Journal français d’ophtalmologie (2013) 36, 295—296
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HOMMAGE
Un géant nous a quitté A giant left us
J’aurai eu cette chance immense de croiser son chemin et cet honneur de l’accompagner durant plus de deux décades sur les routes de l’ophtalmologie qu’il avait tracées bien au-delà du pont finistérien de Plougastel. Lui rendre ici hommage mêle la peine de l’orphelin à celui du bonheur des souvenirs de partage des grandes étapes de sa carrière et des moments précieux de l’amitié. Au nom de tous ceux qui l’ont côtoyé et aimé, je voudrais trouver les mots capables de rendre compte de la dimension d’exception de Joseph Colin et des raisons de notre attachement. En vérité, il n’est pas d’autre qualificatif que géant pour décrire chaque facette de ce personnage, fascinant par sa réussite professionnelle, son charisme inégalable et son pouvoir de séducteur irrésistible.
Joseph Colin est né sous la lumière du phare de Ouessant le 21 mars 1949, il est parti dans la lumière de la gloire le 23 février 2013 en venant se ranger aux côtés des grands de ce monde, ceux qui laissent pour la postérité les marques de leur parcours sans faute, de leur personnalité sans faille et de leur accomplissement de vie exemplaire. Il aura été un fabuleux ambassadeur de l’ophtalmologie franc ¸aise à travers le monde, un de nos plus grands visionnaires et magnifique meneur. Mais avant tout, il était un amoureux de la vie, de sa famille et un breton fidèle en amitié et attaché aux grandes valeurs. Il incarnait par sa taille, son allure d’éternelle jeunesse, son énergie et son hygiène de vie parfaite, un de ces monuments de la nature qui paraissent inébranlables et intouchables et pourtant la maladie l’a plongé dans ce combat qu’il qualifia d’emblée « d’injuste et inégal ». Lui qui avait pour habitude de vivre les défis de l’existence tels un compétiteur sportif en prononc ¸ant sa phrase fétiche « la balle est dans ton camp », se sera démené avec force, courage et dignité dans cette dernière bataille qui l’a emporté si vite et trop tôt. 0181-5512/$ — see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.jfo.2013.03.004
Une carrière époustouflante Brest et sa faculté de médecine ont accueilli Joseph Colin à l’heure où tout était à construire au CHU encore inexistant. Interne en médecine en 1973, puis docteur en médecine en 1977, il fut très vite identifié comme un leader d’opinion et un travailleur acharné capable de franchir brillamment les étapes de clinicat, puis de professeur et chef de service ; titre acquis en 1982 faisant de lui à 33 ans un des plus jeunes agrégés de France. Grand bâtisseur doté d’une force de conviction et d’un efficace pouvoir de négociation, il a su fabriquer un service d’excellence dans lequel il aurait pu sereinement accomplir sa carrière si son goût de l’aventure ne l’avait pas conduit à entreprendre la même opération au CHU de Bordeaux vers lequel il émigra en 2000 pour faire de ce service, sous cette même impulsion énergique, l’un des meilleurs de France. Il est difficile d’être exhaustif dans la liste longue des titres et fonctions accumulées au long de son courageux parcours national et international ; mentionnons : la présidence du Conseil national universitaire en ophtalmologie en 1995, puis de 1998 à 2003, Président de la SFO de 2005 à
296 2008, puis de la SAFIR de 2009 à 2011 ; directeur du board de l’International Society of Refractive Surgery (ISRS) de 1998 à 2000, membre du board de l’ESCRS durant huit ans. . . S’y ajoutent d’innombrables distinctions des sociétés nationales et supranationales (américaines, européennes, africaines), la rédaction de plus de 300 articles dans des revues à comité de lecture et de plus de 150 articles dans des revues internationales ainsi que des chapitres d’ouvrages dont trois rapports de la SFO. Reconnu de longue date pour le brio de son parcours éclair, il fut promu au rang de professeur de classe exceptionnelle et rec ¸ut en 2011, par les mains d’Alain Juppé, maire de Bordeaux, la décoration de chevalier de la légion d’honneur.
Un esprit astucieux et novateur La capacité de Joseph Colin à détecter le produit novateur, sa perspicacité et son opportunisme resteront à jamais ses qualités sûrement les plus remarquables. C’est ainsi grâce à elles et à ce bel esprit avant-gardiste qu’il a su devenir successivement « Monsieur Herpès, Monsieur Excimer, puis Monsieur Kératocône ». Nous accolerons pour toujours son nom aux antiviraux, aux anneaux intracornéens, au Centre de référence du kératocône ; mais également à toute la chirurgie réfractive pour le développement de laquelle il a tant œuvré. Qu’il s’agisse de Brest pour l’unité Inserm d’imagerie médicale ou de Bordeaux pour l’unité Inserm d’épidémiologie, il aura toujours su établir une passerelle avec la recherche et élaborer de beaux travaux. La concrétisation du fabuleux projet d’évaluation du femtoseconde dans la chirurgie de la cataracte, porté au rang national sous la forme d’un STIC 2012 multicentrique, représentera son dernier grand succès. Les investigateurs, qu’il a eu la confiance d’intégrer à ce travail, seront fiers de conduire cette étude en sa mémoire.
Un maître à penser Il n’est pas d’élève ayant eu le plaisir et la fierté d’être formé dans ses services qui ne garde un souvenir ému de cet admirable patron. Toujours accessible et ouvert à toute initiative, soucieux de laisser une liberté dans l’ouvrage, encourageant les projets, il aura eu ce talent des leaders de savoir si bien s’entourer et si efficacement déléguer. Mêlant humour et autorité, il a réussi partout où il a œuvré à diriger dans la douceur et à fédérer des équipes qui lui resteront dévouées pour toujours : les jeunes médecins le prenant pour modèle, les infirmières et les aides-soignantes ainsi que les secrétaires accompagnant fièrement son courant d’innovations.
Un charisme inné Pouvez-vous imaginer qu’un seul individu par sa prestance fascinante pénètre dans une pièce et en change totalement l’atmosphère ? Joseph Colin avait cette force incroyable d’influencer l’orientation d’un débat, la tonalité d’un échange, la couleur d’un dîner. Cette puissance charismatique va terriblement manquer à nos podiums, où ses joutes oratoires et ses démonstrations pédagogiques res-
Hommage teront des shows inégalables ; mais aussi à nos réunions d’amitié rendues si joyeuses par son humour subtil et irrésistible et capturées pour l’éternité par son appareil photo toujours prêt à figer les instants de bonheur.
Un amoureux de la vie Ses compagnons d’internat peuvent témoigner de la joie de vivre de cet étudiant, si brillant qu’il pouvait être major de promotion tout en ne manquant aucune manifestation festive. Le noyau solide de ses amis d’enfance est aussi la preuve de la fidélité de Joseph Colin en amitié. En dépit de son itinéraire de globe trotteur et de sa mutation en Aquitaine, il n’aura manqué aucun des évènements bretons clés : les réveillons de fin d’année ; le feu d’artifice du 14 juillet. . . et les matchs de foot passionnés. Au-delà du travail, les cercles intimes de la SAFIR, la SAMIR, l’ESCRS auxquels il était très attaché, imaginent difficilement une soirée sans Joseph et lui garderont toujours une place irremplac ¸able dans leur cœur. Mais avant tout, c’est l’image de sa magnifique et aimante famille qui exprime la plénitude de son accomplissement : Florence, Mélanie, Tiphaine et Timothée. Il avait raison d’en être si fier. Nous souhaiterions ici leur rendre hommage et leur exprimer toute l’admiration et l’affection de la communauté ophtalmologique à l’égard de leur époux et père formidable.
Un grand cœur Il faut probablement connaître l’esprit breton pour décrypter dans le côté énigmatique d’un Joseph qui ne répondait jamais à la question « comment ¸ ca va » une forme de pudeur et de discrétion. Et pourtant, tous ceux qui l’ont entouré ou approché se souviendront éternellement de la petite tape amicale et de ses douces paroles qui ont fait rougir tant de jeunes filles et se pâmer tant de petites dames. Il avait l’art du mot, le témoignage affectueux dans les moments difficiles. . . et toujours un drapeau breton prêt à se déployer aux moments forts de la vie pour revendiquer les vraies valeurs et pousser la chansonnette. Jusqu’au bout, il aura caché pudiquement sa douleur, mené courageusement son combat avec une déconcertante et glaciale clairvoyance et préféré le mail professionnel à celui de l’expression des sentiments. Son départ nous bouleverse et nous laisse un vide qui ne peut être comblé. Nous avons perdu un maître, un ami. . . et pour moi un père spirituel. Il est reparti se reposer en terre natale ; et nous nous plaisons à penser, comme l’exprime tendrement Florence, son épouse « qu’il s’en est retourné à son phare et que la lumière d’un phare qui ne s’éteint jamais va continuer à nous guider ». . . .Merci Joseph, Merci Monsieur Colin. B. Cochener Service ophtalmologie, CHU de Morvan, 5, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France Adresse e-mail :
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