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À qui et pourquoi faire un bilan de thrombophilie en 2009 ? Joseph Emmericha,*
1. Introduction On peut classifier schématiquement les facteurs de risque de thrombose veineuse en trois principales catégories : les facteurs de risque acquis, génétiques et mixtes (tableau I) [1-3]. La combinaison de plusieurs facteurs Tableau I – Principaux facteurs de risque de maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV). Facteurs de risque acquis
Facteurs de risque génétique
Facteurs de risque mixtes
Âge
Déficit en antithrombine
Hyperhomocystéinémie
Antécédents de MTEV
Déficit en protéine C
Taux élevés de fibrinogène
Immobilisation
Déficit en protéine S
Taux élevés de facteur VIII
Chirurgie
Facteur V Leiden
Taux élevés de facteur XI
Cancer
Facteur II G20210A (Leiden)
Taux élevés de facteur IX
Traitement hormonal
Dysfibrinogénémie
Synd. des antiphospholipides
Groupe sanguin non O
Synd. myéloprolifératifs
Tableau II – Prévalence et risques relatifs des principaux facteurs thrombophiliques. Facteurs de risque Déficit en antithrombine
Prévalence (%) dans la population générale
Prévalence (%) dans la population avec MTEV
Risque relatif
0,02
1
10
Déficit en protéine C
0,2 – 0,4
3
10
Déficit en protéine S
inconnu
1–2
10
Facteur V Leiden
5
20
5
Prothrombine 20210A
2
6
3,5
Facteur VIII > 150 %
11
25
3-5
Facteur IX > 95th percentile
5
20
2
Facteur XI > 95 percentile
5
20
2
Homocystéine > 18.5 mol/l
5
10
2
th
a Service de médecine vasculaire Hôpital Européen Georges- Pompidou et INSERM U765 20-40, rue Leblanc 75908 Paris cedex 15
* Correspondance
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de risque joue un rôle important dans la survenue de la MTEV, qui est le prototype d’une maladie plurifactorielle. Les progrès les plus importants dans les dernières années concernent les facteurs de risque responsables de thrombophilie [4]. Si ces derniers ont indiscutablement permis de mieux comprendre la physiopathologie de la maladie, nous verrons que les conséquences pratiques de la thrombophilie ne sont pas évidentes, malgré certains facteurs génétiques fréquents qui sont associés à un risque de thrombose multiplié par 3 à 5.
2. Rappel des facteurs de risque génétiques de MTEV La notion de thrombophilie ou d’état d’hypercoagulabilité a été décrite en 1965 par Egeberg avec la publication du premier déficit en antithrombine. Au début des années 1980, les déficits en protéine C et en protéine S ont été associés à la survenue des thromboses veineuses. Les déficits en antithrombine, protéine C et protéine S sont de transmission autosomique dominante. Seul un petit nombre de MTEV (inférieur à 10 %) s’expliquait par un déficit en antithrombine, protéine C ou protéine S. La publication par Dahlbäck, en février 1993, de plusieurs cas de MTEV familiales secondaires à une résistance à l’action de la protéine C activée (secondaire à la mutation Arg 506 Gln du facteur V ou facteur V Leiden) a stimulé de nombreuses recherches sur cette nouvelle cause de thrombophilie et sur de nouvelles causes constitutionnelles beaucoup plus fréquentes telles que : l’allèle 20210A de la prothrombine, des taux élevés de facteur VIII, XI, IX, d’homocystéine et d’autres encore. Les fréquences des facteurs de risque génétiques associés à la MTEV, chez des patients avec MTEV et dans des populations témoins, sont indiquées dans le tableau II [4-7]. On peut clairement distinguer les déficits en inhibiteurs de la coagulation, mutations familiales rares mais associées à un risque relatif de thrombose élevé, des polymorphismes fréquents dans la population générale associées à un risque relatif de thrombose plus faible. La fréquence des facteurs de risque de MTEV dans la population générale, comme le facteur Leiden, l’allèle 20210A de la prothrombine, l’hyperhomocystéinémie ou des taux élevés de facteur VIII, peuvent s’associer chez le même individu et contribuer à la survenue d’un épisode thrombotique [8]. De même, certains facteurs environnementaux très fréquents, comme la prise de pilule œstroprogestative, la grossesse, l’immobilisation, sont présents chez de nombreuses personnes et contribuent de façon importante
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avec les facteurs de thrombophilie précédents à faire de la MTEV une pathologie multifactorielle. En effet, l’étude des polymorphismes fréquemment associés à la MTEV (comme le facteur V Leiden) a permis de démontrer que la MTEV est une pathologie plurifactorielle, la conjonction de plusieurs facteurs de risques environnementaux et/ou constitutionnels étant souvent associée à la survenue de l’épisode thrombotique.
3. À qui faire un bilan de thrombophilie L’impact d’un facteur de risque au sein de la population générale est fonction à la fois de sa prévalence et de son risque relatif. Ainsi, l’impact épidémiologique des déficits en inhibiteurs de la coagulation est faible alors même que l’impact des polymorphismes fréquents mais à risque relatif faible est plus important (autrement dit a un pourcentage de risque attribuable dans la population générale plus élevé). Comme il n’y a aucune particularité clinique des thromboses veineuses associées à ces anomalies il faut toujours faire la totalité de la recherche des anomalies associées à une thrombophilie (tableau III). En revanche, ce bilan de thrombose n’est pas systématique après toute thrombose veineuse et il doit être réservé : aux MTEV survenant chez le sujet jeune (< 45 ans), aux thrombophilies familiales (au moins deux apparentés en dehors du propositus ayant eu une MTEV authentifiée) et en cas de récidive thrombotique inexpliquée. Le caractère idiopathique ou secondaire de la MTEV doit être pris en compte, mais une fois sur deux en cas de thrombophilie, on retrouve un facteur environnemental qui contribue à la survenue de l’épisode thrombotique aiguë en association avec la thrombophilie. On recommande également d’effectuer un bilan de thrombose en cas de trhombose dite insolite, c’est-à-dire intéressant un territoire veineux plus rarement intéressé par un thrombose : thrombose veineuse cérébrale, thrombose portale, Budd Chiari, thrombose du membre supérieur, etc. Chez les sujets asymptomatiques, il n’y a pas d’indication à un dépistage systématique de thrombophilie, avant par exemple la prescription d’une contraception œstroprogestative. Nous prendrons l’exemple du facteur V Leiden pour étayer notre propos, puisqu’il s’agit d’un facteur de risque présent chez 5 % des femmes, et qu’il multiplie le risque de thrombose par 5. Chez une femme en âge de prendre la pilule, le risque absolu de thrombose veiTableau III – Bilan de thrombose à réaliser en 2008. - Dosage AT, PC, PS (activité anticoagulable)
neuse est de l’ordre de 1 pour 10 000 par an. La prise de pilule œstroprogestative augmente ce risque à environ 4 pour 10 000, et à 20 pour 10 000 dans le cas d’une femme hétérozygote pour la mutation Leiden du facteur V. Ce risque de 2 pour 1 000 par an reste tout à fait acceptable pour une pathologie dont le risque de mortalité en cas de thrombose veineuse ou d’embolie pulmonaire existe mais est de l’ordre de 2 %. Il faudrait donc, pour prévenir un événement mortel lié à une embolie pulmonaire chez une femme prenant la pilule et porteuse de la mutation Leiden du FV, cribler 500 000 femmes, et interdire la pilule aux 25 000 femmes porteuses de la mutation pour prévenir au mieux un décès par an. Sans compter que les conséquences de l’interdiction putative de pilule à un si grand nombre de femme pourrait s’avérer plus délétère que bénéfique. Le même raisonnement que le précédent s’appliquerait par exemple à la recherche d’un syndrome des antiphospholipides, ou au dosage des D-dimères (qui élevé témoigne d’un risque augmenté de thrombose veineuse). En cas d’antécédent familial authentifié de maladie thrombo-embolique chez un apparenté au premier degré de maladie thrombo-embolique, il peut être licite d’effectuer un dépistage familial en milieu spécialisé, surtout si plus d’un apparenté a thrombosé, si ces épisodes sont survenus spontanément et/ou à un âge jeune. Même en respectant ces indications, soulignons que nous ne disposons d’aucune étude justifiant formellement le bien fondé d’une telle attitude sur laquelle, néanmoins, beaucoup de spécialistes s’accordent.
4. Conséquences pratiques sur les récidives Plusieurs études ont rapporté le risque de récidive associé à la thrombophilie et ont permis de montrer que la thrombophilie n’est pas un facteur de risque fortement associé aux récidives [9, 10]. Une explication, qui n’est pas propre à la thrombose veineuse profonde, est liée au fait qu’après un premier épisode thrombotique, le risque de récidive augmente de façon très importante (incidence des récidives de 5 % par an en cas de thrombose idiopathique) et dans cette situation, le risque absolu de thrombose porté par le fait d’être porteur d’une anomalie responsable de thrombophilie s’amenuise considérablement. Pour l’ensemble de ces raisons, le dernier consensus de l’ACCP (American College of Chest Physicians) a retiré de ses recommandations sur la durée du traitement anticoagulant après une maladie thromboembolique veineuse toute référence à l’existence ou non d’une thrombophilie, contrairement aux recommandations préalables [11].
- FV Leiden (test génétique ou test plasmatique de RPCa) - FII G20210A (test génétique) - Dosage du FVIII - Dosage d’homocystéinémie - Anticardiolipines + ACCL (anticoagulant circulant lupique) Il n’y a pas de spécificité clinique devant une MTEV permettant d’orienter vers une anomalie particulière.
5. Conclusion La thrombose veineuse est une maladie complexe plurifactorielle, impliquant à la fois des facteurs génétiques et des facteurs environnementaux. En dépit des nombreuses avancées physiopathologiques récentes, portant principale-
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ment sur les facteurs génétiques, de nombreuses questions restent à résoudre. La plus importante concerne notamment l’individualisation du traitement en fonction des facteurs de risque de la maladie mis en évidence chez un patient, ainsi que du risque de récidive. Cette approche personnalisée ou sur mesure du traitement (portant sur son intensité
et/ou sa durée) est importante en raison du risque iatrogène des anticoagulants, mais elle n’en est encore qu’à ses balbutiements. Jusqu’ici la thrombophilie n’est pas un des déterminants majeurs permettant de modifier la prise en charge clinique des patients ayant présenté une thrombose veineuse profonde ou une embolie pulmonaire.
Références [1] Rosendaal FR. Venous thrombosis: a multicausal disease. Lancet 1999;353:1167-73. [2] Rosendaal FR. Risk factors for venous thrombosis: prevalence, risk and interaction. Semin Hematol 1997;34:171-87. [3] Seligsohn U, Lubetsky A. Genetic susceptibility to venous thrombosis. N Engl J Med 2001;344:1222 [4] Aiach M, Emmerich J. Thrombophilia genetics. In: Hemostasis and thrombosis: basic principles & clinical practice. Fifth Edition. Ed: Colman RW, Marder VJ, Clowes AW, George JN, Goldhaber SZ. Lippincott, Williams & Wilkins, 2006:779-93. [5] Bertina RM. Molecular rik factors for thrombosis. Thromb Haemost 1999;82:601-9. [6] Rosendaal FR. Venous thrombosis: a multicausal disease. Lancet 1999;353:1167-73.
[7] Seligsohn U, Lubetsky A. Genetic susceptibility to venous thrombosis. N Engl J Med 2001;344:1222 [8] Emmerich J, Rosendaal FR, Cattaneo M, et al. Combined effect of factor V Leiden and prothrombin 20210A on the risk of venous thromboembolism-pooled analysis of 8 case-control studies including 2310 cases and 3204 controls. Study Group for pooled-analysis in venous thromboembolism. Thromb Haemost 2001;86:809-16. [9] Baglin T, et al. Incidence of recurrent venous thromboembolism in relation to clinical and thrombophilic risk factors: prospective cohort study. Lancet 2003;362:523-6. [10] Christiansen SC, et al. Thrombophilia, clinical factors, and recurrent venous thrombotic events. JAMA, 2005;293:2352-61. [11] Kearon C, et al. Atithrombotic therapy for venous thromboembolic disease: American College of Chest Physicians Evidence-based clinical practice guidelines (8th Edition). Chest 2008:454S–545S.
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