Suivre ou ne pas suivre les recommandations : du plus grand danger au moindre mal

Suivre ou ne pas suivre les recommandations : du plus grand danger au moindre mal

Suivre ou ne pas suivre les recommandations : du plus grand danger au moindre mal DOSSIER MISE AU POINT F. Claudot, Y. Juillière Membres du Comité ...

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Suivre ou ne pas suivre les recommandations : du plus grand danger au moindre mal

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F. Claudot, Y. Juillière Membres du Comité d’éthique de la Société française de cardiologie [email protected]

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es recommandations professionnelles sont définies par la Haute Autorité de Santé comme des propositions développées avec une méthode explicite pour aider le praticien et le patient à rechercher les soins les plus appropriés dans des circonstances cliniques données [1]. Selon la Haute Autorité de Santé, « elles ont pour objectif de mettre à la disposition des différents acteurs du système de santé (professionnels, patients et usagers, décideurs), une synthèse rigoureuse de l’état de l’art et des données acquises de la science destinées : • à aider la prise de décision dans les choix des soins ; • à harmoniser les pratiques ; • à réduire les traitements inutiles et actes inutiles ou à risque ; • à réduire les ruptures dans le parcours de santé » [2]. Les « guidelines » peuvent égale« Propositions ment être définies comme « A syspour rechercher les soins tematic statement of policy rules or principles. Guidelines may be les plus appropriés ». developed by government agencies at any level, institutions, professional societies, governing boards, or by convening expert panels. The text may be cursive or in outline form but is generally a comprehensive guide to problems and approaches in any field of activity » [3]. Il ressort de ces définitions que les recommandations peuvent être considérées comme des normes techniques, supports d’aide à la décision relative à la prise en charge du patient, écrites selon une méthodologie donnée, par des personnes choisies en raison de leur expertise, pour une ins-

titution donnée (qui peut être une agence gouvernementale, une société savante, une association de patients…) dans une zone géographique donnée (USA, Europe, pays…). Une analyse rapide et non systématique de la littérature relative à l’acceptation des recommandations par les professionnels de santé laisse entrevoir que globalement, les recommandations sont peu suivies par les médecins pour des raisons variées : difficultés d’accès aux recommandations (complexité, nombre, obsolescence, divergences entre recommandations,…), aspects sociologiques du patient (âge, environnement social défavorable, non compliance, pression exercée sur le médecin, routine…), aspects sociologiques du médecin (routinisation des pratiques, manque de temps, rayonnement scientifique du médecin qui le place au même rang que les experts, formation reçue, modèle des pairs…) [4-9]. Les premiers questionnements éthiques relatifs aux recommandations pourraient donc être : quel sens y-a-t-il à continuer à produire des recommandations sachant qu’elles ne sont pas ou sont peu suivies ? Quel sens y-a-t-il à utiliser des vecteurs de communication dont on a pu démontrer qu’ils n’étaient pas efficients alors que leur vocation (aide à la prise de décision, rationalisation des parcours de soin, harmonisation des pratiques…) est l’efficience du système de santé et l’efficience dans la qualité des soins ? Bien qu’elles soient fondées sur une analyse de la littérature qui devrait garantir que selon l’Evidence-Based Medicine, un patient devrait techniquement être pris

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en charge de la même façon partout, il apparaît que les options proposées par les recommandations sont conditionnées par divers facteurs d’influence comme la politique de santé, le système de santé, la richesse du pays, le système d’assurance maladie, les représentations des institutions, des experts, le design des études qui fondent les recommandations… Autant de facteurs qui ont pour conséquence de produire, pour une même pathologie, des recommandations de prise en charge différentes, voire divergentes. On peut donc constater que si la définition des recommandations a une prétention à l’universalité, la déclinaison pratique de la recommandation ne l’est pas et est un facteur de confusion pour le médecin. En effet, entre deux recommandations divergentes, y en a-t-il une vraie et une fausse ? Dans l’incertitude, laquelle faut-il appliquer ? Laquelle des recommandations d’une société savante nationale, d’une agence nationale ou d’une société savante européenne ou internationale faut-il appliquer ? Le médecin est-il condamnable juridiquement s’il ne respecte pas les recommandations ?

Entre deux recommandations divergentes, y en a-t-il une vraie et une fausse et dans l’incertitude, laquelle faut-il appliquer ? Selon la Haute Autorité de Santé, les recommandations sont des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné. Cependant, « elles ne sauraient dispenser le professionnel de santé de faire preuve de discernement dans sa prise en charge du patient qui doit être celle qu’il estime la plus appropriée, en fonction de ses propres constatations » [2]. On peut penser avec une quasicertitude que le médecin qui appliquerait de façon systématique les recommandations sans les adapter à la situation particulière de son patient ne manquerait pas d’être condamné par manque de prudence et de discernement. 20

Qu’est-ce que « les données acquises de la science » ? Selon le Doyen Carbonnier « une donnée médicale n’est une donnée acquise de la science qu’autant qu’elle est reçue par la partie la plus considérable de l’opinion scientifique (question de fait) » [10]. Elles se définissent également comme des données faisant l’objet d’un large consensus médical fondé sur l’étude et l’expérimentation. Y seraient inclus les travaux des sociétés savantes qui déterminent les pratiques médicales recommandées [11]. Les « données acquises de la science » n’ont pas de définition claire, ne sont pas irréfragables, sont donc discutables et surtout varient dans le temps puisqu’elles sont soumises aux variations et aux évolutions de la science. Ce qui était vrai un jour peut donc être contredit le lendemain. L’application des recommandations doit donc se faire avec discernement : • quant à la date d’écriture de la recommandation : une recommandation écrite trop tôt, sur des techniques ou des thérapeutiques insuffisamment éprouvées pourrait constituer un danger médico-légal pour le praticien et de santé pour le patient ; une recommandation orientant le praticien vers une prise en charge obsolète pourrait les exposer aux mêmes risques (cas des recommandations non actualisées) ; • quant à la validité des données sur lesquelles elle se fonde.

Faut-il suivre les recommandations et pourquoi ? Les recommandations n’émanent d’aucun pouvoir normatif : ce ne sont pas des lois qui émaneraient du pouvoir législatif, ce ne sont pas non plus des actes réglementaires qui émaneraient du pouvoir exécutif. Par suite, elles sont dépourvues de toute valeur juridique. En pratique, ce n’est pas du droit. Selon la Haute Autorité de Santé, « les RBP sont des synthèses rigoureuses de l’état de l’art et des données de la science à un temps donné » [2]. Cette position est confirAMC pratique „ n°239 „ juin 2015

mée par la jurisprudence du Conseil d’Etat qui, à plusieurs reprises, a jugé que les recommandations de la Haute Autorité de Santé matérialisaient des données acquises de la science [12, 13]. Par ailleurs, les recommandations « ont pour objet de guider les professionnels de santé dans la définition et la mise en œuvre des stratégies de soins à visée préventive, diagnostique ou thérapeutique les plus appropriées, sur la base des connaissances médicales avérées à la date de leur édiction » [13]. De là on infère que les recommandations sont donc bien des « guides de bonnes pratiques » matérialisant des données acquises de la science de façon non exclusive. Aux termes de l’article L. 1110-5 CSP « toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées ». Ce qui a pour corolaire l’obligation pour le médecin de dispenser des soins « non pas quelconques, mais consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science » [14]. Le médecin a l’obligation juridique de dispenser des soins conformes aux données acquises de la science. Or, les recommandations sont une synthèse des données acquises de la science, on déduit par syllogisme que le médecin doit suivre les recommandations. Dans cette perspective, ne pas suivre les recommandations serait « le plus grand danger » : • d’abord pour le patient qui ne recevrait pas une prise en charge de qualité, ce qui risquerait de lui porter préjudice ; • ensuite pour le médecin qui causerait un préjudice à son patient et risquerait une mise en cause de sa responsabilité professionnelle civile, déontologique voire pénale ; • enfin pour le système de santé car une mauvaise prise en charge d’un patient représente une mauvaise utilisation des ressources (financières, matérielles, humaines…). AMC pratique „ n°239 „ juin 2015

Laquelle des recommandations d’une société savante nationale, d’une agence nationale ou d’une société savante européenne ou internationale faut-il appliquer ?

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On pourrait cependant imaginer compte tenu du contexte de la rédaction des recommandations que les recommandations des instances nationales de santé pourraient primer sur les recommandations européennes ou internationales et, sur le plan national, que les recommandations des agences nationales (comme l’ANSM), ou à celle de la Haute Autorité de Santé (HAS) pourraient primer sur les recommandations des société savantes. Tout ceci reste du domaine de l’hypothèse. Ainsi, en 1999, le Docteur X avait été condamné à un mois d’interdiction d’exercer la médecine par le Conseil national de l’Ordre des médecins car il prescrivait à ses malades des médicaments généralement en provenance de pays étrangers, dépourvus d’autorisation de mise sur le marché, dont la composition lui était parfois inconnue, qui n’avaient jamais fait l’objet de tests expérimentaux dans le cadre de la loi du 20 décembre 1988 et dont ni l’efficacité ni l’innocuité n’avaient été établies en France. Le Conseil national de l’Ordre des médecins avait considéré que le Docteur X contrevenait à l’article 39 du Code de déontologie qui précise que « les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite ». Par un arrêt du 19 octobre 2001, le Conseil d’Etat a censuré la décision du Conseil national de l’Ordre des médecins au motif que le Conseil national de l’Ordre s’était fondé uniquement sur l’absence d’expérimentation en France, « sans rechercher quelle était l’opinion de la communauté scientifique internationale », donc n’avait pas examiné l’ensemble des données scientifiques propres à établir sa conviction. La logique juridique pourrait donc être de choisir la solution la plus favorable au patient à condition qu’elle soit réalisable en France. 21

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Le médecin est-il condamnable juridiquement s’il ne respecte pas les recommandations ? Le non-respect des recommandations peut être source de responsabilité mais cette conclusion n’est pas automatique et dépend du cas d’espèce. Le médecin bénéficie d’une liberté (article 8 du code de déontologie médicale) qui précise que « dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre de ses prescriptions qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance ». Il se peut que les recommandations ne correspondent pas à la situation d’un patient donné. Dans ce cas, le professionnel s’exonère de l’application des recommandations mais doit pouvoir justifier sa décision de ne pas les suivre et doit apporter au patient des soins conformes aux données acquises de la science qui viendraient d’autres sources que les recommandations de la HAS (par exemple, des recommandations de société savantes, de l’AFSSAPS…). Le seul impératif pour le médecin est de respecter les obligations décrites

par l’article L. 1110-5 CSP (précité) et de dispenser des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données de la science. Suivre des recommandations de qualité procède d’une démarche préventive en matière de responsabilité par le fait qu’elles représentent l’état de l’art pour un problème donné. Ce raisonnement doit toutefois être tempéré. Du point de vue du patient comme du juge, le médecin reste celui qui sait et qui doit faire preuve de sens critique au regard des aides au diagnostic ou aux traitements. Ainsi, pour justifier qu’il utilise ou écarte l’application d’une recommandation, le médecin devra pouvoir justifier d’un comportement autonome. Quel que soit le niveau de qualité affiché pour une recommandation, le médecin ne doit donc jamais la considérer comme immuable et doit vérifier qu’elle fait l’objet d’une actualisation régulière. Il doit toujours en faire une interprétation et/ou une analyse critique. Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

En pratique Il faut dispenser des soins consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises de la science et utiliser les recommandations avec discernement. Références [1] Grossman JH, Bower HPH, Brook RH, et al. Clinical Practice Guidelines: Directions for a new program. Institute of Medicine. Marilyn J. Field and Kathleen N. Lohr Ed. National Academy Press. 1990. [2] HAS, Elaboration de recommandations de bonne pratique. Méthode « recommandations pour la pratique clinique », décembre 2010, mise à jour mars 2015, consultable à l’URL http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/ pdf/2011-01/guide_methodologique_recommandations_ pour_la_pratique_clinique.pdf-.

[7] Chevalier C, Giral P, Chinaud F, et al. Application of medical guidelines for the prescription of statins. Rev Epidemiol Sante Publique 2002;50:463-73. [8] Grondin MA, Ouchchane L, Ferrières J, et al. Medical guidelines and medical practices: the example of lipid lowerin therapy. Presse Med 2006;35:1427-33.

[3] Définition MeSH – consultable à l’URL http://www.ncbi.nlm. nih.gov/mesh/68016431.

[9] Hobbs FD, Erhardt L. Acceptance of guideline recommendations and perceived implementation of coronary heart disease prevention among primary care physicians in five European countries: the Reassessing European Attitudes about Cardiovascular Treatment (REACT) survey. Fam Pract 2002;19:596-604.

[4] Laure P, Trépos JY. Representations of clinical practice guidelines by general practitioners. Sante Publique 2006;18:573-84.

[10] Carbonnier J. Note sous CA Montpellier 14 décembre 1954, D.1955, p. 745.

[5] Trépos JY, Laure P. General practioners and medical guidelines: a sociological approach. Rev Epidemiol Sante Publique 2008;56:S221-9.

[11] Sargos P. Approche judiciaire du principe de précaution en matière de relation médecin/patient. JCP G 2000;I-226:no11.

[6] Saillour-Glenisson F, Domecq S, Pouchadon ML, et al. Analyse qualitative et quantitative des déterminants à l’application de

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recommandations professionnelles (RP) par les médecins. Rev Epidemiol Sante Publique 2008;56:S207-S219.

[12] CE 12 janvier 2005, n°256001. [13] CE 27 avril 2011, n°334396. [14] Cour de cassation, 20 mai 1936, arrêt Mercier.

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