de la responsabilite´ sociale de l’entreprise, semblent ainsi conc¸us pour passer les controverses sous silence. Bien plutoˆt, la rhe´torique de l’e´vidence sur laquelle s’appuie l’e´nonciation de leurs cadres conceptuels, pre´sente leurs concepts et arguments comme des faits indiscutables (matters of fact) participant ainsi a` la cre´ation d’une nouvelle re´alite´. Or, « en communiquant la re´alite´, on construit la re´alite´ » (Hines, 1988). La GRI semble postuler que les controverses sont de´sormais closes, les ide´es sont a` pre´sent stabilise´es, les principes sont « ge´ne´ralement accepte´s »: ils ont fait l’objet d’une « mise en boıˆte noire » (Callon & Latour, 2006). Or, comme l’indique Gray (2006), la notion de de´veloppement durable n’est pas re´ductible au management a` l’e´chelle de l’organisation, il s’agit d’un concept syste´mique et macro-e´conomique. En cela, elle interroge les fondements meˆme de l’entreprise et, au-dela`, la socie´te´ et les choix politiques. Cela nous invite alors a` de´naturaliser et (re)politiser les concepts de valeur et de performance et a` envisager une autre conception du reporting socie´tal au service d’une socie´te´ de´mocratique. C’est la « boıˆte noire » de la performance globale qu’il nous faut sans doute ouvrir pour, enfin, assumer son caracte`re paradoxal. Rappelons-nous qu’au-dela` de l’ide´al mythique de la synthe`se d’un coˆte´, et du constat ne´o-institutionnel d’un couplage laˆche de l’autre, les travaux sur la gestion des paradoxes sugge`rent une alternative fonde´e sur leur acceptation (Cf. § 2.2.). C’est peut-eˆtre dans cette voie qu’il conviendrait d’envisager un reporting socie´tal de´mocratique. Au lieu de masquer le caracte`re fondamentalement paradoxal et conflictuel des dimensions du de´veloppement durable et des attentes diffe´rencie´es des parties prenantes, sous l’apparence de fausses e´vidences, celui-ci permettrait au contraire de les re´ve´ler dans toute leur complexite´ et de favoriser, par la` meˆme, un de´bat de´mocratique et l’exercice e´claire´ de choix politiques. Cela supposerait alors, que l’ensemble des points de vue des diffe´rentes parties prenantes en pre´sence soit pris en compte dans les e´tats de reporting socie´tal, que leurs attentes ne soient plus conside´re´es comme « allant de soi », mais fassent l’objet d’une enqueˆte visant a` de´finir la nature des « re´ponses » qu’attendent les stakeholders. Cela impliquerait e´galement de construire des mesures de performance qui re´ve`lent aux de´cideurs la dynamique des influences syste´miques qu’entretiennent entre elles les diffe´rentes dimensions e´conomiques, sociales et environnementales. Les paradoxes, loin d’eˆtre nie´s et occulte´s seraient alors assume´s et deviendraient des objets de reddition et d’e´valuation. En s’attaquant a` la de´mystification des mythes manage´riaux contemporains et en mettant a` jour, afin de mieux les assumer, les paradoxes que masquent les fausses e´vidences de la doxa manage´riale, le projet du « language turn », offre une perspective salutaire pour la de´mocratie.

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« En passant de l’histoire a` la nature le mythe fait une e´conomie: (. . .) il organise le monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde e´tale´ dans l’e´vidence, il fonde une clarte´ heureuse: les choses ont l’air de signifier toutes seules » (Roland Barthes, 1957, p. 230-231).

595

Re´fe´rences non cite´es

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Re´fe´rences

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Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013

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Please cite this article in press as: Chauvey, J.-N., et al. Rhe´torique et mythe de la Performance Globale L’analyse des discours de la Global Reporting Initiative. Crit Perspect Account (2014), http://dx.doi.org/10.1016/j.cpa.2014.09.013