Actinomycose disséminée

Actinomycose disséminée

Cas clinique Actinomycose disséminée C. Louerat1, C. Depagne1, P. Nesme1, F. Biron2, J.-Cl. Guerin1 Résumé Introduction Nous rapportons l’observatio...

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Cas clinique

Actinomycose disséminée C. Louerat1, C. Depagne1, P. Nesme1, F. Biron2, J.-Cl. Guerin1

Résumé Introduction Nous rapportons l’observation d’un patient présentant une actinomycose disséminée. Observations Il s’agit d’un patient âgé de 52 ans, éthylotabagique, hospitalisé pour trouble des fonctions supérieures associées à une pneumopathie excavée lobaire supérieure droite. Le scanner cérébral, normal à l’entrée, retrouve, quinze jours plus tard, quatre lésions suspectes d’allure secondaire. C’est devant l’identification d’Actinomyces odontolyticus en culture dans le lavage broncho-alvéolaire et en l’absence d’arguments pour une pathologie néoplasique malgré des examens invasifs que le diagnostic d’actinomycose disséminée avec localisations pulmonaire et cérébrales multiples a été posé. L’évolution a été favorable avec un traitement adapté. La forme disséminée de l’infection est très rare de même que l’atteinte cérébrale multifocale. Conclusion Le diagnostic des actinomycoses est difficile car il s’agit d’une pathologie rare d’identification microbiologique difficile et retardée qui doit être évoquée devant tout tableau clinique évoquant une pathologie tumorale en l’absence de diagnostic histologique. Mots-clés : Actinomycose • Abcès cérébraux • Abcès pulmonaire • Infection • Antibiotiques.

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Service de pneumologie, Hôpital de la Croix Rousse, CHU Lyon, France. 2 Service des maladies infectieuses, Hôpital de la Croix Rousse, CHU Lyon, France. Correspondance : C. Louerat Service de pneumologie, Hôpital de la Croix Rousse, 93, grande rue de la Croix Rousse, 69317 Lyon Cedex 04. [email protected] Réception version princeps à la Revue : 13.12.2004. Retour aux auteurs pour révision : 22.01.2005. Réception 1ère version revisée : 09.03.2005. Acceptation définitive : 09.03.2005.

Rev Mal Respir 2005 ; 22 : 473-6 Doi : 10.1019/200530007

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© 2005 SPLF, tous droits réservés

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C. Louerat et coll.

Observation Disseminated actinomycosis

C. Louerat, C. Depagne, P. Nesme, F. Biron, J.-Cl. Guerin

Summary Introduction We report the case of a patient suffering from disseminated actinomycosis. Case report A fifty-two year old man, who was both a heavy smoker and an alcoholic, was admitted to hospital with confusion associated with a pseudo-tumoral right upper lobe pneumonia. Brain computed tomography was normal on the day of admission but when repeated fifteen days later four lesions were seen with appearances suspicious of metastatic malignant disease. The isolation of Actinomyces odontolyticus in the bronchoalveolar lavage culture and the absence of evidence for neoplastic disease despite extensive investigation led to a diagnosis of disseminated actinomycosis with pulmonary and cerebral involvement. The patient’s clinical condition improved with antibiotic therapy. The disseminated form of this infection as well as presentation with multifocal brain abscesses is rare. Conclusion The diagnosis of actinomycosis is problematic because it is an uncommon infection and microbiological identification is often difficult and delayed. It should be considered when clinical presentation suggests malignant disease but there is no histological confirmation. Key-words: Actinomycosis • Cerebral abscesses • Lung abscess • Infection • Antibiotic.

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Monsieur J., patient âgé de 52 ans, dont les antécédents sont essentiellement marqués par un éthylisme chronique et un tabagisme à 60 paquets-années est hospitalisé aux urgences le 12 avril 2004 pour des troubles du comportement à type d’agitation, confusion puis stupeur d’aggravation progressive depuis 10 jours. Devant l’aggravation neurologique brutale (glasgow 5), le patient est pris en charge en réanimation, intubé et ventilé. Aucune cause iatrogénique pouvant expliquer le tableau neurologique du patient n’est identifiée. La glycémie, l’alcoolémie et l’ionogramme sanguin sont normaux. La ponction lombaire retrouve une hyperprotéinorrachie à 0,62 g/l sans anomalie de la glycorrachie, la numération cellulaire est normale, la culture stérile. Le scanner cérébral sans injection est normal ainsi que l’électroencéphalogramme. On retient un syndrome inflammatoire avec fibrinogène à 7 g/l, CRP à 60 mg/l sans hyperleucocytose rapporté à une pneumopathie axillaire droite ronde (fig. 1) pour laquelle est débuté un traitement par amoxicilline-acide clavulanique. Le diagnostic retenu est celui d’un syndrome de sevrage alcoolique avec pneumopathie droite. Malgré l’amélioration des troubles de la vigilance, la situation respiratoire va rapidement s’aggraver avec l’extension de la pneumopathie aux bases. Le scanner thoracique met en évidence une lésion abcédée du lobe supérieur droit de 30 millimètres de diamètre aux parois épaisses et irrégulières associé à une condensation des 2 lobes inférieurs. Sur le plan microbiologique, un Aeromonas hydrophilia est identifié dans les expectorations, cultures effectuées sur des milieux standards. Le traitement antibiotique est donc élargi à J8 avec pipéracilline-tazobactam – ciprofloxacine permettant un sevrage progressif de la ventilation invasive. C’est devant la persistance d’un déficit du membre supérieur droit associé à une désorientation temporelle et hallucinations visuelles qu’un nouveau scanner cérébral sans puis avec produit de contraste est réalisé à J16 retrouvant alors 4 lésions sus tentorielles en cocarde avec œdème périlésionnel (pariétale gauche, frontale droite, occipitale droite et gauche) (fig. 2, 3 et 4). Le patient est transféré dans le service de pneumologie le 29 avril 2004 (J17) pour suspicion de carcinome bronchique métastatique au niveau cérébral. À son arrivée, le patient est apyrétique, encombré, confus avec un déficit complet du membre supérieur droit. La radiographie pulmonaire et le scanner thoracique montrent une pneumopathie lobaire supérieure droite excavée en cours de régression (fig. 5). Sur le plan biologique, il n’y a pas de syndrome inflammatoire, la sérologie HIV est négative. À J21, la fibroscopie bronchique ne retrouve pas de lésion suspecte. La ponction pulmonaire transpariétale réalisée à J42 sous neuroleptanalgésie en raison de l’agitation du patient, ramène un matériel riche en polynucléai-

Fig. 1.

Radiographie pulmonaire à l’entrée montrant une pneumopathie droite axillaire.

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res neutrophiles évoquant une lésion abcédée, sans cellule néoplasique. Aucune documentation microbiologique n’a été obtenue le patient étant traité par antibiotiques. Le contrôle du scanner cérébral réalisé à 15 jours de l’association pipéracilline-tazobactam, antibiothérapie reprise en raison d’une nouvelle pneumopathie d’inhalation, met en évidence une diminution des lésions intracérébrales. C’est à ce moment que la culture du lavage broncho-alvéolaire est rendue avec la présence d’Actinomyces odontolyticus. Cette amélioration radiologique confirme l’hypothèse d’une pathologie infectieuse mais ne se traduit pas par une amélioration clinique avec notamment, tendance à l’aggravation de la confusion associée à des hallucinations visuelles angoissantes. C’est l’association aminopénicilline-métronidazole qui permettra, très rapidement la résolution des troubles confusionnels et hallucinatoires, le déficit moteur du membre supérieur droit persiste cependant. À 6 mois de traitement par amoxicilline, on constate la disparition complète de l’ensemble des lésions à l’IRM cérébrale. Sur le plan clinique, il persiste une parésie du membre supérieur droit avec des troubles des fonctions supérieures (manque du mot, troubles de l’orientation spatiale et de la mémoire). La déambulation est gênée par une amputation des champs visuels latéraux et une tendance à la déviation latéralisée de la marche. Sur le plan thoracique, le scanner retrouve une lésion séquellaire excavée du lobe supérieur droit à parois fines de 16 u 25 millimètres de diamètre. Les bilans ORL et dentaires réalisés au cours de son hospitalisation n’ont pas retrouvé de foyers infectieux profonds, l’échographie cardiaque transthoracique n’a pas mis en évidence de greffe bactérienne valvulaire. L’antibiothérapie sera poursuivie pour une durée totale de 12 mois.

Fig. 3.

Scanner cérébral avec injection de produit de contraste. Lésions abcédées occipitales droite et gauche.

Le diagnostic est donc celui d’une actinomycose disséminée avec une localisation pulmonaire sous pleurale et cérébrale multiple chez un patient éthylotabagique. Il s’agit d’une infection chronique dont le diagnostic est devenu rare dans les pays développés. Actinomyces est un bacille gram positif, anaérobie strict. Il est saprophyte des voies aériennes supérieures, du tractus diges-

tif et de l’appareil génital féminin. 40 espèces ont été identifiées mais seules 6 sont reconnues pathogènes dont Actinomyces odontolyticus. Cependant le plus souvent, c’est Actinomyces israelii qui est retrouvé [1]. Les facteurs de risque de développer une telle infection sont l’état bucco-dentaire précaire et l’éthylisme chronique. Ces patients sont le plus souvent immunocompétents. Cette bactérie a un faible pouvoir pathogène, et la rupture de la muqueuse est la première étape à l’évolution vers la pathogénicité [1].

Fig. 2.

Fig. 4.

Scanner cérébral avec injection de produit de contraste. Lésion abcédée pariétale gauche.

Scanner cérébral avec injection de produit de contraste. Lésion abcédée frontale droite.

Discussion

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C. Louerat et coll.

Fig. 5.

Scanner thoracique avec injection de produit de contraste. Lésion abcédée sous pleurale lobaire supérieure droite.

Les sites les plus souvent infectés sont cervico-faciaux (50-60 %), thoraciques (15 %), abdomino-périnéaux (20 %). La localisation cérébrale est rare (2 %), le plus souvent unique (67 %), les formes disséminées comme dans notre observation sont exceptionnelles [1]. Sur le plan pulmonaire, l’actinomycose se greffe le plus souvent sur des lésions préexistantes suite à l’inhalation de sécrétions infectées. Il avait été rapporté dans de petites séries que la présence d’une pathologie respiratoire sous-jacente tels l’emphysème, les dilatations bronchiques, la bronchite chronique représentaient des facteurs de risque de développer une actinomycose [1]. Radiologiquement, elle peut revêtir plusieurs formes : infiltrat, lésions cavitaires ou pseudotumorales avec possibilité d’un envahissement de contiguïté de la plèvre et de la paroi thoracique ou du médiastin. Pour notre patient, la présentation était dans un premier temps pseudo-tumorale limitée au lobe supérieur droit avec, secondairement, excavation et apparition d’une condensation des lobes inférieurs, dues à une pneumopathie d’inhalation compte tenu des troubles neurologiques. Sur le plan neurologique, l’infection peut présenter différentes formes : abcès dans 75 % des cas le plus souvent unique, méningite, méningo-encéphalite [2]. L’infection cérébrale est secondaire à une dissémination hématogène ou par contiguïté. Dans 30 % des cas, ces abcès sont polymicrobiens [3]. Dans notre observation, le tableau était d’emblée neurologique, précédant la constatation tomodensitométrique des abcès multifocaux. Le mode de dissémination était le plus probablement hématogène à partir du foyer pulmonaire découvert de façon fortuite. Le diagnostic est affirmé par l’isolement d’Actinomyces sur les prélèvements. Les cultures sont longues, gardées jusqu’à 3 semaines exigeant la mise en œuvre de techniques de culture en anaérobiose, incubées à 37 qC dans une atmosphère enrichie 476

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en CO2 [4]. L’examen histopathologique de biopsies peut montrer des grains dits « sulfureux » formés d’un enchevêtrement d’allure mycélienne, donnant un aspect radié caractéristique. Actinomyces est habituellement sensible à de nombreux antibiotiques : pénicilline G, chloramphénicol, tétracyclines, érythromycine, clindamycine, imipénème, streptomycine et céphalosporines [3], mais le traitement avec lequel on a le plus d’expérience et qui reste le traitement de référence est la pénicilline G. En cas d’infection cérébrale, la biantibiothérapie n’est pas recommandée mais souvent utilisée [5, 6]. On remarquera dans notre observation l’efficacité de pipéracilline-tazobactam et amoxicilline-métronidazole. Le caractère polymicrobien des abcès impose une antibiothérapie de large spectre incluant les anaérobies. Le pronostic des formes cérébrales est sévère : mortalité 28 % et séquelles estimées à 54 % [5]. Une antibiothérapie débutée précocement limite les conséquences péjoratives. Malheureusement, le délai diagnostique est souvent long, l’infection évoluant à bas bruit et prenant le caractère d’une pathologie tumorale comme dans notre observation ou le diagnostic de certitude n’a été posé qu’après 2 mois d’hospitalisation. Il est actuellement trop tôt pour évaluer les séquelles. Actinomyces a une affinité particulière pour les tissus dévitalisés [2], les pathologies tumorales peuvent donc faire le lit de telles infections, la vigilance est donc de rigueur dans le suivi de ces patients. Les diagnostics différentiels à évoquer devant l’association de lésions à la fois cérébrales et pulmonaires sont les aspergilloses, cryptococcoses, tuberculose, nocardioses et infection à Rhodococcus equi et nocardiose, ces infections se développant le plus souvent chez des patients immunodéprimés.

Conclusion Le diagnostic d’actinomycose est devenu rare dans les pays développés mais reste un des diagnostics différentiels des pathologies néoplasiques. L’antibiothérapie débutée le plus précocement limite les séquelles infectieuses.

Références 1 2 3 4

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