Acidose lactique par surdosage en metformine après chirurgie pour une fracture de hanche

Acidose lactique par surdosage en metformine après chirurgie pour une fracture de hanche

Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 112—115 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com CAS CLINIQUE Acidose lactique par surdosag...

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Le Praticien en anesthésie réanimation (2013) 17, 112—115

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

CAS CLINIQUE

Acidose lactique par surdosage en metformine après chirurgie pour une fracture de hanche Metformin-related lactic acidosis occurring after hip surgery Claire Contargyris ∗, Christine Ponchel , Éric Peytel Unité de réanimation polyvalente, hôpital d’instruction des armées Laveran, 13, boulevard Alphonse-Laveran, 13013 Marseille, France

MOTS CLÉS Acidose lactique ; Metformine ; Diabète type 2 ; Insuffisance rénale aiguë ; Complication postopératoire

KEYWORDS Lactic acidosis; Metformin; Diabetes mellitus type 2; Acute renal failure; Postoperative complication



Résumé La metformine est un antidiabétique oral de la classe des biguanides. Son action repose sur la diminution de l’insulino-résistance, la baisse de la production hépatique de glucose et l’augmentation de son utilisation périphérique. Les acidoses lactiques liées à la metformine, dont la mortalité peut atteindre 50 %, sont extrêmement rares si l’on respecte les règles de bonne prescription, ce qui n’est souvent pas le cas. Cela souligne la nécessité de poursuivre l’information des médecins et de leurs patients sur ces situations à risques, notamment en période périopératoire. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Metformin is an oral antidiabetic agent, belonging to the class of the biguanids. It enhances the sensitivity to insulin by decreasing the hepatic glucose production and increasing its peripheral use. The incidence of metformin-associated lactic acidosis (MALA) is very low when the appropriate rules of administration are respected but a 50 % mortality rate may be observed. It is worth noticing that guidelines are not followed in more than half of the cases. This emphasizes the need for better education of physicians and patients, especially during the perioperative period. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Contargyris).

1279-7960/$ — see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.pratan.2013.01.001

Acidose lactique par surdosage en metformine après fracture

Introduction L’acidose lactique est la complication la plus grave du surdosage en metformine, sa mortalité pouvant atteindre les 50 % [1]. Une revue systématique Cochrane de 347 essais thérapeutiques concernant plus de 70 000 diabétiques, n’a retrouvé aucun cas d’acidose lactique induit par la metformine [2]. Ces résultats confirmant l’excellente tolérance du médicament, conduisent certains à penser que l’acidose lactique induite par la metformine n’existe pas [3]. Cependant, ¸on saisisces données épidémiologiques contrastent de fac sante avec les 450 références de la littérature mondiale qui rapportent des cas d’acidose lactique de sévérité majeure, survenant chez des patients traités par biguanides, comme dans l’observation rapportée ci dessous [4].

Observation Une femme de 81 ans, 160 cm, 80 kg, a été admise en réanimation pour prise en charge d’une insuffisance rénale aiguë anurique, dans les suites opératoires d’une fracture de hanche. Dans ses antécédents on notait un diabète de type 2 traité par metformine (Glucophage® 1000 mg trois fois par jour) et insuline (Lantus® 25 UI sous-cutanée le soir). Elle présentait également une hypertension artérielle traitée par d’alpha-bloquant (Eupressyl® 60 mg deux fois par jour), diurétique (Fludex® 2,5 mg deux fois par jour) et sartan (Aprovel® 75 mg le matin) des troubles du rythme supraventriculaires traités par digitaliques (Digoxine 0,25 mg par jour), ainsi qu’une maladie angineuse traitée par dérivé nitré (Discotrine® 10 mg par jour), vasodilatateur (Adancor® 10 mg par jour) et trimétazidine (Vastarel® 35 mg deux comprimés par jour). La prévention du risque cardiovasculaire était assurée par l’association d’un anti-aggrégant plaquettaire (Kardegic® 75 mg) et d’une statine (Crestor® 40 mg une fois par jour). Trois jours auparavant, elle avait été hospitalisée en service d’orthopédie pour une fracture du col fémoral gauche. La metformine avait été arrêtée 24 heures avant l’intervention, selon les recommandations de bonne pratique. La chirurgie orthopédique s’était effectuée sous anesthésie générale, mais le jeûne postopératoire avait été maintenu du fait de vomissements. L’analgésie était assurée par du paracétamol (Perfalgan® ) et des anti-inflammatoires (Profenid® ). Les traitements précédents avaient été réintroduits à la 48e heure. À la 72e heure, la patiente était transférée en réanimation en raison d’un syndrome confusionnel et d’une d’hypothermie à 35,8 ◦ C. La pression artérielle était à

Tableau 1

113 109/44 mmHg et la fréquence cardiaque à 72 b/min. On notait une polypnée superficielle à 19 c/min avec une saturation artérielle en oxygène (SaO2 ) à 98 % sous 2 L d’oxygène. Le reste de l’examen mettait en évidence des signes de déshydratation extracellulaire (pli cutané, sécheresse des muqueuses) et une anurie depuis 24 heures. L’électrocardiogramme affichait un rythme sinusal, sans troubles de conduction, avec des signes d’imprégnation digitalique. Le bilan biologique à l’admission retrouvait une natrémie à 132 mmol/L, une kaliémie à 7,7 mmol/L, une chlorémie à 76 mmol/L, une réserve alcaline à 35 mmol/L, une glycémie à 4,1 mmol/L, une créatinémie à 433 ␮mol/L, une hématocrite à 21 %, une protidémie à 45 g/L, une lactatémie artérielle à 9,1 mmol/L. La gazométrie artérielle montrait : pH : 7,18 ; PaCO2 : 28 mmHg ; PaO2 : 104 mmHg. Le trou anionique était à 28 mmol/L. L’osmolarité calculée était de 294 mOsml/kg d’eau. Le dosage de la troponine Ic était normal. L’analyse de ces éléments a conduit à porter le diagnostic d’un désordre mixte associant acidose métabolique lactique et alcalose métabolique en rapport avec l’hypochlorémie (liée aux vomissements), expliquant le faible degré d’acidose pour une telle hyperlactatémie. L’étiologie la plus probable était dans ce contexte, un surdosage en biguanides. En effet, la déshydratation extracellulaire causée par le maintien du jeûne, les vomissements et la faible compensation des pertes hydriques (1 L/j) avait causé une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle, favorisant l’accumulation de metformine. Un dosage biologique confirmait a posteriori ce diagnostic étiologique puisque la concentration plasmatique était de 85,17 mg/L (résiduelle thérapeutique normale < 2 mg/L). Une séance d’hémodialyse de six heures a été réalisée, permettant de corriger l’acidose et l’hyperkaliémie, en épurant la metformine. La réhydratation par sérum salé a été poursuivie de fac ¸on concomitante. Les médicaments impactant la fonction rénale ont été arrêtés (sartans, diurétiques, anti-inflammatoire non stéroïdiens). En 48 heures, les troubles de conscience, ainsi que les vomissements ont disparu, la diurèse a repris à raison de 1000 mL par jour, la correction de l’équilibre acidobasique était obtenue et la concentration en lactates était revenue dans les normes (Tableau 1).

Discussion La metformine est un des antidiabétiques oraux les plus prescrits dans le monde, (plus de 25 millions de patients traités aux États-Unis en 2000) [5]. Elle a montré son

Évolution des troubles biologiques. j−1 préopératoire j2 postopératoire chirurgie chirurgie

Créatinémie (␮mol/L) Kaliémie (mmol/L) Lactates (mmol/L) Diurèse (mL/24 h)

110 4,5 2 NC

265 5,0 2,5 500

j3 postopératoire réanimation 433 7,7 9,1 0

j4 postopératoire post épuration extrarénale

j5 postopératoire sortie de réanimation

140 4,7 1,8 800

125 4,4 1,4 1000

114 efficacité sur la réduction de la mortalité et des complications cardiovasculaires chez les diabétiques de type 2 avec surcharge pondérale [6]. En l’absence de surdosage, les effets secondaires de la metformine sont mineurs, à type de dyspepsie, nausées, vomissements. La complication majeure liée à l’accumulation de biguanides est la survenue d’une acidose lactique. Son mécanisme est multifactoriel. La metformine diminue l’absorption intestinale du glucose, alors métabolisé en lactate au niveau splanchnique. Elle inhibe la néoglucogenèse hépatique ce qui empêche la métabolisation du lactate produit par le muscle. Elle inhibe le complexe I de la chaîne respiratoire mitochondriale ce qui accélère la glycolyse, oriente le métabolisme vers un fonctionnement anaérobie baisse la consommation d’oxygène (VO2 ) et produit des lactates [7]. Le surdosage survient chez des patients diabétiques de type 2 traités par biguanide, à la faveur d’une pathologie intercurrente responsable d’une acidose lactique liée à l’hypoxie tissulaire ou à l’insuffisance rénale aiguë favorisant elle-même l’accumulation de metformine. Cette observation illustre pleinement l’intrication de ces mécanismes variés dans l’apparition de l’acidose lactique. L’originalité de ce cas réside dans le fait qu’il sous-tend que la lourde mortalité de cette complication n’est pas directement liée à l’acidose ou au taux plasmatique de biguanides, mais plutôt à la gravité de la pathologie sous-jacente. Le surdosage plasmatique en metformine, bien que très rarement recherché, est une preuve tangible de l’implication de cette molécule dans l’apparition d’une acidose lactique [8]. Le dosage intra-érythrocytaire est encore plus pertinent, car il témoigne d’une accumulation tissulaire. Ces dosages dont les résultats sont tardifs, ne font que confirmer le diagnostic à posteriori. Ils ne doivent pas retarder la prise en charge thérapeutique. Le traitement de l’acidose lactique repose sur l’épuration de la metformine. L’épuration extrarénale est la technique de référence en cas d’acidose métabolique par intoxication médicamenteuse surtout si elle est associée à une insuffisance rénale et à une inflation volémique [9]. L’utilisation d’un tampon bicarbonate permet de corriger l’acidose tout en limitant la surcharge hydrosodée. L’hémodiafiltration continue permet une épuration significative à condition d’utiliser un débit d’ultrafiltration élevé mais l’existence d’une hyperkaliémie (comme dans ce cas où la kaliémie était à 7,7 mmol/L) doit faire préférer l’hémodialyse. La durée de l’épuration est prolongée du fait d’une répartition bicompartimentale de la molécule avec un secteur plasmatique accessible à une épuration rapide, et un secteur intracellulaire où la metformine est moins accessible [10]. Le traitement préventif repose sur le respect des règles de prescription et impose la plus grande vigilance quant à la survenue d’événements intercurrents pouvant induire une accumulation [11]. Dans ce cas clinique, au moins trois situations à risque auraient dû faire retarder la réintroduction de la metformine : le jeûne prolongé, la déshydratation secondaire aux vomissements, l’insuffisance rénale aiguë fonctionnelle favorisée par ces deux situations ainsi que par l’utilisation de d’anti-inflammatoires non stéroïdiens et de diurétiques [12].

C. Contargyris et al. Selon les recommandations de l’Agence franc¸aise de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) de 2006, la metformine doit être arrêtée 24 heures avant l’intervention chirurgicale et réintroduite au minimum 48 heures plus tard, en l’absence de complications, après la reprise de l’alimentation et la vérification de la créatininémie [13]. Malgré ces recommandations, au moins un quart des cas observés, survient par non respect de cette règle [14].

Conclusion Cette observation montre que l’acidose lactique reste une complication grave du traitement par metformine. Les règles d’arrêt et de réintroduction périopératoires doivent donc être respectées.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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Acidose lactique par surdosage en metformine après fracture [12] Orban J, Ghaddab A, Chatti O, Ichai C. Acidose lactique et metformine. Ann Fr Anesth 2006;25:1046—52. ¸aise de sécurité sanitaire des produits [13] Agence franc de santé (Afssaps), Haute Autorité de santé (HAS). Traitement médicamenteux du diabète de type 2

115 (Actualisation). [Recommandations de bonne pratique. Argumentaire]. Saint-Denis: Afssaps/HAS; 2006. [14] Carles M, Raucoules-Aimé M. Prise en charge anesthésique du patient diabétique. Presse Med 2011;40(6):587—95.