Acquisition de supports prédéterminés destinés à la réalisation de bifaces : l’exemple de sites de surfaces du Sud-Est marocain

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L’anthropologie 116 (2012) 364–377 www.em-consulte.com

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Acquisition de supports prédéterminés destinés à la réalisation de bifaces : l’exemple de sites de surfaces du Sud-Est marocain Acquisition of predetermined blanks for the production of handaxes: The example of the open-air site in South-east Morocco Larbi Boudad a,*, Stéphanie Guislain b a

Faculté des sciences et techniques, université Moulay-Ismaïl, BP 509, Boutalamine, Errachidia, Maroc b Lycée Victor-Hugo, route de la Targa, BP 2406, 40000 Marrakech, Maroc Disponible sur Internet le 26 juillet 2012

Résumé Les massifs résiduels de roches sédimentaires et magmatiques sont très nombreux dans le Sud-Est marocain. La découverte de vastes gisements de surface attribués au Paléolithique inférieur indique que ces matériaux lithiques ont fait l’objet d’une importante exploitation par les populations acheuléennes. Utilisant la chaîne opératoire comme outil d’analyse, les auteurs présentent les modalités d’acquisition de supports destinés à la réalisation de bifaces observées sur ces vastes ateliers de taille. # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Sud-Est marocain ; Sites de surfaces ; Paléolithique inférieur ; Chaîne opératoire ; Biface

Abstract The residual massifs composed by magmatic and sedimentary rocks are very numerous in South-Eastern Morocco. The discovery of large Lower Paleolithic open-air sites indicates that those lithic materials have been intensively exploited by Acheulian populations. Using the reduction sequences as analytical tool, the authors present the methods of acquisition of raw material used for the production of the handaxes founded in these large-sized workshops. # 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: South-east Morocco; Open-air sites; Lower Paleolithic; Reduction sequences; Handaxe

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. Boudad). 0003-5521/$ – see front matter # 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.anthro.2012.06.003

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1. Introduction Les sites acheuléens sont nombreux au Sahara Nord-Occidental, la plus grande partie de ces gisements sont des sites de surface hors de tout contexte stratigraphique dont l’intérêt archéologique se limite à l’étude des chaînes opératoires de production d’outils ou à l’étude typologique du matériel. Plusieurs campagnes de prospections menées dans le Sud-Est marocain ont permis la découverte de gisements de surface attribués au Paléolithique inférieur. Les observations de terrain, ainsi que l’étude de plusieurs échantillons de matériel, permet de mettre en évidence les caractéristiques concernant les modalités d’acquisition de supports destinés à la réalisation de bifaces. 2. Problèmes liés à l’étude des gisements de surface Dans les régions sahariennes, les gisements de surface sont plus nombreux que les sites en stratigraphie. Leur étude peut livrer de nombreuses informations, comme l’ont souligné et démontré de nombreux auteurs, à condition de tenir compte des facteurs qui peuvent limiter et fausser l’interprétation des résultats (Antoine, 1954; Wengler, 1986; Aumassip, 1992). L’absence de chronolithostratigraphie est le handicap majeur : il ne permet pas de replacer l’industrie dans un contexte chronologique précis. Aucun élément objectif de datation ne permet l’établissement d’une chronolithostratigraphie locale que l’on pourrait confronter au découpage quaternaire continental marocain. Seuls les outils individualisés dans les formations sédimentaires des bassins proches de la Saoura et de la Daoura (Alimen et al., 1978; Chavaillon, 1964) peuvent être utilisés comme éléments de corrélation chronologique. Les sites de surface sont mal conservés : l’érosion différentielle a des conséquences importantes sur la répartition spatiale des artéfacts et sur le degré d’altération des surfaces (en particulier sur les petits éclats de débitage et de façonnage). Le problème d’homogénéité des industries se pose à plusieurs niveaux : il se peut que le site ait été fréquenté par plusieurs groupes d’individus à des périodes différentes. S’il est relativement facile de distinguer les outils du Paléolithique inférieur de ceux de périodes plus récentes, il est impossible d’attribuer la fabrication de ces outils à un stade culturel d’une période donnée dont la durée est fort longue et lors de laquelle s’opèrent des mutations importantes. La réutilisation et les retraits des objets par des groupes culturels différents ainsi que les pillages contemporains sont fréquents. Les gisements étant généralement très étendus, (dans la vallée du Draâ (Camps et Riser, 1978), « sur une superficie de 80 km2 environ se trouve un immense ensemble de gisements »), l’archéologue ne peut faire une étude exhaustive du site privilégiant certaines zones au détriment d’autres. 3. Présentation des sites Les sites se situent dans le Sud-Est marocain dans les vallées des oueds Ziz et Rhéris (Fig. 1). 3.1. Les ateliers de taille du Jbel Kfiroun Situé à environ deux kilomètres au Sud-Ouest du village de Taouz, sur la rive gauche de l’oued Ziz, le Jbel Kfiroun est un petit massif montagneux constitué de formations sédimentaires ordoviciennes. Sur les deux flancs du Jbel Kfiroun (environ 6 km de long, dont la crête est

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Fig. 1. Carte de localisation des sites étudiés. Studied sites location.

orientée d’est en ouest) s’étendent des formations superficielles qui correspondent à une succession de glacis (G3, G2, G1). Le glacis G3 constitue la forme dominante. Les éléments de la couverture détritique de celui-ci proviennent du démantèlement du massif. Les vestiges lithiques sont présents au sein de ces éléments à la surface du glacis. On ne note pas d’archives morphosédimentaires antérieures à la mise en place du glacis G3. Les formes et les dépôts

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correspondants n’ont pas été enregistrés ou bien ils ont été érodés et ont donc fournis des matériaux qui pourraient être remaniés dans les sédiments postérieurs. L’abondance d’artéfacts sur une grande partie des flancs du massif, témoigne d’une intense occupation et exploitation par l’Homme préhistorique. Le choix du lieu est dicté par la présence d’eau, l’oued Ziz coulant au pied du massif (élément primordial dans le choix d’occupation d’un lieu à cette époque) (FeblotAugustins, 1997) et par l’abondance d’une matière première de qualité (grès et grès quartzites à grains fins). La matière première utilisée est exclusivement un grès à grain fin de l’Ordovicien qui constitue la plus grande partie du massif du Jbel Kfiroun. L’analyse se fonde sur des observations de terrain et sur l’analyse des artefacts prélevés en différents points du gisement. Sur le site, nous avons pu observer les témoins d’acquisition des supports : des nucléus dormants où des négatifs d’enlèvement de grande dimension sont visibles ainsi que des éclats (Fig. 2). Les blocs sont quadrangulaires à l’affleurement ou détachés du substrat. Six prélèvements exhaustifs de matériel ont été fait sur les flancs Nord et Sud du Jbel Kfiroun : (sur le flanc Nord : 1 prélèvement de 9 m2 et un prélèvement de 4 m2 ; sur le flanc Sud : 3 prélèvements de 25 m2 et un prélèvement de 80 m2). L’analyse technologique des artefacts prélevés montre (Fig. 3) que toutes les opérations de production se faisaient sur place. Toutes les catégories technologiques sont représentées. Les supports destinés à la réalisation de

Fig. 2. Négatifs d’enlèvements sur blocs dormants et éclat de très grande dimension. Negatives on ‘‘dormant blocks’’ and very large flakes.

Fig. 3. Répartition du matériel du Jbel Kfiroun par catégorie technologique. Repartition of the Jbel Kfiroun lithic assemblage by technological category.

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Fig. 4. Nucléus mobiles de grande dimension. Large cores.

bifaces étaient également obtenus sur des nucléus mobiles de très grande dimension (Fig. 4). L’utilisation du système de débitage Levallois est attestée avec l’emploi des méthodes linéale et récurrente centripète. L’outillage (n = 95) est composé d’outils « légers » et d’outils « lourds ». Les outils « lourds » qui sont les bifaces (n = 32) et les hachereaux (n = 9) représentent presque la moitié de l’outillage. Nous avons distingué les bifaces achevés (n = 20) et des bifaces au stade de la mise en forme (n = 12). Nous avons considéré les pièces présentant deux surfaces plus ou moins convexes délimitées par une arête comme achevées et comme inachevées, les pièces présentant un plan d’équilibre bifacial partiellement défini et où les enlèvements de façonnage sont localisés et souvent profonds. L’utilisation du percuteur souple n’est pas attestée. Quelques petits éclats de façonnage ont été identifiés.

Fig. 5. Biface du Jbel Kfiroun réalisé sur bloc. Handaxe from Jbel Kfiroun made on a block.

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Fig. 6. Bifaces du Jbel Kfiroun réalisés sur éclats. Handaxe from Jbel Kfiroun made on a flake.

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Les ébauches de bifaces et les bifaces (Fig. 5 et 6) sont essentiellement réalisés sur des éclats (n = 21), les bifaces réalisés sur bloc sont moins nombreux (n = 9), sur deux pièces nous n’avons pas pu identifier le support. Les dimensions des bifaces sont importantes, on note que les bifaces réalisés sur éclats sont en moyenne plus grands mais également plus allongés et plus plats. La longueur des bifaces réalisés sur éclat est comprise entre 105 et 190 mm ; la longueur des bifaces réalisés sur blocs est comprise entre 118 et 138 mm. L’indice d’allongement est toujours plus important sur les bifaces réalisés sur éclats que sur ceux réalisés sur blocs. Les bifaces ayant un indice d’allongement supérieur à 1,5 sont tous réalisés sur des éclats. De même, bien que l’indice d’aplatissement soit en moyenne peu élevé, on note que les bifaces les plus épais sont réalisés sur blocs et que les pièces ayant un indice d’aplatissement supérieur à 2,35 sont toutes réalisées sur des éclats. Du point de vue morphologique, les bifaces réalisés sur éclats sont essentiellement cordiformes allongés ou amygdaloïdes. Les ébauches de biface sont réalisées sur des éclats (n = 7) et sur des blocs (n = 5). Les ébauches réalisées sur éclat se caractérisent par la présence d’enlèvements de façonnage, souvent alternants, où l’on pressent l’intention de façonner une pièce bifaciale. Ces premiers enlèvements sont généralement localisés sur la zone étroite ou pointue de l’éclat. L’éclat support choisi est la plupart du temps plus large que long et le talon est alors latéralisé par rapport à l’axe morphologique de la pièce bifaciale. Les ébauches réalisées sur bloc se caractérisent par un dégrossissage réalisé par enlèvements alternants. Les causes d’abandon sont difficilement attribuables, dans certains cas nous avons estimé que l’abandon était probablement dû à des enlèvements trop profonds ayant considérablement réduit et modifié le volume de la pièce. Du point de vue dimensionnel, la longueur des ébauches réalisées sur éclats est comprise entre 92 et 217 mm ; la longueur des ébauches réalisées sur blocs est comprise entre 97 et 200 mm. Deux ébauches réalisées sur éclat présentent un indice d’allongement supérieur à 1,5, se sont également quatre ébauches réalisées sur éclat qui présentent un indice d’aplatissement supérieur à 2,35. S’agissant d’ébauches, le calcul ne semble pas significatif, mais du point de vue technologique, il permet d’estimer le degré de prédétermination des supports. Les pièces bifaciales sont dans 75 % des cas réalisées sur éclat. 3.2. Le site de Tallaït Moulay Omar Découvert en 1993, le site de surface de Tallaït Moulay Omar, se situe sur la bordure nord-ouest de l’erg Chebbi (Fig. 1). Le site était parfaitement délimité, les objets reposaient sur des dépôts sableux, non cimentés, qui s’étalent en pente douce à partir de la base d’un dépôt travertineux. Les objets n’étant pas en place, ils n’ont qu’une valeur informative sur l’Acheuléen de la région non défini à l’époque de la découverte. La série se compose de 262 pièces (Guislain, 1995). La roche la plus utilisée est une dolérite dont les filons à l’état détritiques sont situés dans l’environnement immédiat du site. L’autre matériau utilisé est un grès quartzite. Les pièces sont en général très abîmées par l’érosion. La matière première a été introduite sur le site sous forme de blocs oblongues ou de gros éclats. Les gros éclats utilisés surtout pour le façonnage de bifaces sont obtenus à l’aide de gros percuteurs mobiles lâchés sur des blocs affleurant. L’étude des nucléus (6,10 %) et des produits de débitage (50,38 %) montre que le système de débitage Levallois bien qu’attesté par la présence de trois nucléus et de trois éclats est peu développé. Les éclats ont des longueurs variables comprises entre 29 et 162 mm, ils sont souvent plus larges que longs. Les talons sont majoritairement lisses (70 %) et fortement inclinés sur la face inférieure de l’éclat. Les bulbes de percussion sont volumineux.

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Les éclats de façonnage de biface sont mal représentés. Aucun éclat de façonnage n’a pu être identifié comme provenant d’une percussion au percuteur souple. Compte tenu de l’état de conservation du site, ces éclats si ils existaient n’ont pas été préservés. Les outils sont au nombre de 113, soit 43,50 % de l’ensemble des artefacts avec une forte proportion de galets et de bifaces (68,43 % de l’ensemble de l’outillage). Les bifaces sont au nombre de 48 : 28 sont confectionnés sur blocs, 15 sur éclats et pour 10 d’entre eux le support n’a pas pu être déterminé (Fig. 7 et 8). Tous les bifaces identifiés comme réalisés sur blocs sont généralement épais et ont une base réservée corticale. Les bifaces réalisés sur éclats sont généralement plus allongés et plus plats. Ils présentent de nombreux caractères évolués : ils sont cordiformes allongés ou amygdaloïdes. Leurs arêtes sont peu sinueuses. Les ébauches de biface (n = 25) ont toutes une forme générale de biface. Ils sont généralement peu repris, les enlèvements de façonnage étant localisés en zone distale et latéro-mésiale. Le façonnage de la partie centrale et distale est inexistant ou peu développé. Les bords ne sont jamais repris au percuteur souple. Les bifaces et ébauches de biface prélevés au Jbel Kfiroun et à Tallaït Moulay Omar présentent un certain nombre de caractéristiques identiques. 4. Acquisition et façonnage (Fig. 9) Les témoins des phases d’acquisition des supports sont :  sur le terrain, des négatifs d’enlèvements de grande dimension visibles sur certains blocs anguleux présents à l’affleurement ;  au sein des échantillons prélevés :  des éclats de grande dimension (en moyenne 160 mm de long), provenant pour certains, du débitage des gros blocs dormants. Morphologiquement, ces éclats sont quadrangulaires ou ovalaires, souvent plus larges que longs. Certains d’entre eux présentent un ou plusieurs bords anguleux ou bien des sections triangulaires correspondant aux angles naturels des blocs. Leurs talons sont lisses, peu inclinés ; les bulbes sont assez peu proéminents, voire diffus, en revanche, certains d’entre eux présentent une esquille profonde et étendue,  des nucléus mobiles réalisés sur des blocs ou sur des éclats de grande dimension (longueur moyenne 150 mm), essentiellement exploités par un système de débitage Levallois à modalité récurrente centripète produisant des éclats généralement plus larges que longs en forme d’éventail ou déjetés,  des blocs naturels de dimension moins importante (en moyenne 100 mm de longueur) présentant des enlèvements généralement peu envahissants et alternants, localisés sur une arête ou sur une extrémité. Ces blocs, généralement allongés et plats, présentent ainsi, une morphologie assez proche de celle d’un biface. Les témoins des phases de façonnage sont :  des bifaces, majoritairement réalisés sur des éclats ;  des bifaces partiels ou ébauches de bifaces réalisés majoritairement sur des éclats ;  les éclats de façonnage sont absents à Tallaït Moulay Omar et quelques éclats de façonnage caractéristiques ont été formellement identifiés au Jbel Kfiroun : ils présentent une courbure, une morphologie et une lèvre sur le talon. D’autres éclats de dimension plus réduite (en moyenne 20 mm) peuvent provenir du façonnage (d’autant que leurs dimensions

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Fig. 7. Bifaces de Tallaït Moulay Omar. A. Pic. B. Biface à biseau terminal. C. Biface pélécyforme. D. Biface lagéniforme. Handaxe from Tallaït Moulay Omar. A. Pic. B. Handaxes with terminal bevel. C. Pelecyform-handaxe. D. Lageniform handaxe.

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Fig. 8. Bifaces de Tallaït Moulay Omar. A. Biface micoquien typique. B. Biface micoquien typique à dos. C. Biface discoïde. Handaxe from Tallaït Moulay Omar. A. Typical micoquian-handaxe. B. Typical backed micoquian-handaxe. C. Discoidal handaxe.

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Fig. 9. Chaîne opératoire des bifaces. Handaxes reduction sequence.

correspondent aux dimensions des négatifs d’enlèvements de façonnage observés sur les bifaces), mais ils sont dans un état d’altération très important, qui les réduit à l’état de petits cailloux plats et émoussés impossibles à décrire plus précisément. 5. Lecture technologique des bifaces des deux sites Qu’il s’agisse de bifaces réalisés sur blocs ou des bifaces réalisés sur éclats, on note que le façonnage n’est pas très développé. Par conséquent, dans le cas des bifaces réalisés sur éclats, ils conservent certains caractères technologiques de l’éclat support (Fig. 10). Les plages plus ou moins étendues de la face d’éclatement, le bulbe proéminent, le talon épais, parfois non repris ou bien partiellement aminci par des enlèvements courts, sont autant d’éléments qui permettent de déterminer, l’orientation de l’axe de débitage du support et de le comparer avec l’axe morphologique du biface ; cet angle varie entre 20 et 908, le plus souvent il est de 308. Des résidus de plage corticale de l’éclat support sont également fréquents sur les bifaces du Jbel Kfiroun. Dans le cas des bifaces réalisés sur blocs, un grand nombre d’entre eux est resté au stade d’ébauchage, présentant une large réserve corticale en zone proximale (Fig. 11). 6. Notion de prédétermination et conséquences sur le déroulement de la chaîne opératoire À travers la reconnaissance des caractères morphologiques et technologiques des supports utilisés pour la réalisation des bifaces, on peut entrevoir un certain nombre d’informations

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Fig. 10. Dessins diacritiques de bifaces réalisés sur éclats. Diacritical drawing of handaxes made on flakes.

Fig. 11. Dessins diacritiques de bifaces réalisés sur blocs. Diacritical drawing of handaxes made on blocks.

concernant la notion de prédétermination et de ses conséquences sur le déroulement de la chaîne opératoire de fabrication d’un biface :  éléments indicateurs de prédétermination des supports : la réalisation d’un biface repose sur un schéma conceptuel « unique et stable » (Roche et Texier, 1991) : la mise en place de deux

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surfaces plus ou moins convexes de part et d’autre d’un plan d’équilibre bifacial matérialisé par l’arête, puis par la régularisation de cette arête en fonction d’un plan d’équilibre bilatéral (Texier, 1989). Sur les éclats acquis pour la réalisation des bifaces du Jbel Kfiroun et de Tallaït Moulay Omar, certains caractères morpho-techniques élémentaires et nécessaires à la réalisation du projet sont préexistants. Deux surfaces opposées délimitées par un contour sont présentes, évitant toute une série d’opérations techniques d’ébauchage. On peut d’ores et déjà parler de prédétermination. Un degré supplémentaire de prédétermination est perceptible dans la recherche de supports épais, courts ou plus larges que longs, en forme d’éventails ou déjetés. Dans ce cas, une certaine convexité est présente sur la face d’éclatement et la rotation du support permet de profiter de l’extrémité déjetée ou d’une des extrémités de l’éclat en forme d’éventail pour constituer rapidement la pointe de biface. Dans le cas des bifaces réalisés sur blocs, les blocs choisis sont toujours de dimension assez réduite et présentent une morphologie adaptée et un volume initial proche de celui d’un biface. On note également un certain nombre de constantes dans l’organisation et la localisation des enlèvements. Ainsi, on observe que dans tous les cas, le tailleur débute par la zone distale de la pièce, privilégiant la pointe ou/et les arêtes et les bords latéraux ;  conséquences sur le déroulement de la chaîne opératoire : la chaîne opératoire de façonnage des bifaces sur éclats, dont le niveau de prédétermination est plus ou moins élevé, est complexe du point de vue conceptuel. Du point de vue opératoire, elle est plus longue car elle comporte une étape supplémentaire, celle de l’acquisition avec prédétermination des éclats ; mais elle est également plus courte car les opérations d’ébauchage et de régularisation des bords sont évitées. 7. Conclusion Au Sahara nord-occidental, quand la matière première s’y prête, les bifaces sont souvent réalisés sur éclats. L’acquisition de supports prédéterminés limite considérablement les opérations de façonnage parfois difficiles à mener à terme (écrasement de la matière si l’on cherche à faire des enlèvements minces) sur des matériaux comme les grès ou les quartzites préférentiellement utilisés par les acheuléens dans ces régions. Dans la Saoura, bassin proche de notre région d’étude, les bifaces réalisés sur éclats sont nombreux (Alimen et al., 1978). Plus vers l’ouest, les études de gisement de surface dans la vallée du Draâ (Glory et Allain, 1952) signalent l’existence de trièdres réalisés sur de larges éclats à bulbes proéminents dont le plan d’éclatement est généralement intact. Ces éclats sont également acquis sur des blocs dormants. En Mauritanie, l’étude de plusieurs gisements du Paléolithique inférieur dans la région de l’Adrar (Toure, 2006 ; Lumley et al., 2006) montre que les bifaces sont préférentiellement réalisés sur éclats et qu’ils sont peu façonnés avec une base réservée conservant les stigmates du talon de l’éclat support. Enfin, au Sahara méridional, sur le gisement acheuléen ancien de Bilma, les bifaces sont tous, à quelques exceptions près, réalisés sur des éclats à talons lisses (Tillet, 1983) ; ils présentent également une base réservée avec les stigmates du talon de l’éclat support. Références Alimen, H., Zuate, Zuber, J., 1978. L’évolution de l’Acheuléen au Sahara nord-occidental (Saoura, Ougarta, Tabelbala), 2 volumes. Éditions du CNRS, Paris, 596 p. Antoine, M., 1954. Pour une réhabilitation des stations de surface. Bulletin de la Société de Préhistoire du Maroc 7/8, 147–153.

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