Précisions sur le récurvatum de l’hémiplégique

Précisions sur le récurvatum de l’hémiplégique

Arnaud Choplina Patrick Nenertb Isabelle D’Andréac Précisions sur le récurvatum de l’hémiplégique Geste pratique Pratique Facts about recurvatum i...

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Arnaud Choplina Patrick Nenertb Isabelle D’Andréac

Précisions sur le récurvatum de l’hémiplégique

Geste pratique

Pratique

Facts about recurvatum in hemiplegic patients

Résumé

Summary

Le masseur-kinésithérapeute est souvent amené à optimiser l’utilisation du récurvatum lors de la prise en charge d’un patient hémiplégique. Bien que cette déficience soit utile fonctionnellement au patient, il est souvent vécu comme inesthétique. D’étiologie variable, nous distinguons, avec leurs approches rééducatives, trois causes fréquemment rencontrées. L’addition de la talonnette ou l’utilisation de la technique dite de « l’élastique » permettent de retarder l’extension exagérée du genou. Le retentissement sur les critères de la marche de l’hémiplégique s’améliore. Niveau de preuve : non adapté

The masseur-physiotherapist often seeks to optimise the use of the recurvatum when taking on a hemiplegic patient. Although this problem (the recurvatum) can be used to help the patient it is often looked upon as unsightly. We have seen from a number of different studies on the causes of the disease three causes which are frequently met, with their re-educative approaches. The addition of the heel support or the use of the so-called “elastic” technique allows the delay of the exaggerated extension of the knee. This improves the effect on the criteria for walking for a hemiplegic patient. Level of evidence : not applicable

MOTS-CLÉS

KEYWORDS

Contrôle moteur – Genou neurologique – Hémiplégie – Récurvatum – Spasticité

Motor control – Neurological knee – Hemiplegia – Recurvatum – Spasticity

© 2011. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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Introduction Quarante à 68 % [1] des patients hémiparétiques après un accident vasculaire cérébral présentent une marche en récurvatum de genou [2]. Ces patients placent leur a. Cadre de santé formateur, genou en récurvatum afin IFMK niçois, de permettre le passage de Hôpital l’Archet 2 niveau-3, 151 route de Saint-Antoine de la ligne de gravité en avant Ginestière, 06202 Nice cedex 3 des centres articulaires du b. Cadre de santé, genou, tout en respectant Service rééducation, Centre Hélio-Marin de Vallauris, sa projection dans le polyVoie Julia, 06223 Vallauris cedex gone de sustentation [2, 3]. c. Masseur-kinésithérapeute, Cette compensation perCERS Saint-Raphaël, RN 98, 83700 Saint-Raphaël met de sécuriser le passage du pas portant. En pratique Auteur correspondant : clinique, la prise en charge Arnaud Choplin [email protected] rééducative du récurvatum de genou est relativement Les auteurs ont déclaré n’avoir complexe étant donnée aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article. la pluralité des étiologies [4-6]. Fréquemment, l’utiArticle reçu le 16/04/2010 lisation d’un récurvatum Accepté le 5/10/2010

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s’observe lorsque la spasticité des extenseurs de genou en phase d’appui impose une hyper-extension pathologique. On observe parfois qu’une spasticité ou une rétraction des muscles de la loge postérieure de la jambe entraînent une limitation de la flexion dorsale de la cheville qui positionne aussi le tibia en hyper-extension par rapport au fémur. Alors pourquoi vouloir diminuer le récurvatum chez l’hémiplégique ? Tout d’abord, le récurvatum est à l’origine de divers désavantages. En effet, il augmente la durée de la phase d’appui, avec une difficulté à obtenir une marche symétrique, harmonieuse sur les plans spatial et temporel [2]. Souvent perçu comme inesthétique par les patients, il semble qu’il soit à l’origine d’une augmentation du coup énergétique de la marche [2]. Globalement, ce récurvatum allonge le membre inférieur et génère une augmentation du travail mécanique externe lié à l’élévation du centre de masse corporelle. Il faut noter qu’il peut être douloureux en raison de dégradations des structures ligamentaires et tendineuses postérieures [2]. Dans ces conditions, nous avons décidé de nous intéresser aux patients hémiplégiques présentant un récurvatum à la marche.

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Souvent en tant que praticien nous cherchons à rapprocher le patient de normes ou de vision du corps équilibré. La présence d’un récurvatum pouvant entraîner des problèmes, il est perçu comme logique de le réduire. La question à se poser est : dans quelle limite et pour quels avantages et inconvénients ?

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Geste pratique

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Approches rééducatives Limiter le récurvatum implique d’avoir, préalablement, pu identifier la ou les cause(s) de son utilisation. Il s’agit, pour le patient, de mettre en place les conditions nécessaires au bon déroulement du pas portant en fonction des déficiences qu’il présente. L’utilisation de cette stratégie inconsciente est due à trois grandes déficiences initiales que présente le patient hémiplégique.

Hémiplégiques spastiques

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Spasticité de l’appareil extenseur du genou L’expression spastique des extenseurs du genou oblige l’hémiplégique à aborder l’attaque du pas en extension exagérée du genou. C’est le cas le plus fréquemment rencontré [7]. La répétition de cette phase d’attaque lors du cycle de la marche favorise la bascule de la partie supérieure du tibia vers l’arrière, provoquant progressivement l’étirement des éléments postérieurs (coques condyliennes) [8]. Ces derniers deviennent de plus en plus laxes et permettent l’accentuation de ce phénomène. Le traitement masso-kinésithérapique impose, le plus souvent, l’utilisation de techniques, soit d’inhibition de la spasticité [9], soit de facilitation neuro-motrice en flexion du membre inférieur. La première technique est bien connue des rééducateurs, elle repose sur le principe général qu’« inhiber la spasticité permettrait une réponse motrice améliorée » [9]. Autrement dit, diminuer l’expression de la spasticité, notamment par des postures d’inhibition, permettrait, in fine, d’avoir un retentissement sur la diminution du récurvatum [10]. C’est ce que l’on pré-suppose lors de l’utilisation de la technique dite « de l’élastique » (figure 1). En plus de sa capacité à suppléer les muscles responsables de la triple flexion du membre inférieur hémiplégié lors du pas oscillant [11], elle permet, lors du pas portant, un rappel passif permettant de retarder l’extension du tibia sous le fémur. D’ores et déjà, nous pouvons remarquer que l’utilisation de l’élastique permet une facilitation neuro-motrice. Lorsque l’on place une talonnette dans la chaussure du patient, on impose une triple flexion passive du membre inférieur hémiplégié. Ainsi, lors du pas portant, une bascule du tibia vers l’avant est provoquée, ce qui tend à retarder l’apparition du récurvatum.

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Spasticité des fléchisseurs plantaires Chez les patients hypertoniques, la cause du récurvatum peut être due à l’expression spastique des gastrocnémiens et/ou du soleus. En effet, l’évaluation manuelle par l’échelle d’Ashworth modifiée [12] permet, très souvent, de mettre en évidence une expression spastique des fléchisseurs plantaires de cheville supérieure à celle des fléchisseurs du genou (ischio-jambiers, ou IJ). Dès l’attaque du pas au sol par le talon, la spasticité des gastrocnémiens oblige le tibia à basculer en arrière sous les condyles

Figure 1. Technique dite « de l’élastique ».

fémoraux. Cette extension n’étant plus freinée par les IJ (trop faibles), c’est le récurvatum du genou qui s’exprime. L’utilisation de la talonnette placée dans la chaussure du patient retarde l’expression de la spasticité par un rapprochement passif des points d’insertion des muscles TQBTUJRVFT.PJOTGBDJMFNFOUÏUJSÏT MFYQSFTTJPOTQBTUJRVF est retardée [13, 14]. Il s’agit bien, là aussi, d’une facilitation neuro-motrice qui permet de retarder l’apparition du récurvatum lors du pas portant, tout en permettant une expression spastique en varus équin du pied dans la phase oscillante. Ce qui pourrait constituer la principale critique à l’utilisation de la talonnette pour des patients présentant ce type de déficiences. A contrario, la technique dite de l’élastique semble plus séduisante puisqu’elle permet une mise en tension des muscles postérieurs de jambe et, en même temps, un contrôle correcteur de l’équin du pied. Cette correction peut être corrélée au score obtenu dans l’évaluation de la spasticité [12] car l’utilisation d’une bande élastique à grand rappel est indiquée pour des patients présentant une spasticité élevée (Ashworth modifiée à partir de 2) [12]. À l’inverse, une bande de faible rappel élastique est utilisée pour des patients présentant peu de spasticité (Ashworth modifiée 1, 1+).

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r Il est important de ne pas négliger le récurvatum en raison de ses conséquences néfastes... r Il est également important de bien « bilanter » le patient pour déterminer la ou les causes du récurvatum afin d’adapter au mieux nos techniques (2 grandes techniques : inhibition/facilitations neuro-motrices). r La talonnette et l’élastique sont deux 2 appareillages majeurs.

– favoriser une action musculaire des chaînes parallèles spécifiques à la marche où les tensions musculaires s’autorégulent [17]. O RÉFÉRENCES 1. Moris ME, Matyas TA, Bach TM, Goldie PA. Electrogoniometric feedback: its effect on genu recurvatum in stroke. Arch Phys Med Rehabil 1992;73:1147-54. 2. Bleyenheuft C, Bleyenheuft Y, Hanson P, Deltombe T. Treatment of genu recurvatum in paretic adult patients: A systematic literature review. Ann Phys Rehabil Med. 2010;53:189-99.

Hémiplégiques non spastiques

3. Viel E. La marche humaine, la course, le saut. Paris : Masson, 2000.

Il s’agit de patients hémiplégiques présentant un récurvatum lors du pas portant bien qu’ils ne présentent pas de spasticité [15]. Cette catégorie de patients, moins fréquemment rencontrée, présente des troubles sensitifs rendant difficile, voire impossible, l’adaptation automatisée de leur motricité. Ces patients hémiplégiques « sensitifs » sont dans l’obligation de talonner afin de sentir le sol et adapter leur motricité. Ces déficiences tactiles protopathiques, de la sensibilité proprioceptive consciente, inconsciente, s’explorent à partir d’un bilan sensitif rigoureux. Quoi qu’il en soit, ces hémiplégiques « à récurvatum sensitif » exagèrent l’appui au sol lors de l’attaque du pas par le bord externe du talon. Cette déficience sensitive est suppléée par la bascule de la partie supérieure du tibia vers l’arrière. De la même manière que pour les formes spastiques, l’addition de la talonnette ou la technique dite de « l’élastique » permettent de retarder l’extension exagérée du genou. Aucune des théories n’a été reconnue comme meilleure par rapport à l’autre, cependant, en combinant ces différentes stratégies de rééducation, elles pourraient être plus efficaces. Ainsi, Bobath et les techniques de neurofacilitation seront soumis à de nombreuses « analyses comparatives, qui malheureusement, ne montreront pas de supériorité bien évidente de telle technique par rapport à une autre. » [16].

4. Gage JR. The treatment of gait problems in cerebral palsy. Mac Keith Press, 2004.

Conclusion L’utilisation des talonnettes bilatérales d’environ 1 cm permet de retarder la mise en tension du triceps sural lors de la phase d’appui, en modifiant l’équilibre biomécanique du genou. L’utilisation de la technique dite de « l’élastique » permet de : – faciliter le passage du membre hémiplégique lors de la phase oscillante en suppléant la force des muscles fléchisseurs [11] ; – positionner la cheville en flexion dorsale à l’attaque du talon en étirant passivement les muscles gastrocnémiens et surtout du soleus ; – résister à l’extension, ce qui pourrait limiter le récurvatum du genou en retardant l’hyper-extension du tibia sous le fémur ;

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Points à retenir

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5. Inaba M. Control dysfunction. Bracing the unstable knee and ankle in hemiplegia. Phys Ther 1967;47:838-43. 6. Perry J. Gait analysis: normal and pathological function. Slack Incorporated, 1992. 7. Daviet JC, Dudognon PJ, Salle JY, Munoz M, Lissandre JP, Rebeyrotte I, Borie MJ. Rééducation des accidentés vasculaires cérébraux. Bilan et prise en charge. Encyl Med Chir. Paris : Elsevier, 2002:26-455-A-10. 8. Dufour M, Pillu M. Biomécanique fonctionnelle. Paris : ElsevierMasson, 2006. 9. Bobath B. Hémiplégie de l’adulte, bilans et traitements. 2e Édition. Paris : Masson, 1981. 10. Peltier M. Kinésithérapie et spasticité. Kinésithérapie Scientifique 2008;508:5-10. 11. Delaire M, Forster J. Modalités d’utilisation des résistances élastiques progressives. Kinésithérapie, la Revue 2009;9:34-41. 12. Bohannon RW, Smith MB. Interrater reliability of a modified Ashworth scale of muscle spasticity. Phys Ther 1987;67:206-7. 13. Lance JW. Spasticity: Disordered motor control. Symposium synopsis. Feldman RG, Young RR, Koella WP, editors. Chicago : Yearbook Medical, 1980:485-94. 14. Bussière C, Aït Si Selmi T, Neyret P. Genu recurvatum. Encyl Med Chir. Appareil locomoteur. Paris : Elsevier, 2001:114-327-A-10. 15. Grossa R, Clevenotc D, Luauteb J, Arsenaultb L, Delporteb L, Boissonb D, Rossettib Y. Exploration du genu-recurvatum dans la marche de l’hémiplégique adulte : rôle de la spasticité du muscle rectus femoris. Communication présenteé lors du XXIVe Congrès national de la Sofmer. Lyon, 15-17 octobre 2009. Paris : Elsevier Masson, 2009. doi:10.1016/j.rehab.2009.07.020. 16. Yelnik A. Évolution des concepts en rééducation du patient hémiplégique. Ann Réadapt Med Phys 2005;48:270-7. 17. Delaire M. Le genou et l’élastique : une solution pour reproduire la chaîne cinétique fermée. Kinésithérapie, la Revue 2009;87:13-5.

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