Violences familiales pendant la grossesse

Violences familiales pendant la grossesse

J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (suppl. au n° 1) : 2S47-2S53. Troisième table ronde Aspects périnatals de la maltraitance Violences familiale...

144KB Sizes 4 Downloads 111 Views

J Gynecol Obstet Biol Reprod 2005 ; 34 (suppl. au n° 1) : 2S47-2S53.

Troisième table ronde Aspects périnatals de la maltraitance

Violences familiales pendant la grossesse M.-J. Saurel-Cubizolles, N. Lelong INSERM Unité 149, Recherches Épidémiologiques en Santé Périnatale et Santé des Femmes, 16, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94807 Villejuif Cedex. RÉSUMÉ Après une revue de la littérature sur le problème des violences familiales au cours de la grossesse, cet article présente les résultats d’une enquête réalisée dans 16 pays européens. Le pourcentage de femmes déclarant avoir subi des violences familiales durant la grossesse varie selon les pays ; il est plus élevé dans les pays d’Europe de l’Est, notamment en Hongrie, la Russie et la République Tchèque. Les femmes qui vivent seules, celles dont le couple s’est séparé durant la grossesse ou celles vivant dans un logement sur-occupé ont plus souvent subi des violences familiales. Enfin, le fait de subir des violences pendant la grossesse est significativement associé au risque de prématurité. Mots-clés : Violence • Grossesse • Femme • Famille. SUMMARY: Familial violence during pregnancy. After a review of medical literature on domestic violence during pregnancy, this paper shows the results of a survey carried out in 16 European countries. The percentage of women reporting domestic violence during pregnancy varies with the country; it is specially high in Russia, Poland and Czech Republic. Women who live without partner, those whose the couple has been separated during the pregnancy or those living in an overcrowded house have been more often victim of domestic violence. Domestic violence is significantly related to preterm birth risk. Key words: Violence • Pregnancy • Woman • Family.

Les violences exercées envers les femmes dans le cadre familial est demeuré un phénomène caché, en France jusqu’au début des années 1990. Seules les associations d’aide aux femmes victimes, par un travail opiniâtre de proximité et largement bénévole, dénonçaient les conditions de violence dans lesquelles certaines d’entre nous vivent. De nombreuses femmes subissent des violences psychologiques, physiques ou sexuelles par leur conjoint ou un autre membre de leur famille. Longtemps occultées, soit parce qu’elles suscitaient l’incrédulité ou la honte, soit parce qu’elles étaient perçues comme un phénomène intime à chaque famille, les violences envers les femmes font désormais l’objet de travaux scientifiques et sont reconnues comme un problème important de santé publique [1, 2]. La fréquence des violences conjugales varie selon les études, les pays, les définitions et les instruments de mesure utilisés. La prévalence au cours des 12 derniers mois est comprise entre 3 et 11 % [3-5]. L’enquête nationale sur les violences envers les femmes en France (Enveff), réalisée en 2000 auprès de

6 970 femmes, a montré que 9 % des femmes vivant en couple se trouvaient en situation de violences conjugales et 2 % étaient exposées à des situations gravissimes de répétition et de cumul de différentes formes de violences [6]. FRÉQUENCE DES VIOLENCES PENDANT LA GROSSESSE

Selon plusieurs auteurs, les violences familiales peuvent débuter ou s’intensifier durant la grossesse [7, 8]. Néanmoins, aucune donnée statistique ne confirme vraiment ces affirmations, issues le plus souvent de données qualitatives. Il semble qu’après avoir pris en compte les différences d’âge, la fréquence des violences pendant la grossesse est similaire à celle observée en population générale [9]. Elle varie entre 1 et 20 % selon les auteurs, avec les estimations les plus fréquentes entre 4 et 8 % [10]. La grande majorité des études publiées sur ce sujet est réalisée aux États-Unis où l’information sur l’existence de violences conjugales fait désormais partie

Tirés à part : M.-J. Saurel-Cubizolles, à l’adresse ci-dessus.

© MASSON, Paris, 2005.

M.-J. Saurel-Cubizolles, N. Lelong

des données systématiques décrites pour les naissances. Dans 16 états, 5 % des femmes ayant accouché entre 1996 et 1998 avaient subi des violences physiques (définies comme être frappée, battue, giflée, ou physiquement blessée) par leur conjoint pendant la grossesse [11]. Peu de données sont disponibles pour l’Europe. Une étude, conduite en Suisse en 1997 incluant 206 femmes, montrait que 7 % des femmes avaient été victimes de violences psychologiques, physiques ou sexuelles pendant leur grossesse [12]. Une étude, en Suède en 1996 et 1997 auprès de 207 femmes, estimait plusieurs fréquences selon la nature des violences : 2 % des femmes rapportaient des violences physiques « modérées », 4 % des violences physiques « sérieuses » et 3 % des violences sexuelles [13]. Plus récemment, dans la région de Londres, sur un groupe de 200 femmes ayant accouché en 2001 et 2002, les auteurs estiment que 3 % des femmes avaient subi des violences pendant leur grossesse [14]. En France, nous avions pu estimer que 4 % des femmes étaient victimes de violences conjugales dans les 12 mois suivant une naissance [15]. Dans le cadre d’une enquête cas-témoin sur la prématurité réalisée dans 16 pays différents — the European Programme on Occupational Risks and Pregnancy Outcome (EUROPOP) [16, 17] — des données ont pu être collectées sur la survenue de violences familiales pendant la grossesse. Nous décrivons ci-dessous les résultats de cette enquête. MÉTHODES DE L’ENQUÊTE EUROPOP

Les 16 pays participant étaient les suivants : Allemagne, Écosse, Espagne, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Les Pays-Bas, Pologne, la République Tchèque, Roumanie, Russie, Slovénie et Suède. Dans chaque pays, une ou plusieurs maternités étaient incluses et dans chaque maternité participante, une étude cas-témoin était effectuée. L’enquête concernait toutes les femmes ayant accouché prématurément (avant 37 semaines révolues d’aménorrhée) et une femme sur 10 qui accouchaient à terme (au-delà de 37 semaines). Toutes les grossesses multiples étaient exclues. Les données étaient recueillies par entretien en face-à-face, dans les jours suivant l’accouchement, pendant le séjour en suites de couches, sauf aux Pays-Bas où les entretiens avaient lieu à domicile au cours du premier mois après la naissance, en raison du nombre élevé d’accouchements à domicile dans ce pays. L’enquête

2S48

a été réalisée entre septembre 1995 et mars 1997 ; dans chaque maternité, elle durait un an ou jusqu’à obtenir un groupe cas d’au moins 100 naissances prématurées. Le même questionnaire était utilisé dans tous les pays ; il comportait deux parties : la première réunissait les données sur les caractéristiques socio-démographiques, l’emploi et les conditions de travail, les conditions de vie, l’histoire obstétricale et le déroulement de la grossesse. La seconde partie, consacrée à l’accouchement et à l’état de l’enfant à la naissance, était remplie à partir des dossiers médicaux. Dans la première partie figurait une liste d’événements qui avaient pu survenir pendant la grossesse. La question était formulée ainsi : Un des événements suivants estil arrivé pendant votre grossesse ? Une liste d’items succédait dont « Violence de la part d’un membre de votre famille » ; pour chaque item, la répondante devait dire « oui » ou « non ». L’analyse comprend toutes les femmes des groupes cas et témoin pour lesquelles l’information sur les violences familiales étaient disponibles, c’est-à-dire 5 035 femmes du groupe « prématurés » et 7 780 femmes du groupe témoin. Comme la liste des événements se trouvait à la fin du questionnaire, les données manquaient pour les femmes dont l’entretien a été interrompu, quel que soit le motif. Globalement, le pourcentage de données manquantes sur les violences familiales était de 7,7 % dans le groupe cas et 5,7 % dans le groupe témoin. Parmi les femmes qui ont contribué à la totalité de l’entretien, ce pourcentage était de 0,2 % dans les deux groupes, identique à celui observé pour les autres événements de la liste (déménagement, perte d’emploi du conjoint, décès d’un proche, séparation d’avec le conjoint,…). L’analyse statistique a utilisé le test du chi 2 de Pearson pour comparer les fréquences de violences entre les pays et selon les caractéristiques des femmes. Cette analyse descriptive n’a été réalisée que pour le groupe témoin, représentant le plus proche de la « population générale » des femmes ayant accouché. Afin de mettre en évidence les effets indépendants de facteurs socio-démographiques sur le risque de violences, nous avons réalisé des analyses multivariées, par régression logistique, prenant en compte simultanément le pays, l’âge des femmes (moins de 20 ans, 20-24, 25-34, 35 ans ou plus), leur niveau d’études (décrit par l’âge à la fin des études : 15 ans ou moins, 16-17, 18-20, 21 ans ou plus), l’indice d’occupation du logement (moins de 1 pièce par personne, 1 pièce par personne ou plus), le statut marital et l’activité du conjoint (couple marié et conjoint

© MASSON, Paris, 2005.

Troisième table ronde • Violences familiales pendant la grossesse

actif, couple marié et conjoint inactif, couple non marié et conjoint actif, couple non marié et conjoint inactif, femme ne vivant pas en couple). Les relations entre les violences familiales et le risque de prématurité ont été analysées par régression logistique, permettant d’ajuster sur ces mêmes facteurs. Une analyse a été réalisée en ajustant sur l’histoire obstétricale (primipares, multipares sans antécédent pathologique, multigestes avec antécédent d’avortement spontané du 1er trimestre, multigestes avec antécédent d’avortement spontané du second trimestre, de prématurité ou de mortinatalité) et une autre sans introduire ce facteur d’ajustement, dont on peut penser qu’il introduit du « sur-ajustement » si les issues défavorables antérieures étaient elles-mêmes dues aux violences. RÉSULTATS DE L’ENQUÊTE EUROPOP : FRÉQUENCE DES VIOLENCES ET FACTEURS ASSOCIÉS

Le tableau I indique le pourcentage de femmes du groupe témoin déclarant des violences pendant la grossesse dans les différents pays. En Roumanie, aucune femme ne rapportait de telles violences, 4 femmes du groupe cas en déclaraient. En Italie, Écosse et Allemagne, les violences n’ont été rapportées que très rarement, par 0,5 % des femmes ou moins. En revanche, la fréquence est sensiblement plus élevée en Hongrie (8,5 %) et en Russie (7,1 %). La fréquence observée pour les 5 pays le plus à l’Est de l’Europe est plus élevée que la fréquence moyenne des 11 autres pays : 3,6 % versus 1,0 % (p < 0,001). La fréquence des violences familiales pendant la grossesse varie avec certaines caractéristiques sociodémographiques (tableau II). Certaines de ces variations sont communes aux deux groupes de pays. Ainsi, les femmes âgées de moins de 20 ans en déclarent beaucoup plus souvent, tandis que les femmes de 25 à 29 ans présentent la fréquence la plus faible. Le fait d’exercer une activité professionnelle n’est pas lié du tout à la fréquence des violences. Les femmes qui vivent seules, et dans une moindre mesure, les femmes en couple non marié déclarent plus souvent subir des violences familiales que les femmes mariées. Que les femmes soient mariées ou non, le fait que leur conjoint n’occupe pas d’emploi est lié à une fréquence plus élevée des violences. Celle-ci est également plus importante quand la femme habite un logement petit ou très occupé, comprenant moins d’une pièce par personne. La fréquence des violences

Tableau I

Pourcentage de femmes déclarant avoir été victimes de violences familiales pendant la grossesse selon les pays (groupe des naissances à terme). Percent of women reporting domestic violence during pregnancy by country (term births).

Pays

Nombre de femmes (naissances à terme)

Violences familiales

N

%

(95% CI)

Allemagne

566

0,5

(0,0-1,1)

Écosse

289

0,3

(0,0-1,0)

Espagne

781

0,9

(0,2-1,6)

Finlande

286

1,0

(0,0-2,2)

France

328

2,1

(0,6-3,7)

Grèce

559

1,4

(0,4-2,4)

Hongrie

189

8,5

(4,5-12,4)

Irlande

453

1,1

(0,1-2,1)

Italie

816

0,4

(0,0-0,8)

Les Pays-Bas

304

2,6

(0,8-4,4)

Pologne

781

1,5

(0,7-2,4)

République Tchèque

642

4,2

(2,7-5,8)

Roumanie

181

0

Russie

268

7,1

(4,0-10,0)

1 140

1,0

(0,4-1,5)

197

1,0

(0,0-2,4)

Slovénie Suède Ensemble

7 780

1,7

(1,4-2,0)

— 5 pays de l’Est*

2 061

3,6

(2,8-4,4)

— 11 autres pays

5 719

1,0

(0,8-1,3)

* Les 5 pays d’Europe de l’Est sont la République Tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Russie.

est beaucoup plus élevée pour les femmes qui se sont séparées de leur conjoint au cours de la grossesse. La fréquence des violences varie nettement selon le niveau d’études des femmes dans les pays d’Europe de l’Est où les femmes ayant interrompu tôt leurs études sont plus souvent victimes tandis qu’aucune tendance n’est observée dans les autres pays. De même, alors que les violences sont plus fréquentes pour les femmes fumeuses, et notamment les grandes fumeuses, dans les pays de l’Est, cette différence n’est pas observée dans les autres pays. Lorsque les facteurs socio-démographiques sont pris en compte simultanément, le statut marital et l’inactivité du conjoint apparaissent comme les éléments le plus associés à la survenue de violences familiales ; les femmes qui ne vivent pas en couple y sont particulièrement exposées, toutes choses égales

J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 34, supplément au n° 1, 2005

2S49

M.-J. Saurel-Cubizolles, N. Lelong

Tableau II

Pourcentages de femmes déclarant avoir été victimes de violences familiales pendant la grossesse selon les caractéristiques socio-démographiques (groupe des naissances à terme). Percent of women reporting domestic violence during pregnancy by sociodemographic characteristics (term births).

Ensemble 16 pays

Europe de l’Est 5 pays*

Autres pays 11 pays

Violences familiales (Effectifs) % Ensemble Âge des femmes moins de 20 ans

7 780

1,7

2 061

3,6

5 719

1,0

(360)

5,8

(164)

9,2

(196)

3,1

20-24

(1 757)

2,5

(808)

4,2

(949)

1,0

25-29

(2 570)

1,0

(618)

1,9

(1952)

0,7

30-34

(2 118)

1,1

(309)

2,9

(1809)

0,8

(948)

1,7 p < 0,001

(156)

2,6 p < 0,001

(792)

1,5 p < 0,05

Âge des femmes à la fin des études moins de 16 ans

(1 117)

2,0

(123)

9,8

(994)

1,0

16-17

(1 570)

2,2

(527)

4,4

(1 043)

1,0

18-20

(2 807)

1,4

(898)

2,4

(1 909)

0,9

21 ans ou plus

(2 196)

1,5

(500)

3,4 p

(1 696)

1,0

35 ans ou plus

ns

< 0,001

ns

Taux d’occupation du logement moins d’1 pièce par personne

(2 100)

3,1

(978)

4,9

(1 122)

1,6

1 pièce par personne ou plus

(5 659)

1,2 p < 0,001

(1 082)

2,4 p < 0,01

(4 577)

0,9 p < 0,05

(6 139)

1,2

(1 747)

2,2

(4 392)

0,8

(5 705)

1,1

(1 613)

2,1

(4 092)

0,7

(425)

2,6

(133)

3,8

(292)

2,1

(1 208)

2,1

(186)

7,5

(1 022)

1,1

(1 012)

1,8

(155)

7,1

(857)

0,8

(190)

3,2

(29)

6,9

(161)

2,5

(411)

8,0 p < 0,001

(126)

16,7 p < 0,001

(285)

4,2 p < 0,001

occupent un emploi

(4 557)

1,7

(1 060)

3,9

(3 497)

1,0

sans emploi

(3 203)

1,7 ns

(998)

3,3 ns

(2 205)

1,0 ns

(6 396)

1,6

(1 831)

3,1

(4 565)

1,0

1-9 cigarette/jour

(747)

2,0

(115)

6,1

(632)

1,3

10 ou plus

(616)

2,8 ns

(112)

9,8 p < 0,001

(504)

1,2 ns

oui

(195)

14,4

(93)

17,2

(102)

11,8

non

(7 578)

1,4 p < 0,001

(1 968)

3,0 p < 0,001

(5 610)

0,8 p < 0,001

Statut marital couple marié dont conjoint actif conjoint inactif couple non marié dont conjoint actif conjoint inactif vit seule Activité professionnelle des femmes

Tabac pendant la grossesse non

Séparation du couple pendant grossesse

* Les 5 pays d’Europe de l’Est sont la République Tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Roumanie et la Russie.

2S50

© MASSON, Paris, 2005.

Troisième table ronde • Violences familiales pendant la grossesse

par ailleurs. Globalement, l’âge des femmes ne contribue pas significativement au modèle bien que les femmes de moins de 20 ans présentent un excès de risque comparé aux femmes de 25 à 29 ans. Le niveau d’études des femmes n’est plus significativement lié à la survenue des violences, dans aucun des deux groupes de pays, l’effet brut observé précédemment étant expliqué par l’âge et le statut marital des femmes. Enfin, habiter un petit logement (moins d’une pièce par personne) demeure associé à la survenue des violences même en contrôlant sur les autres facteurs. VIOLENCES FAMILIALES ET RISQUE DE PRÉMATURITÉ

Les violences familiales ont été déclarées par 2,7 % des femmes ayant accouché prématurément et par 1,7 % des femmes du groupe témoin, ce qui correspond à un odds ratio égal à 1,73 (1,35-2,22). L’amplitude de cette association, seulement ajustée sur le pays, apparaît plus grande pour les pays de l’Est que pour les autres pays. Après ajustement sur le pays, l’âge, le niveau d’études, le statut marital, l’inactivité du conjoint et le taux d’occupation du logement, l’excès de risque de prématurité lié aux violences familiales est significatif pour l’ensemble des données. Il est plus important pour les pays à l’Est de l’Europe tandis que l’odds ratio n’est plus significativement différent de 1 dans les autres pays. Enfin, la prise en compte des antécédents obstétricaux pathologiques qui constituent un facteur de risque majeur de prématurité, réduit légèrement la valeur des odds ratios mais l’association demeure globalement significative. ÉLÉMENTS DE DISCUSSION

Le taux de violences déclarées apparaît très différent selon les pays. Le nombre de femmes du groupe témoin n’est pas très élevé dans certains pays et des fluctuations aléatoires liées à l’échantillonnage peuvent expliquer une part des variations. Par ailleurs, le protocole de l’enquête fondé sur la participation volontaire des maternités, et le fait qu’une seule maternité ait contribué dans de nombreux pays ne permettent pas de considérer ces données comme représentatives des populations nationales. La mesure des violences est difficile car elle pose, à la fois, le problème de la définition et celui de la déclaration par les femmes d’un phénomène générale-

ment caché. Dans cette enquête, la question était très succincte ; elle ne comportait pas les distinctions des questionnaires habituels entre violences verbales, psychologiques, physiques et sexuelles. Elle utilisait le mot même de « violences » souvent perçu comme un mot fort, que les femmes redoutent à employer pour qualifier leur situation. De plus, les auteurs des violences étaient définis de façon imprécise dans la question : « de la part d’un membre de votre famille ». Il est probable que ces différents phénomènes conduisent à une sous-estimation de la fréquence des violences pendant la grossesse. En effet, le taux global obtenu, autour de 2 %, est plus faible que celui décrit dans la littérature, généralement supérieur à 4 %. En Europe, peu de données sont disponibles sur les violences envers les femmes en général, ni sur les violences pendant la grossesse, ce qui incite à diffuser les informations issues de cette enquête. Celles-ci indiquent que les violences familiales pendant la grossesse sont plus fréquentes ou plus souvent déclarées dans les pays de l’Est de l’Europe que dans les pays de l’Ouest. Concordant avec cette différence, les statistiques de mortalité des femmes montrent une plus grande part des morts violentes dans ces même pays d’Europe de l’Est. Bien que probablement sous-déclarées, les violences apparaissent liées à certaines caractéristiques socio-démographiques, de façon concordante à ce qui est décrit dans la littérature. Les femmes jeunes, en particulier celles âgées de moins de 20 ans, en sont plus souvent victimes [18-21]. Bien que de façon moins systématique, un risque plus élevé pour les femmes de faible niveau d’études est également décrit par plusieurs auteurs [11, 19, 22]. La situation familiale des femmes est très associée au risque de violences et de nombreuses études le retrouvent : les femmes ne vivant pas en couple, les femmes divorcées ou séparées sont beaucoup plus souvent victimes de violences [11, 21, 23-25]. Dans les données présentées ici, nous observons que les séparations du couple pendant la grossesse constituent un événement très associé aux violences, ou bien celles-ci sont à l’origine de la séparation, ou bien la séparation et les conflits qu’elle entraîne occasionnent des violences. En complément du niveau d’études, l’indice d’occupation du logement constitue un autre indicateur de la situation sociale des femmes et décrit des conditions matérielles d’existence. Habiter un logement sur-occupé est associé au risque de violences et le demeure de façon indépendante, après la prise en compte des autres facteurs socio-démographiques. Gazmararian et al. observent une différence de même

J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 34, supplément au n° 1, 2005

2S51

M.-J. Saurel-Cubizolles, N. Lelong

amplitude, avec le même indicateur (logement de moins d’une pièce par personne) dans cinq états d’Amérique du Nord [19]. La consommation de tabac plus fréquente par les femmes victimes de violences est souvent décrite [21, 23, 25, 26]. Plusieurs auteurs montrent que les femmes ayant des grossesses non désirées subissent plus souvent des violences [19, 22, 23, 27]. Nous ne disposions pas de cette information dans l’enquête européenne. Si les violences ont été sous-déclarées par les femmes, on peut penser qu’elles l’ont été de façon comparable dans le groupe cas et témoin. En effet, le thème principal de l’enquête était l’emploi des femmes et leurs conditions de travail pendant la grossesse. Comme nous l’avons écrit plus haut, la question sur les violences familiales intervenait à la fin de l’entretien avec les femmes et dans une liste d’événements de gravité variable. Rien ne permet de penser que les femmes ayant accouché prématurément auraient déclaré avec plus de validité les violences familiales ; les investigateurs n’étaient pas sensibilisés plus particulièrement à cette question. Une sous-déclaration générale conduit plutôt à une sous-estimation de l’association et on peut penser que les odds ratios estimés ici constituent un minimum. Subir des violences pendant la grossesse est un facteur de risque de prématurité. Plusieurs auteurs ne parviennent pas à mettre en évidence de relation significative entre les violences et l’issue de la grossesse, en terme d’âge gestationnel ou de poids de naissance [18, 21, 25, 26, 28-30] tandis qu’une récente méta-analyse [31] conclut à un excès de risque de faible poids de naissance lié aux violences pendant la grossesse. Par ailleurs, un excès d’avortements spontanés, de faible poids de naissance, de souffrance fœtale ou de mortinatalité, ainsi que des taux plus élevés de chorioamniotites, d’infections maternelles ou de prise de poids insuffisante ont été rapportés [18, 25, 31-34]. Le mécanisme par lequel les violences peuvent augmenter le risque d’accouchement prématuré reste à élucider : d’une part, on peut supposer un effet mécanique direct en cas de traumatismes, notamment dans la zone abdominale, mais cela représente probablement un petit nombre des cas. Plus vraisemblablement la tension nerveuse, l’anxiété, la crainte et les troubles dépressifs occasionnés par la situation de violences peuvent entraîner des perturbations hormonales, de l’axe cortico-surrénalien, et être à l’origine d’un déclenchement trop précoce de l’accouchement. Les violences subies peuvent également s’accompa-

2S52

gner d’auto-négligence, de troubles alimentaires qui peuvent être autant de maillons intermédiaires vers un accouchement prématuré. Elles sont par ailleurs associées à des consommations plus fréquentes de tabac et d’alcool, dont on connaît les effets néfastes sur la croissance fœtale et le développement du nouveau-né. Il est nécessaire d’accroître nos connaissances sur les violences envers les femmes, en général et pendant la grossesse, en France. Les violences familiales sont souvent cachées par les femmes et les professionnels de santé hésitent à aborder cette question avec leurs patientes [35]. Les femmes enceintes ont de nombreux contacts avec le système de santé ; les consultations pourraient être une occasion précieuse d’écouter et d’aider les femmes qui subissent des violences. Sur le plan de la recherche, l’épidémiologie périnatale doit considérer davantage le rôle des violences envers les femmes comme facteur de risque et comme facteur de confusion des anomalies du déroulement ou de l’issue de la grossesse. Nous avons le projet de réaliser une enquête visant à évaluer dans quelle mesure les femmes victimes de violences familiales pendant la grossesse ne sont pas reconnues par les équipes obstétricales et de susciter une plus grande concertation entre les travailleurs sociaux et les soignants afin d’avoir des propositions concrètes d’aide et de support pour les femmes qui en ont besoin. RÉFÉRENCES 1. Kornblit AL. Domestic violence: an emerging health issue. Soc Sci Med 1994; 39: 1181-8. 2. Eisenstat SA, Bancroft L. Domestic violence. N Eng J Med 1999; 341: 886-92. 3. Rodgers K. Résultats d’une enquête nationale sur l’agression contre la conjointe. Juristat, Bulletin de Service, 1994, 14, 121. 4. Straus MS, Gelles RJ. Societal change and change in family violence from 1975 to 1985 as revealed by two national surveys. J Marriage Family 1986; 48: 465-79. 5. Römkens RG. Gewoon geweld? Amsterdam Lisse: Swets & Zeitlinger BV, 1992. 6. Jaspard M, Brown E, Condon S, Fougeyrollas-Schwebel D, Houel A, Lhomond B, Maillochon F, Saurel-Cubizolles MJ, Schiltz MA. Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale. Paris, La Documentation Française, 2003, 320 pages. 7. McFarlane J. Battering during pregnancy: Tip of an iceberg revealed. Women Health 1989; 15: 69-84. 8. Helton AS, Snodgrass FG. Battering during pregnancy: intervention strategies. Birth 1987; 14: 142-7. 9. Gelles R. Violence and pregnancy: are pregnant women at greater risk of abuse? J Marriage Family, 1988, 50: 841-7. 10. Ballard TJ, Saltzman LE, Gazmararian JA, Spitz AM, Lazorick S, Marks JS. Violence during pregnancy: measurement issues. Am J Public Health 1998; 88: 274-6.

© MASSON, Paris, 2005.

Troisième table ronde • Violences familiales pendant la grossesse

11. Hillard PJA. Physical abuse in pregnancy. Obstet Gynecol 1985; 66: 185-90. 12. Irion O, Boulvain M, Straccia AT, Bonnet J. Emotional, physical and sexual violence against women before or during pregnancy. Br J Obstet Gynaecol 2000; 107: 1306-8. 13. Widding Hedin L, Grimstad H, Moller A, Schei B, Janson PO. Prevalence of physical and sexual abuse before and during pregnancy among Swedish couples. Acta Obstet Gynecol Scand 1999; 78: 310-5. 14. Bacchus L, Mezey G, Bewley S. Domestic violence: prevalence in pregnant women and associations with physical and psychological health. Eur J Obstet Gynecol Reprod Biol 2004; 113: 6-11. 15. Saurel-Cubizolles MJ, Blondel B, Lelong N, Romito P. Violence conjugale après une naissance (Marital violence after birth). Contracept Fertil Sex 1997; 2: 159-64. 16. Saurel-Cubizolles MJ, Di Renzo GC, Breart G, the EUROPOP Group. Women’s work and preterm birth: epidemiological knowledge and description of a European project. Prenat Neonat Med 1997; 2: 161-80. 17. Saurel-Cubizolles MJ, Zeitlin J, Lelong N, Papiernik E, Di Renzo GC, Bréart G, et Europop Group. Employment, working conditions, and preterm birth: results from the Europop casecontrol survey. J Epidemiol Community Health, 2004, 58, 395401. 18. Dye TD, Tollivert NJ, Lee RV, Kenney CJ. Violence, pregnancy and birth outcome in Appalachia. Paediat Perinat Epidemiol 1995; 9: 35-47. 19. Gazmararian JA, Adams MA, Saltzman LE, Johnson CH, Bruce FC, Marks JS, Zahniser SC, and the PRAMS working group. The relationship between pregnancy intendedness and physical violence in mothers of newborns. Obstet Gynecol 1995; 85: 1031-8. 20. Curry MA, Perrin N, Wall E. Effects of abuse on maternal complications and birth weight in adult and adolescent women. Obstet Gynecol 1998; 92: 530-4. 21. Cokkinides VE, Coker AL, Sanderson M, Addy C, Bethea L. Physical violence during pregnancy: maternal complications and birth outcomes. Obstet Gynecol 1999; 93: 661-6.

22. Stewart DF, Cecutti A. Physical abuse in pregnancy. Can Med Assoc J 1993; 149: 1257-63. 23. Berenson AB, Stiglich NJ, Wilkinson GS, Anderson GD. Drug abuse and other risk factors for physical abuse in pregnancy among white non-Hispanic, black, and hispanic women. Am J Obstet Gynecol 1991; 164: 1491-9. 24. Martin SL, Mackie L, Kupper LL, Buescher PA, Moracco KE. Physical abuse of women before, during and after pregnancy. JAMA 2001; 285: 1581-4. 25. Berenson AB, Wiemann CM, Wilkinson GS, Jones WA, Anderson GD. Perinatal morbidity associated with violence experienced by pregnant women. Am J Obstet Gynecol 1994; 170: 1760-69. 26. Grimstad H, Schei B, Backe B, Jacobsen G. Physical abuse and low birthweight: a case-control study. Br J Obstet Gynaecol 1997; 104: 1281-7. 27. Glander SS, Moore ML, Michielutte R, Parsons LH. The prevalence of domestic violence among women seeking abortion. Obstet Gynecol 1998; 91: 1002-6. 28. Amaro H, Fried LE, Cabral H Zuckerman B. Violence during pregnancy and substance use. Am J Public Health 1990; 80: 575-9. 29. Jagoe J, Magann EF, Chauhan SP, Morrison JC. The effects of physical abuse on pregnancy outcomes in a low risk obstetric population. Am J Obstet Gynecol 2000; 182: 1067-9. 30. Webster J, Chandler J, Battistutta D. Pregnancy outcomes and health care use: effects of abuse. Am J Obstet Gynecol 1996; 174: 760-7. 31. Murphy CC, Schei B, Myhr TL, Du Mont J. Abuse: a risk factor for low birth weight? a systematic review and meta-analysis. Can Med Assoc J 2001; 164: 1567-72. 32. Parker B, McFarlane J, Soeken K. Abuse during pregnancy: effects on maternal complications and birth weight in adult and teenage women. Obstet Gynecol 1994; 84: 323-8. 33. Bullock LF, McFarlane J. The birth-weight/battering connection. Am J Nursing 1989; 89: 1153-5. 34. Andrews B Brown GW. Marital violence in the community. A biographical approach. Brit J Psychiatr 1988; 153: 305-12. 35. Foy R, Nelson F, Penney G, McIlwaine G. Antenatal detection of domestic violence. Lancet 2000; 355: 1915.

J Gynecol Obstet Biol Reprod / Volume 34, supplément au n° 1, 2005

2S53