Dépendance visuelle après accident vasculaire cérébral récent

Dépendance visuelle après accident vasculaire cérébral récent

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Annales de réadaptation et de médecine physique 49 (2006) 166–171 http://france.elsevier.com/direct/ANNRMP/

Article original

Dépendance visuelle après accident vasculaire cérébral récent Visual dependence after recent stroke I. Bonan *, F. Derighetti, M.-C. Gellez-Leman, N. Bradaï, A. Yelnik Service de médecine physique et de réadaptation, groupe hospitalier Lariboisière–Fernand-Widal, APHP université Paris-VII, 200, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75010 Paris, France Reçu le 24 novembre 2005 ; accepté le 31 janvier 2006 Ce travail a été présenté au congrès de la Sofmer à Dijon le 14 octobre 2005

Résumé Introduction. – Il existe une dépendance visuelle excessive chez les patients hémiplégiques à distance de leur AVC dont le mécanisme n’est pas certain. Le but de cette étude est d’évaluer l’importance et les caractéristiques de cette dépendance visuelle précocement après AVC. Méthode. – Trente patients AVC hémisphérique unique (14 G, 16 D), de moins de trois mois. L’âge, le délai, le côté, le siège et la taille de la lésion, l’autonomie (MIF), la motricité, la négligence et la sensibilité ont été étudiés. Chaque sujet a réalisé le rod and frame test où il devait ajuster à la verticale une baguette d’abord isolée sans référence visuelle, puis au sein d’un cadre perturbateur incliné de 18° à droite ou à gauche. Huit essais ont été réalisés. La perturbation engendrée par le cadre incliné des patients a été comparée à celle de 23 témoins comparables en âge et sexe et corrélée aux caractéristiques du patient. Résultats. – Cinquante-six pour cent des patients était visuodépendants (17/30) contre 26 % (6/23) des témoins. La dépendance visuelle n’était pas liée à la lésion, la MIF, la motricité, le PASS, l’âge, la sensibilité ni la négligence. Discussion. – Il y a deux fois plus de dépendants visuels après AVC que dans la population témoin. Le mécanisme de cette dépendance visuelle précoce est discuté. Il paraît nécessaire de prendre en compte cette dépendance visuelle excessive dans le programme de rééducation des patients AVC. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Introduction. – After chronic stroke, inability to use pertinent somatosensory or vestibular information have been described. The aim of the study was to determine whether visual dependence occurred early after stroke before rehabilitation. Method. – Thirty patients with recent hemiplegia (16 right and 14 left hemispheric stroke) performed the rod and frame test (RFT). Patients were asked to adjust the rod to the vertical position under 3 conditions: basically, with a frame tilted 18° to the right and then with the frame tilted to the left. Bias in each condition (mean, SD) was recorded and compared to adjustments of the rod by 23 controls. Motor control, sensibility, functional level (functional independence measure), age, neglect, and then balance by the postural assessment scale for stroke were assessed. Results. – Fifty-six per cent (17/30) of patients but only 26% of controls were influenced by the tilt of the frame on the 2 sides (visual dependence). No correlation was found between visual dependence and the characteristics of the patients. Discussion. – Many patients with recent hemiplegia seem to rely on visual input. The mechanisms of such visual dependence are discussed. Rehabilitation programs should take into account the possible impairment of sensory organisation and should include exercises to be performed under visual disturbances. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Équilibre ; Dépendance visuelle ; AVC Keywords: Balance; Visual dependence; Stroke

* Auteur

correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (I. Bonan).

0168-6054/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annrmp.2006.01.010

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1. Introduction Après un accident vasculaire cérébral (AVC), la récupération d’un équilibre stable est fondamental pour que les patients récupèrent leur autonomie [12]. Cependant, il n’est pas toujours facile de déterminer les causes spécifiques du déséquilibre postural, car elles sont nombreuses et intriquées. En-dehors des troubles élémentaires portant sur la force, la limitation articulaire, les modifications du tonus, les troubles de la sensibilité, les troubles plus complexes comme les troubles de la coordination motrice [24], ou encore les troubles d’analyse spatiale comme la négligence [25,28], il peut exister des troubles d’intégration sensorielle. Pour chaque patient, ces différents facteurs de déséquilibre sont combinés et leur identification pourrait aider à adapter un programme individualisé de rééducation. Nous avons montré dans une étude précédente que, par rapport à des sujets sains de même âge, de nombreux patients hémiplégiques à un stade chronique étaient exagérément confiant envers l’afférence visuelle [5,6]. Ils avaient en effet, des difficultés à maintenir leur équilibre debout sur une plateforme instable (Equitest) en l’absence d’information visuelle et/ou présence d’information visuelle erronée. Ils étaient ainsi trop dépendants envers l’afférence visuelle et étaient incapables d’utiliser les informations somatosensorielles et vestibulaires correctement. Nous avons aussi montré que cette dépendance visuelle était en partie réversible grâce à un programme de rééducation en privation visuelle [7]. La notion de dépendance visuelle est très vaste. Elle se définit pour une tâche et pour un type de perturbation visuelle donnée. La tâche peut être le maintien de l’équilibre (dépendance visuelle pour les activités posturocinétiques) ou la détermination de la verticale (dépendance visuelle pour l’orientation). La perturbation visuelle peut être la simple privation visuelle par l’occlusion des yeux (test dit de Romberg), la présence d’un cadre incliné perturbateur (rod and frame test RFT), le déplacement de la scène visuelle asservie au déplacement du sujet (plate-forme Equitest) ou encore la stimulation optocinétique [33]. Le patient peut être placé en position assise ou debout, en situation de confort ou de déséquilibre. Pour détecter la dépendance visuelle au stade chronique de l’AVC, nous avions utilisé l’Equitest. Cependant, cette plate-forme n’est utilisable qu’à un stade chronique de l’AVC car les patients doivent pouvoir se tenir debout. Nous avons donc utilisé ici le rod and frame test (RFT) [7,23] qui consiste à demander au patient de déterminer la verticale visuelle subjective en présence d’un cadre incliné perturbateur. Ce test très simple de dépendance visuelle, qui a été largement utilisé aussi bien chez les sujets normaux que dans différentes pathologies? peut être réalisé en position assise ce qui permet de tester des patients très tôt après l’AVC. Les mécanismes conduisant à une dépendance visuelle excessive après AVC ne sont pas encore clairement établis. Une partie de la population générale est naturellement dépendante visuelle [10]. Après AVC, en-dehors d’une dépendance visuelle éventuellement préexistante à l’AVC, on pourrait évoquer plusieurs mécanismes dus à la lésion cérébrale même ou

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à la précarité de l’équilibre : la perturbation de l’intégration des afférences somatosensorielles et/ou vestibulaires pourrait entraîner une surutilisation de l’afférence visuelle [11] ; le processus de sélection des informations pertinentes pourrait être perturbé ou bien encore [6], il pourrait s’agir d’une stratégie adaptative face à une difficulté d’équilibration [19]. L’objectif de cette étude était d’évaluer l’importance de la dépendance visuelle précocement après accident vasculaire cérébral. Le résultat pourrait alors aider à mieux comprendre les mécanismes conduisant à une telle dépendance visuelle et aider à développer des programmes de rééducation adaptés à chaque patient en fonction de son atteinte sensorielle. 2. Matériel et méthodes Durant une période d’inclusion de 18 mois, 30 sujets victimes d’une hémiplégie récente après AVC hémisphérique unique (11 femmes, 19 hommes) ont été recrutés pendant leur hospitalisation dans notre département de médecine physique et de réadaptation. Seize avaient une lésion hémisphérique droite (LD) et 14 une lésion gauche (LG) : infarctus chez 23 patients et hémorragie chez sept patients. Les patients inclus étaient victimes d’une hémiplégie consécutive à un premier AVC unique hémisphérique avec un délai depuis l’AVC de moins de trois mois. Les patients étaient exclus s’ils avaient une amblyopie, des antécédents neurologiques ou des vertiges ou encore des troubles de la compréhension incompatible avec une bonne compréhension des instructions pour réaliser le RFT. Pendant cette période d’inclusion, seuls deux patients ont été exclus en raison d’une aphasie. Vingt-trois sujets sains appariés en âge (âge médian 61, interquartile (IQ 26,5) (1) et sexe (10 hommes et 13 femmes) ont été également testés par le RFT. 2.1. Examen clinique Les données recueillies ont été le sexe, l’âge, le type, le côté, le siège et la taille de la lésion cérébrale mise en évidence au scanner ou à l’IRM réalisé au moment du diagnostic de l’AVC ainsi que le délai après l’AVC. Le siège de la lésion a été établi grâce à l’atlas de Talairach où sont définis dix zones (thalamus, Rolando, Striatum, capsule interne, corona radiata, cortex frontal, temporal, pariétal, occipital et jonction temporopariétale) [30]. La taille de la lésion était évaluée par le nombre de zones atteintes. Un examen neurologique complet a été réalisé comprenant un examen de la motricité utilisant l’index de motricité (0 à 200) [9] ; le champ visuel évalué au lit du patient ; le sens de position des articulations pour le gros orteil, la cheville, le genou et la hanche ont été testés et les patients classés en trois groupes : deux en cas de sens de position normale ; un en cas d’hypoesthésie ; zéro en cas d’anesthésie. La négligence visuospatiale a été testée par trois tests : le test des cloches positif si le nombre de cloches omis dans l’espace gauche était supérieur à trois par rapport au nombre omis dans l’espace droit [13] ; le test de bissection positif si le biais était supérieur à 0,6 cm [29] et l’échelle de Catherine-Bergego positif si le score était supérieur à 3 [1]. La négligence visuospa-

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tiale a été considérée comme étant présente quand deux de ces trois scores étaient positifs. L’autonomie a été évaluée par la mesure de l’indépendance fonctionnelle (MIF) (0 à 126) [16] ; et l’équilibre par le postural assessment scale (PASS) [3]. 2.1.1. Mesure de la dépendance visuelle au RFT Le sujet était assis dans son fauteuil roulant ou sur une chaise, la tête maintenue dans une mentonnière. Il devait ajuster une barre lumineuse de 20 cm projetée à 2,5 m devant de lui grâce à une vidéo projecteur, à la verticale, alors que la pièce était placée dans l’obscurité. La barre lumineuse partait dans la moitié des essais de 40° à gauche et dans l’autre moitié de 40° à droite selon un ordre randomisé. Cette tâche était réalisée dans deux conditions : sans repère visuel puis avec un cadre lumineux incliné donnant une référence visuelle perturbatrice. Huit essais réalisés pour chaque condition ; pour chaque essai, l’inclinaison de la barre par rapport à la verticale gravitaire était mesurée et considérée comme négative si la barre était inclinée du côté opposé à la lésion et positive du côté de la lésion. Pour la première condition (sans repère visuel), l’inclinaison moyenne de la verticale était calculée (moyenne de la verticale de base Vb). Pour la deuxième condition (avec cadre perturbateur), le cadre était incliné de 18° à gauche pour quatre essais et pour quatre autres essais de 18° à droite, selon un ordre randomisé. Pour chaque essai, la dépendance au cadre était calculée comme étant l’inclinaison de la verticale avec cadre perturbateur incliné (Vc1, Vc2,…, Vc8) rapportée à l’inclinaison moyenne de base, en valeur absolue (par exemple pour l’essai 1 : |Vc1–moyenneVb|). Le degré de dépendance des sujets pour le cadre incliné à gauche et celui pour le cadre incliné à droite étaient calculés comme étant la moyenne de la dépendance calculée pour les quatre essais avec le cadre incliné à gauche et à droite. Le degré de dépendance visuelle total était calculé comme étant la moyenne du degré de dépendance pour chaque côté (selon la formule de Nyborg) [22]. Les sujets étaient considérés comme dépendants visuels quand leur degré de dépendance était de plus de 5° pour chaque côté d’inclinaison du cadre, limite qui sépare la population des visuodépendants de celle des visuo-indépendants, habituellement retenue après une analyse par méthode de Cluster [15]. 2.2. Analyse statistique Les données ont été exprimées en médiane et interquartile distance puisque les paramètres n’étaient pas paramétriques. Les groupes de patients et les témoins ont été comparés pour l’âge, le niveau scolaire, le score de dépendance en utilisant le test de Mann-Whitney. La relation entre les caractéristiques des

patients (âge, MIF, PASS et motricité) et le degré de dépendance était réalisé par le test de Spearman. Le degré de dépendance a été comparé dans les différents groupes (sexe, côté de la lésion, sensibilité et négligence) en utilisant le test de MannWhitney ou le Kruskal-Wallis. 3. Résultats 3.1. Caractéristiques des patients (Tableau 1) L’âge médian était de 58,5 ans (IQ 26) ; le délai après AVC de 56 jours (53) ; la MIF 76,5 (41) ; l’index moteur 83,5 (98) ; le PASS 20,5 (19). Concernant la sensibilité : six appartenaient au groupe 0, 14 au groupe 1, dix au groupe 2. Treize patients avaient une négligence visuospatiale, trois une hémianopsie latérale homonyme. 3.2. La VVS de base Chez les sujets témoins, l’inclinaison moyenne de la VVS de base était de 1,1° (DS 0,9). L’inclinaison des patients a donc été considérée comme anormale quand elle excédait 2DS c’està-dire 3°. Chez les patients, la VVS de base moyenne était de 3° (± 2,8). Dix patients avaient une VVS anormalement inclinée. 3.3. La dépendance visuelle (Fig. 1) Parmi les témoins, six (26 %) sujets étaient influencés par le cadre perturbateur incliné des deux côtés (visuodépendants), deux étaient influencés par le cadre incliné uniquement à droite, quatre par le cadre incliné uniquement à gauche, 11 n’étaient pas influencés (visuo-indépendants). Parmi les patients, 17 (56 %) étaient visuodépendants, deux influencés par le cadre incliné du côté lésionnel, quatre par le cadre incliné du côté opposé à la lésion et sept étaient visuo-indépendants. La proportion de sujets visuodépendants était légèrement moindre parmi les patients n’ayant un biais dans leur VVS de base. Ainsi, parmi les 20 patients ne présentant pas de biais d’appréciation de la VVS de base, 12 (60 %) étaient visuodépendants. Parmi les dix patients ayant une perturbation de leur VVS de base, cinq étaient visuodépendants (50 %). 3.4. Liens entre les caractéristiques des patients et la dépendance visuelle Aucune corrélation n’était retrouvée entre les caractéristiques des patients et le degré de dépendance (âge p = 0,08 ;

Tableau 1 Caractéristiques des 30 patients hémiplégiques

Médiane (IQD)

Âge (ans) 58,5 (26)

I/H 23I/7H

Côté lésion 16D/14G

Motricité /200 83,5 (98)

Sensibilité groupe 0–1–2 6/14/10

MIF /126 76,5 (41)

Délai (jours) 56 (53)

I : ischémique ; H : hémorragique ; MIF : mesure d’indépendance fonctionnelle ; D : droit ; G : gauche ; sensibilité : 2 en cas de sens de position normale ; 1 en cas d’hypoesthésie ; 0 en cas d’anesthésie.

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Fig. 1. Score de visuodépendance chez les 30 patients hémiplégiques

sexe p = 0,5 ; motricité p = 0,2 ; sensibilité p = 0,3 ; côté lésionnel p = 0,5 ; MIF p = 0,1 ; PASS p = 0,9 ; négligence p = 0,2 ; taille de la lésion p = 0,1 ; lésion p > 0,05). 4. Discussion L’objectif de cette étude était de déterminer l’importance de la dépendance visuelle précocement après AVC pour mieux comprendre les mécanismes en cause et pouvoir proposer une rééducation adaptée à chaque patient. Nous avons choisi ici d’utiliser le rod and frame test à cause de sa simplicité et de sa faisabilité après un accident vasculaire récent. Il peut en effet, être réalisé en position assise même si cette position est encore précaire et n’est pas difficile à comprendre. Seulement deux patients n’ont pas pu être inclus pendant la période d’inclusion à cause d’une aphasie. L’interprétation des résultats obtenus peut être discutée en cas de verticale visuelle subjective de base (sans cadre perturbateur) anormale, ce qui est fréquent après AVC [8,18,26,32]. Nous avons choisi comme référence pour chaque sujet sa propre verticale subjective de base, en rapportant la verticale estimée avec cadre perturbateur à la verticale de base estimée sans cadre perturbateur. Ainsi, environ 60 % des patients sont influencés par le cadre perturbateur alors que seulement 30 % des contrôles appariés en âge le sont. Néanmoins, lorsqu’on prend en référence la verticale gravitaire, les résultats sont très peu différents. Dans la population normale, environ 30 % des sujets sont dépendants visuels, proportion que nous avons retrouvée ici chez nos témoins [10]. Ce comportement ou style perceptif est caractérisé par une confiance excessive dans l’information visuelle, même si elle est erronée, en dépit d’une fonction vestibulaire et sensitive normale. Ce style perceptif a une fréquence plus élevée chez les femmes et chez les personnes âgées [12,19,31] et est influencé par la pratique de sport [14, 15,17]. Les danseurs de danse classique sont par exemple plus dépendants visuels que les judokas. Nous n’avons pas retrouvé ici, l’influence de l’âge ni du sexe des patients, probablement parce que nos patients n’étaient pas très âgés. En dehors de cette variation interindividuelle, rappelons qu’il existe aussi une variation intra-individuelle. En effet, la dépendance visuelle dépend de la tâche à effectuer, de la position du sujet et du type de perturbation visuelle utilisée.

Nous n’avons pas retrouvé de caractéristiques particulières aux lésions des patients visuodépendants. Ni le côté de la lésion, ni sa taille, ni sa localisation, ni même la présence d’une négligence visuospatiale ne sont liés au degré de dépendance visuelle. La dépendance visuelle ne semble donc pas pouvoir être attribuée à une zone anatomique précise. Plusieurs mécanismes peuvent être évoqués pour expliquer la dépendance visuelle excessive après accident vasculaire cérébral. Il peut s’agir d’un comportement adaptatif par défaut qui délaisserait les informations sensorielles perturbées (sensibilité profonde et vestibulaire) au profit de la vision. La vision est en effet, connue pour devenir prédominante lorsque les autres afférences sont atteintes. C’est le cas par exemple en cas d’atteinte de la sensibilité profonde après neuropathie [4], ou chez les patients vestibulaires [27]. Après AVC, l’hypothèse qu’une perturbation de l’intégration des informations somatosensorielles pouvait entraîner cette dépendance visuelle a été faite par Di Fabio [11]. C’est ce que suggèrent les résultats d’une autre étude où nous avons utilisé une autre méthode pour détecter la visuodépendance : les patients hémiplégiques devaient maintenir leur équilibre assis sur une plate-forme latéralement instable sous perturbation visuelle optocinétique [33]. Il existait en effet, une relation entre l’atteinte sensitive profonde et le degré de dépendance visuelle. En dehors d’une perturbation de l’intégration des afférences sensitive profonde, une perturbation de l’intégration des informations vestibulaires pourrait aussi être tenue pour responsable après un accident vasculaire cérébral. En effet, l’existence d’un cortex vestibulaire qui peut être lésé par la lésion cérébrale, est établi. Une distorsion du sens de la verticale visuelle [8] et un équilibre altéré ont été observés chez les patients après AVC ayant une atteinte du cortex vestibulaire [21]. Une atteinte de la sélection centrale des informations sensorielles peut aussi être évoquée. En effet, la plupart des informations sensorielles donnent habituellement des informations redondantes mais peuvent quelques fois devenir conflictuelles. Par exemple, les informations vestibulaires sont en conflit avec les informations visuelles quand un sujet placé dans un train à l’arrêt a l’illusion de mouvements lorsque le train voisin quitte le quai. La capacité à analyser, comparer et sélectionner les informations sensorielles pertinentes est probablement un facteur très important dans le contrôle postural. Il existerait un processus central général qui pourrait résoudre les conflits sen-

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soriels en synthétisant les informations venant des différentes modalités sensorielles [20]. Ce processus pourrait être lésé par la lésion cérébrale et provoquer la dépendance visuelle [6]. Enfin la dépendance visuelle pourrait être une stratégie compensatrice naturelle non spécifique de l’AVC utilisée pour faire face à un mauvais équilibre. Ainsi des patients ayant des troubles de l’équilibre, a priori sans perturbation sensorielle, comme les parkinsoniens sont eux aussi anormalement dépendants visuels [2]. Cette tendance naturelle pourrait même être renforcée par les programmes de rééducation traditionnels, souvent fondés sur le contrôle de l’équilibre par la vue. Cette dernière hypothèse est confortée par une étude précédente dans laquelle nous montrions que la dépendance visuelle pouvait être réversible après un programme de rééducation en déprivation visuelle avec une amélioration fonctionnelle [7]. En effet, nous avons montré par une étude randomisée, qu’un programme de rééducation en privation visuelle visant à forcer les patients à utiliser les informations somatosensorielles et vestibulaires était plus efficace que le même programme avec afférence visuelle disponible. La rééducation traditionnelle pouvait avoir renforcé la stratégie de compensation, en renforçant l’adhérence à l’afférence visuelle plutôt qu’en restaurant l’utilisation normale des autres informations sensorielles. On peut supposer qu’une telle stratégie, peut être utile précocement après l’AVC, pourrait devenir délétère plus tard lorsque les capacités d’équilibre s’améliorent. Dans cette étude où la tâche était de déterminer la verticale au RFT comme dans celle où les patients devaient maintenir leur équilibre sous stimulation optocinétique [33], nous observons que la dépendance visuelle est déjà installée précocement après AVC chez certains patients. Cela est plutôt un argument contre une stratégie mise en place au cours du temps pour lutter contre le déséquilibre. Nous n’avons pas retrouvé ici de lien entre le degré de dépendance visuelle et l’équilibre. Cependant, d’une part, l’outil utilisé pour mesurer l’équilibre (PASS), l’évalue dans des situations où les conditions sensorielles ne sont pas conflictuelles et n’imposent pas de sélection des afférences sensorielles, d’autre part, le recours à l’afférence visuelle pourrait être une stratégie efficace en phase précoce après AVC et ne devenir délétère (éventuellement) que plus tard, en cas de récupération de meilleures capacités d’équilibration. 5. Conclusion Cette étude montre que précocement après l’AVC, les patients hémiplégiques sont souvent dépendants visuels. Les mécanismes en cause sont probablement de différents ordres, physiologique, adaptatif en réaction au défaut d’afférences sensitive profonde et/ou vestibulaire, neurologique, ou encore stratégique compensatoire. La dépendance visuelle est certainement à prendre en compte pour établir des programmes de rééducation adaptés à chaque patient. Cependant, le type de patient pouvant bénéficier d’une rééducation visant à lutter contre la dépendance visuelle et le délai avec lequel elle serait à réaliser, restent à déterminer. En particulier, au stade précoce de l’AVC, cette dépendance visuelle pourrait être chez certains

patients, la seule stratégie possible pour lutter contre le déséquilibre postural. A contrario, cette dépendance visuelle pourrait masquer une récupération des capacités à gérer les conflits sensoriels. Références [1] Azouvi P, Olivier S, De Montety G, Samuel C, Louis-Dreyfus A, Tessio L. Behavioral assessment of unilateral neglect: study of the psychometric properties of the Catherine-Bergego scale. Arch Phys Med Rehabil 2003; 84:51–7. [2] Azulay JP, Mesure S, Amblard B, Pouget J. Increased visual dependence in Parkinson’s disease. Percept Mot Skills 2002;95:1106–14. [3] Benaim C, Perennou DA, Villy J, Rousseaux M, Pélissier JY. Validation of a standardized assessment of postural control in stroke patients. Stroke 1999;30:1862–8. [4] Bergin T, Bronstein A, Murray N, Sancovic S, Zeppenfeld K. Body sway and vibration perception thresholds in normal aging and in patients with polyneuropathy. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1995;58:335–40. [5] Bonan I, Yelnik A, Laffont I, Vitte E, Freyss G. Sélection des afférences sensorielles dans l’équilibration de l’hémiplégique après accident vasculaire cérébrale. Ann Réadaptation Med Phys 1996;39:157–63. [6] Bonan I, Colle F, Guichard JP, Vicaut E, Eisenfisz M, Tran Ba Huy T, Yelnik A. Reliance on visual information after stroke. Part I: balance on dynamic posturography. Arch Phys Med Rehabil 2004;85:268–73. [7] Bonan I, Yelnik A, Colle F, Michaud C, Normand E, Pannigot B, et al. Reliance on visual information after stroke. Part II: effectiveness of a balance rehabilitation programme with visual cue deprivation after stroke: a randomised controlled trial. Arch Phys Med Rehabil 2004;85: 274–8. [8] Brandt T, Dieterich M, Danek A. Vestibular cortex lesions affect the perception of verticality. Ann Neurol 1994;35:403–12. [9] Collin C, Wade DT. Assessing motor impairment after stroke: a pilot reliability study. J Neurol Neurosurg Psychiatry 1990;53:576–86. [10] Cremieux J, Mesure S. Differential sensitivity to static visual cues in the control of postural equilibrium in man. Percept Mot Skills 1994;78:67– 74. [11] Di Fabio RP, Badke MB. Stance duration under sensory conflict conditions in patients with hemiplegia. Arch Phys Med Rehabil 1991;72:292– 5. [12] Foucault P, Visentin C, Meklat H, Bergeal E, Bemain C, Kemoun G, et al. Factors predicting falls by patients with vascular hemiplegia at a physical medicine center. Ann Readapt Med Phys 2005;48:668–74. [13] Gauthier L, Dehaut F, Joanette Y. The Bells test for visual neglect: a quantitative and qualitative test for visual neglect. Int J Neuropsychol 1989;11:49–54. [14] Golomer E, Cremieux J, Dupui P, Isableu B, Ohlmann T. Visual contribution to self-induced body sway frequencies and visual perception of male professional dancers. Neurosci Lett 1999;267:189–92. [15] Golomer E, Guillou E, Testa M, Lecoq C, Ohlmann T. Contribution of neck proprioception to subjective vertical perception among experts in physical activities and untrained women. Neurosci Lett 2005;381:31–5. [16] Granger CV, Hamilton BB. The uniform data system for medical rehabilitation report of first admissions for 1990. Am J Phys Med Rehabil 1992;71:33–8. [17] Isableu B, Ohlmann T, Cremieux J, Amblard B. How dynamic visual field dependence-independence interacts with the visual contribution to postural control. Hum Mov Sci 1998;17:367–91. [18] Kerkhoff G, Zoelch C. Disorders of visuospatial orientation in the frontal plane in patients with visual neglect following right or parietal lesions. Exp Brain Res 1998;122:108–20. [19] Lord SR, Webster IW. Visual field dependence in elderly fallers and non-fallers. Int J Aging Hum Dev 1990;31:267–77. [20] Merfeld DM, Zupan L, Peterka RJ. Humans use internal models to estimate gravity and linear acceleration. Nature 1999;398:615–8.

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