Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 133 (2016) 114–116
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Cas clinique
Sinusite sphénoïdale et abcès de la fosse infratemporale par Nocardia nova夽 A. Giordano , M. Cohen-Salmon , B. Joly ∗ , C. Maffiolo Service d’ORL et chirurgie cervicofaciale et plastique de la face, hôpital de la Miséricorde, 27, boulevard Impératrice-Eugénie, 20303 Ajaccio cedex, France
i n f o
a r t i c l e
r é s u m é
Mots clés : Sinusite sphénoïdale Nocardia Céphalée Abcès méningé
Introduction. – Les sinusites par Nocardia sont exceptionnelles, nous rapportons un cas de sinusite sphénoïdale compliquée d’un abcès de la fosse infratemporale : une recherche dans la base Medline retrouve un seul cas rapporté. Nous rapportons un nouveau cas qui a posé des problèmes diagnostiques. Cas clinique. – La patiente était adressée pour céphalée temporale, névralgie du trijumeau d’évolution subaiguë avec un syndrome infectieux tardif. L’imagerie par tomodensitométrie découvrait une sphénoïdite gauche avec lyse osseuse et abcès de la fosse infratemporale, découverte de nodules pulmonaires suspects de la localisation initiale. Le prélèvement bactériologique réalisé par sphénoïdotomie endoscopique confirmait la présence de Nocardia nova. L’évolution a été favorable après traitement antibiotique ciblé. Discussion et conclusion. – Le mode de découverte d’une nocardiose par sinusite sphénoïdale avec abcès de la fosse infratemporale est exceptionnel illustrant le polymorphisme sémiologique que peut prendre cette affection. Le prélèvement bactériologique direct au niveau de l’organe concerné, dans notre cas, par sphénoïdotomie, est le seul critère formel du diagnostic. Un traitement antibiotique par imipenème/amikacine i.v. et relais per os par sulfaméthoxazole/triméthoprime (Bactrim forte® ) durant plusieurs mois sont la clé de la prise en charge. © 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.
1. Introduction
terrain immunodéprimé ; les sinusites à Nocardia ont été rarement rapportées. Seuls 4 cas ont été rapportés jusqu’à présent dans la littérature [3–6]. Nous rapportons ici un premier cas de sinusite aiguë sphénoïdale avec abcédation vers la fosse infratemporale par Nocardia chez une femme immunocompétente.
La sphénoïdite isolée est une pathologie relativement rare, responsable de moins de 3 % des lésions sinusiennes. Ses symptômes peu spécifiques sont la source d’un retard diagnostic fréquent d’autant plus que les examens endoscopiques peuvent être normaux. Les lésions isolées du sinus sphénoïdal se présentent les plus fréquemment par des céphalées, suivies de symptômes ophtalmiques et nasosinusiens [1]. Une prise en charge retardée ou incorrecte peut conduire à des complications graves, comme un abcès orbitaire, une thrombose du sinus caverneux, une méningite avec abcès cérébral [2]. La nocardiose est considérée comme une infection opportuniste se présentant le plus fréquemment comme une pneumopathie sur
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2015.09.004. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Joly). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2015.07.004 1879-7261/© 2016 Publié par Elsevier Masson SAS.
2. Observation Mme C., âgée de 72 ans, aux antécédents de diabète non insulinodépendante bien contrôlé, d’adénocarcinome du sein ancien est adressée pour forte céphalée frontotemporale gauche et névralgie du trijumeau gauche apparus dans les suites de soins sur implants dentaires maxillaires gauches 3 semaines auparavant. Lors de la première hospitalisation, le scanner cone beam ne retrouvait pas de foyer infectieux dentaire, seul un comblement partiel isolé du sphénoïde gauche était remarqué avec épaississement du bas fond sinusien maxillaire ipsilatéral (Fig. 1) ; la fibroscopie nasale était sans anomalie ainsi que le reste de l’examen neurologique. Il existait un syndrome inflammatoire avec hyperleucocytose à polynucléaires, une protéine C réactive et une vitesse de sédimentation élevées (53 mg/L et 109 mm respectivement) sans syndrome fébrile. La radiographie du thorax était normale. Une artérite de Horton était écartée après biopsie de l’artère temporale normale.
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foyer systématisé. Une échographie cardiaque écartait une endocardite, une échographie abdominale à la recherche d’un autre foyer infectieux ou tumoral était négatif. Une méningite était écartée après ponction lombaire stérile. Les sérologies de VIH, CMV, Herpes et hépatites A, B et C étaient négatives. Une antibiothérapie probabiliste était débutée en intraveineux par céfotaxime (Claforan® )/clindamycine (Dalacine® ). Une anémie inflammatoire à 7 g/dL était corrigée par transfusion de deux culots sanguins. Une sphénoïdotomie endoscopique gauche sous anesthésie générale retrouvait du pus, le prélèvement bactériologique ainsi qu’une hémoculture mettaient en évidence, après culture, une bactérie du genre Nocardia ; signalée à l’Observatoire franc¸ais de la nocardiose à Lyon qui identifiait le germe : Nocardia nova. Un traitement par triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim forte® ) était alors prescrit en relais per os 2 comprimés × 2/j pour une durée de 2 mois avec de l’acide folique, avec une résolution complète du tableau infectieux contrôlée à 6 mois après nouveau scanner cervicothoracique et sinusien. 3. Discussion
Fig. 1. Scanner confirmant une hémi-pansinusite ethmoïdo-sphénoïdale gauche.
Le scanner cérébral et sinusien montrait un léger épaississement de la muqueuse des sinus maxillaires et un comblement partiel du sinus sphénoïdal. Devant ce tableau mixte sinusien et névralgique, un traitement antibiotique par clamoxyl-acide clavulanique, gabapentine et tramadol était institué avec amélioration des symptômes permettant la sortie. Une semaine plus tard, la patiente était réhospitalisée devant l’aggravation du syndrome hyperalgique infectieux (CRP à 223 mg/L). Un scanner cérébral et des sinus réalisé en urgence confirmait le comblement du sinus sphénoïdal gauche avec apparition d’une lyse osseuse de la grande aile gauche du sphénoïde, de la base des apophyses ptérygoïdes et découvrait un abcès profond de la fosse infratemporale au sein des muscles ptérygoïdiens avec atteinte méningée au niveau temporal gauche (Fig. 2a et b). Le scanner cervicothoracique découvrait deux micronodules aspécifiques de 4 et 10 mm au niveau du lobe pulmonaire gauche sans
La nocardiose est une maladie infectieuse rare mais grave, régulièrement mortelle. Le diagnostic précoce est difficile car la sémiologie est polymorphe et non spécifique. Elle peut être évoquée devant toute maladie suppurative granulomateuse avec pneumopathie communautaire et lésions nodulaires tissulaires disséminées ou isolées sur un patient le plus souvent au système immunitaire altéré [6–8] et/ou de plus de 50 ans. Il existe une quarantaine d’espèces pathogènes pour l’homme mais N. Abcessus, N. cyriacigeogica, N. farcinica et N. nova sont retrouvés dans plus de 80 % des cas. Le mode de contamination est principalement l’inhalation (spore/fragments de filament en suspension), mais est également possible au niveau des portes d’entrées cutanées (plaie, etc. . .). La dissémination de ce germe faisant parti de la famille des Actinomyces aérobies strictes se fait ensuite par voie hématogène et peut potentiellement atteindre tous les organes. Le poumon est l’organe le plus souvent atteint (60 à 80 % des cas) [5,9], puis le système nerveux central. L’association abcès cérébraux et atteinte pulmonaire quand elle existe doit faire rechercher d’autres infections opportunistes : BK, cryptocoque, histoplasme, bactéroïdes, aspergillose, pneumocoque. L’infection peut évoluer selon un mode chronique ou aigu, avec des symptômes dépendants des organes atteints et du terrain immunitaire.
Fig. 2. a : scanner sinusien montrant un abcès collecté au niveau des muscles ptérygoïdiens gauches ; b : scanner en coupe frontale montrant la lyse osseuse de la grande aile gauche du sphénoïde avec réaction méningée et voie de dissémination vers la fosse infratemporale.
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Les sinusites par Nocardia ont été très rarement rapportées dans la littérature. Hormis la présence d’un diabète de type 2, notre patiente âgée ne présentait aucun facteur d’immunosuppression prédisposant ; la porte d’entrée dentaire suspectée n’est pas retenue, la localisation pulmonaire n’est pas confirmée a posteriori car les micronodules pulmonaires sont inchangés après traitement et normalisation du syndrome infectieux ; l’évolution insidieuse a été source de retard diagnostic avec discussion devant la lyse osseuse sphénoïdale pouvant être en rapport avec une localisation secondaire néoplasique, vu les antécédents mammaires de la patiente. En parcourant la littérature, seuls 4 cas de sinusites par Nocardia ont été décrites [3–6]. Parmi ceux-ci, 2 étaient causés par N. Nova et 2 par Nocardia asteroides. Tous les patients étaient immunocompétents. Le diagnostic repose sur les examens bactériologiques des prélèvements (abcès, liquides biologiques). En France, les laboratoires de bactériologie ne sont pas toujours capables d’identifier sans équivoque le genre Nocardia, ni d’identifier les espèces de ce genre. La souche doit donc être adressée à un laboratoire spécialisée. En France, l’Observatoire franc¸ais des nocardioses assure l’identification, l’étude et la conservation des souches de Nocardia [7]. Un bilan d’extension est toujours nécessaire, comprenant au minimum une imagerie cérébrale. Généralement, l’infection se retrouve chez des sujets fragilisés [8] (immunodéprimés porteurs de cancer de la sphère ORL ou pulmonaire, maladies respiratoires chroniques. . .), mais aucun facteur de risque n’est retrouvé dans près d’un tiers des patients [10]. En France, la corticothérapie au long cours apparaît comme le principal facteur de prédisposition puisqu’elle est retrouvée chez près du tiers des patients [7]. La prise en charge repose sur une antibiothérapie longue par voie i.v. les 4 à 6 premières semaines, avec un relai per os durant au moins 2 mois et pouvant se prolonger jusqu’à 12 mois selon la gravité du tableau clinique. En attendant le diagnostic d’espèce et l’antibiogramme, une bi-antibiothérapie par imipenème + amiklin ou céphalosporine de 3◦ génération + amiklin est recommandée. D’autres associations sont possibles à ce stade :
cotrimoxazol + amiklin, cotrimoxazol + C3G + amiklin, cotrimoxazol + imipenème + amiklin. Le profil de résistance dépend de l’espèce. L’antibiogramme a un intérêt clinique majeur car les Nocardia sont fréquemment polyrésistantes aux antibiotiques [7]. 4. Conclusion La sinusite sphénoïdale est une pathologie qui conduit souvent à un retard diagnostic dû à son polymorphisme sémiologique et son évolution insidieuse. L’infection à Nocardia dans cette localisation est extrêmement rare et il faut en connaître les spécificités de prise en charge. Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts. Références [1] Nour YA, Al-Madani A, El-Daly A, et al. Isolated sphenoid sinus pathology: spectrum of diagnostic and treatment modalities. Auris Nasus Larynx 2008;35:500–8. [2] Goldman A. Complications of sphenoid sinusitis. Oper Techn Otolaryngol 2003;14:216–8. [3] Katz P, Fauci AS. Nocardia asteroides sinusitis: presentation as a trimethoprimsulfamethoxazole responsive fever of unknown origin. JAMA 1977;238: 2397–8. [4] Roberts SA, Bartley J, Braatvedt G, et al. Nocardia asteroids as a cause of sphenoidal sinusitis: case report. Clin Infect Dis 1995;21:1041–2. [5] Unzaga MJ, Crovetto MA, Santamaría JM, et al. Maxillary sinusitis caused by Nocardia nova. Clin Infect Dis 1996;23:184–5. [6] Chawla K, Munim FC, Rao SP, et al. Nocardia nova causing chronic maxillary sinusitis: a rare case. JK Sci 2012;14:95–6. [7] Rodriguez-Nava V, Blaha D, Zoropogui A, et al. Nocardia et nocardiose. EMC Mal Infect 2014;11:1–7 [Article 8-037-K-10]. [8] Filice GA. Nocardiosis in persons with human immunodeficiency virus infection, transplant recipients, and large, geographically defined populations. J Lab Clin Med 2005;145:156–62. [9] Filice GA. Nocardiosis fungal diseases of the lung. New York: Raven Press; 1993. p. 191–204. [10] Laurent F, Couble A, Boiron P. Données épidémiologiques et cliniques recueillies par l’Observatoire franc¸ais des nocardioses à partir de 395 cas entre 1995 et 2000. Bull Soc Fr Microbiol 2003;18:185–91.