Annales de chirurgie plastique esthétique (2010) 55, 568—577
MISE AU POINT
Transfert de tissu adipeux dans le parenchyme mammaire (première partie) : les modifications des images radiologiques. Revue de la littérature The adipose tissue transfer in the mammary parenchyma (part I): Review of the literature on modifications of the radiological images I. Garrido a,*,b, P. Leguevaque c, D. Gangloff a,b, A. Mojallal d a
Service de chirurgie oncologique, 20-24, rue du pont-Saint-Pierre, 31052 Toulouse, France ˆ pital Rangueil, 1, avenue J.-Pouilhe ` s, 31059 Toulouse cedex 09, France Service de chirurgie plastique, ho c ´ cologie, ho ˆ pital Rangueil, 1, avenue J.-Pouilhe ` s, 31059 Toulouse cedex 09, France Service de gyne d ˆ pital ´Edouard-Herriot, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France Service de chirurgie plastique, ho b
Rec¸u le 24 mai 2009 ; accepte´ le 13 novembre 2009
MOTS CLÉS Autogreffe de tissu adipeux ; Transfert de tissu adipeux ; Cancer du sein ; Lipomodelage du sein ; Transfert graisseux ; Surveillance radiologique du sein
Résumé Le transfert de tissu adipeux (TTA) dans le parenchyme mammaire est un sujet polémique et d’actualité qui déclenche des débats passionnés aussi bien en France qu’à l’étranger. À ce jour, de nombreuses questions restent sans réponses. Parmi ces questions, les modifications radiologiques générées par le tissu adipeux greffé dans le parenchyme mammaire et les interactions entre le tissu adipeux greffé et une éventuelle néoplasie mammaire infraclinique restent les plus importants. Nous allons présenter, dans une série d’articles la revue de la littérature avec une analyse critique, sur chacune de ces questions. Ce premier article présente la revue de la littérature sur les modifications radiologique après TTA dans le suivi radio sénologique. Deux types d’images sont le plus souvent retrouvés : les kystes de cytostéatonécrose et les microcalcifications. Aucune étude ne confirme ni ne rejette la similitude de ces images avec des images de microcalcifications malignes suspectes de cancer. Par conséquent, il est impératif pour le moment sur le plan clinique, de suivre les patientes par une inclusion dans une méthodologie prospective stricte et sur le plan de la recherche de réaliser des études décrivant toutes les anomalies radiologiques après TTA tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et de comparer ces images aux images de pathologies mammaires malignes. Cela impose donc de promouvoir et développer des protocoles d’études prospectives avec une méthodologie fiable. # 2010 Publié par Elsevier Masson SAS.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (I. Garrido). 0294-1260/$ — see front matter # 2010 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.anplas.2009.11.016
Transfert de tissu adipeux dans le parenchyme
KEYWORDS Autologous fat grafting; Adipose tissue transfer; Breast cancer; Breast lipomodeling; Fat transfer; Radiologic breast survey
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Summary The adipose tissue transfer (ATT) in the mammary parenchyma is a subject of controversy and generates passionate debates in scientific meetings. So far, many phenomena remain unexplained. Among these phenomena, changes in mammogram images generated by the grafted adipose tissue and the interactions between the grafted adipose tissue and a clinically undetectable breast cancer are the most important. We will present a series of articles with a critical analysis of the scientific literature on each of these phenomena. This first article presents the review of the literature on modifications of the radiological images after ATT. Two types of images are most common in mammograms after ATT. These are oil cysts and microcalcifications. Regarding to the presented review of literature, there is not yet sufficient evidence to prove a similarity or not between these images generated by the ATT and those from a breast malignancy. Therefore, clinically, patients must be included in a prospective clinical trial and in terms of research, the first step should be an exhaustive description of radiological images after ATT and a comparison of these images to images of malignancy. So, it’s important to include these patients in prospective protocols with close and long term follow-up. # 2010 Published by Elsevier Masson SAS.
Introduction La réprobation du transfert de tissu adipeux (TTA) dans le sein émise par la société américaine de chirurgie plastique et reconstructrice en 1987, suite à la publication de Bircoll, s’est imposée au monde comme un standard pendant plus de 25 ans [1]. Argumentant que les techniques chirurgicales ainsi que les techniques radiologiques de détection du cancer du sein avaient évolué depuis cette date, certains auteurs ont remis en cause cette attitude [2—4]. Conscientes de cette problématique, les deux sociétés américaines de chirurgie plastique (l’American Society of Plastic Surgeons [ASPS] et l’American Society for Aesthetic Plastic Surgery [ASAPS]) ont souhaité rappeler en 2007 qu’il n’y avait pas d’étude de niveau de preuve suffisant pour se prononcer sur l’innocuité de cette technique ainsi que sur le risque potentiel de modifier le suivi radio sénologique et donc la détection d’un cancer du sein [5]. En France, la Société française de chirurgie plastique reconstruction et esthétique (SoFCPRE) a émis en mars 2008 la même recommandation de prudence.[6]. Très récemment, un groupe de travail de l’ASPS (Fat Graft Task Force) a publié une série de recommandations basées sur l’analyse pertinente de la littérature [7]. Elles n’excluent pas le TTA dans le parenchyme mammaire mais devant le faible niveau de preuve des études analysées, le groupe de travail recommande de développer des études contrôlées afin d’établir l’innocuité et l’efficacité de la technique dans différents domaines et en particulier sur le suivi radiologique du sein. Cette dernière question est importante parce qu’elle est à l’origine de la polémique suscitée en 1987 et qu’elle freine son développement en 2009. À travers une revue de la littérature récente et ciblée, nous proposons ici de faire le point sur les connaissances actuelles des conséquences du TTA dans le parenchyme mammaire dans le suivi radiologique du sein et d’en tirer des conclusions sur le plan clinique et développer des axes de recherches.
Matériels et méthodes Pour atteindre notre objectif, nous avons recherché dans la littérature les études qui se sont intéressées au transfert graisseux uniquement dans le sein. La recherche bibliographique a été réalisée sur la base de données PubMed en utilisant les items suivants : breast fat
transfer (106 publications), breast autologous fat grafting (70 publications), breast adipose augmentation (63 publications), breast autologous fat transfer (19 publications), breast lipofilling (sept publications), breast autogenous fat filler (deux publications) et breast lipotransfer (une publication).
Les critères d’inclusion ou d’exclusion des articles ont été les suivants Les articles en langue anglaises ou française : nous avons éliminé celles qui ne concernaient pas des applications de chirurgie plastique dans le parenchyme mammaire et retenu les séries qui abordaient le suivi radiologique du sein après TTA.
Tableau 1 Niveau de preuves et recommandations des articles selon l’HAS [8]. Niveaux de preuves
Grades des recommandations
Niveau 1 Essais comparatifs randomisés de forte puissance Méta-analyse d’essais comparatifs randomisés Analyse de décision basée sur des études bien menées
Preuve scientifique établie Grade A
Niveau 2 Essais comparatifs randomisés de faible puissance Études comparatives non randomisées bien menées Études de cohorte
Présomption scientifique Grade B
Niveau 3 Études cas—témoins
Faible niveau de preuve Grade C
Niveau 4 Études comparatives comportant des biais importants Études rétrospectives Séries de cas
570
I. Garrido et al.
N’ont pas été pris en compte pour l’analyse détaillée, les lettres, les éditoriaux et les revues générales non systématisées mais certaines publications ont été utilisées dans le cadre de la discussion. Parmi les publications de séries cliniques, nous avons sélectionné celles qui ont été publiées après 2000 espérant ainsi avoir une technique de TTA similaire à celle pratiquée de nos jours et un suivi radio sénologique homogène en adéquation avec les standards modernes. Nous avons éliminé aussi les études qui concernaient l’utilisation du transfert graisseux dans les reconstructions mammaires après mastectomie radicale modifiée. Pour chaque publication sélectionnée, nous avons réalisé une analyse exhaustive des informations contenues concernant le suivi radiologique du sein. Selon les recommandations de l’HAS [8], nous avons évalué chaque article en niveau de preuve en fonction de la structure et de la méthodologie de l’article. Ces niveaux de preuves permettent de mieux apprécier la force des recommandations (Tableau 1). Tableau 2
Résultats Dans le sein, le TTA est utilisé dans les indications suivantes [9] : le traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein [2,10,11] ; l’augmentation mammaire à visée esthétique [3,12—15] ; dans les malformations congénitales mammaires (syndrome de Poland) [16]. Au final, nous avons sélectionné dix articles correspondant aux critères choisis (Tableaux 2 et 3). Malgré le fait que nous ayons sélectionné que le TTA dans le parenchyme mammaire natif, l’objectif principal des publications sélectionnées était souvent différent. Dans cinq cas, il s’agissait de montrer l’intérêt de la technique dans l’augmentation mammaire [3,13—15,18]. Dans trois cas, il s’agissait de montrer son intérêt dans le traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein
Tableau résumant les dix séries sélectionnées dans cette revue détaillée de la littérature.
Publications
Objet de la publication
Type de publication
Niveau Remarques de preuve
Fulton, 2003 [15]
Revue à 10 ans de transfert graisseux pour augmentation mammaire
Étude rétrospective IV Série de cas
Missana et al., 2007 [17]
Intérêt du transfert graisseux Étude rétrospective IV dans l’amélioration cosmétique Série de cas des reconstructions mammaires et des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein
Sur les 9 cas de séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein, le détail des bilans radio sénologique et du suivi n’est pas suffisamment renseigné
Coleman et Saboeiro, 2007 [3]
Intérêt du transfert graisseux dans la chirurgie mammaire
Il s’agit d’une étude essentiellement sur l’augmentation mammaire (13 cas). Dans les autres cas, il s’agissait de malformations et de retouche de reconstruction mammaire Le protocole comprenait une mammographie préopératoire et postopératoire à un an Dans le suivi, il est rapporté la découverte de 2 cancers du sein parmi les 13 patientes qui ont eu un transfert graisseux intramammaire
Zheng et al., 2008 [14]
Étude rétrospective IV Intérêt du transfert graisseux dans l’augmentation mammaire Série de cas et dans les cures de ptoses. Les auteurs se sont intéressés aussi aux modifications radiologiques postopératoire
Étude rétrospective IV Série de cas
L’auteur utilise un plasma enrichi en plaquettes ( palet-rich plasma [PRP]) pour stabiliser le tissu graisseux. Sur une série de 65 patientes, il constate à 10 ans des macrocalcifications dans 9 % des cas. Il précise qu’aucune image suspecte n’est apparue
Dans cette série, toutes les patientes ont eu au moins une échographie mammaire en postopératoire. Trois patientes seulement avaient eu une échographie préopératoire La mammographie ou l’IRM n’était demandé qu’en cas d’anomalie échographique, ou s’il existait des signes cliniques (tuméfaction) À noter que deux patientes ont bénéficié de l’exérèse chirurgicale de plusieurs kystes de cytostéatonécrose
Transfert de tissu adipeux dans le parenchyme
571
Tableau 2 (Suite)
Publications
Objet de la publication
Type de publication
Niveau Remarques de preuve
Zocchi et Zuliani, 2008 [18]
Intérêt du transfert graisseux Étude rétrospective IV dans l’augmentation mammaire Série la plus importante
Augmentation mammaire par transfert graisseux dans le plan sous cutané et dans la zone rétroglandulaire chez 181 patientes La technique de réinjection décrite diminuerait le risque de transfert graisseux dans le parenchyme mammaire et donc de complications dans le suivi radio sénologique On notera aussi que les auteurs n’effectuaient pas de centrifugation du tissu adipeux comme dans la technique de Coleman
Yoshimura et al., 2008 [13]
Intérêt du transfert graisseux enrichi dans l’augmentation mammaire
Il s’agit d’une nouvelle technique très innovante qui fait appel à un « enrichissement » de transfert graisseux par des cellules souches et d’autres cellules régéératrices provenant du tissu adipeux lui-même Ces cellules augmenteraient la prise du transfert graisseux et amélioreraient donc les résultats. Parmi les 40 patientes incluses dans l’étude seulement 19 (47,5 %) avaient un recul > 6 mois
Amar et al., 2008 [19]
Étude rétrospective IV Étude du transfert graisseux sur le traitement des séquelles Série de cas esthétiques du traitement conservateur du sein
Il s’agissait d’une étude prospective comprenant un suivi radio sénologique. Les auteurs avaient préféré un suivi par TDM mammaire afin de mieux identifier la survenue de microcalcifications. Le TDM étant plus sensible que l’IRM pour la détection de microcalcifications Paradoxalement, il n’y a pas eu d’apparition de microcalcifications dans cette série
Gosset et al., 2008 [4]
Aspect radio sénologique après Étude rétrospective IV Série de cas transfert graisseux dans les séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein
42 patientes dans la série de l’équipe mais 21 patientes ont été incluses dans la revue pour avoir au moins 12 mois de recul
Gosset et al., 2008 [20]
Aspect médicolégal de la technique après transfert graisseux dans les séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein
Étude rétrospective IV Série de cas sélectionnés
Sur une série de 42 patientes deux récidives locales sont décrites après transfert graisseux sur séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein
Carvajal et Patino, 2008 [21]
Étude rétrospective sur les modifications de la mammographie après transfert graisseux pour augmentation mammaire
Étude rétrospective IV Série de cas
Cet article analyse les mammographies postopératoires de patientes ayant bénéficiées de la technique dans l’augmentation mammaire
Étude prospective ? IV Non randomisée Série de cas
[4,17,19,20]. Une publication s’est intéressée spécifiquement aux conséquences du transfert graisseux sur l’évaluation de la mammographie [21]. Une autre a concerné l’expérience du transfert graisseux dans un centre de lutte contre le cancer [17]. Il s’agissait essentiellement d’indications de retouche de reconstruction mammaire. Nous avons tout de même inclut cette étude car elle comportait neuf cas
de traitement de séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein. L’effectif des séries variait de quatre [20] à 181 [18] patientes. Une seule série regroupait plus de 100 patientes [18]. Le suivi des séries varie de neuf [19] à 120 [15] mois mais cette information était absente dans la moitié des séries.
572
Tableau 3
Analyse détaillée du suivi radiologique du sein dans les dix séries sélectionnées. Publications
Nombre de patients (p)/Nombre de procédure Recul mois
Fulton
Missana et al.
Coleman et Saboeiro
Yoshimura et al.
Gosset et al.
Gosset et al.
Zheng et al.
Zocchi et Zuliani
Amar et al.
Carvajal et Patino
65
9 (69 pa)
15 (17 pb)
40
21/54 i c
4/42 p d
66 p/121 i
181 p/326 i
15 p/15 i
20 p
120 a priori
NC
62,2 (Calc)
20,6 *
—
37
NC
9
34,5
Oui (19 exp) Oui (16 exp) Oui (21 exp)
Oui Oui Oui
Non Oui (21 p) Non
Oui Oui
Oui Oui TDM
Oui (3) NC NC
Bilan préopératoire
Mammo Écho IRM
NC NC NC
Oui Oui Oui
Oui Oui Oui
? (19 p > 6 mois) Oui ? Oui ? Oui ?
Bilan postopératoire
Mammo Écho IRM
Oui/annuelle NC NC
Oui Oui Oui
Oui (14) NC NC
Oui ? Oui ? Oui ?
Oui (21 exp) Oui (21 exp) Oui (19 exp)
Oui Oui NC
(11 p) Oui (66 p) (9 p)
Oui Oui
Oui Oui TDM
Oui (20 p) NC NC
Anomalie(s) radiologique(s)
Mammo
Non 9% ? Non NC NC NC NC
NC NC NC NC NC NC NC NC
4 NC 3 NC NC NC NC NC
0 NC 2 NC NC NC 2 NC
4/19, soit 19 % 3/21, soit 14 % 3/21, soit 14 % 1/21, soit 5 % 12/21 soit 57 % 2/21 soit 9 % 9/19, soit 47 % NC
1! — — 1! — 1! —
0 7 11 (16,7 %) NC 11 (16,7 %) NC 9 NC
7 (3,9 %) NC 5 (3 %) NC 5 (3 %) NC NC NC
NC NC 5 NC 5? NC 5? NC
9 (45 %)
Récidive locale Récidive à distance
— —
NC NC
— —
— —
2 2 (SC)
— —
— —
NC NC
— —
Total récidive Nouveau cancer
— NC [15]
NC — [17]
— 2 [3]
— 0 [13]
1 4 (2 SC, 1 GG, 1 M) 6 — [4]
4 — [20]
— 0 [14]
— NC [18]
NC — [19]
— 0 [21]
Écho IRM Suivi carcinologique
Références
Microcal Macrocal Kyste C Opacité Kyste C Nodule Kyste C Autres
4 (20 %) 0 — — — —
Calc : moyenne de suivi calculé selon les données exploitables dans l’article. Elle ne prend en compte qu’une partie de l’effectif ; exp : examens exploitables ; Kyste C : kyste de cystéatonécrose ; Mammo : mammographie ; Écho : échographie ; SC : sein controlatérale ; CG : métastase ganglionnaire : Méta : métastase à distance ; NC : donnée non communiquée, donnée ne pouvant être obtenue dans l’étude ; ! : dans certains cas, une même lésion présentait des anomalies multiples. En fonction de la description de l’article, nous avons comptabilisé chacune des caractéristiques de la lésion ; ? : le résultat des examens radiologique n’est pas toujours détaillé de façon systématique. Dans certains cas, nous ne pouvons pas savoir si le diagnostic a été fait par une image mammographique anormale ou une échographie. a Il s’agit d’une série de 69 patientes traitées pour des retouches de reconstruction essentiellement. Seules neuf patientes avaient bénéficié d’un transfert graisseux dans le sein pour le traitement d’une séquelle esthétique de traitement conservateur du sein. b Il s’agit d’une série de 17 patientes dont deux ont eu une retouche de reconstruction mammaire. c Série de 42 patientes avec un recul de 20,6 mois mais seulement 21 patientes ont été analysées pour avoir un recul d’au moins un an. d Publications spécifiques dédiées à l’analyse de quatre cas de récidive après transfert graisseux pour le traitement d’une séquelle esthétique du traitement conservateur du sein.
I. Garrido et al.
Transfert de tissu adipeux dans le parenchyme Un bilan radiologique préopératoire était réalisé dans toute les séries sauf une [15]. Il comprenait dans quatre publications (trois équipes) une mammographie, une échographie et une IRM [3,4,13,20]. Dans la série de Amar et al. [19], l’IRM était remplacé par une TDM. Dans la série de Zheng et al. [14], seule une échographie préopératoire était réalisée. Un bilan radio postopératoire était réalisé dans toutes les études sauf une [15]. Pour toutes les séries sauf une [21], le bilan comprenait au moins une mammographie, une échographie ou une IRM. Trois séries comportaient les trois examens à titre systématique [4,17,19]. Dans une de ces séries, l’IRM était remplacé par un TDM mammaire [19]. On constate que toutes les patientes n’ont pas bénéficié de l’ensemble des examens. Les anomalies radio sénologiques après TTA n’étaient pas renseignées dans toutes les séries. Une des études concernait l’analyse à dix ans de TTA « enrichi » (plasma enrichi en plaquettes) chez 65 patientes, les informations concernant les effets sur le suivi radiologiques étaient limitées et succinctes [15]. Six publications se sont penchées de façon plus approfondie sur la problématique du suivi radiologique [4,14,19— 21]. La publication la plus informative sur ce sujet est celle de l’équipe de Delay [4]. Les anomalies retrouvées dans cette série concernaient des microcalcifications dans 19 % des cas et des kystes de cytostéatonécrose dans 57 % des cas. Les anomalies étaient parfois associées. Les auteurs ont estimé que ces anomalies étaient souvent bénignes et ne nécessitaient pas d’exploration complémentaire dans la grande majorité des cas sans préciser ce nombre. Ils précisent cependant que dans certains cas (nombre non précisé), surtout au tout début, ces images pouvaient simuler des microcalcifications suspectes classées alors ACR 4, surtout s’il n’y avait pas d’image claire associée. L’étude de Carvajal et Patino [21] concernait l’analyse à distance des mammographies de 20 patientes ayant bénéficié de la technique dans l’augmentation mammaire. Trois patientes seulement avaient bénéficié d’une mammographie préopératoire. Elle était considérée comme normale. L’analyse des mammographies avec un recul de 34,5 mois a permis de constater que 85 % des mammographies étaient normales (ACR 2). Les 15 % restantes étaient classées ACR 3. Elles ont bénéficié d’un contrôle à distance qui a permis de les reclasser en ACR 2. Il n’y a eu dans cette étude aucun examen histologique complémentaire. Le taux de microcalcifications dans cette étude était de 45 % (neuf patientes) dont 15 % [3] avaient un aspect suspect car elles se regroupaient en amas. Le taux de kystes de cytostéatonécrose était de 20 % (quatre patientes). Dans la série de Amar et al., les examens radiologiques sont restés classés ACR 2 à neuf mois de suivi, alors qu’une patiente sur trois présentait une cytostéatonécrose [19]. On notera qu’il a été réalisé une cytoponction pour dédouaner un des foyers de cytostéatonécrose qui restait suspect après un contrôle mammographique. On notera que dans cette série, il n’était pas retrouvé de microcalcifications. Dans la série de Zheng et al. [14], 11 des 66 patientes traitées (soit 16,6 %) avaient une anomalie échographique ayant nécessité un examen complémentaire (mammographie et/ou IRM). Deux de ces patientes ont bénéficié d’un examen histologique complémentaire. Il s’agissait dans les deux cas
573 de biopsie chirurgicale. Le nombre de kyste de cytostéatonécrose était de 8,9/seins (extrêmes de deux à 36) sur le bilan mammographique. Lorsque ces kystes étaient cliniquement palpables, ils mesuraient en moyenne 7,1 mm (extrême de 5 à 25 mm). Dans la série de Coleman et Saboeiro [3], quatre patientes présentaient des microcalcifications sur les 15 analysées (soit 26,6 %). Elles étaient toutes considérées comme bénignes. Dans cette série, il y a eu deux cas de cytologie pour des dédouaner deux images nodulaires de kyste de cytostéatonécrose (soit 13,3 %). Par ailleurs, deux cancers du sein ont été découverts sur les mammographies de contrôle postopératoire chez des patientes ayant bénéficié de la technique dans le cadre d’une augmentation mammaire (13,3 %). Dans la série de Gosset et al. sur le traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein, on retrouvait un cas de récidive locale sur les 21 patientes analysées (soit 4,76 %) [4]. Dans cette série, on constate aussi deux cancers du sein controlatéraux (soit 9,5 %) et deux récidives à distance (soit 9,5 %). Dans l’article dédié aux problèmes médicolégaux de cette technique, la même équipe décrit deux cas de récidive locale sur les 42 patientes de la série (soit 4,76 %) [20].
Discussion Le tissu adipeux est aujourd’hui le produit de comblement autologue le plus utilisé. Devant les bons résultats obtenus avec cette technique, son utilisation s’est étendue au domaine de la chirurgie mammaire malgré les problèmes rencontrés en 1987 après les publications de Bircoll [22—24]. Il nous semblait important, de regrouper la littérature sur le sujet et de l’analyser pour mieux comprendre les images induites par le TTA et ses conséquences dans le suivi des patientes. Nos critères d’inclusion avaient pour objectifs d’analyser dans la littérature toutes les séries qui se sont intéressées au TTA dans le parenchyme mammaire. Nous n’avons pas retenu les séries sur les reconstructions mammaires dans cette analyse car l’objectif de cette revue était de voir l’interaction du TTA avec le micro-environnement du tissu mammaire, même si certaines études rapportent la persistance de parenchyme mammaire résiduel après mastectomie [25,26]. Une publication sur l’utilisation du TTA dans le traitement du syndrome de Poland chez sept patientes a été éliminé de l’étude car il n’y avait pas d’analyse radiologique dans le suivi [16]. Les dix articles retenus selon nos critères d’inclusion possèdent tous un niveau de preuve de faible grade (IV). L’analyse détaillée des ces articles permet de constater qu’il n’y a pas à l’heure actuelle d’études de niveau de preuve suffisante décrivant les images radiologiques du sein après TTA. Même s’il paraît logique de penser que des modifications radiologiques sont régulièrement présentes après TTA, la description de ces modifications est actuellement trop hétérogène pour proposer une classification standardisée des images normales ou anormales. On peut regretter que ces modifications radiologiques ne soient pas systématiquement classées selon les recommandations de l’American College of Radiology (ACR) [27—31] qui sert aujourd’hui de référence à toute interprétation des examens radiologique du sein [32] (Tableau 4).
574
I. Garrido et al.
Tableau 4
Classification ACR d’après [32].
Classification ACR Quel que soit le type d’examen pratiqué, il existe un consensus pour rendre le résultat des examens radio sénologique en fonction du degré de suspicion de leur caractère pathologique. Cette classification est la transcription de la classification américaine du collège de radiologie (American College of Radiology) et porte donc son nom : ACR ACR 0
ACR ACR ACR ACR ACR
1 2 3 4 5
Des investigations complémentaires sont nécessaires. C’est une classification « d’attente », qui s’utilise en situation de dépistage ou dans l’attente d’un second avis, avant que le second avis soit obtenu ou que le bilan d’imagerie soit complété et qu’ils permettent une classification définitive Mammographie normale Il existe des anomalies bénignes ne nécessitant ni surveillance ni examen complémentaire Il existe une anomalie probablement bénigne pour laquelle une surveillance à court terme est conseillée Il existe une anomalie indéterminée ou suspecte qui indique une vérification histologique Il existe une anomalie évocatrice d’un cancer
ACR: American College of Radiology
Excepté deux publications [19,21], cette donnée manque dans toutes les séries. On constate qu’aucune étude ne confirme ou ne rejette la similitude de ces images avec des images suspectes de malignité. Par conséquent, il est impératif pour le moment sur le plan clinique, de suivre les patientes avec un protocole prospectif strict. Cela nécessite de réaliser des études décrivant toutes les anomalies radiologiques après TTA tel qu’il est pratiqué aujourd’hui et de comparer ces images aux images de pathologies mammaires malignes. L’analyse des résultats radiologique pourrait être biaisée par les techniques de prélèvement et de conditionnement du tissu adipeux qui sont variables d’une équipe à l’autre comme le montre bien Chan et al. dans une récente revue sur le TTA dans le sein [33]. Les anomalies radiologiques les plus fréquemment retrouvées dans les séries que nous avons analysé sont les kystes de cytostéatonécrose et les microcalcifications. Dans la littérature, des anomalies radiologiques de ce type sont aussi décrites après les chirurgies mammaires « standards » : réduction mammaire, cure de ptose ou augmentation mammaire prothétique [34—45]. Pourtant, il n’y a pas de publication(s) ou de recommandation(s) stipulant que ces interventions ne devraient pas être réalisées car elles entraîneraient un risque de sousestimer et/ou de surestimer un cancer du sein. Pour Coleman et Delay, cette constatation serait un des arguments majeurs pour ne pas interdire le transfert graisseux dans le sein à partir du moment où il n’y a pas d’interdiction pour les autres interventions [2—4]. On peut se demander alors, si ces anomalies (kystes de cytostéatonécrose ou calcifications) sont différentes lorsqu’elles sont secondaires au TTA dans le sein ? Nous savons peu de choses sur le processus physiopathologique conduisant à ces images radiologiques. D’après une revue de la littérature, Tan et al. tendent à montrer un lien entre les images radiologiques et le processus de cicatrisation des kystes de cytostéatonécrose [46]. Les facteurs solubles relargués par la mort des cellules constituant le tissu adipeux (adipocytes, cellules endothéliales, fibroblastes, etc...) entraîneraient une réaction inflammatoire qui circonscriverait la zone de cytostéatonécrose entraînant à la mammographie une opacité régulière et bien limitée. Plus cette réaction inflammatoire serait importante, plus les images radiologiques seraient suspectes. Une image spiculée
suspecte pourrait apparaître dans un faible pourcentage de cas (environ 5 %). Les calcifications apparaîtraient quant à elles plus tardivement (des mois, voire des années, après l’intervention) avec la maturation de la fibrose cicatricielle. Sur des foyers de cytostéatonécroses volumineux, elles auraient un aspect typique en « coquille d’œuf ». Cette interprétation de l’analyse de la littérature est séduisante pour plusieurs raisons. Dans le TTA, les greffons sont déposés le long de fins tunnels réalisés dans un réseau tridimensionnel. Ainsi, on pourrait prédire que les kystes de cytostéatonécrose et les calcifications devraient apparaître le long des zones de dépôt du tissu adipeux. Leur nombre pourrait être important mais leur taille serait normalement limitée. C’est ce que semble montrer la série de Zheng et al [14]. Pour Delay, ces anomalies seraient liées en grande partie à un défaut technique ainsi une courbe d’apprentissage serait pour lui nécessaire afin de limiter ce risque [2,20,47]. Elle corroborait, par ailleurs, la constatation que les microcalcifications suspectes surviendraient autour de petits foyers de cytostéatonécrose [45,46,48,49], ainsi que le montrent aussi certaines publications spécifiquement dédiées des cas de complications liés au TTA dans le sein [50—52]. Elle pourrait expliquer enfin, l’absence de calcifications visibles à neuf mois dans la série de Amar et al. [19]. Ainsi, bien que semblables sur le plan physiopathologique, les anomalies radiologiques dans le TTA auraient des caractéristiques spécifiques par rapport aux autres types d’intervention sur le sein. Bien entendu, il ne s’agit que de déduction de faible niveau de preuve. Nous sommes conscients que seule une étude prospective radiologique comparative nous permettrait d’avoir la réponse. Il y a cependant un autre point crucial qui différencie cette technique de toutes les autres techniques de chirurgie mammaire : le tissu réinjecté. En effet, il est maintenant établi que le tissu adipeux n’est pas qu’un simple réservoir énergétique, mais un tissu endocrine et sécrétoire, jouant un rôle essentiel dans de nombreuses réponses physiologiques de l’organisme dont la réponse inflammatoire et immunitaire [53]. Il contient une grande quantité de cellules souches et de pré-adipocytes qui pourraient jouer un rôle fondamental dans la carcinogénèse mammaire. Ainsi, certaines études in vitro et chez l’animal ont montré que les pré-adipocytes et les cellules souches
Principaux essais cliniques en cours.
Titre
Rationnel
Objectif principal
Objectif secondaire
Indication
Investigateur Promoteur
Étude du transfert graisseux enrichi avec des cellules régénératrices dans les séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein (Restore-2) Transfert graisseux dans le sein
Étude post-marketing évaluant la transplantation de tissu adipeux enrichi de cellules régénératrices dans le traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein Manque d’information dans la littérature sur la pérennité de la technique dans le temps
Satisfaction de la patiente et du médecin sur le résultat cosmétique et fonctionnel de la technique à 12 mois
Changement du volume et de la forme du sein à 6 mois et 12 mois Amélioration de la trophicité cutanée Amélioration de la déformation à 6 mois Satisfaction des patients
Séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein modérées
Alexander M. Milstein
Cytori Therapeutics#
Kamran Khoobehi
Louisiana State University
Amélioration de la qualité du transfert graisseux par le Brava
Cette étude cherche à déterminer si le système d’expansion externe du sein par pression négative (Brava) en pré- et en postopératoire améliore et facilite la prise du transfert graisseux dans l’augmentation mammaire et la reconstruction mammaire Efficacité de la technique dans l’augmentation mammaire. Cette étude va analyser deux groupes de patientes traitées soit par transfert graisseux soit par prothèse L’analyse portera sur les modifications du volume mais aussi sur les modifications internes grâce à un suivi radio sénologique (mammographie, échographie et IRM)
Variés : Augmentation mammaire Ptose Malformations congénitales Retouche de reconstruction par prothèse Augmentations mammaires Reconstruction mammaire partielle
Roger K Khouri
Brava#
Scott L Spear
George Town University
Étude prospective sur l’augmentation mammaire par transfert graisseux
Analyse volumétrique en 3D et analyse photographique des résultats à 3 mois, 6 mois puis annuellement
Analyse volumétrique par Satisfaction des IRM et photographique à patientes 3 mois, 6 mois et un an
Efficacité de la technique en évaluant les résultats à 1 an en utilisant une image 3D pour la mesure des volumes
Anomalies radio sénologiques postopératoire Mesures volumétriques de l’augmentation mammaire
Augmentations mammaires
Transfert de tissu adipeux dans le parenchyme
Tableau 5
575
576 dérivées du tissu adipeux favoriseraient la croissance tumorale [54—56]. Cette notion est nouvelle et n’apparaissait pas lors de la polémique de 1987. Elle ajoute un peu plus de trouble sur les risques liés au transfert graisseux dans le parenchyme mammaire. En effet, si les données de la science fondamentale devaient se confirmer alors il serait peut être nécessaire de revoir cette indication. Dans cette revue de la littérature, nous avons retrouvé trois publications faisant état de cancer du sein après TTA [3,4,20] dont deux de la même série. Pour l’équipe de Delay [4,20], il s’agissait de récidive sur des seins préalablement traités pour un cancer du sein avec un taux qui reste tout à fait dans les normes classiques mais avec un faible recul. Pour Coleman et Sabeiro, il s’agit de trois cas de découverte de cancer du sein après TTA pour une augmentation mammaire [3]. Malgré un recul assez important (62 mois), la méthodologie de l’étude (étude rétrospective sur des séries de cas non appariés) et le faible effectif de la série ne nous permettent pas de tirer de conclusion sur un risque potentiel du transfert graisseux dans la carcinogénèse mammaire. Cette notion renforce en tous les cas les recommandations des différentes sociétés sur la nécessité d’inclure les patientes dans des protocoles d’études avec des surveillances à moyen et long terme. Qu’en est t-il à l’heure actuelle ? Sur le site américain du ClinicalTrial.gov (http://clinicaltrials.gov/ct2/home) qui récence les essais cliniques de plus de 160 pays, on ne retrouve à ce jour que quatre essais cliniques concernant le transfert graisseux dans le sein (Tableau 5). Un essai concerne le traitement des séquelles esthétiques du traitement conservateur du sein par transfert graisseux enrichi par des cellules régénératrices du tissu adipeux, deux concernent plutôt l’augmentation mammaire et le dernier essai s’intéresse surtout au devenir des résultats cosmétiques à moyen terme. Nous avons proposé récemment un protocole randomisé qui s’intéresse aux modifications radio sénologiques (mammographie, écho, IRM) dans le traitement des séquelles esthétiques modérées du traitement conservateur du sein par transfert graisseux. Il s’agit d’une étude de phase III randomisée multicentrique d’équivalence. Il s’agira de vérifier que les perturbations du suivi radio sénologique ne seront pas plus fréquentes chez les patientes bénéficiant de la correction des séquelles esthétiques du traitement conservateur par TTA par rapport à une simple surveillance. Un des objectifs secondaires concerne l’évaluation de la technique sur le plan carcinologique : taux de rechute locale et/ou à distance ainsi que le taux de survie des patientes à dix ans. La durée d’inclusion est de deux ans. Les premiers résultats sont attendus dans trois à cinq ans. Cette étude a reçu en 2008 le soutien du ministère de la santé dans le cadre d’un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). Vingt-cinq centres français devraient y participer.
Conclusion Notre objectif était de faire un état des lieux sur les modifications radiologiques après le TTA dans le parenchyme mammaire au regard de la littérature récente. Malgré les
I. Garrido et al. progrès de l’imagerie, nous constatons qu’il n’y a pas encore de description précise de ces images et pas de preuve suffisante pour éliminer tout risque sur le suivi radiologique du transfert graisseux dans le parenchyme mammaire. Toutes les publications analysées dans cette revue ont un niveau de preuve de IV car il s’agissait d’études rétrospectives ou de séries de cas. Au vu des critères de l’HAS, cela ne pourrait aboutir qu’à des recommandations de faible niveau de preuve (grade C). Nous pensons donc qu’une surveillance rigoureuse à moyen et long terme est impérative dans cette indication. Cela impose de mettre en place des protocoles d’études prospectives pour le suivi des patientes. Cela nous suggère également que des études comparatives d’images radiologiques de cancer du sein et de suivi de TTA permettraient de voir si le suivi radiologique est rendu plus délicat et complexe pour les radiologues.
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