Journal des Maladies Vasculaires 32 (2007) 43–46
CAS CLINIQUE
Accident vasculaire cérébral ischémique révélant une maladie de Takayasu Ischemic stroke caused by Takayasu’s arteritis I. Kamaouia,*, M. Souirtib, B. Zteoua, N. Omaria, N.-S. Houssainia, O. Messouakb, F. Belahsenb, S. Tiznitia a b
Service de radiologie, CHU Hassan-II, hôpital Al-Ghassani, Fès, Maroc Service de neurologie, CHU Hassan-II, hôpital Al-Ghassani, Fès, Maroc
Reçu le 19 octobre 2006 ; accepté le 9 novembre 2006
MOTS CLÉS Takayasu ; Circulation cérébrale ; Accident cérébral ischémique
KEYWORDS Takayasu’s disease; Cerebrovascular circulation; Stroke
Résumé La maladie de Takayasu est une panartérite inflammatoire chronique non spécifique touchant l’aorte et ses principales branches ainsi que les artères pulmonaires. Les manifestations cliniques sont variables et dépendent du site et de la sévérité de l’atteinte. Les auteurs proposent, à travers cette observation, le cas d’une jeune patiente admise dans un tableau d’accident vasculaire cérébral ischémique qui a révélé une maladie de Takayasu.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abstract Takayasu’s disease is a non specific, chronic, inflammatory panarteritis. It affects the aorta, its chief collaterals and the pulmonary arteries. Clinical manifestations depend on the site and the severity of the occlusive vascular lesion. We report a case observed in a young woman who presented ischemic stroke as the inaugural sign of Takayasu’s disease.
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Introduction La maladie de Takayasu (MT) est une affection autoimmune, d’étiologie inconnue touchant le plus souvent des femmes jeunes d’origine méditerranéenne et asiatique. Elle atteint les troncs supra-aortiques (TSA), l’aorte, les artères viscérales et les artères pulmonaires. Les manifestations neurologiques sont variables. Les auteurs rapportent * Auteur correspondant. 76, avenue Mohamed-El-Yazidi, HayRiad, Rabat, Maroc. Adresse e-mail :
[email protected] (I. Kamaoui).
le cas d’une jeune patiente présentant brutalement un tableau d’accident cérébral ischémique constitué (AVCI) ayant révélé une maladie de takayasu.
Cas clinique Une jeune étudiante de 24 ans, sans antécédents particuliers ni prise médicamenteuse, droitière, a consulté aux urgences pour hémiplégie droite d’installation brutale. À l’admission, l’examen général notait une patiente consciente, pression artérielle à 14/08 mmHg, imprenable à droite avec une abolition des pouls huméral et radial à ce
0398-0499/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jmv.2006.11.003
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niveau. L’examen neurologique retrouvait une hémiplégie droite et une aphasie de Broca. Le score NIH était estimé à 22. L’auscultation des vaisseaux du cou montrait un souffle cervical carotidien gauche. La vitesse de sédimentation (VS) était à 75 mm à la première heure. La numération formule sanguine, l’ionogramme sanguin et la glycémie à jeun étaient normaux. L’électrocardiogramme était sans anomalie. Le scanner cérébral montrait un AVCI étendu gauche étendu (Fig. 1). L’imagerie par résonance magnétique (IRM) encéphalique montrait un AVCI sylvien et cérébral antérieur gauche (Fig. 2). La séquence angioartérielle du
I. Kamaoui et al.
polygone de Willis montrait une absence d’individualisation de la carotide interne gauche dans son trajet intracrânien, avec des signes de suppléance vertébrobasilaire (Fig. 3). L’écho-doppler des vaisseaux du cou montrait un épaississement pariétal circonférentiel, régulier et symétrique des deux carotides communes avec occlusion de la carotide commune prébulbaire gauche et de la carotide interne gauche, et une augmentation du calibre de l’artère vertébrale du même côté en rapport avec une suppléance via l’artère communicante postérieure (Fig. 4). Cet épaississement s’étend également au tronc artériel brachiocéphalique et à l’origine de l’artère sous-clavière droite. Une maladie de takayasu compliquée d’un AVCI était retenue. L’angioscanner thoracoabdominal était sans particularité. La patiente était mise sous corticothérapie à 1 mg/kg par jour avec une bonne évolution clinique, une reprise de la marche et une amélioration des troubles phasiques.
Discussion
Figure 1 Scanner cérébral en coupe axiale qui montre une plage hypodense systématisée des territoires vasculaires antérieur et moyen gauches correspondant à un AVCI constitué. Figure 1 Axial NECT scan shows extensive low-density wedgeshaped middle (MCA) and anterior cerebral artery (ACA) infarct.
Décrite par Takayasu en 1908, la (MT) est définie comme une artérite inflammatoire chronique de l’aorte, des artères qui en naissent et des artères pulmonaires [1]. Elle touche avec prédilection la femme entre la deuxième et la troisième décade de la vie. Le pourtour méditerranéen et, en particulier le Maghreb, constitue avec l’Extrême Orient (Inde−Japon) et le Mexique les trois grands pôles géographiques de cette affection [1,2]. Sur le plan histologique, la MT est caractérisée par une atteinte scléro-inflammatoire de la média et de l’adventice. Elle est à l’origine d’un rétrécissement étendu des axes artériels donnant des obstructions multiples et sévères. L’étiopathogénie de la maladie reste mal élucidée, plusieurs hypothèses ont été évoquées : immunitaire, infectieuse (tuberculose) et allergique [1–4]. L’atteinte prédominante des femmes, la répartition géographique et l’atteinte familiale suggèrent une origine génétique associée [3]. Une association élevée
Figure 2 IRM encéphalique, coupes axiales, en séquence pondérée T1 (a) et T2 Flair (b) confirmant l’AVCI gauche hypo-intense en T1 et hyperintense en T2 Flair effaçant les sillons corticaux et exerçant un léger effet de masse sur la ligne médiane. Figure 2 Axial T1 (a) and T2 (b) weighted cerebral MRI confirmed the typical wedge-shaped MCA and ACA infarct.
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Figure 3 Séquence d’angio-IRM 2D TOF du polygone de Willis en vue supérieure (a) et antérieure (b) qui montre une absence de visualisation de la carotide interne intrapétreuse gauche. La suppléance est assurée par l’artère carotide interne controlatérale et le système vertébrobasilaire. Figure 3 2D TOF MR Angiogram, basal and anterior views reveals the nonvisualisation of the internal carotid artery. Left cerebral hemisphere is supplied with collateral through the right internal carotid artery and vertebrobasilar system.
Figure 4 Écho-doppler des TSA montrant un épaississement circonférentiel symétrique homogène de la paroi artérielle de la carotide commune gauche (a) avec réduction de la lumière circulante (b), occlusion de la carotide interne gauche [flèche] (c) et augmentation du calibre de l’artère vertébrale gauche (d). Figure 4 Color Flow Doppler Sonography (CFDS) shows narrowed common carotid artery (a) with decreased lumen diameter (b). Internal carotid artery occlusion is indicated by the absence of color on this CFDS study (c). Remarkable collateral blood flow through the vertebral artery (d).
avec une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (Crohn) et une pelvispondylite a été rapportée. Les manifestations neurologiques sont variables selon le degré de sténose et d’occlusion des vaisseaux supraaortiques [5]. Leurs incidences varient entre 57 et 80 % [6]. Il s’agit surtout de symptômes non spécifiques tels que les céphalées, les vertiges et les troubles visuels [6].
Les accidents cérébraux sont moins fréquents et compliquent rarement la maladie [2]. Les accidents ischémiques sont des accidents transitoires, rapidement résolutifs ou constitués [7]. Leur survenue est expliquée essentiellement par les lésions sténo-occlusives des TSA responsables d’infarcissements dans les territoires vasculaires d’aval. L’origine thromboembolique des occlusions est également
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rapportée par les auteurs. Ce mécanisme est responsable jusqu’à 32 % des infarcissements ischémiques selon Zheng et al. [8]. Durant la phase active de la maladie, l’épaississement inflammatoire intéresse la partie proximale des vaisseaux. Les microemboles artériels inflammatoires sont alors responsables d’atteintes ischémiques superficielles et profondes [7]. Durant la phase chronique, les lésions de la paroi artérielle se fibrosent, responsables de sténose et d’occlusion [7]. L’évolution chronique de la maladie est également suggérée par certains auteurs dans la genèse des AVC ischémiques, et ce par insuffisance circulatoire des vaisseaux cérébraux et de la circulation collatérale de Willis responsables d’une malperfusion cérébrale [2,3,7]. Les accidents hémorragiques (par rupture anévrysmale) sont également rapportés chez les personnes atteintes de la MT par rapport à la population générale. Cela est expliqué par l’incidence élevée de l’hypertension artérielle chez cette population [6]. L’imagerie permet d’orienter fortement le diagnostic. L’échographie couplée au doppler présente un intérêt majeur dans l’appréciation de l’état de la paroi artérielle des TSA [9]. Elle possède actuellement une sensibilité équivalente voire supérieure à l’angiographie pour les lésions au stade initial : l’aspect le plus spécifique est celui d’un épaississement homogène cironférentiel hyperéchogène, le long du segment artériel [1]. Une lésion associée des artères sous-clavières et axillohumérales est évocatrice du diagnostic. Le doppler permet d’évaluer le degré de sténose artérielle et la sévérité du retentissement hémodynamique en aval. Le doppler transcrânien permet la détection des microemboles inflammatoires [7]. L’angiographie numérisée par voie artérielle constitue la méthode de référence permettant d’explorer les TSA, les vaisseaux intracrâniens et également l’aorte et ses branches de division. On observe des sténoses et des irrégularités des parois vasculaires ainsi que des dilatations poststénotiques, voire des anévrismes sacciformes. Elle permet d’apprécier l’étendue des lésions et de choisir les sites d’implantation de la prothèse. Dans certains cas de sténose serrée peu étendue, l’angiographie constitue la première étape d’une angioplastie endoluminale percutanée. La tomodensitométrie et la résonance magnétique mettent en évidence un épaississement pariétal aspécifique et permettent de distinguer les lésions inflammatoires actives des séquelles fibreuses contrairement à l’angiographie. L’imagerie fonctionnelle (IRM de diffusion et de perfusion) et le SPECT (single positron emission computed tomography) permettent une bonne appréciation du retentissement de la vascularite sur les structures cérébrales [10]. Notre patiente présentait un épaississement diffus des deux carotides communes avec une occlusion de la carotide interne gauche, ce qui a été responsable de l’AVCI constitué.
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La prise en charge de la MT est médicochirurgicale. Le traitement médical est basé sur l’administration de corticoïdes et d’immunosuppresseurs [3]. Les indications du traitement chirurgical semblent de plus en plus restreintes. Le traitement par angioplastie remplace actuellement la chirurgie avec un taux de succès de 65 %, elle trouve son indication surtout dans les sténoses des troncs supra-aortiques. Ce dernier n’est entrepris que si la perfusion cérébrale est compromise [3].
Conclusion La maladie de Takayasu doit être évoquée chez toute patiente jeune, qui présente un accident vasculaire cérébral associant des anomalies à l’examen cardiovasculaire et une élévation de la VS. L’imagerie confirme le diagnostic devant des images sténo-occlusives de l’aorte et de ses branches. La corticothérapie, couplée à l’angioplastie, constitue le traitement de choix.
Références [1]
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